07/12/2015
On en est là ?
Par quelle colère, par quelle tristesse commencer ?
Quand je lis les échanges, les "débats" - enfin en France on appelle débat les joutes verbales où le seul objectif semble être de couper la parole et de se dresser au-dessus des autres - j'ai bien du mal à trouver un positionnement qui ressemble à un début de solution. Trois semaines après les terribles événements qui ont ébranlé Paris et la France, qui m'ont ébranlé comme jamais je ne l'avais été auparavant, nous - parce que nous devons dire nous - confirmons notre disposition collective à livrer notre pays au parti qui lui promet le pire, le Front National.
Nous devons dire nous parce que nous avons besoin d'agir de façon responsable, ce qui passe par ne pas se contenter de désigner des coupables, mais aussi d'identifier nos responsabilités, et donc nos zones d'action pour améliorer les choses.
Pourtant avant, j'ai moi aussi envie de céder à la recherche des responsables. Et nous avons l'embarras du choix non ? Le Front National et ses leaders cyniques qui pour obtenir le pouvoir sont prêts à répandre la peur et la haine ? Leurs électeurs, qui semblent bien souvent mêler la misère de leur vie à leur pauvreté intellectuelle ? Les abstentionnistes, des fainéants qui n'ont rien compris ou des personnes éduquées dégoûtées par l'offre politique actuelle ? Ou encore les politiques qui justement incarnent la décrépitude de cette offre et ne proposent plus depuis bien longtemps de projet valable ? Dans cette profusion de possibilités chacune et chacun semble choisir son ennemi et la personne à désigner à la vindicte. C'est un sport national de fonctionner ainsi.
J'aimerais être au-dessus de ça. J'aimerais vous dire qu'il nous suffirait d'habiter dans 95% des autres pays du monde pour trouver que nous avons une chance folle d'être là où nous sommes. J'aimerais vous rappeler que les grands indicateurs du monde s'améliorent : espérance de vie, pauvreté, faim, niveau d'éducation (en particulier chez les filles qui représentent un enjeu majeur). Hans Rosling apporte quelques données sur ces points dans une conférence TED. Ou vous citer les chiffres de Stephen Pinker dans une autre conférence TED qui démontrent de façon factuelle que la violence diminue de façon forte quasiment partout dans le monde. On pourrait, on devrait sans doute, se concentrer sur toutes ces bonnes nouvelles que personne ne voit jamais passer.
Mais j'avoue que moi aussi j'ai envie de parler des coupables. Parmi ceux que j'ai cité, il y en a deux pour lesquels je trouve certains reproches idiots. Je commence par les électeurs du FN, que je vois souvent moqués pour leur manque d'éducation, leurs fautes d'orthographe, leurs réflexion bas du, hum, front. Ok super. Nous qui avons eu la chance de pouvoir suivre des études supérieures avons un boulevard pour nous foutre de leur gueule. Et quoi de plus satisfaisant hin ? Ah on me souffle qu'il n'est pas possible non plus de ne pas les considérer comme responsables de leur vote. Je suis d'accord bien sûr. Et j'ajoute que la solution n'est pas de les pointer du doigt mais d'agir sur l'éducation, de l'ouvrir à de nouvelles méthodes plus collectives et de réformer l'accès aux formations de haut niveau encore trop souvent réservées aux gens bien nés.
Poursuivons avec les abstentionnistes. Les imbéciles qui se contentent de dire "on s'en fout" n'ont à mon avis rien compris à ce qui crée les conditions de leur vie au quotidien et qui leur permet de dire cela tranquillement sans se soucier des conséquences de leurs actes. Cependant que répondre à ceux qui se disent dégoûtés par l'offre politique actuelle ? Dégoûtés par les avantages anormaux des élus, par la corruption, par les promesses non tenues, par le décalage à mes yeux de plus en plus sidérant entre leur vision du monde et ce qu'il est réellement ? J'ai encore en tête le documentaire sur Hollande, qui montrait les valets en gants blancs l'annoncer à chacune de ses entrées dans une salle, comme on procédait au temps des rois. Les mecs sont complètement à côté de la plaque et on peut se demander s'ils en ont seulement un tout petit peu conscience. Il y a quelque chose de choquant à ce qu'après avoir tant défailli certains personnages politiques remettent dans nos mains la responsabilité des événements. C'est à nous d'agir de façon responsable puisqu'ils n'ont pas su le faire. Gloups. Et il y a quand même depuis hier soir des cas de conscience vraiment moches. Imaginer les électeurs raisonnables de la région PACA devoir choisir entre Estrosi et Le Pen suffit à prendre la mesure de l'effort que l'on demande à certains.
Les plus coupables à mes yeux sont ailleurs. Il y a d'abord les médias qui ont profité de lectures supplémentaires promises par les articles sur le FN et ses thématiques habituelles. Ils sont bien placés pour savoir que l'odeur de la crasse et du sang attire plus sûrement la foule que celle des rosiers en fleurs. Ils sont responsables de leurs choix éditoriaux, et ils savent l'impact qu'ils exercent encore sur l'opinion des gens. Ils agissent en connaissance de cause ou alors ils se moquent du monde.
Ensuite, il y a les politiques. Nous souffrons d'une offre politique qui n'a plus d'envergure, qui tourne sur elle-même, avec un personnel qui fonctionne en vase clos, qui profite d'un système qui en empêche le véritable renouvellement. Nous sommes au bout de cette logique. Enfin j'aimerais croire qu'ils le voient, j'ai peur d'être optimistes à ce sujet quand j'entends les premières réactions officielles suite au vote d'hier.
Les pires parmi ceux-là selon moi ce sont Sarkozy et ceux qui le suivent encore. Ils ont pendant les 5 ans de son quinquennat mis la poudre dans le revolver que nous utilisons pour voter FN et nous tirer une balle dans le pied depuis les Européennes. Car à mes yeux Gramsci avait raison. La culture précède l'exercice du pouvoir. Le vote FN est l'arbre qui cache la forêt. Les élections agissent comme un effet d'aveuglement à grande échelle. Nous focalisons notre attention sur la prise du pouvoir, désormais de plus en plus réelle, du FN. Mais leurs idées avaient déjà gagné avant. Elles ont été largement popularisées, répandues par Sarkozy à travers sa "ligne Buisson". Et c'est là qu'est notre vrai risque. C'est là que nous devons agir en priorité.
Pour cela, nous avons besoin de pédagogues, de politiques qui nous parlent enfin comme à des adultes, en nous disant ce qui est possible, ce qui ne l'est pas, pourquoi, combien de temps chaque réforme doit prendre pour être réellement efficace.
Le plus cocasse c'est que le mouvement de transformation du pays a lieu. Dans les entreprises, dans les start-up, à travers les mouvements associatifs, tout bouge et à une vitesse vertigineuse. Je le vois dans mon métier, je me sens même dépassé par moment alors que je suis plutôt bien ancré dans ces mouvements par rapport à tant d'autres. Je reste optimiste parce que j'observe que ces évolutions sont dans la logique historique des choses. Elles me semblent inéluctables, pour le meilleur. Mais quelle désolation de voir que l'état qui devrait jouer un rôle de facilitateur et d'accélérateur de ces évolutions est au contraire en train de les empêcher !
P.S : j'ai choisi un dessin de l'excellent Vidberg comme illustration, moins drôle que d'habitude, allez quand même le voir en grand :)
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