15/09/2006
Sa raison d'être
Le point de départ, me semble-t-il, de toute la réflexion de Laborit, tient en une phrase synthétique : l’être n’a pas d’autre raison d’être que d’être. Ce que cela veut dire, c’est que l’activité de notre organisme est toute entière dédiée à assurer sa propre conservation dans le temps. Il travaille à tout moment à maintenir ou à retrouver son équilibre, et à faire en sorte qu’il se maintienne dans le temps. Cannon parlait pour désigner cet état que nous recherchons d’homéostasie, Freud évoquait le principe de plaisir, et Claude Bernard indiquait qu’il s’agissait là d’assurer « la constance des conditions de vie dans notre milieu intérieur ».
J’aime bien cette dernière formulation, car elle permet d’envisager les choses de façon très globale. On comprend effectivement à travers elle, que l’équilibre recherché ne concerne pas simplement nos cellules ou nos organes considéré chacun isolément, mais qu’il est un état global qui concerne chaque élément qui nous constitue en tant qu’il participe au tout, à l’ensemble, au système pourrait-on dire, que nous sommes.
On comprend qu’il ne s’agit donc pas que d’un équilibre physiologique, mais également psychologique, ou pour dire cela de façon plus juste, que cet équilibre dépend autant du physiologique que du psychologique. L’un ne va pas sans l’autre. Cela permet de mieux saisir l’importance de notre construction psychologique dans le maintien de notre santé. Nos croyances, nos valeurs, affectent notre ressenti et nos sentiments à chaque moment de notre vie, et nous avons besoin de conserver dans ces aspects la même stabilité que celle recherchée par nos cellules.
C’est pour cela qu’il est fondamentalement mauvais d’agir à l’encontre de ses propres valeurs. Une des sources de stress en entreprise est notamment le fait d’exercer une activité qui nous amène à aller contre nos valeurs. Travailler dans une entreprise d’armement si l’on est pacifiste, chez un producteur de tabac si l’on est anti-tabac, ou, quelque soit le secteur, travailler pour un patron malhonnête. Celui qui se trouve obligé de poursuivre chez un tel employeur allant ainsi à l’encontre de ses propres valeurs génère en lui un déséquilibre qui nuit à l’équilibre de l’ensemble, et est donc susceptible d’aboutir à la maladie.
C’est aussi exactement ça qui intervient dans le déni. Afin de préserver son équilibre psychologique, la personne qui a mal agit finit par nier la réalité de ce qu’elle fait. Elle ne le nie pas de façon mensongère, ce qui signifierait qu’elle resterait consciente de son mensonge, et donc qu’elle n’apporterait pas de solution à son déséquilibre, mais bien de façon parfaitement sincère, c’est-à-dire qu’elle est elle-même persuadée de n’avoir rien fait de mal, ce qui est la seule possibilité de faire perdurer son harmonie intérieure.
Il y a quelques temps, j’avais indiqué chez clic (malheureusement son blog, tentative, n’existe plus) qu’on pouvait trouver là une idée permettant d’expliquer, en partie, le syndrome de Stockholm. Les personnes séquestrées sont mises en situation de très fort déséquilibre. Elles sont l’objet d’une agressivité très forte qui les met en péril. Leur psychisme notamment est attaqué et fait que même si elles ne sont pas brutalisées, elles se sentent mal. Elles ont alors besoin de rétablir l’équilibre psychologique perdu.
Pour cela elles ont besoin de s’auto-persuader qu’elles ne vivent pas une expérience « anormale », mais que d’une certaine façon, tout est dans l’ordre. C’est cette perception d’anormalité qui crée le déséquilibre. Dés lors les victimes vont entrer dans un processus de déni de la réalité, et vont construire une représentation qui redonnera à celle-ci les apparences de la normalité. Pour ce faire, les victimes prennent le contre-pied de la réalité de l’action de leur persécuteur, et se persuader que celui-ci est dans le fond un homme bien. Ils procèdent comme avec une balance de Roberval et mettent sur un plateau un poids similaire à celui qu’il y a sur l’autre, mais qui s’oppose à lui. Et ainsi ils obtiennent l’équilibre.
Mais revenons-en à notre propos initial. Ce qui est intéressant à observer dans les organismes vivants, c’est donc qu’on constate la profonde interdépendance qu’entretient chaque partie avec le tout, et le tout avec chaque partie. Si l’un défaille, il remet en cause l’équilibre des autres et de l’ensemble. Laborit, pour bien en rendre compte, compare l’homme à la machine. Un ordinateur, fonctionne grâce au courant électrique, et à l’information qu’il contient. S’il ne contient pas d’information, il n’a pas de fonctionnement, et s’il n’a pas de courant, il s’arrête. Mais dans ce cas, il ne perd pas les informations qu’il a pu stocker avant. Et il suffit de le rebrancher pour qu’il fonctionne à nouveau.
Chez l’homme, cela est impossible. Toute sa structure fonctionnant comme un tout qui assure à chaque moment la pérennité de l’ensemble et celle de chaque élément qui la constitue, il est inenvisageable de lui couper sa source d’énergie (qui est l’énergie solaire). On remarquera toutefois, que notre organisme change au cours du temps : nous grandissons, nos cheveux changent de couleurs, nos cellules se renouvellent, etc. Mais ce qui reste invariable, c’est la structure qui soutien l’ensemble, c’est-à-dire les relations qu’entretiennent entre elles les parties de l’ensemble. La finalité d’un organisme vivant, dit Laborit, est le maintien de sa structure. On comprend bien avec cette formulation que l’équilibre de l’organisme vivant ne peut donc qu’être atteint que si chaque partie assure son équilibre, contribuant ainsi à assurer l’équilibre de l’ensemble, et si l’ensemble agit pour contribuer à l’équilibre de ses parties.
Il faut bien mesurer l’importance de cette idée, et l’impact qu’elle a sur la compréhension de nos comportements. Notre propre finalité est d’abord de maintenir notre homéostasie. Ce n’est pas de devenir avocat, médecin, mère, de voyager en Australie, d’offrir la soupe populaire, etc. Préalablement à toutes nos actions, quel qu’elles soient, il y a ce besoin auquel nous répondons de maintenir notre équilibre interne. Quand on a bien compris ce que cela implique, on se dégrise de pas mal de fausses idées sur soi-même.
13:10 Publié dans Un peu d'analyse comportementale | Lien permanent | Commentaires (5) | Facebook |
Commentaires
Plusieurs remarques sur cette analyse :
- l'énoncé de Laborit (tout au début) se suffit à lui-même, et celui de Cannon est équivalent. Celui de Claude Bernard également, bien qu'il soit moins précis puisqu'on peut y voir des conditions de vie aussi bien psychologiques que physiologiques, alors que je ne pense pas que Bernard ait jamais pensé au psychologique. Par contre, je ne vois pas ce que le "principe de plaisir" vient faire ici, j'ai l'impression qu'il arrive comme un cheveu sur la soupe, sans justification ;
- ceci vous permet de vous engouffrer dans la brèche, en vous focalisant, à mon avis un peu trop, sur les aspects psychologiques qui, à mon avis n'ont pas lieu d'être. En effet, comme cela est d'ailleurs très bien dit et montré dans vos différents billets récents sur le sujet, l'homme est D'ABORD un mammifère, c'est sa caractéristique fondamentale, bien avant tout ce qui concerne le mental. Et tout ce que l'on dit sur le mental, le psychologique, sont à mon sens d'abord des écrans de fumée pour cacher ce fait et mettre en valeur l'intelligence de l'homme, ce qui est plus valorisant, alors qu'en fait tous ses actes visent D'ABORD à subsister et se reproduire en tant qu'espèce ;
- au sujet des valeurs, certes nous en avons, mais contrairement à manger, boire, rester en vie et se reproduire, qui sont des invariants naturels, les valeurs de l'homme sont variables selon les lieux, les populations, l'époque. Les valeurs sont des inventions de l'homme. La nature n'a pas de valeur, pas de morale, uniquement des impératifs ;
- je crois cependant, mais c'est sans doute une autre discussion, que le vivant a des propriétés qui dépassent le simple mécanisme, même si celui-ci est très complexe. En bref, cela veut dire que chez les organismes vivants, le tout dépasse la somme des parties, alors qu'un robot, même très perfectionné, n'arrivera pas à cela. Je dis cela en me restreignant au seul aspect matérialiste des choses, c'est à dire en excluant même le psychologique. Mais ici, je n'ai pas pour l'heure d'argument convaincant pour soutenir cette thèse, qui est donc simplement l'expression de mon opinion.
Pour finir, je dirai pour suivre votre conclusion, en allant encore plus loin, que l'homme aurait bien besoin de faire preuve de plus de modestie quant à sa place dans l'univers, en commençant par se rendre compte qu'il n'est d'abord qu'une espèce vivante parmi d'autres, et que son intelligence n'est qu'une caractéristique assez secondaire pour sa survie.
Écrit par : Jean-Jacques | 17/09/2006
Dans le cas d' une personne handicapée, l' équilibre tel que vous le décrivez peut-il être atteint ?
L' équilibre physiologique peut-il être compensé par l' équilibre psychologique?
L' homeostasie peut-elle vraiment exister?
La théorie que vous développez me pose un réel problème et en même temps elle répond à beaucoup de mes questions en tant que maman d' un enfant handicapé ...
J' ai bien peur que mon fils n' atteigne jamais cet équilibre !
Écrit par : Catherine | 08/10/2006
Catherine
Je suis bien peu à l'aise pour vous apporter des éléments de réponse. La situation de chacun est faite de tant de choses qui la complexifie qu'il est toujours ardu d'en faire une analyse avec seulement quelques parties de ce qui la compose.
Je crois tout de même qu'une certaine homéostasie est atteignable, même si d'une certaine façon, votre intuition me semble également juste, à savoir que l'on reste toujours plus ou moins en quête de celle-ci: pour réconcilier ces deux visions, je dirai que probablement recherchons nous toujours un niveau d'homéostasie supérieur à celui qu'offre notre situation, mais cela ne signifie pas que cette dernière ne nous offre pas déjà l'essentiel pour être heureux.
Concernant votre fils, et plus généralement concernant la situation d'un handicapé, je crois tout à fait possible que ceux-ci parviennent à trouver eux aussi un équilibre de vie. On peut imaginer que cet équilibre sera plus fragile si le handicap est plus grand, mais ça ne me paraît toutefois pas être une règle absolue. En fait, dans ces situations on en revient un peu à une autre idée que j'ai indiquée dans d'autres billets: une situation nous affecte en grande partie en fonction de la façon dont nous la percevons, et donc, en fonction de la représentation que nous en avons. Une famille qui tiendrait le handicap comme un signe d'infériorité se trouverait totalement paralysée si l'un de ses membres en était soudain affecté. Une autre où une personne travaille de façon régulière dans un milieu hospitalié saura sans doute y apporter des réponses plus adéquates. Mais évidemment, on ne supprime pas le handicap avec des sourires, et les contraintes physiques et pratiques qu'il impose ne sont pas contournables, ou difficilement.
Je voudrais tout de même vous suggérer un petit conseil, très humblement puisque je ne connais en fait rien de votre situation réelle. Si vraiment vous avez le sentiments que votre fils ne pourra jamais atteindre un bon équilibre de vie, tâchez de ne pas lui faire sentir ce sentiment négatif que vous avez. Les gens, quelques soient les circonstances dans lesquelles ils sont, se construisent en très grande partie en fonction de l'image que leur entourage, en particulier le plus proche et donc la famille, se fait d'eux. Si votre fils perçoit en vous cette image négative que vous avez de sa situation, il est possible qu'insidieusement, il cherche à s'y conformer afin de ne pas "décevoir" l'image que vous avez de lui.
Je vous souhaite en tout cas de trouver le courage de vivre tout cela le mieux possible, et de découvrir le chemin qui vous donnera votre part de bonheur (ne vous déséspérez pas si vous avez l'impression de chercher sans arrêt, nous faisons presque tous pareil, pour nous apercevoir parfois seulement après que nous avons été heureux).
Écrit par : pikipoki | 13/10/2006
Cher Pikipoki !
Merci de votre aide, vous me donner des pistes de réflexion sur ma recherche du bonheur !
Ce qui est bon pour moi ne l' est pas forcément pour mon (mes) enfant(s) et vous avez raison Yoann trouvera son propre équilibre, sa raison d'être .
"Une situation nous affecte en grande partie en fonction de la façon dont nous la percevons..." Je m' en suis rendue compte, je n'ai jamais eu honte de mon fils et ses soeurs ont suivi le même chemin.
Par contre c' est vrai que je n' explose pas de joie du fait que mon fils soit handicapé...
"Si votre fils perçoit en vous cette image négative que vous avez de sa situation, il est possible qu'insidieusement, il cherche à s'y conformer afin de ne pas "décevoir" l'image que vous avez de lui." Merci d' insister sur ce point, c'est en effet primordial même si j' ai tendance parfois à l'oublier!
Je retiendrai une chose, la réalité restera inchangée mais mon regard sur cette réalité peut encore évoluer.
Encore une fois merci pour cet échange.
Écrit par : catherine | 15/10/2006
Merci à vous
Écrit par : pikipoki | 16/10/2006
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