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31/10/2017

L'homme sur le quai de gare, à mon retour d'Afrique

sans-pantalon.jpgIl est environ 8h15 à Paris, sur le quai de la station Belleville près de chez moi, quand je vois au bout du quai d'en face cet homme dont l'allure me frappe : costume sur mesure, chaussures qui brillent, cravate ajustée, la figure emblématique du jeune cadre dynamique, parfaitement adapté à l'environnement urbain et à la modernité qu'offrent les grandes villes occidentales.

Une semaine plus tôt je crapahutais encore dans le désert du Namib et le nord du Botswana. Himba, Bushmen, leur artisanats fait de rien, tant de choses là-bas respiraient le dépouillement le plus simple et me renvoyaient à la figure mon goût, mon besoin peut-être aussi, de revenir avec un minimum de régularité à ce contact primaire avec mon environnement. Entre les deux, un gouffre.

C'est ce gouffre qui m'assaille lorsque je remarque cet homme si apprêté de l'autre côté des rails. Ou plutôt, c'est une idée qui m'est venue lors de mon voyage estival: ce qui nous distingue le plus fondamentalement de ces peuples africains, c'est que nous avons recouvert le sable et la poussière. Cela nous permet de croire que nous sommes civilisés. Civilisés parce que propres, propres parce que nous ne sommes pas recouverts de sable et de poussière. Etant propres nous pouvons porter des tissus de qualité sans avoir peur de les abîmer trop vite, nous pouvons arborer des montres et autres bijoux rutilants, le brillant de nos chaussures peut durer quelques heures.

Tout ça parce que nous avons mis du goudron sur du sable.

Cette image vient renforcer une observation que je me faisais déjà depuis plusieurs années, sur la curiosité de notre mode de vie : nous vivons à travers plusieurs couches de confort qui nous éloignent d'une réalité pourtant criante. Cette réalité, c'est que le sable et la poussière continuent de constituer la terre sur laquelle nous marchons. Nous les voyons moins, nous les avons mis à la porte croyons-nous, mais ils sont bien là. La moindre tempête nous le rappelle, la moindre ballade en forêt, le moindre écart en dehors de la ville. Le sable et la poussière sont là, et ils sont les synonymes d'un mot qui désigne une permanence : le sol.

Avec leur présence qui persiste, la fragilité de ce que nous appelons civilisation, elle aussi, me saute aux yeux. Ce n'est pas parce que l'on décore la vitrine d'un magasin de décoration de noël que cette vitrine est moins facile à casser. Il y a une forme d'illusion dans notre civilisation, une croyance bâtie sur si peu de choses en fin de compte,  que nous sommes forts, savants, évolués, dominateurs de notre environnement. Imaginez seulement qu'on retire le goudron au sol, et vous verrez. Barjavel décrivait bien dans Ravage combien cette civilisation tenait à peu de choses. Mais nous avons beau l'avoir lu, nous le dire parfois doctement, nous agissons au quotidien comme si cette fragilité n'était pas vraie.

 

Il y a quelques années, j'avais écris ici un article sur la notion de servomécanisme. Cette commande d'un niveau supérieur d'organisation, qui agit sur le niveau d'organisation juste en dessous et lui permet d'opérer les ajustements nécessaires à la survie de l'ensemble. L'organe agit sur la cellule et l'aide à réguler son activité, l'organisme opère de même avec l'organe, par exemple quand nous décidons de nous reposer après un effort musculaire intense. Mais quel servomécanisme agit sur l'homme pour l'aider à réguler son activité ? Quelle conscience avons-nous de notre appartenance à un ensemble plus grand, qui nous dépasse largement, qui englobe tout le vivant ?

Aujourd'hui cette conscience reste faible. Il n'est qu'à voir le temps qu'il nous faut à titre individuel pour mieux prendre en compte les réalités environnementales dans nos actions quotidiennes. Elle est en court, le chemin est engagé. Je crois qu'il n'y a pas de progrès, pas de passage d'un niveau de civilisation à un autre, sans la perception de ces liens forts qui nous relient à nos servomécanismes. La rationnalité n'y suffit pas, loin s'en faut. Nous devons sentir, comme toucher du doigt les réalités qui nous englobent et nous conditionnent pour infléchir la course de nos vies. Cette prise de conscience a besoin du nombre, du collectif, pour se transformer en actions efficaces.

Les voyages sont une belle façon de nous relier à notre condition globale, d'expérimenter à nouveau notre lien permanent à l'ensemble de la planète qui nous accueille. De reprendre du recul avec notre quotidien qui nous est si habituel et évident qu'on n'en perçoit souvent plus, à la fois les chances et la vulnérabilité.

14/11/2016

Lexique "à peu près" du monde d'aujourd'hui

Le monde ne cesse de nous surprendre, on s'y perd un peu je trouve, alors j'ai pensé à vous faire un lexique de quelques termes importants, pour clarifier un peu les choses. Je vous le propose dans l'ordre où ça m'est venu, c'est-à-dire dans le désordre.

Elite : n.f : toute personne ouvrant plus volontiers un livre qu’elle ne regarde une émission de télé réalité. Cherche à asservir le peuple.

Establishment : n.m : ensemble des personnes appartenant à l’élite. A détruire (projet des humanistes).

Paysan : n.m : représentant du peuple, du vrai, exemple à suivre pour le monde, détenteur plus que tout autre du « bon sens ».

Citadin : n.m : bobo donneur de leçons, déconnecté de la réalité du peuple, qui capte l’essentiel des richesses.

Citoyen : n.m : homme du peuple lui aussi naturellement doté de bon sens et d’honnêteté, objet de toutes les attentions de la part des humanistes. Syn : paysan.

Femme : n.f : être humain au centre des convoitises sexuelles attisées par la publicité et la télévision, sert depuis peu à se dire humaniste en se proclamant en faveur de l’égalité homme-femme en entreprise.

Homme : n.m : être humain coupable d’attirance envers l’autre sexe. Détient l’essentiel du pouvoir.

Humaniste : n.m : Individu modèle, devant guider l’action et la décision de tous. Fait projet de détruire l’establishment qui asservit le peuple. Statut réservé à certaines classes sociales. Ex : l’élite ne peut pas être humaniste.

Salaud : n.m : toi si tu ne partages pas mes opinions sur la politique, l’écologie, l’économie, le sport, l’alimentation, les animaux, les sciences, la littérature, les voyages, la mode, l’horticulture, la gravure sur bois, et je dois en oublier.

Démagogue d’extrême gauche : n.m : humaniste accompli.

Démagogue d’extrême droite : n.m : homme à poigne. « lui au moins, il a des couilles ! » : un citoyen, qui lui aussi « en a ».

Centriste : n.m : loser. Fait parfois rire.

Politique de droite dite « républicaine » : n.m ou n.f : escroc, représentant de l’establishment à détruire

Politique de gauche dite « de gouvernement » : n.m ou n.f : escroc hypocrite, représentant de l’establishment à détruire.

Argent : n.m : source de tous les maux, surtout quand il est détenu par les autres.

Pouvoir : n.m : autre source de tous les maux, surtout quand il est détenu par les autres.

Travail : n.m : horreur inventée par l’élite pour asservir le peuple et acquérir ainsi pouvoir et argent.

Hystérie : n.f : attitude normale face à un salaud, devant quelqu’un que l’on vient d’élire ou face à une faute de conjugaison. Comportement qui témoigne d’un engagement citoyen.

Ambition : n.f : dangereux défaut de personnalité, risquant de faire réussir son porteur plus que moi.

Entrepreneur : n.m : salaud ambitieux. Exploiteur du peuple.

Gentillesse : n.f : faiblesse de caractère disqualifiante dans notre monde qui a besoin de poigne.

Opinion non vérifiée : n.f : vérité d’autant plus absolue qu’elle émane d’une personne n’appartenant pas à l’élite. Marque d’un caractère engagé en faveur du peuple. Syn : bon sens.

Expertise : n.f : pseudo compétence facilement battue en brèche par le bon sens. Signe distinctif souvent rencontré chez les exploiteurs du peuple et chez l’élite.

Peuple : n.m : aucune définition officielle. Mot à utiliser le plus possible pour convaincre son interlocuteur qu’on est du bon côté de la barrière (voire de l’histoire).

Pensée : n.f : prise de position définitive sur tout sujet à caractère public (et plus particulièrement dans les domaines évoqués dans la définition du mot salaud). Est souvent d’une grande valeur morale.

Morale : n.f : valeur naturellement rattachée aux opinions de bon sens. Est essentiellement portée par les humanistes et par les citoyens.

Bienveillance : n.f : hin, quoi ?

Discussion : n.f : non usité, en passe de disparaître du dictionnaire.

07/12/2015

On en est là ?

037gueule-de-bois1.jpgPar quelle colère, par quelle tristesse commencer ?

 

Quand je lis les échanges, les "débats" - enfin en France on appelle débat les joutes verbales où le seul objectif semble être de couper la parole et de se dresser au-dessus des autres - j'ai bien du mal à trouver un positionnement qui ressemble à un début de solution. Trois semaines après les terribles événements qui ont ébranlé Paris et la France, qui m'ont ébranlé comme jamais je ne l'avais été auparavant, nous - parce que nous devons dire nous - confirmons notre disposition collective à livrer notre pays au parti qui lui promet le pire, le Front National.

Nous devons dire nous parce que nous avons besoin d'agir de façon responsable, ce qui passe par ne pas se contenter de désigner des coupables, mais aussi d'identifier nos responsabilités, et donc nos zones d'action pour améliorer les choses.

Pourtant avant, j'ai moi aussi envie de céder à la recherche des responsables. Et nous avons l'embarras du choix non ? Le Front National et ses leaders cyniques qui pour obtenir le pouvoir sont prêts à répandre la peur et la haine ? Leurs électeurs, qui semblent bien souvent mêler la misère de leur vie à leur pauvreté intellectuelle ? Les abstentionnistes, des fainéants qui n'ont rien compris ou des personnes éduquées dégoûtées par l'offre politique actuelle ? Ou encore les politiques qui justement incarnent la décrépitude de cette offre et ne proposent plus depuis bien longtemps de projet valable ? Dans cette profusion de possibilités chacune et chacun semble choisir son ennemi et la personne à désigner à la vindicte. C'est un sport national de fonctionner ainsi.

J'aimerais être au-dessus de ça. J'aimerais vous dire qu'il nous suffirait d'habiter dans 95% des autres pays du monde pour trouver que nous avons une chance folle d'être là où nous sommes. J'aimerais vous rappeler que les grands indicateurs du monde s'améliorent : espérance de vie, pauvreté, faim, niveau d'éducation (en particulier chez les filles qui représentent un enjeu majeur). Hans Rosling apporte quelques données sur ces points dans une conférence TED. Ou vous citer les chiffres de Stephen Pinker dans une autre conférence TED qui démontrent de façon factuelle que la violence diminue de façon forte quasiment partout dans le monde. On pourrait, on devrait sans doute, se concentrer sur toutes ces bonnes nouvelles que personne ne voit jamais passer.

Mais j'avoue que moi aussi j'ai envie de parler des coupables. Parmi ceux que j'ai cité, il y en a deux pour lesquels je trouve certains reproches idiots. Je commence par les électeurs du FN, que je vois souvent moqués pour leur manque d'éducation, leurs fautes d'orthographe, leurs réflexion bas du, hum, front. Ok super. Nous qui avons eu la chance de pouvoir suivre des études supérieures avons un boulevard pour nous foutre de leur gueule. Et quoi de plus satisfaisant hin ? Ah on me souffle qu'il n'est pas possible non plus de ne pas les considérer comme responsables de leur vote. Je suis d'accord bien sûr. Et j'ajoute que la solution n'est pas de les pointer du doigt mais d'agir sur l'éducation, de l'ouvrir à de nouvelles méthodes plus collectives et de réformer l'accès aux formations de haut niveau encore trop souvent réservées aux gens bien nés.

Poursuivons avec les abstentionnistes. Les imbéciles qui se contentent de dire "on s'en fout" n'ont à mon avis rien compris à ce qui crée les conditions de leur vie au quotidien et qui leur permet de dire cela tranquillement sans se soucier des conséquences de leurs actes. Cependant que répondre à ceux qui se disent dégoûtés par l'offre politique actuelle ? Dégoûtés par les avantages anormaux des élus, par la corruption, par les promesses non tenues, par le décalage à mes yeux de plus en plus sidérant entre leur vision du monde et ce qu'il est réellement ? J'ai encore en tête le documentaire sur Hollande, qui montrait les valets en gants blancs l'annoncer à chacune de ses entrées dans une salle, comme on procédait au temps des rois. Les mecs sont complètement à côté de la plaque et on peut se demander s'ils en ont seulement un tout petit peu conscience. Il y a quelque chose de choquant à ce qu'après avoir tant défailli certains personnages politiques remettent dans nos mains la responsabilité des événements. C'est à nous d'agir de façon responsable puisqu'ils n'ont pas su le faire. Gloups. Et il y a quand même depuis hier soir des cas de conscience vraiment moches. Imaginer les électeurs raisonnables de la région PACA devoir choisir entre Estrosi et Le Pen suffit à prendre la mesure de l'effort que l'on demande à certains.

Les plus coupables à mes yeux sont ailleurs. Il y a d'abord les médias qui ont profité de lectures supplémentaires promises par les articles sur le FN et ses thématiques habituelles. Ils sont bien placés pour savoir que l'odeur de la crasse et du sang attire plus sûrement la foule que celle des rosiers en fleurs. Ils sont responsables de leurs choix éditoriaux, et ils savent l'impact qu'ils exercent encore sur l'opinion des gens. Ils agissent en connaissance de cause ou alors ils se moquent du monde.

Ensuite, il y a les politiques. Nous souffrons d'une offre politique qui n'a plus d'envergure, qui tourne sur elle-même, avec un personnel qui fonctionne en vase clos, qui profite d'un système qui en empêche le véritable renouvellement. Nous sommes au bout de cette logique. Enfin j'aimerais croire qu'ils le voient, j'ai peur d'être optimistes à ce sujet quand j'entends les premières réactions officielles suite au vote d'hier.

Les pires parmi ceux-là selon moi ce sont Sarkozy et ceux qui le suivent encore. Ils ont pendant les 5 ans de son quinquennat mis la poudre dans le revolver que nous utilisons pour voter FN et nous tirer une balle dans le pied depuis les Européennes. Car à mes yeux Gramsci avait raison. La culture précède l'exercice du pouvoir. Le vote FN est l'arbre qui cache la forêt. Les élections agissent comme un effet d'aveuglement à grande échelle. Nous focalisons notre attention sur la prise du pouvoir, désormais de plus en plus réelle, du FN. Mais leurs idées avaient déjà gagné avant. Elles ont été largement popularisées, répandues par Sarkozy à travers sa "ligne Buisson". Et c'est là qu'est notre vrai risque. C'est là que nous devons agir en priorité.

Pour cela, nous avons besoin de pédagogues, de politiques qui nous parlent enfin comme à des adultes, en nous disant ce qui est possible, ce qui ne l'est pas, pourquoi, combien de temps chaque réforme doit prendre pour être réellement efficace.

Le plus cocasse c'est que le mouvement de transformation du pays a lieu. Dans les entreprises, dans les start-up, à travers les mouvements associatifs, tout bouge et à une vitesse vertigineuse. Je le vois dans mon métier, je me sens même dépassé par moment alors que je suis plutôt bien ancré dans ces mouvements par rapport à tant d'autres. Je reste optimiste parce que j'observe que ces évolutions sont dans la logique historique des choses. Elles me semblent inéluctables, pour le meilleur. Mais quelle désolation de voir que l'état qui devrait jouer un rôle de facilitateur et d'accélérateur de ces évolutions est au contraire en train de les empêcher !

 

P.S : j'ai choisi un dessin de l'excellent Vidberg comme illustration, moins drôle que d'habitude, allez quand même le voir en grand :)

21/10/2013

Dominer, pour sécuriser sa survie

biologie comportementale, Henri laborit, dominationUn de mes contacts sur Twitter a récemment posté le message suivant : "Etre un homme ne veut pas forcément dire chercher un rapport de domination". Il réagissait au billet d'un père visiblement lassé d'être pointé du doigt du fait de son appartenance au genre masculin, et plus globalement usé par la guerre des sexes. Mon twitto s'inscrivait donc dans ce débat sur l'égalité homme/ femme et y apportait son écot.

 

En lisant ce commentaire j'ai eu un sourire en songeant à ce que dirait Henri Laborit, père de la biologie comportementale, en le lisant. J'ai beaucoup écrit ici sur ces travaux, sans préciser ce point pourtant central sur la recherche de domination qui guide une grande part de nos comportements. En voici donc l'occasion.

 

Pour bien comprendre le mécanisme de recherche de domination, il faut revenir à la base. Un organisme vivant, et l'homme en est un, n'a pas d'autre raison d'être que d'être. Ce n'est pas une considération spirituelle ou philosophique, c'est un constat biologique. Expliquons-le. Je laisse les croyants s'époumoner à m'expliquer pourquoi c'est horrible de s'en tenir là, je ne trouve pas ces considérations intéressantes. Tout organisme est conçu pour rechercher sa survie. Le temps est notre plus grand ennemi en la matière, et certes, c'est toujours lui qui gagne à la fin, mais cela ne change rien au mécanisme biologique qui nous gouvernent : rechercher la survie. Qu'on n'y arrive pas n'y change pas grand chose.

 

D'un point de vue biologique donc, tout ce qui se passe dans notre organisme concoure à notre survie. Le fonctionnement de nos cellules, de nos organes et de notre organisme est centré sur ce qui les fait se maintenir en bonne santé. La cellule cherche en permanence à maintenir la polarité de sa membrane autour d'une moyenne qui évite sa rupture, l'organe cherche à s'alimenter de façon continue en oxygène, nutriments, bref, tout ce qui sert à son fonctionnement, et l'organisme, chaque jour, cherche à boire, s'alimenter, se reposer (j'ajouterais se reproduire pour ma part, mais ça pourrait nous entraîner dans des explications compliquées). Ce sont nos besoins vitaux, ceux que nous devons satisfaire en premier dans la pyramide de Maslow. Pour résumer on pourrait dire que l'activité de l'organisme est en permanence de rechercher des sources d'énergie et de les transformer au profit de sa survie.

 

C'est pour satisfaire à notre survie que notre recherche de domination intervient. En deux mots, en dominant notre environnement, ce qui inclut les êtres qui s'y trouvent, on se donne des garanties plus grandes de survie. Lors de la révolution néolithique, ce phénomène s'est profondément accentué. Avec la notion de sédentarité est apparue la propriété privée. Je possède un terrain, il est à moi, et sur ce terrain je fait pousser les graines qui assurent ma subsistance. En protégeant mon terrain je protège donc mon alimentation. Et en agrandissant mon terrain, j'accrois ma sécurité à ne jamais manquer de rien. La guerre nait de la notion de propriété. Si tu ne possèdes rien qui puisse me procurer un bien-être ou une sécurité de survie plus grande, je n'ai pas de raison de t'envahir. Je n'approfondis pas plus ce point, vous pouvez relire cet ancien (et long) billet.

 

En dominant mon environnement, qu'il soit végétal, animal ou humain, j'augmente donc mes chances de survivre. Ce que nous dit Laborit, et qui est très difficile à accepter pour nous qui enrobons depuis déjà des siècles tous nos actes de valeurs, de principes, d'intentions, de morale, etc. c'est que nos actions sont presque toutes fondamentalement guidées par cette recherche de domination. Las dit-il, cette réalité nous est désormais totalement inaccessible car cette recherche est désormais dans le domaine de l'inconscient. Nous avons oublié que comme nous cousins les primates nous avons nous aussi un cerveau reptilien, et qu'il occupe une grande place dans nos comportements. Et comme le dit Clotaire Rapaille, dans nos décisions "le reptilien gagne toujours". C'est une réalité que les plus érudits refuseront en masse. Ils ne se sont pas élevés au-dessus des autres à force de travail et de lecture pour qu'on leur dise qu'en faisant cela ils n'ont fait que manifester la supériorité, de surcroit inconsciente, de leur cerveau reptilien ! Inacceptable. Essayez un jour de parler de biologie comportementale à des gens bien éduqués. Comptez ceux qui acceptent d'écouter. Vous verrez.

 

Pour répondre donc à mon sympathique twitto, la biologie comportementale dit ceci : être un homme (au sens être humain, ce qui donc inclut les femmes) signifie quasiment forcément rechercher un rapport de domination. C'est la matrice fondamentale de nos comportements. Qu'elle soit aujourd'hui inconsciente et que l'on sache presque toujours justifier nos choix, nos actions et nos décisions par des arguments logiques, moraux, spirituels ou autre n'y change rien. En fait cela ne fait que démontrer à quel point nous sommes devenus aveugles sur ce qui nous motive réellement. Et les débats de société en sont un exemple pour moi chaque fois plus criant.

 

Alors bien sûr nous ne faisons pas que cela, dominer. Nous sommes capables, et certains animaux aussi, de comportements de coopération, d'altruisme (rarement cependant là où on croit le dénicher), bref, d'une pensée qui modifie nos comportements au profit du groupe et non de nous-même, voire parfois à notre détriment. Remarquons que concernant la coopération, on trouvera souvent, et facilement, des exemples qui montrent en quoi ils nous sont aussi bénéfiques, et concourent donc à notre propre préservation. Concernant les comportements purement altruistes, ceux fait au bénéfice des autres et à notre détriment, nous pourrions également noter que dans bien des cas s'il sont au détriment de notre santé physique, ils sont au bénéfices de notre santé psychologique, ils satisfont nos croyances, notre équilibre psychique.

 

Mais surtout, les exemples de recherche de domination dans notre quotidien sont légion. Des plus évidents au plus discrets. On pourrait évoquer nos cravates et autres épaulettes de nos vestes. Franchement, elles servent à quoi les épaulettes dans une veste ? Je ne parle pas de nos voitures, là on est carrément dans le singe dominant parce qu'il a le cul plus rouge que ses congénères (je simplifie hein). Et pas seulement du fait du modèle de voiture choisie ou du tunning qu'on lui fait subir, mais aussi de notre comportement sur la route. Ni des organigrammes qui affirment la chaine d'obéissance à respecter. Mais il y a plus discret disais-je. Avez-vous remarqué par exemple, quand vous marchez sur un trottoir, qu'au moment de dépasser la personne devant vous, celle-ci fait toujours un premier mouvement vers le côté où vous êtes, réduisant ainsi votre espace de passage ? Soyons clairs, je n'y vois aucune intention consciente de ces personnes de bloquer le passage. Mais je suis un marcheur rapide, et je fais régulièrement cette observation. C'en est parfois même vraiment drôle.

 

Bref, ce serait amusant de compléter cette liste pour se rendre compte à quel point la recherche de domination envahit notre quotidien. Aujourd'hui c'est devenu tellement ancré qu'on ne s'en aperçoit absolument plus, ou tellement peu. Mais nos espaces urbains regorgent de signaux de domination. La publicité y fait d'ailleurs abondamment appel. Elle ne met plus en valeur le produit mais l'image que nous aurons de nous-même en acquérant tel téléphone ou tel parfum.  Les réseaux sociaux sont d'ailleurs un très bon espace de recherche de domination. Le must est toujours d'y devenir "influent", de faire partie de l'élite, de ceux qui ont le plus de followers ou de like. Sur Linkedin il y a un classement dans les différents groupes auxquels ont peut participer, qui met en avant les plus influents. On recrée partout des pyramides de pouvoir, peu importe qu'elles soient officialisées par un statut ou non. Elles satisfont nos instincts humains. Car oui, et c'est la principale critique que l'on peut sans doute formuler à l'encontre de Laborit, la recherche de domination est profondément humaine, et l'on ne saurait donc nous en accuser sans tomber alors dans une forme d'absurdité. Je fais exprès de finir sur cette note un peu sombre, et qui ne représente pas tout à fait ma véritable opinion (ah les paradoxes !), pour ancrer une idée à laquelle je crois beaucoup car elle porte à mon avis une vraie efficacité : le travail à mener n'est pas tant de chercher à nous débarrasser de notre instinct de domination, il y a trop de boulot, mais de trouver les façons que cette recherche puisse se faire par bénéfices mutuels. Ce qui n'est pas une mince affaire non plus.

24/09/2013

L'empreinte

Les émotions se serrent toutes dans les chemins de la mémoire,
En limons d'âmes, coulent dans ses lits,
Forgent le souvenir poignant, la griffure vive,
Par la proximité.

Certaines, pourtant, s'affranchissent de ces règles,
Survivent au lointain, comme des empreintes ineffaçables.
Et persistent, coûte que coûte.

08/03/2013

Les femmes dans le monde

Doodlejdf.jpgEn cette journée de la femme, quelques chiffres pour mesurer l'état des choses et identifier les tendances en cours.

 

Dans le monde, le nombre de femmes est quasiment identique à celui des hommes. En fait, les hommes sont un peu plus nombreux. Cela cache en fait des disparités entre les pays qui sont parfois grandes, certains connaissant un déséquilibre important. En 2006 les femmes étaient plus nombreuses que les hommes dans la totalité des pays dits occidentaux. Les hommes étaient plus nombreux que les femmes dans 50% des pays africains, et surtout en Asie, en particulier en Inde, au Pakistan et en Chine où leur nombre dépasse de plus de 10% celui des femmes. Ce déficit constitue un facteur de risque important pour les années à venir. Voir ici.

 

En France, les femmes représentent 52% de la population. Leur espérance de vie est largement supérieure à celle des hommes puisqu'elle atteinte 85 ans alors que celle des hommes est à 78 ans. Alors qu'elles sont plus nombreuses à avoir le bac (53% des bacheliers sont des bachelières), elles investissent très massivement les métiers du domaine social et paramédical (83% des étudiants dans ces domaines sont des femmes), tandis que les hommes représentent 74% des étudiants en études d'ingénieurs. Le salaire moyen des femmes s'élève à 1394€ tandis que celui des hommes s'élève à 1835€. Notons que cette disparité salariale s'explique en grande partie par le recours au temps partiel pour les femmes (30% des femmes qui travaillent le font à temps partiel, contre seulement 6,4% des hommes - chiffres Mc Kinsey 20009). Côté politique, les femmes représentent 22% du sénat, 27% de l'assemblée nationale, et seulement 14% des maires. Voir cette infographie publiée par le gouvernement.

 

Dans le monde du travail, les femmes continuent de se heurter au fameux plafond de verre, même si les entreprises, dans le monde et en France, ont engagé des projets sérieux pour favoriser la mixité. Selon l'étude Women Matter de Mc Kinsey, en 2011 les femmes ne représentaient en moyenne en Europe  que 17% des conseils d'administration des entreprises. Ce chiffre tombe à 10% seulement concernant les comités exécutifs. Notons toutefois que ces chiffres sont en hause par rapport à 2007, respectivement de 5 et 6 points. Les meilleurs élèves sont sans surprise la Suède (21% de représentation des comités exécutifs) et la Norvège (35% de représentation des conseils d'administration). La France est autour de la moyenne, avec 22% de femmes dans les conseils d'administration (+12 points/ 2007) et 8% dans les comités exécutifs (+4 points/ 2007).

 

Les entreprises ont largement investi ces dernières années pour favoriser la mixité dans leurs équipes. Toutefois, elles sont encore peu nombreuses à en voir les effets, souvent du fait d'une mauvaise mise en oeuvre de leurs actions. Ainsi seules 16% des entreprises dans le monde, vs 13% en France (interrogées par Mc Kinsey) ont vu des progrès notables dans la mixité de leurs équipes suite aux actions qu'elles ont mené. 66% d'entre elles n'ont pas encore constaté de réels effets (vs 64% en France). On distingue 3 leviers majeurs pour transformer en réussite ces projets : l'implication de la direction générale (qui est souvent déjà forte), le fait de mesurer la mixité dans l'entreprise, et de suivre ces indicateurs et d'agir en fonction des résultats, et enfin de travailler à insufler une culture favorable à la mixité dans les équipes. Voir ici l'étude de Mc Kinsey publiée en 2012.

 

Mais au fait, est-ce important ? Pourquoi favoriser la mixité en entreprise ? Et pourquoi faire plus attention aux femmes dans le monde ? En entreprise, Mc kinsey a mesuré dans son étude de 2009 que 42% des entreprises qui pratiquent une politique volontariste en faveur de la mixité observent une amélioration de leur attractivité et ont de meilleurs recrutements. Et, beaucoup plus fort, 83% d'entre elles constatent une amélioration de leurs résultats commerciaux. D'un point de vue plus social on observe que les pays dans lesquels les femmes représentent plus de 30% du corps politique sont plus égalitaires et plus démocratiques.

 

Dans les pays en voie de développement, l'impact de l'attention portée aux femmes est encore plus grand car leur santé est souvent directement liée à celle des enfants. On estime ainsi qu'1 million de morts d'enfant par an pourraient être évitées si les femmes étaient mieux nourries. Un des moyens majeurs pour lutter contre la malnutrition est d'éduquer les filles et les femmes, une enfant né d'une femme sachant lire ayant 50% de chances de plus de dépasser 5 ans. Voir cette infographie.

 

Pour plus d'informations sur les femmes, en particuliers dans les pays pauvres, la fondation Bill Gates est une mine.

 

09/01/2013

Mariage reptilien pour tous

Alliance.jpg

Dimanche prochain, le 13 janvier 2013, aura lieu la prochaine manifestation contre le mariage pour tous. Elle s'annonce comme un événement important. Sur Twitter, on lit les futurs manifestants compter les cars ou les trains qui vont les emmener sur place. La plupart d'entre eux semblent impatients. Pour ma part je suis attristé que dans mon pays, en 2013, il se trouve tant de gens pour manifester contre ce que je vois comme une évolution positive de la société, un signal d'accueil et d'intégration supplémentaire envers les homosexuels, qui comme toutes les populations minoritaires ont longtemps souffert d'être stigmatisés. 

 

Je remarque d'aillers que depuis que ce débat a lieu, et comment oser dire qu'il n'a pas lieu comme le font les anti mariage pour tous, étant donnés tous les moyens dont ils se saisissent pour manifester leur opinion, depuis qu'il a lieu disais-je, ces stigmatisations et autres insultes ont connu un nouveau fleurissement. Ceux qui marcheront dimanche répliqueront qu'ils sont eux aussi l'objet d'insultes dans ce débat, et ils auront raison. J'oserai toutefois leur faire remarquer que les homosexuels sont eux insultés pour ce qu'ils sont. Les autres le sont "uniquement" pour leurs opinions. Et qu'être l'objet de quoilibets pour ses pensées est, malheureusement, notre lot à tous. Certains sont choqués ? Oui, je pense qu'il y a une différence de violence entre une insulte qui dit "tu n'es pas ce qu'il faut" et une insulte qui dit "tu ne penses pas ce qu'il faut".

 

Et surtout, j'en ai assez de lire partout des arguments qui m'apparaissent, dans le fond, profondément malhonnêtes. Oh, ce n'est très souvent pas conscient, et cela suffit à comprendre que les procès d'intention sont en l'espèce tout à fait déplacés (comme ils le sont toujours dans le fond). Je vous propose d'être concis. Les arguments avancés par les tenants des valeurs familiales traditionnelles sont :

  1. L'enfant avant tout. Elevé par un couple homosexuel, l'enfant sera plus malheureux que s'il était élevé par un couple hétérosexuel. Il sera incapable de retracer sa filiation, ne saura jamais qui était son vrai père/ sa vraie mère. Sur ce deuxième point, comment font les enfants adoptés aujourd'hui ? Ils sont donc incapables de retrouver leur parents d'origine ? Quoi, parce que les parents qui élèveront un enfant seront du même sexe, automatiquement ils lui interdiront de faire les recherches nécessaires à retracer sa filiation ? Alors la vie c'est déterminé dans un bout de papier et stop, la loi t'a dit que non mon bonhomme, tu ne peux pas faire de recherches ? Sur le premier point, c'est annoncé comme cela, sans aucun élément de preuve, et pour cause, on ne dispose de rien de sérieux dans ce domaine, ni pour démontrer que les familles homoparentales favorisent le bonheur des enfants, ni pour démontrer le contraire.
  2. On dégaine du coup l'argument n°2 : le principe de précaution. Puisqu'on ne sait pas, autant ne pas prendre de risque. Alors forcément, la précaution, c'est beau. En plus, on parle d'enfants. Tremblez braves gens ! Ce sont à des enfants innocents que vous songez dans votre égoïsme incommensurable faire prendre des risques ! En réalité, quand on ne sait pas, on peut brandir son ignorance avec autant d'assertivité pour prendre n'importe quelle décision. Ou n'importe quelle autre.

 

Aujourd'hui que constate-t-on ?

Aucun des pays qui a adopté le mariage homosexuel n'a observé d'épidémide de névroses dans sa population. Aucun des pays qui a adopté le mariage homosexuel n'a observé de délitement soudain de sa société. Aucun des pays qui a adopté le mariage homosexuel n'a observé que les enfants élevés par des couples homosexuels étaient plus malheureux que les autres. Aucune étude ne prouve sérieusement qu'il n'y aura pas d'impacts négatifs ? Oui. Mais en l'état actuel des choses, et nous avons déjà un certain nombre d'années d'observation à notre disposition puisque les premiers pays à avoir accordé le mariage aux homosexuels l'ont fait au début des années 2000 si je ne me trompe pas, en l'état des choses donc, on n'observe pas de raison de trembler.

 

Premier petit point de réponse en conséquence : je ne vois pas pourquoi la peur, l'autre nom du joli principe de précaution, serait meilleure conseillère que... quoi que ce soit d'autre. La peur est bonne conseillèe quand il faut fuir devant un ennemi. Là, personne qui nous menace, c'est bon.

 

Deuxième point, et c'est le fond de mon argument ce soir, qui était en fait implicite dans mon billet précédent, et que je vais maintenant rendre explicite. Les réactions que j'observe contre le mariage pour tous m'apparaissent épidermiques depuis le début. Elles sont emballées, on y voit beaucoup d'implications personnelles. On nous explique qu'un grand risque plane sur notre société, que les conséquences seront graves. L'aspect profondément émotionnel, très humain, de ces réactions, m'a dès le début alerté sur ce qu'elles signifient. Il y a quelque chose de primal à mes yeux dans tout ceci, même si j'ai conscience de ce que ce terme peut avoir de provocateur voire de vexant.

 

Mais il faut que nous arrêtions de nous mentir sur les moteurs de nos réactions lorsque nous rentrons dans ce genre de débats qui mettent en jeu notre intimité. Et comme je l'écrivais précédemment le mariage est avant tout une question intime et non de société. Nous ne réagissions pas tant parce que notre raison et nos beaux sentiments nous poussent à aller à gauche, à droite ou tout droit. Des raisons nous en avons tous, et des beaux sentiments aussi. Ils sont nos bannières qui nous permettent d'être acceptés dans nos communautés de proximité, celles du sang, celle des expériences partagées qu'elles soient privés ou professionnelles.

 

Nous réagissons très souvent en étant guidés par notre cerveau reptilien. Je ne sais plus qui disait que lorsqu'il s'agit de prendre une décision, le reptilien en nous l'emporte (presque) toujours. Poussons tous ensemble un NON retentissant pour manifester que nous ne voulons pas en rester à ce stade ! Ca nous fait du bien et ça nous pousse à rechercher mieux. Mais observons que cela reste toutefois une règle trop peu souvent brisée. Et pourquoi le reptilien l'emporte si souvent ? Parce que notre nature, notre biologie, qui veut que nous survivions, nous faire choisir ce qui nous permet d'être dominant sur les autres. Car être dominant est précisément le meilleur moyen de survivre.

 

Nos choix que nous prétendons être des choix de société, sont très souvent les choix d'un mode de vie particulier, le nôtre, dont on souhaite qu'il soit dominant sur les autres. Cela nous assure, à nous, une meilleure vie, plus facile, plus longue que celle des autres.

 

Les personnes qui vont manifester dimanche ne le font pas pour protéger les enfants d'un risque de malheur qui est trop souvent posé comme une simple inférence (je pose comme hypothèse qu'il existe un risque, et je construis toute mon argumentation autour de cette hypothèse, sans avoir plus à me soucier de savoir si cette hypothèse a une quelconque pertinence). Ils vont manifester parce qu'à travers cette loi, c'est leur mode de vie que l'on remet en cause, parce qu'on leur signifie qu'il n'est plus dominant, que les autres vont avoir la même place qu'eux. Leur socle vacille de ce fait. On devrait faire une analyse sociodémographique des tenants de chaque bord, pour voir à quel point cette notion de position dominante à défendre est réelle. Pour moi elle ne fait pas l'ombre d'un doute.

 

Tout ce que demandent les homosexuels à travers cette loi dans le fond, ce n'est pas tant que leur amours soient reconnues. Ils n'ont pas besoin de leurs voisins pour savoir s'ils s'aiment. Il y a là un souhait de sortir d'une situation de dominé, socialement s'entend. Et dans une société moderne, cette demande est légitime.

14/11/2012

Le mariage homosexuel n'est pas une question de société

Seulementmarried.jpgJe choisis volontairement un titre assez provocateur, mon propos étant dans le fond peu éloigné de ce qu'il dit en synthèse. Le projet de loi sur le mariage pour tous, autrement dit, l'autorisation du mariage homosexuel, soulève actuellement un débat pour le moins houleux. En particulier, les réactions des personnes qui s'y opposent me semblent fortes, ce que l'on observe à travers les différentes manifestations qu'elles organisent.

 

Pour ma part, je ne suis pas opposé au mariage homosexuel. Je n'écris pas "je suis favorable au mariage homosexuel", parce que je considère surtout que ça les regarde. N'étant pas homosexuel, et le mariage soulevant très peu d'intérêt à mes yeux aujourd'hui, je ne me sens pas très concerné. Et vu l'évolution de la place du mariage dans notre société, je ne considère pas que l'enjeu soit important. D'ailleurs, j'avais déjà indiqué il y a longtemps qu'il y a à mon sens un biais dans la revendication des homosexuels à ce sujet.

 

En revanche, je suis intrigué par la force des réactions des opposants au mariage homosexuel. Il y a là quelque chose qui m'étonne et pour tout dire qui me dérange. Un message non dit, quelque chose d'inconscient qui se joue derrière les discours tautologiques "un papa et une maman sont nécessaires pour faire un enfant". A mes yeux en effet, ces opposants dramatisent de façon totalement disproportionnée les enjeux du mariage homosexuel. Ils en font un enjeu sociétal majeur, un point de rupture avec notre culture actuelle, une décision irréparable aux lourdes conséquences. Leur principal argument concerne surtout les enfants élevés par des couples homosexuels, enfants qui seraient alors sans repères clairs quant-à leurs origines, et sujets à des railleries insupportables de leurs camarades (risque qui me semble plutôt réel).

 

Mais de quoi parle-t-on ? Quel est ce mystérieux Kraken qui va nous tomber dessus et détruire notre société le jour où deux homoseuxels se seront dit oui devant un maire ? Quelques chiffres aideront sans doute à dépassionner le débat :

- En Belgique, qui a légalisé le mariage homosexuel en 2003, le nombre de mariages homosexuels s'élève à environ 2000 pour 42000 mariage chaque année (soit environ 5%). Ce nombre est stable depuis 2003. Le nombre de divorces entre homosexuel est d'environ 10% aujourd'hui.

- Le nombre d'enfants adoptés en France était d'environ 4000 en 2005, et il était alors à son maximum, il a chuté depuis. Le nombre de demandes était lui de 27000, soit un taux de réussite inférieur à 15%.

- Enfin la fécondation in vitro connait pour l'instant un taux de réussite faible puisque 60% sont des échecs. En 2011 on recensait 20000 enfants environ issus d'une AMP, dont 19000 intraconjuguales.

- En France, nous sommes 68 millions d'habitants.

 

Si on fait des comptes rapides, même si je sais que l'exercice manque ici de précision, on aurait 4000*15%*5% = 30 200 (voir erratum) enfants adoptés par an par un couple homosexuel. Le nombre de fécondations in vitro me semble lui incalculable en l'état (je ne pense pas que 1000 couples homosexuels y auraient accès, du coup je ne sais pas évaluer convenablement, je peux me tromper mais à mon avis le chiffre serait très inférieur).

 

200 enfants adoptés par des couples homosexuels chaque année. On est très loin du risque de déliquescence de notre société qui est brandi. En fait, on lit un peu partout des effets de loupe mis sur des phénomènes qui resteront rares (comme ils l'ont toujours été jusqu'à maintenant). Les homosexuels sont moins nombreux que les hétérosexuels. Ils ne vont pas se ruer comme des hordes sur le mariage une fois celui-ci autorisé. Et, non, les hétérosexuels ne vont pas devenir homosexuels une fois le mariage homosexuel autorisé. Les adoptions par les couples homosexuels, en particulier par les hommes, seront très difficiles (elles le sont déjà pour les couples hétéro !), et donc très rares. Et il en ira très probablement de même pour les AMP.

 

Il n'y a donc aucun chambardement de notre société en vue suite à la légalisation du mariage homosexuel. Tout cela n'est qu'une vue de l'esprit qui traduit uniquement une peur somme toute irrationnelle. J'en veux d'abord pour preuve la liste des pays ayant déjà légalisé le mariage homosexuel. Si on regarde la liste exhaustive on constate d'abord qu'elle est assez longue, et surtout, je ne crois pas qu'aujourd'hui ces pays fassent état d'une catastrophe sismique dans leur société depuis la légalisation du mariage homosexuel. Mieux, si on s'arrête à certains pays phares de cette liste, Norvège,  Danemark, Suède, Pays-bas, Canada, ceux-là figurent en haut de tous les classements de santé économique et sociale régulièrement publiés. Le dernier en date que j'ai relevé est celui du Legatum prosperity index. Les pays que j'indique y occupent respectivement les places numéro 1, 2, 3, 6 et 8 de ce classement, établi selon 8 critères : économie, entrepreunariat, gouvernance, éducation, santé, sécurité, libertés individuelles, capital social. Le doigt du malin est-il donc pointé vers la France pour que notre pays souffre de ce dont les autres n'ont pas souffert ?

 

La question reste donc : pourquoi tant de cris d'orfraie à un événement dont la manifestation et les conséquences seront si limitées ? Je crois que la réponse est simple : parce que la question touche moins à notre société qu'à notre intimité. Le mariage est une question individuelle, intime. C'est le choix de s'unir officiellement à une personne avec laquelle nous partageons ce que nous avons de plus personnel. Toute loi touchant à un élément de cet ordre, qui relève de l'intime, nous la percevons comme une forme d'intrusion. Les réactions autour du mariage homosexuel sont profondément émotionnelles. C'est très normal puisque cette question touche à un point qui est avant tout émotionnel. Encore une fois, je retrouve tous ces pièges de langage, ces pseudo-convictions (ah, les belles convictions que nous avons tous!), ces enjeux pour les autres, pour la société même (vous vous rendez compte, la société monsieur!), alors que ce qui fait que nous remuons à ce point est que cette question nous interpelle nous, individuellement, dans nos choix intimes. C'est de nous individuellement dont on parle. Aucun collectif n'est ici mis en jeu.

 

J'ai de plus en plus cette grille de lecture, qui est en réalité parfaitement évidente si on prend le temps d'y réfléchir : derrière toute réaction épidermique, se cache un enjeu avant tout émotionnel et individuel. Il n'y a rien qui touche le groupe qui puisse susciter un tel niveau de réaction. Ce qui signifie que derrière toute réaction épidermique, il faut aller chercher le besoin individuel qui se cache (et que souvent la personne ne sait pas identifier, nous pouvons donc lui préserver sa sincérité dans les arguments qu'elle évoque). Sans cela on ne peut pas comprendre les positions de chacun et les vrais enjeux qui sont à prendre en compte.

 

Erratum : à la relecture je fais une erreur de calcul. Sur 4000 enfants adoptés, 5% le seraient pas des couples homosexuels si le ratio de mariages homosexuel est le même qu'en Belgique. 4000*5% = 200. Ca fait un peu plus, mais l'ordre de grandeur ne me semble guère modifié.

05/05/2012

Nous sommes des patchworks de ce que les autres mettent en nous

Pont-Île-de-Ré_1.jpgMon dernier week-end, passé avec des amis, m'a laissé un bagage d'impressions qui persistent encore. Des fils d'idées qui se forment, des convictions qui se renforcent et se précisent.

 

Parmi elles, une qui devient de plus en plus prégnante et claire en moi : nous sommes fait des autres, construits par eux et par les relations que nous nouons et nourrissons avec eux. Et ce corrolaire : il n'existe pas de "je", ni de "je suis" si l'on en reste à la vision egotisée que nous en avons. En effet, lorsque nous parlons de l'individu, de sa personnalité, de son psychisme, nous l'envisageons me semble-t-il presque toujours comme étant constitué d'un noyau qui serait son identité profonde, entouré par les strates de ses expériences sensorielles, de son éducation, des contingences dans lesquelles il se trouve plongé.

 

Ma conviction de plus en plus forte est que ce noyau, envisagé parfois comme quelque chose de quasiment sacré, n'existe pas. Je sais bien qu'une part de nos comportements est innée. Mais l'inné n'est rien d'autre qu'un héritage puisé dans l'histoire de notre évolution biologique. Que cela nous vienne du passé ou d'aujourd'hui nous sommes tout entiers faits des autres, de nos liens avec eux.

 

Je vois cela comme une sorte de damier dont chaque dalle aurait une forme propre, avec son épaisseur, sa couleur, sa sonorité même, et pourquoi pas sa texture, chacune étant reliée de façon plus ou moins forte avec les autres, et chacune agissant de façon dynamique en nous. En venant proche, puis repartant dans l'ombre en fonction des instants. Comme tirée chacune par de grande cordes qui seraient directement liées à notre mémoire et à sa force. Un damier mobile, dynamique, qui change avec le flux du temps.

 

Cette idée me pousse vers d'autres questions. Que désigne-t-on lorsque l'on parle d'identité ? Là aussi, la vision que nous en avons reste je crois une chose figée, statique, qui nous ramène au noyau que j'évoquais avant. Ma première réponse serait que l'identité non plus n'existe pas. La vie est un flux. A aucun moment elle n'est figée. On ne peut pas faire de photo de la réalité. Car dès l'instant qui suit le flash le plan que l'on a voulu prendre a déjà changé. L'identité devient alors un mot comode, un concept qui permet de réfléchir sans doute. Mais il ne recouvre aucune réalité. Il peut être intéressant de poursuivre en se demandant ce que l'on espère réellement défendre lorsque l'on prétend vouloir défendre son identité (tant au niveau d'un individu que d'un groupe d'individus, comme par exemple un pays). L'identité nous sert peut-être de paravent à d'autres besoins que nous savons mal définir ou que nous ne voulons pas évoquer.

 

Cette idée m'a également poussé ailleurs, à la faveur d'une lecture que je termine à peine, La Horde du contrevent d'Alain Damasio, qui complète ce que je viens d'évoquer tout en suscitant d'autres liens. Deux courts extraits m'ont marqué :

"Il n'y a pas d'être en soi. Il n'y a que des êtres pour et parmi les autres."

"Chacun est le pli particulier d'une feuille commune. Un noeud dont la corde est fournie par les autres."

Le deuxième extrait en particulier, m'a ramené au peu que je comprends de la théorie de la relativité. L'image que cette théorie donne de l'univers est proche à mes yeux de cette "feuille commune". En effet la théorie de la relativité décrit la courbure que le temps donne à l'espace. Cette courbure a déjà fait l'objet de plusieurs observations, qui ont d'ailleurs constitué les premières confirmations de la théorie. Je trouve particulièrement stimulant de découvrir une vision des hommes qui rejoint par son imagerie une théorie physique et mathématique. Nous serions tous les membres constituant d'une grande feuille, que nous courberions chacun par notre vie même, influant ainsi sur sa forme, sa tension.

 

Bâti par les autres, ce qu'ils mettent en moi à travers leurs paroles, leurs images, les moments vécus ensemble, je perçois plus fortement l'importance de nourrir ma faculté de porter attention; je sens aussi un socle appartenant au passé qui se désagrège, et auquel je ne peux répondre qu'en acceptant ce déséquilibre engendré, en lâchant prise. La confiance en eux m'aide ici. Et une phrase du film Shakespeare in love, dites par Geoffrey Rush qui rassure Shakespeare lorsque celui-ci, pressentant un désastre pour sa pièce, lui demande -"how will it turn all right ?" - "Nobody knows, it's a mistery".

23/04/2012

Regardons notre pays sans oeillère

oeillerepirate.jpgLe premier tour de l'élection présidentielle a donc livré son verdict. Hollande devance Sarkozy, qui n'à plus qu'à prier à la fontaine Sainte-Geneviève en espérant un miracle s'il veut encore être réélu. Le rapport de force est trop défavorable pour qu'il ait la moindre chance. Ce résultat était attendu, il n'a guère surpris.

 

Ce qui était moins attendu en revanche, du moins par les sondeurs et sans doute par la plupart des gens, dont moi, c'est le score du Front National. 18%, et surtout, surtout, 1 600 000 voix de plus que son père lorsqu'il avait été qualifié au second tour en 2002. 33% de plus. C'est considérable, et très inquiétant.

 

A mes yeux, le premier responsable de cette envolée est Sarkozy. Ca me semble incontestable. Lui et ses lieutenants si occupés à "syphonner" les voix du FN qu'ils n'ont pas compris qu'ils ne faisaient que souffler sur les braises. Enfin pas compris... Le problème est là, ils n'ont agit que par un cynisme ignoble, honteux, contraire aux valeurs de cette République qu'il ne cesse d'avoir à la bouche. "Défendre la République" disent-ils, quand ils ne font que l'affaiblir en dressant les gens les uns contre les autres.

 

Sarkozy, Guéant, Lefebvre, Morano, Copé (j'en oublie sans doute - Note du lendemain : dont Hortefeux !), et bien entendu tous les élus de la droite populaire, n'ont eu de cesse pendant 5 ans de stigmatiser les étrangers, les immigrés, les roms; d'amalgamer musulmans (même ceux qui ne le sont que "d'apparence") et islamistes. La coupe n'a pas été remplie, elle a été remplacée par un tonneau, plein à ras bord. Une honte. Systématiquement défendue, soutenue, encouragée par Sarkozy.

 

Si son attitude était un calcul, il était bien mauvais, et bien stupide. Car comment n'aurait-il pas compris, qu'ayant déçu sur le front de la sécurité, les électeurs proches des thèses frontistes n'allaient pas se laisser prendre une deuxième fois ? Il faudrait vraiment qu'il ait été aveugle au rejet dont il fait aujourd'hui l'objet. Mais je ne crois pas qu'il était aveugle. Je crois que ces idées sont aussi les siennes depuis le début, et que c'est une des raisons qui l'a poussée à les réutiliser lors de cette campagne.

 

Mes craintes vont au-delà de la montée du FN. Car je crois que ce qui est véritablement en jeu, c'est le racisme qui grandit dans notre pays. J'en discutais avec mon directeur récemment, qui me disait qu'il ne partageait pas cette opinion. Qu'autour de lui il ne voyait quasiment pas de gens racistes, que des personnes aux discours modérés, tolérants. Mais mon directeur vis dans le 2è arrondissement de Paris. Le Pen y a fait moins de 5% des voix.

 

Paris aujourd'hui me fait l'effet de New York aux Etas-Unis. Paris est cosmopolite, accueille une part très importante de personnes venant des régions, et de travailleurs ou étudiants étrangers, venant de tous les pays. Des gens dont le niveau de diplôme et de revenus sont supérieurs à la moyenne nationale. Dans notre tradition centralisée Paris est une sorte de phare qui représente la France dans toutes ses dimensions. On dit parfois Paris en lieu et place de la France. On a tort. Profondément tort. La France est au moins autant celle des campagnes que celle des villes. Et précisément, le vote FN vient des campagnes.

 

Je lis régulièrement les nouvelles sur les sites d'informations grand public : Yahoo, les journaux en ligne comme Le Monde, Le Figaro, Libération, ainsi que les "Pure Players" comme on dit. Depuis quelques mois, ma façon de lire les informations que donnent ces sources à changé. Je ne lis en gros que le titre des articles, puis je vais tout de suite aux commentaires. Parce que c'est là que les gens s'expriment. Et qu'ils donnent ainsi à mes yeux une information très importante sur l'état d'esprit de notre pays. Ce d'autant plus que l'effet Internet jouant, les gens souvent "se lâchent", disent le fond de leur pensée sans détours. Et ces commentateurs viennent de partout, de Paris, mais aussi de toutes les régions, campagnes comprises.

 

Il faut lire ces commentaires, aller découvrir ce que disent les gens sous les articles qui parlent de faits divers, ou des sujets autour desquels ont trouve les plus fortes caricatures de débat : l'immigration, la sécurité, le système d'aides sociales. On prend peur au début, mais il faut lire tout ça, entre les commentateurs qui soutiennent ouvertement les actes d'un Breivik (mais oui on en trouve, et pas qu'un), ceux qui amalgament systématiquement délinquance ou insécurité aux étrangers, forcément musulmans, ceux qui réclament le retour de la peine de mort, etc. Il faut le lire parce que c'est ça la réalité aujourd'hui. Les gens qui ont ces idées sont nombreux, très nombreux. Et le racisme lui, va bien au-delà des 18% qui ont voté Le Pen dimanche. Plusieurs études dans les dernières années montraient que les idées racistes dépassaient les 50%. Je n'exagère pas, et je n'invente pas pour la cause de mon billet.

 

Je me demande si le mécanisme des législatives n'a pas jusqu'ici desservit la nécessaire prise en compte de ce que signifie le vote FN. Car il masque complètement ce vote, en ne lui accordant aucun siège. Il nous permet de faire l'autruche, comme le fait que Marine Le Pen  n'ayant pas passé le premier tour fait que les réactions aujourd'hui sont beaucoup moins horrifiées qu'il y a 10 ans. Pourtant la situation est pire. Mais nous sommes incorrigibles. Tant qu'un risque ne nous met pas au pied du mur, nous ne réagissons pas. Nous ne savons agir que dans la pression de necessité, quitte à laisser la situation pourrir jusqu'à être irrécupérable.

 

Alors ne mettons pas nos oeillères cette fois-ci. Regardons le racisme de notre pays en face. Ne le sous-estimons pas. Cela devient à mon sens, de fait, un des défis majeurs que François Hollande, une fois élu, devra relever. Car il est impensable qu'un Président n'agisse pas pour résorber les dissensions qui frappent la population de son pays. C'est quasiment sa fonction première. Une action contraire est une folie.