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26/03/2009

Comprendre ce qui nous met hors de nous

dispute.jpgUn aspect particulier des débats actuels sur les récents propos du pape me semble mériter qu'on s'y arrête. On observe en effet de chaque côté des réactions qui apparaissent excessives, que ce soit dans l'attaque ou la défense de Benoît XVI. Excessives dans les propos qui sont tenus, dans l'énervement qu'ils manifestent. Excessives aussi parfois dans les comportements que l'on observe. Je pense ici notamment à l'affrontement qui a eu lieu devant Notre-Dame de Paris entre des militants d'Act Up et des partisans du pape (qui sont présentés dans la vidéo en lien comme des personnes d'extrême droite, mais rien ne permet de le vérifier il me semble).

 

On peut remarquer d'abord que la polémique s'est véritablement emballée à partir des propos du pape sur les préservatifs, et moins lors de l'affaire Williamson ou de l'excommunication de la mère de la fillette brésilienne violée. Du moins c'est mon impression. Pourtant les deux premiers sujets avaient déjà largement de quoi choquer. L'explication ici me semble toute simple, et c'est encore la notion de proximité qui permet de l'éclairer : ces sujets étaient moins proches d'eux dans la mesure où ils les touchaient moins fortement d'un point de vue personnel. Alors que le sujet du préservatif les concerne de façon directe dans la façon de mener leur vie quotidienne. Le sujet est plus proche d'un point de vue personnel (je devrais en fait dire plus proche tout court).

 

Les gens se sentant directement concernés réagissent donc plus fortement. On pourrait dire à ce stade que ce qui est en cause ici c'est leur mode de vie, et que c'est parce qu'ils sentent que leur mode de vie est remis en cause par les opinions des autres qu'ils réagissent si fortement. Mais cette explication m'insatisfait, elle me semble trop insuffisante pour une raison simple : elle n'explique les choses que de façon extérieure, elle ne rend pas compte des mécanismes personnels qui se mettent en jeu chez les individus et qui conditionnent leur réaction. Il faudrait parvenir à comprendre ce qui se passe intimement chez quelqu'un qui pète les plombs dans ce type de débat, ce qui nous énerve dans une discussion politique lorsqu'un ami n'est pas de notre avis, etc. Si vous avez des idées précises à proposer n'hésitez pas, je vais essayer d'y réfléchir et de revenir avec quelque chose de plus juste.

23/03/2009

Mauvaise foi

pape.jpgJ'ai découvert comme tout le monde la semaine dernière les propos du pape sur les préservatifs lors de son départ pour l'Afrique. Comme Hugues aujourd'hui ces propos me semblent parfaitement irresponsables. Ils ne sont à mon sens que l'expression d'une théorie déconnectée du réel, du terrain. Qui ne fonctionne que sur la base d'un raisonnement pur dans lequel est absente toute tentative de saisir ce que vivent les gens là-bas. Or il s'agit ici de comportements que l'on analyse, et que l'on souhaite visiblement réformer. Et dans ce domaine des comportements, c'est peu de dire que les raisonnements purs qui en restent à l'état de théories désincarnées sont inefficaces. Ils sont ineptes.

 

Les propos de Benoît XVI me semblent condamnables en particulier du fait de leur poids considérable sur le continent africain. L'impact de ces paroles est grand, car le pape sur ce continent est écouté, admiré encore par de très nombreux croyants. On aurait tort je crois de considérer qu'ils n'ont qu'un faible impact. Bien sûr je ne pourrai jamais le vérifier précisément mais je pense au contraire qu'ils peuvent avoir une influence néfaste très importante. Ils risquent d'aggraver les comportements à risque, bien plus que ne pourrait le faire la liberté d'usage des préservatifs. Le pape constitue un leader d'opinion pour beaucoup de personnes, et ses propos ont donc un poids considérable.

 

J'ai lu chez certains blogueurs un peu proches de moi (les derniers que je prends le temps de lire en fait, raison pour laquelle je les mentionne eux plutôt que d'autres) des défenses du pape qui m'ont semblées surprenantes. Surprenantes surtout de mauvaise foi, car elles s'attachent visiblement à trouver dans les propos de Benoît XVI les détails qui, lus à la lettre et sans aucun recul, pourraient permettre en effet de l'absoudre de sa responsabilité, au mépris du sens général de son discours.

 

Eolas notamment soutient que le pape a seulement dit "On ne peut pas résoudre le problème du sida avec la distribution de préservatifs; au contraire elle aggrave le problème". Et Eolas d'enchaîner que le pape n'a donc pas dit que c'était l'usage du préservatif qui posait problème mais seulement sa distribution. On se demande pourtant bien ce que le pape pouvait avoir en tête lorsqu'il disait que la distribution de préservatifs aggravait le problème. Et il faut avoir une bien singulière vision des choses pour imaginer qu'il n'envisageait pas ainsi l'usage pouvant être fait desdits préservatifs. Car en effet si l'on ne s'en sert ensuite que pour faire des bombes à eau, la distribution de préservatifs n'est pas une solution. D'accord. Cependant, faille dans le raisonnement, pourquoi en revanche aggraverait-elle le problème ? Des bombes à eau ça ne refilent quand même pas des MST ! Les propos du pape signifient à l'évidence que l'usage des préservatifs aggravent le sida, rien d'autre. Il faut ne pas vouloir comprendre pour ne pas comprendre.

 

J'ai grosso modo la même réaction face aux commentaires qui disent que la presse a déformé et amplifié les propos du pape alors qu'il suivait un raisonnement fin et précis. L'étonnement ici vient de commentateurs comme Koz ou surtout Authueil, qui semblent s'éffarer de ce que la presse agisse comme une loupe grossissante sur le comportement ou les idées tenues par un homme public. Authueil émet souvent des commentaires appelant au pragmatisme, au réalisme face aux événements et à la façon de les interprêter. Le pape est un personnage public, ses paroles, lorsqu'elles sont recueillies par la presse, sont diffusées dans le monde entier. Il ne peut agir en ce domaine comme s'il se trouvait chez lui près de la cheminée en discussion avec des amis en leur disant "non mais attendez, ce que je veux dire plus précisément c'est patati patata". Ou alors il n'a pas compris qu'elle était sa place. C'est là où sa responsabilité est engagée. Parce qu'une fois de plus ses propos ont un impact très particulier, que n'ont pas ceux portés par tant d'autres individus. S'il souhaite développer des opinions plus subtiles, il ne peut le faire de cette façon.

 

Dans ce domaine, il faut toutefois reconnaître que l'attitude de la presse n'arrange rien. La course au scoop et à la phrase qui choque joue clairement ici un rôle lui aussi particulièrement destructeur. Et qui est lui aussi parfaitement condamnable. Las, il s'inscrit dans un mode de fonctionnement qui aura bien du mal à être modifié, car pris dans le train innarêtable d'une logique économique dont il est difficile de sortir sauf à ce que tous les acteurs du secteur décident ensemble du même coup de modifier soudainement les règles du jeu. La presse est ici dans un dilemme quasi insoluble car il y a trop d'acteurs à mettre d'accord au même moment.

 

Il y a encore sans doute beaucoup à dire sur ce sujet. Mais il revient de façon régulière et l'occasion se représentera sans doute prochainement. Je voudrais toutefois finir sur deux remarques.

 

La première vient du billet de Koz, qui avance une idée que je trouve très intéressante. ll rapporte vers la fin de son billet (environ après une centaine de lignes, c'est toujours long un billet de Koz) une citation de Edward C. Green, directeur du Projet de Recherche sur la Prévention du Sida au Centre pour les Etudes de la Population et du développement d’Harvard, qui dit donc : "Il conviendrait de se demander si nous sommes plus soucieux de promouvoir la notion occidentale de liberté sexuelle que de sauver des vies". Il y a là une remarque qui m'apparaît très juste. Dans les réactions contre les propos du pape il y a sans doute une part de volonté de défendre un mode de vie à l'occidentale, incluant donc une certaine notion de la liberté sexuelle.

 

Peu m'importe qu'il s'agisse de la question de la liberté sexuelle en fait. Ce qu'il y a derrière cela c'est à mes yeux l'idée qu'une frange de la population cherche effectivement derrière ces accusations des propos du pape à sauvegarder leur mode de vie. Je vais être plus clair encore : ce qu'ils cherchent me semble-t-il n'est pas de sauver les africains d'un fléau, mais de sauver leur façon de vivre. Je ne dis pas que ce soit le cas de tous bien sûr, mais je crois qu'il y a tout de même chez de très nombreuses personnes cette volonté, que je juge inconsciente d'ailleurs, de conserver leur mode de vie occidental. Pour résumer, leur conclusion me semble la bonne, à savoir promouvoir l'usage et donc la distribution des préservatifs en Afrique, en revanche il me semble très probable qu'ils le font au moins en partie pour des raisons inconsciente dont celle de conserver leur mode de vie, ce qui n'a donc rien à voir avec le sauvetage de l'Afrique.

 

Car encore une fois, et c'est ma deuxième remarque, il n'y a rien qui ressemble plus à un homme qu'un autre homme. Et tous les deux, pape et défenseur du préservatif, face à face, souffrent du même défaut dans leurs jugements et leur façon d'aborder les choses, défaut qui fait que l'un aborde le sujet d'une façon apparemment désincarnée, et l'autre pense d'abord à lui-même plutôt qu'à celui qui a besoin de protection : ce défaut c'est le manque de proximité. J'y mets le temps, mais cette idée fait son chemin petit à petit : dans le domaine humain, il n'y a pas de bon raisonnement, de bon comportement sans proximité. Et on comprend qu'il ne s'agit évidemment pas de proximité géographique, mais de proximité d'appartenance, un sentiment de vie commune qui souffle parmi les individus. Ce qui contribue à créer cette proximité est à favoriser, à développer, autant que possible. C'est le vrai grand défi des hommes.

 

 

Une remarque sur la crise

billet20E.jpgJ'ai assisté il y a quelques jours à une conférence intéressante sur la crise économique actuelle. L'interlocuteur principal était l'actuel dirigeant de la société de réassurance SCOR, et à la fin de son discours il a indiqué une idée qui m'a plût parce qu'elle me semblait sortir un peu des sentiers battus et des discours tout faits.

 

Lorsque l'on évoque aujourd'hui les solutions de sortie de crise, une des idées réflexes que l'on entend souvent exprimées est que nous avons besoin d'un retour de la confiance de la part des acteurs économiques. Confiance des investisseurs dans la viabilité de leurs projets, confiance des entreprises quant-à leur avenir, confiance des ménages pour leur paniers, etc. Mais quand on a dit ça, au final on n'a pas dit grand chose. Car se pose alors la question : et comment fait-on pour rétablir cette confiance ? Ce qui nous fait revenir au point de départ.

 

Dire qu'il est nécessaire de retrouver confiance en l'économie et ses perspectives n'apporte donc pas grand chose à mon avis. M.Kessler, puisqu'il s'agit de lui, nous a indiqué une autre idée qui donc a retenu mon attention. Ce dont nous avons besoin ce n'est pas réellement d'un retour de la confiance, mais d'un retour de divergence d'anticipation des acteurs économiques.

 

Il se place ici dans la peau d'un investisseur en bourse. Le marché, d'une façon générale, s'équilibre par l'intervention de ses acteurs qui agissent les uns les autres dans des sens divergents. Les uns anticipent une hausse d'un produit, d'autres anticipent une baisse, et c'est par ce jeu que le prix du produit trouve un niveau d'équilibre. Si tous les acteurs anticipent dans le même sens, alors il n'y a tout simplement pas de prix pour le produit en question puisque personne n'est prêt à acheter, ou à vendre.

 

En temps de crise, la difficulté est que les anticipations se mettent soudain à converger. Tout le monde prédit la même chose : le désastre. On entre alors dans un schéma qui ne permet plus d'équilibre et le marché s'en trouve bloqué. Il est donc nécessaire de retrouver une divergence d'anticipation de la part des acteurs économiques. Sans cette divergence, il n'y a pas de marché.

 

En sortant de cette conférence j'étais ravi d'avoir entendu cette intervention et j'avais bien notée cette remarque finale que je trouvais très éclairante. Elle a pourtant un défaut. Voire deux.

 

Le premier défaut m'a en fait sauté aux yeux assez vite. En effet une fois qu'on a dit qu'il fallait retrouver une divergence d'anticipation que fait-on ? Se pose alors la question : comment retrouver une divergence d'anticipation ? Et patatra, on n'a pas plus avancé que dans le premier cas. Et deuxièmement, il suffit de réfléchir un chouya pour comprendre que retrouver cette divergence d'anticipation ne signifie rien d'autre qu'il est nécessaire que certains acteurs redeviennent haussiers, c'est-à-dire, roulement de tambour, qu'ils retrouvent confiance dans les perspectives économiques ! On en revient donc bien au même point que précédemment.

 

Il y a tout de même un gagnant dans cette histoire : notre conférencier qui est sorti de là avec l'admiration du public présent, et un commentaire de l'animateur de la réunion sur sa faculté à "penser par lui-même". J'indique cela avec un brin d'ironie exagérée car son intervention était tout de même très intéressante, mais je garde à l'esprit qu'il est très facile de se faire berner ou de se berner soi-même si l'on est pas attentif au fond des arguments.