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21/10/2013

Dominer, pour sécuriser sa survie

biologie comportementale, Henri laborit, dominationUn de mes contacts sur Twitter a récemment posté le message suivant : "Etre un homme ne veut pas forcément dire chercher un rapport de domination". Il réagissait au billet d'un père visiblement lassé d'être pointé du doigt du fait de son appartenance au genre masculin, et plus globalement usé par la guerre des sexes. Mon twitto s'inscrivait donc dans ce débat sur l'égalité homme/ femme et y apportait son écot.

 

En lisant ce commentaire j'ai eu un sourire en songeant à ce que dirait Henri Laborit, père de la biologie comportementale, en le lisant. J'ai beaucoup écrit ici sur ces travaux, sans préciser ce point pourtant central sur la recherche de domination qui guide une grande part de nos comportements. En voici donc l'occasion.

 

Pour bien comprendre le mécanisme de recherche de domination, il faut revenir à la base. Un organisme vivant, et l'homme en est un, n'a pas d'autre raison d'être que d'être. Ce n'est pas une considération spirituelle ou philosophique, c'est un constat biologique. Expliquons-le. Je laisse les croyants s'époumoner à m'expliquer pourquoi c'est horrible de s'en tenir là, je ne trouve pas ces considérations intéressantes. Tout organisme est conçu pour rechercher sa survie. Le temps est notre plus grand ennemi en la matière, et certes, c'est toujours lui qui gagne à la fin, mais cela ne change rien au mécanisme biologique qui nous gouvernent : rechercher la survie. Qu'on n'y arrive pas n'y change pas grand chose.

 

D'un point de vue biologique donc, tout ce qui se passe dans notre organisme concoure à notre survie. Le fonctionnement de nos cellules, de nos organes et de notre organisme est centré sur ce qui les fait se maintenir en bonne santé. La cellule cherche en permanence à maintenir la polarité de sa membrane autour d'une moyenne qui évite sa rupture, l'organe cherche à s'alimenter de façon continue en oxygène, nutriments, bref, tout ce qui sert à son fonctionnement, et l'organisme, chaque jour, cherche à boire, s'alimenter, se reposer (j'ajouterais se reproduire pour ma part, mais ça pourrait nous entraîner dans des explications compliquées). Ce sont nos besoins vitaux, ceux que nous devons satisfaire en premier dans la pyramide de Maslow. Pour résumer on pourrait dire que l'activité de l'organisme est en permanence de rechercher des sources d'énergie et de les transformer au profit de sa survie.

 

C'est pour satisfaire à notre survie que notre recherche de domination intervient. En deux mots, en dominant notre environnement, ce qui inclut les êtres qui s'y trouvent, on se donne des garanties plus grandes de survie. Lors de la révolution néolithique, ce phénomène s'est profondément accentué. Avec la notion de sédentarité est apparue la propriété privée. Je possède un terrain, il est à moi, et sur ce terrain je fait pousser les graines qui assurent ma subsistance. En protégeant mon terrain je protège donc mon alimentation. Et en agrandissant mon terrain, j'accrois ma sécurité à ne jamais manquer de rien. La guerre nait de la notion de propriété. Si tu ne possèdes rien qui puisse me procurer un bien-être ou une sécurité de survie plus grande, je n'ai pas de raison de t'envahir. Je n'approfondis pas plus ce point, vous pouvez relire cet ancien (et long) billet.

 

En dominant mon environnement, qu'il soit végétal, animal ou humain, j'augmente donc mes chances de survivre. Ce que nous dit Laborit, et qui est très difficile à accepter pour nous qui enrobons depuis déjà des siècles tous nos actes de valeurs, de principes, d'intentions, de morale, etc. c'est que nos actions sont presque toutes fondamentalement guidées par cette recherche de domination. Las dit-il, cette réalité nous est désormais totalement inaccessible car cette recherche est désormais dans le domaine de l'inconscient. Nous avons oublié que comme nous cousins les primates nous avons nous aussi un cerveau reptilien, et qu'il occupe une grande place dans nos comportements. Et comme le dit Clotaire Rapaille, dans nos décisions "le reptilien gagne toujours". C'est une réalité que les plus érudits refuseront en masse. Ils ne se sont pas élevés au-dessus des autres à force de travail et de lecture pour qu'on leur dise qu'en faisant cela ils n'ont fait que manifester la supériorité, de surcroit inconsciente, de leur cerveau reptilien ! Inacceptable. Essayez un jour de parler de biologie comportementale à des gens bien éduqués. Comptez ceux qui acceptent d'écouter. Vous verrez.

 

Pour répondre donc à mon sympathique twitto, la biologie comportementale dit ceci : être un homme (au sens être humain, ce qui donc inclut les femmes) signifie quasiment forcément rechercher un rapport de domination. C'est la matrice fondamentale de nos comportements. Qu'elle soit aujourd'hui inconsciente et que l'on sache presque toujours justifier nos choix, nos actions et nos décisions par des arguments logiques, moraux, spirituels ou autre n'y change rien. En fait cela ne fait que démontrer à quel point nous sommes devenus aveugles sur ce qui nous motive réellement. Et les débats de société en sont un exemple pour moi chaque fois plus criant.

 

Alors bien sûr nous ne faisons pas que cela, dominer. Nous sommes capables, et certains animaux aussi, de comportements de coopération, d'altruisme (rarement cependant là où on croit le dénicher), bref, d'une pensée qui modifie nos comportements au profit du groupe et non de nous-même, voire parfois à notre détriment. Remarquons que concernant la coopération, on trouvera souvent, et facilement, des exemples qui montrent en quoi ils nous sont aussi bénéfiques, et concourent donc à notre propre préservation. Concernant les comportements purement altruistes, ceux fait au bénéfice des autres et à notre détriment, nous pourrions également noter que dans bien des cas s'il sont au détriment de notre santé physique, ils sont au bénéfices de notre santé psychologique, ils satisfont nos croyances, notre équilibre psychique.

 

Mais surtout, les exemples de recherche de domination dans notre quotidien sont légion. Des plus évidents au plus discrets. On pourrait évoquer nos cravates et autres épaulettes de nos vestes. Franchement, elles servent à quoi les épaulettes dans une veste ? Je ne parle pas de nos voitures, là on est carrément dans le singe dominant parce qu'il a le cul plus rouge que ses congénères (je simplifie hein). Et pas seulement du fait du modèle de voiture choisie ou du tunning qu'on lui fait subir, mais aussi de notre comportement sur la route. Ni des organigrammes qui affirment la chaine d'obéissance à respecter. Mais il y a plus discret disais-je. Avez-vous remarqué par exemple, quand vous marchez sur un trottoir, qu'au moment de dépasser la personne devant vous, celle-ci fait toujours un premier mouvement vers le côté où vous êtes, réduisant ainsi votre espace de passage ? Soyons clairs, je n'y vois aucune intention consciente de ces personnes de bloquer le passage. Mais je suis un marcheur rapide, et je fais régulièrement cette observation. C'en est parfois même vraiment drôle.

 

Bref, ce serait amusant de compléter cette liste pour se rendre compte à quel point la recherche de domination envahit notre quotidien. Aujourd'hui c'est devenu tellement ancré qu'on ne s'en aperçoit absolument plus, ou tellement peu. Mais nos espaces urbains regorgent de signaux de domination. La publicité y fait d'ailleurs abondamment appel. Elle ne met plus en valeur le produit mais l'image que nous aurons de nous-même en acquérant tel téléphone ou tel parfum.  Les réseaux sociaux sont d'ailleurs un très bon espace de recherche de domination. Le must est toujours d'y devenir "influent", de faire partie de l'élite, de ceux qui ont le plus de followers ou de like. Sur Linkedin il y a un classement dans les différents groupes auxquels ont peut participer, qui met en avant les plus influents. On recrée partout des pyramides de pouvoir, peu importe qu'elles soient officialisées par un statut ou non. Elles satisfont nos instincts humains. Car oui, et c'est la principale critique que l'on peut sans doute formuler à l'encontre de Laborit, la recherche de domination est profondément humaine, et l'on ne saurait donc nous en accuser sans tomber alors dans une forme d'absurdité. Je fais exprès de finir sur cette note un peu sombre, et qui ne représente pas tout à fait ma véritable opinion (ah les paradoxes !), pour ancrer une idée à laquelle je crois beaucoup car elle porte à mon avis une vraie efficacité : le travail à mener n'est pas tant de chercher à nous débarrasser de notre instinct de domination, il y a trop de boulot, mais de trouver les façons que cette recherche puisse se faire par bénéfices mutuels. Ce qui n'est pas une mince affaire non plus.

09/01/2013

Mariage reptilien pour tous

Alliance.jpg

Dimanche prochain, le 13 janvier 2013, aura lieu la prochaine manifestation contre le mariage pour tous. Elle s'annonce comme un événement important. Sur Twitter, on lit les futurs manifestants compter les cars ou les trains qui vont les emmener sur place. La plupart d'entre eux semblent impatients. Pour ma part je suis attristé que dans mon pays, en 2013, il se trouve tant de gens pour manifester contre ce que je vois comme une évolution positive de la société, un signal d'accueil et d'intégration supplémentaire envers les homosexuels, qui comme toutes les populations minoritaires ont longtemps souffert d'être stigmatisés. 

 

Je remarque d'aillers que depuis que ce débat a lieu, et comment oser dire qu'il n'a pas lieu comme le font les anti mariage pour tous, étant donnés tous les moyens dont ils se saisissent pour manifester leur opinion, depuis qu'il a lieu disais-je, ces stigmatisations et autres insultes ont connu un nouveau fleurissement. Ceux qui marcheront dimanche répliqueront qu'ils sont eux aussi l'objet d'insultes dans ce débat, et ils auront raison. J'oserai toutefois leur faire remarquer que les homosexuels sont eux insultés pour ce qu'ils sont. Les autres le sont "uniquement" pour leurs opinions. Et qu'être l'objet de quoilibets pour ses pensées est, malheureusement, notre lot à tous. Certains sont choqués ? Oui, je pense qu'il y a une différence de violence entre une insulte qui dit "tu n'es pas ce qu'il faut" et une insulte qui dit "tu ne penses pas ce qu'il faut".

 

Et surtout, j'en ai assez de lire partout des arguments qui m'apparaissent, dans le fond, profondément malhonnêtes. Oh, ce n'est très souvent pas conscient, et cela suffit à comprendre que les procès d'intention sont en l'espèce tout à fait déplacés (comme ils le sont toujours dans le fond). Je vous propose d'être concis. Les arguments avancés par les tenants des valeurs familiales traditionnelles sont :

  1. L'enfant avant tout. Elevé par un couple homosexuel, l'enfant sera plus malheureux que s'il était élevé par un couple hétérosexuel. Il sera incapable de retracer sa filiation, ne saura jamais qui était son vrai père/ sa vraie mère. Sur ce deuxième point, comment font les enfants adoptés aujourd'hui ? Ils sont donc incapables de retrouver leur parents d'origine ? Quoi, parce que les parents qui élèveront un enfant seront du même sexe, automatiquement ils lui interdiront de faire les recherches nécessaires à retracer sa filiation ? Alors la vie c'est déterminé dans un bout de papier et stop, la loi t'a dit que non mon bonhomme, tu ne peux pas faire de recherches ? Sur le premier point, c'est annoncé comme cela, sans aucun élément de preuve, et pour cause, on ne dispose de rien de sérieux dans ce domaine, ni pour démontrer que les familles homoparentales favorisent le bonheur des enfants, ni pour démontrer le contraire.
  2. On dégaine du coup l'argument n°2 : le principe de précaution. Puisqu'on ne sait pas, autant ne pas prendre de risque. Alors forcément, la précaution, c'est beau. En plus, on parle d'enfants. Tremblez braves gens ! Ce sont à des enfants innocents que vous songez dans votre égoïsme incommensurable faire prendre des risques ! En réalité, quand on ne sait pas, on peut brandir son ignorance avec autant d'assertivité pour prendre n'importe quelle décision. Ou n'importe quelle autre.

 

Aujourd'hui que constate-t-on ?

Aucun des pays qui a adopté le mariage homosexuel n'a observé d'épidémide de névroses dans sa population. Aucun des pays qui a adopté le mariage homosexuel n'a observé de délitement soudain de sa société. Aucun des pays qui a adopté le mariage homosexuel n'a observé que les enfants élevés par des couples homosexuels étaient plus malheureux que les autres. Aucune étude ne prouve sérieusement qu'il n'y aura pas d'impacts négatifs ? Oui. Mais en l'état actuel des choses, et nous avons déjà un certain nombre d'années d'observation à notre disposition puisque les premiers pays à avoir accordé le mariage aux homosexuels l'ont fait au début des années 2000 si je ne me trompe pas, en l'état des choses donc, on n'observe pas de raison de trembler.

 

Premier petit point de réponse en conséquence : je ne vois pas pourquoi la peur, l'autre nom du joli principe de précaution, serait meilleure conseillère que... quoi que ce soit d'autre. La peur est bonne conseillèe quand il faut fuir devant un ennemi. Là, personne qui nous menace, c'est bon.

 

Deuxième point, et c'est le fond de mon argument ce soir, qui était en fait implicite dans mon billet précédent, et que je vais maintenant rendre explicite. Les réactions que j'observe contre le mariage pour tous m'apparaissent épidermiques depuis le début. Elles sont emballées, on y voit beaucoup d'implications personnelles. On nous explique qu'un grand risque plane sur notre société, que les conséquences seront graves. L'aspect profondément émotionnel, très humain, de ces réactions, m'a dès le début alerté sur ce qu'elles signifient. Il y a quelque chose de primal à mes yeux dans tout ceci, même si j'ai conscience de ce que ce terme peut avoir de provocateur voire de vexant.

 

Mais il faut que nous arrêtions de nous mentir sur les moteurs de nos réactions lorsque nous rentrons dans ce genre de débats qui mettent en jeu notre intimité. Et comme je l'écrivais précédemment le mariage est avant tout une question intime et non de société. Nous ne réagissions pas tant parce que notre raison et nos beaux sentiments nous poussent à aller à gauche, à droite ou tout droit. Des raisons nous en avons tous, et des beaux sentiments aussi. Ils sont nos bannières qui nous permettent d'être acceptés dans nos communautés de proximité, celles du sang, celle des expériences partagées qu'elles soient privés ou professionnelles.

 

Nous réagissons très souvent en étant guidés par notre cerveau reptilien. Je ne sais plus qui disait que lorsqu'il s'agit de prendre une décision, le reptilien en nous l'emporte (presque) toujours. Poussons tous ensemble un NON retentissant pour manifester que nous ne voulons pas en rester à ce stade ! Ca nous fait du bien et ça nous pousse à rechercher mieux. Mais observons que cela reste toutefois une règle trop peu souvent brisée. Et pourquoi le reptilien l'emporte si souvent ? Parce que notre nature, notre biologie, qui veut que nous survivions, nous faire choisir ce qui nous permet d'être dominant sur les autres. Car être dominant est précisément le meilleur moyen de survivre.

 

Nos choix que nous prétendons être des choix de société, sont très souvent les choix d'un mode de vie particulier, le nôtre, dont on souhaite qu'il soit dominant sur les autres. Cela nous assure, à nous, une meilleure vie, plus facile, plus longue que celle des autres.

 

Les personnes qui vont manifester dimanche ne le font pas pour protéger les enfants d'un risque de malheur qui est trop souvent posé comme une simple inférence (je pose comme hypothèse qu'il existe un risque, et je construis toute mon argumentation autour de cette hypothèse, sans avoir plus à me soucier de savoir si cette hypothèse a une quelconque pertinence). Ils vont manifester parce qu'à travers cette loi, c'est leur mode de vie que l'on remet en cause, parce qu'on leur signifie qu'il n'est plus dominant, que les autres vont avoir la même place qu'eux. Leur socle vacille de ce fait. On devrait faire une analyse sociodémographique des tenants de chaque bord, pour voir à quel point cette notion de position dominante à défendre est réelle. Pour moi elle ne fait pas l'ombre d'un doute.

 

Tout ce que demandent les homosexuels à travers cette loi dans le fond, ce n'est pas tant que leur amours soient reconnues. Ils n'ont pas besoin de leurs voisins pour savoir s'ils s'aiment. Il y a là un souhait de sortir d'une situation de dominé, socialement s'entend. Et dans une société moderne, cette demande est légitime.

03/10/2011

Ni brutes, ni truands, des Hommes dans des systèmes

jekyll-and-hyde.jpgJean-Jacques Rousseau considérait que "l'homme est naturellement bon" et que c'est la société qui le corromp. Récemment, suite à l'article que j'avais écrit ici au sujet d'Anders Breivik, un ami m'avait envoyé un message dans lequel il me disait que, selon lui, arrive un moment où tout individu fait un choix entre le bien et le mal. Il réagissait au commentaire d'Helios sous le même article, qui disait lui que nous avons chacun en nous la faculté de faire le bien comme le mal.

 

Pour ma part je trouve ces visions très insatisfaisantes pour expliquer nos comportements, et encore plus pour agir d'une façon efficace. Le bien et le mal, je vois bien ce que ça veut dire. Quand on me dit que Hitler était un "méchant" et que mère Thérésa était une "gentille", je comprends de quoi on parle. Mais il s'agit là de cas extrêmes, en tout cas tels que l'histoire les présente aujourd'hui. Et dans le fond, un Homme bon, ou un Homme mauvais, je ne saisis pas bien ce que ça signifie. Je crois beaucoup plus que nous sommes capables de commettre des actes mauvais comme nous sommes capables de commettre des actes bons.

 

Ca ne fait pas de différence ? A mon sens si, et une différence de taille. D'abord parce que ce que nous faisons n'est pas ce que nous sommes. Et surtout, parce que nous envisageons toujours notre être comme une sorte de substance existant en dehors de toute contingence; nous avons cette idée d'un noyau identitaire qui définirait ce qu'il y a de plus profond en nous, et qui serait immuable dans toute circonstance. Et que cette vision me semble au final tout à fait imaginaire. Que nous ayons des traits de caractère qui nous définissent plus que d'autres, des préférences comportementales, tout cela, je le conçois bien. Mais que l'on puisse en tirer des jugements de valeur sur nous-mêmes me semble bien peu envisageable.

 

Je ne crois pas que nous agissions de façon pure, parce que nous sommes ceci ou cela. Nous agissons dans un environnement, humain, matériel, informationnel, en fonction d'expériences passées, de stimuli nombreux. Bref, ce que nous sommes à chaque instant, ou disons la manifestation de nous-même à chaque instant est le résultat de paramètres multiples, qui, s'ils changent d'une seule virgule, peuvent parfois tout modifier en nous entre maintenant et l'instant d'après. C'est peut-être une autre façon d'envisager cette nouveauté radicale évoquée par Bergson, qui lui faisait dire en évoquant le changement inhérent à l'écoulement du temps "vous ne sauriez diminuer d’un seul instant la vie psychologique sans en modifier le contenu. Pouvez-vous, sans la dénaturer, raccourcir la durée d’une mélodie ? La vie intérieure est cette mélodie même".

 

Dis peut-être plus simplement, cela signifie que pour comprendre nos comportements et y réagir d'une façon pertinente, il faut adopter une vision systémique. Nous évoluons dans des systèmes, interconnectés. Ce sont ces systèmes, par exemple, qui font que nous ne nous comportons pas toujours de la même façon chez nous et au travail; voire chez nous en famille et chez nous tout seuls. Ce sont ces systèmes qui font que nous sommes capables du meilleur dans certaines situations et du pire dans d'autres. Parce que dans un cas notre susceptibilité aura été touchée sur un point sensible de notre expérience passée, parce que dans un autre nous aurons fait le plein d'énergie et de satisfaction avant d'affronter une difficulté.

 

C'est pour cette raison que notre système judiciaire basée sur la punition me semble être fondamentalement une erreur et que les analyses qui se bornent à dire "il faut bien appeler un voyou un voyou et le faire payer" tombent à côté de la plaque. Ces stratégies, si elles peuvent porter ce nom, ne traitent même pas tous les symptômes. Quand aux causes systémiques qui sont à la base de ces comportements que nous jugeons déviants, elles les ignorent purement et simplement. Il y a donc bien peu d'amélioration à en espérer. Certains y trouvent la satisfaction de la vengeance. Mais saviez-vous que les études psychologiques montrent que ces "bienfaits" sont en réalité assez pauvres et surtout peu durables ?

 

On ne peut pas répondre à des comportements qui font souffrir les autres sans comprendre les causes systémiques qui génèrent ou favorisent ces comportements. Bien sûr cela nécessite du temps, de l'énergie, mais c'est à ce prix que l'on peut trouver des solutions réellement efficaces.

 

Cette constatation vaut en particulier dans le monde du travail, pour traiter la question des risques psychosociaux. Un exemple accablant est donné par Marie Pezé dans son livre désormais connu du grand public Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient touchés. Une femme, téléopératrice, est adressée à sa consultation. Elle est ballotée d'un service à l'autre, au gré des besoins. De retour d'un congé maladie déjà dû à ses conditions de travail, sa nouvelle directrice lui indique sans ménagement qu'elle a vidé son tiroir personnel car son poste a été supprimé. Le jour même, la femme perd connaissance et s'effondre au sol. Quelques jours plus tard, Marie Pezé reçoit dans sa consultation ... la directrice en question. Elle lui fait part de la rigidité et de la dureté de la posture managériale à laquelle on l'a éduquée et qui, petit à petit, la détruite. En première lecture combien aurait eu envie de giffler la directrice ? Et en deuxième, combien pensent que cela aurait apporté la moindre amélioration ?

 

Il ne s'agit pas de nous exonérer de nos responsabilités, loin de là. Mais nous vivons dans des systèmes, qui se complexifient d'ailleurs de plus en plus. Nous devons les prendre en compte pour trouver des réponses adaptées aux comportements qui détruisent. Dans l'entreprise, tout l'enjeu et toute la difficulté de l'exercice qui vise à instaurer une bonne qualité de vie au travail sont bien là.

27/07/2011

Le monstre et nous

Idées noires Franquin.jpgLa tuerie perpétrée il y a quelques jours sur l'île d'Utoya en Norvège est particulièrement choquante pour la plupart d'entre nous. Comment peut-on préparer, planifier puis exécuter un tel massacre de sang froid ? Comment peut-on tuer de façon aussi calme, en se promenant entre les gens ? Comment ? Pourquoi ? Ces questions peuvent nous hanter.

 

Car après un tel acte, qu'en est-il après tout de notre propre sécurité ? Puisque les règles ont disparu, comment puis-je avoir confiance en ce qui va se passer demain ? Comment ne pas craindre le moindre quidam croisé sur ma route ? Comment puis-je ne pas avoir la peur au ventre à chaque fois que je sors de chez moi pour aller au boulot, faire mes courses, sortir mes poubelles ? Qui croire ? Que croire ?

 

On pensera peut-être que j'en rajoute et que j'y mets un pathos inutile. Pourtant, ces questions, les personnes qui ont vécu ces heures affreuses sont certainement nombreuses à se les poser. Il faut s'imaginer sur cette île, entendant des coups de feu à tout va, pendant un temps dont on ne sait plus estimer la durée, ne sachant que faire, ce qui se passe, qui peut nous aider. Il faut s'imaginer avoir vécu ça et avoir entendu ensuite les aveux d'Anders Behring Breivik, dénués de tout regret, témoignant d'un acte froid et calculé. Il y a là un sentiment d'insécurité quasiment fou, qui fait basculer dans un monde incompréhensible, de peur permanente, qui ne ressemble à rien qui nous soit connu. Il me semble que c'est en grande partie là que le travail se trouve aujourd'hui pour ces personnes : reconstruire l'idée que les règles existent toujours, que la très grande majorité des gens qui les entourent ne peut pas commettre pareil folie, qu'ils sont en sécurité.

 

Il est bien difficile de trouver des explications justes à un tel drame. Je ne m'y risquerais pas car ce serait jouer au savant cosinus. La seule chose que je peux dire est que pareil comportement est à rapprocher des profils pervers. Il faut clarifier ce terme. Il ne s'agit nullement ici de vice sexuel comme on serait enclin à le penser de prime abord. En psychologie, le pervers est celui qui nie l'autre. Dans sa personne même. Pour le commun des hommes il est quasiment impossible de comprendre réellement ce que cela signifie, car précisément, c'est d'un autre monde psychologique que celui auquel nous sommes habitués dont on parle ici. Mais si vous le voulez un instant, imaginez-vous devant une personne, vous lui parlez pendant un certain temps, en face à face. Elle vous répond, elle anône, elle réagit, etc. Et pourtant, vous n'existez pas à ses yeux. Vous pouvez représenter un ensemble d'informations, de stimuli nerveux ou intellectuels, mais vous n'êtes pas une personne. Vous  n'existez pas. Quasiment littéralement. Parce que la personne en face de vous n'a aucune connexion émotionnelle avec vous (alors que, naturellement, nous en avons tous les uns avec les autres).

 

Mais Hugues a raison de nous alerter sur le fait qu'on aurait tort de ne regarder que la pointe émergée de l'iceberg. Breivik est peut-être unique par l'exception de son geste. Mais il n'est pas seul, loin s'en faut. Et au-delà des autres terroristes (au sens propre du terme), il faut bien parler de tous ceux qui propagent des discours de haine et de rejet. Ils ne font peut-être qu'en parler sans jamais passer à l'acte, mais c'est là que la graine naît. Plus sûrement je crois que dans une prétendue folie qui sert surtout à nous rassurer. Il suffit de lire les commentaires faits sur certains sites d'extrême droite pour constater, et prendre peur, ou nous réveiller, au choix. Certains ne se gênent pas pour suggérer que dans le fond, Breivik a fait un truc cohérent, pas mal quoi. Sur son site, Jacques Coutela, adhérent du FN et candidat lors des dernières élections cantonales, n'a pas écrit autre chose en présentant Breivik comme une icône. Des exemples on en trouve par centaines en quelques clics.

 

Sur d'autres sujets, on trouve tous les jours sur Internet des articles ou commentaires qui laissent pantois. Cette semaine, l'un d'eux m'a profondément choqué, qui suggérait, très sérieux, en bas d'un article évoquant la famine en Somalie "Et si ces gens-là arrêtaient de s'entretuer et se mettaient un peu au travail ?". Quelle absence totale de sensibilité faut-il pour penser une chose pareille ?

 

Mais on ne peut s'arrêter à montrer les autres du doigt. Car derrière ces commentaires, se trouvent beaucoup de "gens bien", qui aiment leur famille, leurs enfants, qui sont de bons camarades pour leurs amis. Des gens éduqués, cultivés, très intelligents parfois. Il sont comme nous. Et si nous avons un peu de lucidité, nous saurons aussi, nous-même, comme le suggérait Susan Jeffers dans son livre Tremblez mais osez!, prendre notre miroir, et nous poser la question : et mon monstre à moi ? Où est-il ? L'ai-je seulement vu ? Suis-je prêt à le regarder en face ? Ai-je la force de le combattre ?

 

Il peut paraître indécent à certains de comparer nos petites faiblesses à l'énormité de ce qui vient de se passer. Et se tourner vers soi peut aussi comporter le défaut d'un certain narcissisme sans doute. Mais il faut se souvenir de Zimbardo et de son expérience. Des gens lambdas, comme vous et moi. Il leur a fallu moins de 24 heures pour se transformer en bourreaux face à des innocents qui ne leur avaient rien fait. Doit-on convoquer l'histoire pour enfoncer encore le clou ?

 

Si je dis cela ce n'est pas pour nous accabler, ce serait idiot. Mais parce qu'à mon sens la première leçon qu'un tel événement doit nous apprendre, c'est la vigilance. Une vigilance qui concerne notre attention aux autres, à ce qui leur arrive. Qui nous concerne nous également, pour prendre garde aux dérives de nos propres comportements. Il nous faut découvrir la proximité, cette distance juste qui nous rend sensible à l'autre et à son histoire.

 

 

En illustration, Franquin, Les idées noires, une découverte par un rire parfois triste, de nos propres démons.

17/03/2010

La télé n'a rien à voir là dedans

Le jeu de la mort.jpgCe soir la télévision nous a donné à voir un spectacle assez spécial en la matière d'un jeu dans lequel une série de candidats doivent infliger des décharges électriques progressives à un comparse afin, pensent-ils, de remporter une forte somme d'argent. Mais le comparse n'est en réalité qu'un acteur, auquel l'ensemble du système mis en place n'inflige absolument aucune torture, l'objet de l'expérience étant censemment de tester la niveau d'obéissance ou de résistance des candidats. Et France 2 de nous annoncer que cela permet de mesurer l'influence de la télévision sur nos comportements.

 

Je n'ai vu que la fin du "jeu", et ne sais pas donc s'il a été mentionné au début de l'émission que cette expérience n'a rien de révolutionnaire ou d'innovante puisqu'elle est en réalité l'exacte réplique de l'expérience réalisée par Stanley Milgram entre 1960 et 1963, expérience reprise avec beaucoup de talent et de précision dans le film I comme Icare. L'expérience de Milgram est particulièrement intéressante, et ses conclusions font frémir car elles sont implacables quant-à notre nature et notre propension à agir comme des bourreaux face à des personnes qui ne nous ont rien fait. Elle démontre de façon très claire qu'en l'homme la barbarie n'est jamais loin, que les régimes totalitaires ne sont pas le fait d'individus si anormaux que cela, et surtout qu'ils se sont toujours appuyés sur une grande majorité de personnes "normales" qui ont accepté sans réchigner de réaliser des besognes infâmantes.

 

Mais je dois dire que je suis par ailleurs franchement énervé de la présentation faite par France 2, et en particulier du rôle présenté comme majeur de la télévision dans le comportement de docilité dont font preuve la majorité des candidats de l'émission. Soyons clairs sur ce point : aucun éléments scientifiques sérieux ne vient étayé la thèse que c'est la télévision qui mène les candidats à accepter de suivre ces ordres inhumains. Aucun. Milgram, que je sache, n'a pas mené son expérience dans le cadre d'un jeu télévisé, et à aucun moment ce soir il n'est expliqué, ni même envisagé d'etre expliqué, en quoi ce "jeu de la mort" diffère de l'expérience de Milgram et donc quels pourraient être les critères qui permettraient d'isoler le rôle de la télévision par rapport aux autres facteurs d'obéissance.

 

La conclusion de l'émission est donc parfaitement gratuite, sans aucune valeur, et l'on est bien obligé d'admettre en conséquence qu'elle ne s'appuie que sur une volonté de sensationnalisme, ce qui témoigne d'une perversité sans nom.  Ainsi, on ressort de cela sans aucune idée de l'influence réelle de la télévision sur nos comportements ni en particulier sur notre capacité d'obéissance, mais avec des convictions plus fortes sur sa capacité à tirer sur n'importe quel fil pour faire du spectacle et du sensationnel. Avant toute autre chose, elle nous en dit ainsi beaucoup sur la perversité à laquelle elle n'hésite pas à s'adonner.

 

Quel dommage tout même, quel gâchis, sur un sujet qui mériterait tant de réflexion et d'honnêtes interrogations.

05/06/2009

Pourquoi les français n'aiment pas Nadal

Nadal boude.jpgVoici une proposition de réponse à la question que je posais il y a deux jours : pourquoi les français n'aiment-ils pas Nadal ? Mon idée part d'un concept personnel que j'avais imaginé il y a plusieurs années déjà, dans lequel je cherchais à expliquer le comportement commun face à des individus d'exception. J'avais pompeusement appelé ça le syndrome du surfeur d'argent, parce que cette première illumination m'était venue en lisant cette l'histoire du surfeur d'argent de Stan Lee, illustré par le crayon de Moebius.

 

Je propose cet argument parce que les explications du type : "son jeu n'est pas beau", "il crie trop, on n'aime pas ses Vamos !", "il a un jeu sans finesse" etc. me semblent souvent trop subjectives. Après tout les fans de Nadal disent tout l'inverse et imputent au contraire ces défauts aux adversaires de leur protégé. En se référant à ce type d'argument donc, on finit par ne rien dire de plus que : "je l'aime pas parce que je l'aime pas" (même si je grossis le trait). Pourquoi donc les français n'aiment-ils pas Nadal ? Pourquoi ce désamour semble-t-il si répandu chez nous ?

 

Car on le voit un peu partout, dans la presse où les articles s'empressent de glorifier Federer, son grand rival, au moindre signe positif,  mais aussi dans les clubs où après la victoire de Nadal en Australie les gens craignaient qu'il ne réaliser un grand chelem. Aujourd'hui on pourrait être tenté de répondre que c'est parce que la domination de Nadal enlève le suspens qui rend le sport si attrayant et qu'il le rend donc le rend ennuyeux. Mais avant ses succès en 2008, c'était Federer qui dominait outrageusement le circuit masculin, et Nadal souffrait déjà d'opinions largement négatives sous nos latitudes.

 

Le souci de Nadal vis-à-vis du public français, c'est qu'il déstabilise le joueur qui était devenu notre idole avant que Nadal ne devienne la terreur qu'il est aujourd'hui. Il effrite une icône, et l'empêche de devenir une légende vivante aux yeux des supporters. C'est une forme de crime de lèse majesté qu'il commet. Pour en revenir aux termes de mon concept, il s'attaque à un surfeur d'argent. Il est Galactus qui s'attaque au héros. Federer c'est le bien, Nadal c'est le mal.

 

En prenant un peu de recul bien sûr, ces réactions sont tout à fait ridicules. Le sport n'est tout de même pas très important, et que ce soit untel ou untel qui gagne ne change fondamentalement rien à nos vies. Mais la logique du surfeur d'argent est une logique de fan. Les supporters transfèrent sur eux tous leurs espoirs personnels, leurs valeurs aussi. Si leur héros gagne, c'est aussi un peu eux qui gagnent. En psychologie on parle de chevalier blanc pour désigner l'image de héros que nous avons parfois de nous-même, ou que nous souhaiterions véhiculer aux autres. Les surfeurs d'argent jouent un rôle important sur ce point. Ils jouent le rôle de chevaliers blancs pour nous. Ils nous évitent d'avoir à produire les efforts nécessaires pour devenir nous-mêmes de véritables chevaliers blancs mais leurs victoires n'en deviennent pas moins symboliquement les nôtres. C'est pour cette raison que leurs affrontements donnent parfois lieu à de telles manifestations de frénésie.

 

Nadal est arrivé trop tard pour les français. Le surfeur d'argent existait déjà en la personne de Federer et la place ne pouvait donc plus être prise. Il est devenu dans son pays un héros pour bien des gens. Un héros largement adulé d'ailleurs. C'est la force de l'admiration portée pour ces deux joueurs qui expliquent les échanges si emballés de leurs supporters (on en voit de beaux exemples sur les forums de yahoo sport). La solution bien sûr est tout simplement de ne pas s'identifier aux sportifs. Le défaut étant alors que le sport perde de son attrait..

 

 

03/06/2009

Pourquoi les français n'aiment pas Nadal ?

Un salut rapide pour vous dire que je pense écrire quelque chose sur le sujet présenté en titre. Sur les forums de tennis on lit les supporters s'écharper autour de leurs champions, et parmi ceux-ci, principalement Roger Federer, qui est adulé, et Rafael Nadal, qui est détesté. Pour coller un peu à l'actualité sportive j'ai pensé qu'il pouvait être intéressant de comprendre pourquoi la plupart des français, bien orientés en cela par l'essentiel de la presse, n'aiment pas Nadal.

 

On peut trouver des explications terre à terre à cela, la beauté du jeu, le tempérament sur le court, etc. Mais en y songeant ce matin j'ai eu une autre idée qui m'a amusé et qui me semble vraiment intéressante. Je n'ai pas le temps de la développer pour l'instant donc ce sera pour un peu plus tard. Je laisse ce mot pour que ceux qui le souhaitent (s'ils s'en trouve encore pour rôder dans ces parages) indiquent leurs opinions. Pour les plus anciens lecteurs de mon blog, mon idée personnelle part de ce que j'avais appelé il y a longtemps le syndrôme du surfeur d'argent. Mais qu'est-ce qu'il veut dire ? Huhu.

17/04/2009

Comprendre ce qui nous met hors de nous, la soluce ?

Hors de soi.jpgQuelques trois semaines après avoir posé une question qui m'intéressait sur les causes de ce qui peut nous mettre hors de nous, ou plus précisément sur le mécanisme interne qui entre en jeu et engendre le fait de nous mettre hors de nous, je vais essayer d'apporter une réponse, du moins celle à laquelle je suis parvenu.

 

Mon intérêt porte bien sur le fondement interne de ce mécanisme et non sur toutes les explications plus ou moins judicieuses mais principalement superficielles (c'est-à-dire qui en reste à la surface visibles de nos comportements) qu'on peut y voir. Ne pas être à l'aise avec sa sexualité, les endoctrinements des uns ou des autres, tous ces éléments proposés en commentaires de mon dernier billet peuvent certes être proposés pour expliquer les réactions violentes observées dans le récent débat autour des propos du pape sur l'usage du préservatif, mais elles me semblent très insatisfaisantes. Les gens sont endoctrinés ? Et alors ? Pourquoi cela explique-t-il qu'ils se mettent hors d'eux ? Ils ont peur de la sexualité ? Mais certains dans ce cas ont plutôt tendance à s'inhiber non ? Il me semble donc qu'il faut chercher ailleurs. Si on en reste à la surface des comportements on ne comprend rien qui soit vraiment efficace et qui puisse être utilisé pour aider ou résoudre des difficultés.

 

Incise, si vous le voulez bien. Lorsque j'ai laissé mon dernier billet je me suis dit : "Tiens, ça fait très chic cette chose. Je pose une question qui me semble assez importante parce qu'elle est liée à un fondement de comportement, un truc qui nous touche tous, et je pars en laissant tout juste quelques commentaires à ceux qui font des propositions, essentiellement pour dire qu'à mon avis ils se trompent et ne voient pas l'essentiel. En procédant ainsi je me positionne comme une sorte de spécialiste qui se retire dans sa grotte pour réfléchir et dispenser suite à cette retraite le résultat de ses pensées, résultat que les autres ne trouveront pas. Je me singularise et me mets au-dessus des autres. Je me donne de l'importance. Mon message c'est un peu : "Ne vous inquiétez pas je vais revenir et nous éclairer tous parce que j'aurai la réponse." Si vous avez bel et bien eu ce sentiment (ou peut-être de façon atténuée), c'est que vous êtes sensibles aux postures et donc des proies faciles pour être manipulées intellectuellement. Fin de l'incise.

 

J'en viens maintenant à ma réponse (qui n'a rien d'une idée de spécialiste et n'est que MA réponse - même si je la trouve cool). Ce qui m'intéresse donc, c'est de comprendre ce qui nous met hors de nous. J'utilise cette expression "hors de nous" à dessein. Ce n'est pas la colère qui m'intéresse, celle-ci pouvant parfois s'exprimer de façon froide et contrôlée. Etre hors de soi, c'est être dans un état où l'on va au-delà de ses comportements sociaux habituels, c'est être hors de ce que l'on est en temps normal. Il y a une notion de non maîtrise ici, c'est un comportement que l'on ne peut retenir, issu d'une émotion qui nous submerge. Cette seule remarque suffit à mon sens à rejeter les explications du type de celles évoquées plus haut, qui restent au niveau de comportements n'excluant pas la maîtrise des choses.

 

Pour trouver mon explication je me suis demandé ce qui pouvait personnellement me mettre hors de moi. J'ai aussi posé la question à des personnes autour de moi pour rassembler quelques exemples. De mon côté, j'en ai deux : les problèmes informatiques soudains et auxquels je ne trouve pas de solution rapide, et les enquiquinements administratifs. En général ces situations me font devenir insupportable. J'y ajoute deux situations types : les transports communs bloqués (ou plus généralement notre comportement en voiture), et donc, puisque c'était le sujet de départ, les débats politiques ou sur des sujets de société (tout le monde sait que parler de politique entre amis est souvent cause de grosses disputes). La question est : qu'y a-t-il de commun entre toutes ces situations ? Et bien la première réponse est justement, à mes yeux, le type de nervosité extrême dans laquelle elles nous plongent, et j'ajoute un deuxième point commun : la cause interne de cette nervosité extrême.

 

En bon disciple de Laborit j'ai débord pensé à l'inhibition de l'action bien sûr, comme source de tout cela. Je voyais vaguement comment utiliser cette notion pour expliquer mes cas personnels ainsi que celui des transports, mais je ne voyais pas comment l'intégrer dans nos comportements lors de débats politiques. Car dans ces cas-là on ne se trouve pas en situation d'inhibition de l'action. On ne nous empêche pas de nous exprimer, ni d'agir en fonction de nos opinions (les meilleurs d'entre vous ont déjà un sourcil levé - vous avez vu, je continue dans la posture puisque je sais désigner qui sont les "meilleurs d'entre vous", vous avez le sentiment en me lisant que je suis intelligent ? décidemment vous êtes incorrigibles). Lorsque l'on dit que l'on est favorable à la distribution et à l'usage des préservatifs, on n'a pas d'oiseau de proie au-dessus de sa tête prêt à fondre sur soi pour nous dévorer et qui nous fait nous immobiliser en attendant que la menace passe. Pourquoi serions-nous alors en situation d'inhibition de l'action ? En fait on n'y est effectivement pas, du moins pas encore.

 

C'est en lisant un petit cahier très sympathique sur la notion de lâcher prise (*) que j'ai eu mon idée. Plus exactement en arrivant sur la page intitulée : "Lâcher prise du désir de contrôle sur les autres et l'environnement !" Il me semble que la notion centrale que je cherchais est là : le désir de contrôle sur les autres et sur l'environnement. C'est elle qui constitue à mon sens le fondement de nos comportements lorsque nous sommes hors de nous. Pour être plus clair, je crois que nous met hors de nous tout ce qui contribue à nous priver de nos moyens de contrôle sur ce qui nous entoure. Ou encore, tout ce qui nous prive de nos moyens de contrôle sur ce que nous allons devenir dans un délai que nous savons concevoir.

 

Expliquons sur cette base chacun des exemples évoqué plus haut. Mes exemples personnels d'abord. Les soucis informatiques impromptus dont on ne comprend pas l'origine. Vous savez, ce document Word qui se ferme tout seul sans crier gare sans conserver vos dernières modifications, au moment où vous deviez l'imprimer pour le rendre à votre responsable et alors que vous êtes déjà en retard. Vous étiez sous tension, et à ce moment là vous explosez de rage contre la machine. Le plus insupportable c'est que vous ne pouvez rien y faire. Vous êtes définitivement en retard et il y a peu de chance que votre responsable vienne admonester votre ordinateur à votre place. Vous êtes coincé. Dans cette situation vous n'avez plus le contrôle sur rien. Ni sur votre document qui a disparu de votre ordinateur, ni sur la réaction que va avoir votre responsable envers vous. Vous êtes alors plongé dans une situation d'attente en tension, sans moyen d'agir pour modifier le cours des choses ou vous assurer qu'elles vont vous être favorables. Vous vous retrouver en situation d'inhibition de l'action.

 

Idem concernant les tracasseries administratives, en tout cas pour ce qui me concerne. Je suis nul pour traiter ces choses. Je n'ai absolument aucun réflexe pour les gérer et lorsqu'elles arrivent c'est pour moi insupportable. Il faut faire 36 démarches dont on ne sait parfois pas où elles vont s'arrêter, pour arriver à un résultat que je juge presqu'invariablement totalement sans intérêt (obtenir un document, avoir un signature en bas d'un papier, etc.). Je vois ces choses comme des empêchements de vivre ma vie comme il me plaît et de mettre dans mon temps ce qui me convient. C'est une agression sur la façon dont j'entends fonctionner, quelque chose qui m'est imposé de l'extérieur, que je n'ai pas choisi, et qui me semble ne rien m'apporter. Désagréable parce que je n'ai pas le choix, et que si je ne le fais pas les choses vont être pire. Je peux être particulièrement mauvais dans ce genre de situation.

 

Concernant les transports, cela mérite des développements que je ferai peut-être une autre fois, tant ce travers se voit régulièrement. Nous sommes très nombreux à nous énerver facilement lorsque nous sommes bloqués dans les transports en commun, ou plus simplement quand nous conduisons. Dans le premier cas l'explication est toute simple puisqu'effectivement nous sommes alors privés très clairement de tout moyen de contrôle sur ce qui se passe. Un incident technique à obligé la rame de métro à s'arrêter au milieu des voies, nous n'y pouvons pas grand chose. Et cela nous met de façon immédiate en situation d'attente en tension. Aucun moyen de savoir quand le train va repartir (même si souvent on se doute qu'il va repartir pas très longtemps après), ni d'agir en quoi que ce soit pour modifier le cours des choses. On ne peut qu'attendre et subir en espérant un dénouement rapide. Idem en voiture, puisque ce qui se passe sur la route ne dépend pas que de nous. C'est pour cette raison que nous sommes souvent sujet à des comportements d'énervement envers les autres conducteurs. Parce que leur seule présence sur la route nous prive du contrôle complet du déroulement des choses. Ils décident eux aussi de ce qui nous arrive et de ce que nous devons faire et nous ne pouvons rien changer à cet état de fait.

 

Venons-en maintenant au cas des débats politiques ou touchant à des sujets de sociétés. L'explication ici est plus subtile. En effet, de prime abord on ne voit pas bien en quoi une quelconque notion d'inhibition de l'action ou d'attente en tension peut intervenir. Au contraire le problème semblerait plutôt que dans ces débats les protagonistes ont trop souvent du mal à se retenir ! Alors pourquoi s'énerve-t-on parfois autant dans ce type de discussions? Pourquoi en venons-nous à de tels débordements ? Comment des individus qui agissent de façon mesurée en temps normal peuvent-ils en venir à des comportements violents à partir de simples discussions de société ? L'explication de ce cas me semble au final être la plus intéressante car elle nous oblige à comprendre, au-delà même du fonctionnement de l'inhibition de l'action, le fondement de nos mécanismes comportementaux.

 

Que voit-on s'affronter au juste dans un débat de société ? Des visions de la société qui sont différentes, parfois qui sont opposées. Et que sont ces visions de notre société pour chacun d'entre nous ? Elles sont essentiellement nos réponses à des expériences vécues. Notre vision du monde qui nous entoure est le résultat des croyances que nous avons construites suite aux événements que nous avons vécus, ou que notre entourage nous a inculquées suite aux événements qu'eux ont vécu, ou qu'ils ont apprises de leur entourage, etc. Pour en donner quelques exemples illustratifs rapides, après avoir observé l'inaction de ses parents alors qu'il est en danger un enfant pourra acquérir la croyance que le monde est un milieu dangereux où personne ne peut nous aider à affronter les événements, lors qu'un autre qui verra ses parents l'entourer naturellement d'affection développera la croyance que le monde est bienveillant et qu'il peut compter sur autrui pour le soutenir lorsqu'il en a besoin.

 

Ces croyances fondent notre façon d'agir et de répondre aux sollicitations de notre environnement, et elles sont ajustées en retour en fonction de nos nouvelles expériences et des résultats de nos actions. C'est ainsi que nous développons nos stratégies de vie (on pourrait dire de survie). Ces stratégies s'établissent sur plusieurs plans : répondre à nos besoins vitaux (boire et manger principalement), assurer notre reproduction, et dans la mesure du possible maximiser notre bien-être, tant physique que psychique. Pour cela l'homme a trouver un mode de fonctionnement qu'il applique invariablement : rechercher la dominance sur les autres. Dans le monde animal, l'individu dominant est souvent celui à qui les autres laissent la meilleure part du repas, et qui a accès aux femelles le plus facilement pour se reproduire (historiquement, l'individu dominant est un homme, et aujourd'hui encore celui-ci perpétue des comportements qui maintiennent sa position d'individu dominant dans nos sociétés - abusivement qualifiées de modernes puisqu'elles ne le sont que d'un point de vue technologique, mais c'est un autre sujet). L'homme fonctionne sur un mode largement comparable. Ce point a été amplement développé par Laborit et je l'ai relayé dans plusieurs billets, par exemple ici.

 

Si l'on en revient donc à nos fameux débats de société, les modèles que nous avons chacun en nous et que nous affrontons les uns aux autres sont les réponses que nous avons intégrées en nous, qu'elles soient directement héritées de notre entourage ou construites suite à nos expériences personnelles, afin de répondre au mieux aux situations dans lesquelles nous pouvons nous trouver. Ces modèles correspondent donc aux outils personnels, notamment comportementaux, que nous avons développés pour contrôler notre environnement, nous assurer qu'il nous procure ce dont nous avons besoin, et plus largement que nous dominons ainsi les événements pour maximiser notre bien-être par un accès facilité aux gratifications existantes dans notre milieu. Et cela concerne aussi bien les aspects pratiques de notre existence que ses aspects intellectuels, voire spirituels. Sur ces plans là, c'est en effet notre bien-être psychique que nous recherchons, comme le fait d'être reconnu par le groupe social dans lequel nous sommes nés et qui valorise chez les uns la performance individuel, chez les autres le sens artistique, etc. Nos croyances sociales vont par exemple correspondre à celles de ces groupe afin d'y être bien accepté. La place de ce bien-être psychique dépasse d'ailleurs à mon avis celle de notre bien être physique. Mais ce point mériterait d'être développé une autre fois.

 

Ce qui est donc mis en jeu dans le cadre de ces débats est donc bien notre faculté de contrôler notre environnement, du moins notre faculté future de le contrôler. Car si les valeurs de ceux auxquels on s'oppose sont celles qui l'emportent, alors le mode de comportement que nous avons mis en place pour maîtriser notre monde n'aura plus aucune force, et nous perdrons donc les moyens de contrôle que nous espérions avoir développés. Cela se couple exactement, et selon le même fondement, au sentiment d'infériorité intellectuelle ressenti lorsqu'on "perd" un débat (la seule appréhension à perdre un débat, qui est plus que largement répandue chez nous, indique bien que l'objectif de chacun est plus de pouvoir y gagner la dominance sur les autres que de développer plus avant sa vision des choses). Et c'est pour cette raison exacte que nous, malgré les grandes valeurs dont nous parons nos postures intellectuelles, nous réagissions très majoritairement aux sujets qui nous touchent de façon personnelle, plus qu'en fonction de leur importance intrinsèque. Parce que c'est sur ceux-ci, et seulement sur ceux-ci, que nous avons conscience d'engager notre mode personnel de maîtrise du monde qui nous entoure.

 

Maintenant que cette explication est donnée, comment peut-on avancer un peu sur ces points à titre individuel et trouver des solutions pour ne pas nous mettre hors de nous dans ces situations ? Et bien la réponse je l'ai trouvée tout bêtement dans le cahier auquel j'ai fait référence plus  haut. Il s'agit d'un cahier d'exercices de lâcher-prise. L'idée est là, dans le lâcher-prise, l'acceptation de ne pas tout contrôler à tout moment et en toute circonstance. Dans un débat de société, ce qui permet que les protagonistes n'en viennent pas aux mains, c'est le détachement, le recul qu'ils parviennent à avoir par rapport à la discussion en cours. Le lâcher-prise est ce qui permet de s'ouvrir à l'opinion des autres, à l'écouter, et à l'intégrer à notre réflexion. Au contraire, si l'on se crispe sur ses arguments, la discussion en plus d'être parfaitement stérile peut évoluer vers un affrontement de plus en plus violent.

 

La difficulté bien évidemment est qu'il est ardu de lâcher-prise sur des sujets qui nous affectent de façon personnelle et qui engagent nos croyances les plus profondes. C'est notre personnalité que l'on met alors en jeu. Mais l'idée de lâcher prise ne nécessite pas d'abandonner notre identité pour le seul bénéfice d'une discussion sans heurts. Ce n'est pas renoncer à nos convictions les plus importantes, mais seulement remettre à leurs places leurs implications et les conséquences des désaccords qu'elles peuvent provoquer. C'est comprendre que ces conséquences ne sont pas absolues, universelles (elles ne concernent pas tout le monde mais seulement les personnes impliquées dans le débat), ni définitives, qu'une réconciliation future reste possible, et qu'un désaccord sur un seul sujet de société ne doit pas induire une opposition globale des intervenants (c'est sur ce point que le débat politique est trop souvent miné).

 

Mais le vrai problème de fond reste : quelle stratégie de vie trouver, pérenne, efficace pour tous et qui ne passe pas par la recherche de dominance ? La réponse à cette question constituerait une immence révolution humaine, révolution qui à mon avis devra avoir lieu un jour ou l'autre si l'humanité ne veut pas disparaître trop prématurément.

 

* Petit cahier d'exercices du lâcher-prise de Rosette Poletti et Barbara Dobbs aux éditions Jouvence.

26/03/2009

Comprendre ce qui nous met hors de nous

dispute.jpgUn aspect particulier des débats actuels sur les récents propos du pape me semble mériter qu'on s'y arrête. On observe en effet de chaque côté des réactions qui apparaissent excessives, que ce soit dans l'attaque ou la défense de Benoît XVI. Excessives dans les propos qui sont tenus, dans l'énervement qu'ils manifestent. Excessives aussi parfois dans les comportements que l'on observe. Je pense ici notamment à l'affrontement qui a eu lieu devant Notre-Dame de Paris entre des militants d'Act Up et des partisans du pape (qui sont présentés dans la vidéo en lien comme des personnes d'extrême droite, mais rien ne permet de le vérifier il me semble).

 

On peut remarquer d'abord que la polémique s'est véritablement emballée à partir des propos du pape sur les préservatifs, et moins lors de l'affaire Williamson ou de l'excommunication de la mère de la fillette brésilienne violée. Du moins c'est mon impression. Pourtant les deux premiers sujets avaient déjà largement de quoi choquer. L'explication ici me semble toute simple, et c'est encore la notion de proximité qui permet de l'éclairer : ces sujets étaient moins proches d'eux dans la mesure où ils les touchaient moins fortement d'un point de vue personnel. Alors que le sujet du préservatif les concerne de façon directe dans la façon de mener leur vie quotidienne. Le sujet est plus proche d'un point de vue personnel (je devrais en fait dire plus proche tout court).

 

Les gens se sentant directement concernés réagissent donc plus fortement. On pourrait dire à ce stade que ce qui est en cause ici c'est leur mode de vie, et que c'est parce qu'ils sentent que leur mode de vie est remis en cause par les opinions des autres qu'ils réagissent si fortement. Mais cette explication m'insatisfait, elle me semble trop insuffisante pour une raison simple : elle n'explique les choses que de façon extérieure, elle ne rend pas compte des mécanismes personnels qui se mettent en jeu chez les individus et qui conditionnent leur réaction. Il faudrait parvenir à comprendre ce qui se passe intimement chez quelqu'un qui pète les plombs dans ce type de débat, ce qui nous énerve dans une discussion politique lorsqu'un ami n'est pas de notre avis, etc. Si vous avez des idées précises à proposer n'hésitez pas, je vais essayer d'y réfléchir et de revenir avec quelque chose de plus juste.

15/12/2008

Un décryptage du petit pont massacreur (Milgram et Zimbardo dans la cours d'école)

preau.jpgJ'ai regardé hier soir un reportage sur un récent fait divers, où un enfant de 12 ans avait été victime d'un "jeu" de ses camarades consistant à passer à tabac celui qui ne parvient pas à rattraper le ballon qu'on fait passer entre ses jambes. On appelle ça le petit pont massacreur. Il porte bien son nom. C'est la première fois que j'entends parler d'un tel jeu, mais je me souviens d'autres faits divers concernant le jeu du foulard où l'un des protagonistes se fait étrangler par un de ses camarades, aussi longtemps que possible. Evidemment, dans les deux cas ou comprend aisément que cela  termine parfois mal.

 

Et puisqu'on le comprend aisément, on ne comprend pas que des jeunes puissent se livrer à pareils divertissements entre eux. Comment peut-on à des âges aussi bas avoir l'idée de s'amuser en risquant sa vie aussi stupidement ? Cela choque clairement le sens commun et peut apparaître à juste titre comme le signe d'un mal à identifier.

 

En voyant ce reportage une idée m'est venue qui pourrait expliquer en partie l'existence de ces jeux. Je me suis souvenu de l'expérience de Stanley Milgram, rapportée brillamment dans le film I comme Icare. Cette expérience qu'on ne décrit plus démontre de façon éclatante la soumission potentielle de chacun d'entre nous à l'autorité. Une autre expérience intéressante est celle de Philip Zimbardo de l'université de Stanford. Zimbardo cherchait à expliquer le niveau d'agressivité particulièrement élevé qui régnait dans les prisons des Etats-Unis. Il construisit avec plusieurs collègues une prison dans les sous-sols de leur université et fit appel à des cobayes qui furent répartis en deux groupes : les gardiens, et les prisonniers. Dès la première nuit les mauvais traitements infligés aux prisonniers ont commencés. Ils étaient aspergés à l'aide d'extincteurs, on leur passait les menottes sans raison, ils devaient se déshabiller, etc. Au bout de six jours l'expérience fut arrêtée alors qu'elle devait initialement durer deux semaines, parce que certains prisonniers étaient en dépression nerveuse.

 

Ces deux expériences me semblent apporter des explications aux jeux destructeurs indiqués plus haut. L'expérience de Zimbardo montre que nous portons tous en nous une certaine dose de violence. Celle-ci est canalisée par la société (c'est son rôle premier), mais si elle ne l'est plus, elle s'exprime et d'une façon qui peut être extrême. L'expérience de Milgram complète cette vision en montrant que dans un cadre où la violence est en quelque sorte permise, c'est-à-dire définie par des règles et encadrée par une autorité alors elle peut également s'exprimer d'une façon choquante. Bien que la société soit là pour la réprouver.

 

Dans le cas des jeux qui nous intéressent, je crois qu'on retrouve ces mécanismes pour partie. Pour les suiveurs, ceux qui participent sans être leaders, voilà comment les choses peuvent se passer. Les individus les plus brutaux définissent les règles du jeu (par exemple du petit pont massacreur). Les autres agissent alors avec une culpabilité et un sentiment de responsabilité amoindris pour deux raisons : d'abord parce qu'ils ne sont pas leaders et n'ont pas défini les règles, et parce que justement en jouant, ils ne font que suivre les règles, exactement comme dans l'expérience de Milgram. Je me demande combien seraient prêts à dire après s'être fait arrêtés par la police : "mais j'ai respecté les règles!". Cet encadrement du comportement par des règles qui existent hors de soi soustrait une partie du sentiment de responsabilité : on ne tabasse plus quelqu'un, on joue à un jeu. La vision qu'on construit de ce que l'on fait s'en trouve modifiée.