19/08/2005
Le piège des inférences
Billet précédent de la série
Passons maintenant au plat de résistance de cette deuxième partie. Dans notre compréhension des autres il n’y a pas que nos conditionnements qui nous handicapent. Il y a également l’usage malhabile que nous faisons parfois (voire souvent) des inférences (si le lien ne fonctionne pas - il ya semble-t-il des problèmes avec les mots avec accent - allez sur Wikipédia et tapez inférence en recherche). Pour ceux qui ont la flemme de suivre le lien, une inférence c’est simplement l’opération mentale qui nous fait établir un lien logique entre deux choses, et tirer des conclusions en conséquence de cette logique établie.
Par exemple, si vous voyez une alliance au doigt d’une personne que vous rencontrez, vous en conclurez naturellement que cette personne est mariée. Et si un enfant s’approche d’elle et lui dit : « maman », alors vous vous direz qu’elle a aussi des enfants, en tout cas au moins celui qui vient de lui parler. Jusque là rien d’incroyable. Et pourtant vous venez peut-être sans le savoir d’être victime de conclusions hâtives. Cette femme porte une alliance et donc elle est mariée ? Que nenni, elle est déjà divorcée mais reste encore trop amoureuse de son ex-mari pour se défaire de l’insigne métallique qui symbolisait leur union. Un enfant vient la voir et l’appelle, maman, donc c’est son enfant ? Que nenni également, en fait c’est juste sa nièce qui a tendance à appeler toutes les femmes maman, et tous les hommes papa.
Les inférences donc, lorsqu’elles sont utilisées mal à propos nous font conclure trop rapidement sur certaines choses et brouillent la compréhension que nous en avons. On pourra rétorquer, toutefois, en revenant sur mes deux exemples précédents, que dans un très grande majorité de cas, nos conclusions disant que cette femme est mariée et a au moins un enfant seront avérées. Et si on se trouve dans la position d’un éventuel prétendant, on aura fort intérêt dans une situation similaire à sortir le rasoir d’Occam pour dire : « il est extrêmement plus probable que la première conclusion soit la bonne, et il est donc plus raisonnable ne plus y penser pour ne pas se berner d’illusions ».
Mais prenons un autre exemple qui sera peut-être plus parlant. Celui des croyances paranormales et des superstitions. Pour une personne superstitieuse, un trèfle à quatre feuilles ou un fer à cheval apporte la chance. C’est pour elle une croyance profondément ancrée, et qu’elle vérifie d’ailleurs souvent dans son quotidien. L’autre jour alors qu’elle est allé au marché elle a vu un trèfle dans une boite à chaussure d’un marchant (me demandez pas comment il est arrivée là, j’en sais rien). Et juste après, pop ! Un billet de 5 euros par terre ! Et il y a eu aussi l’autre fois où sans faire attention elle est passée sous l’échelle qu’elle avait installé dans sa chambre pour refaire la peinture. Une heure plus tard elle renversait la vaisselle dans la cuisine. Si ça c’est pas une preuve !
Que se passe-t-il dans l’esprit de cette personne ? Elle a pré supposé qu’il existe des éléments extérieurs qui apportent ou enlèvent la chance. Et elle a remarqué une concordance entre ces présupposés et certaines expériences qu’elle a vécu. De là à conclure que donc ces présupposés sont vrais, il n’y a qu’un pas qu’elle franchit allègrement. Ce qu’elle ne saisit pas correctement dans cette affaire, c’est que dans le fond elle a conclut avant même d’observer quoi que ce soit qui rend valables ces conclusions. Et elle confond concordance d’évènements et liens logiques.
Un autre exemple qui me semble encore plus parlant, et qui pour être clair m’est arrivé. Imaginons un groupe d’amis qui pour s’amuser décident un soir de faire une tentative de spiritisme. Le soir venu, ils se retrouvent tous dans l’appartement de l’un d’entre eux, éteignent les lampes électriques et installent quelques bougies. Puis ils se regroupent autour d’une table ronde sur laquelle ils posent une tasse à café, sur laquelle chacun dépose délicatement son doigt sans appuyer (je suis précis z’avez vu ?). L’objectif est de contacter les esprits et de leur poser des questions auxquels ces derniers pourront répondre en faisant bouger la tasse sur une feuille de papier où on a préalablement écrit les lettres de l’alphabet, des chiffres, enfin ce qu’on veut après tout. L’expérience commence. Tout le monde est très concentré, même ceux qui n’y croient pas, parce qu’ils veulent se prouver sérieusement que tout ça c’est des balivernes.
Mais quelques instants plus tard, ils font moins les malins. Car la tasse bouge ! Nondidju elle bouge ! Il faut donc se rendre à l’évidence : les esprits existent bel et bien, et en plus ils parlent notre langue ! Mais là, un des participants, vous, qui avez lu ce billet (je prends un peu la grosse tête là peut-être… ?), rétorque aux autres :
« Les gars vous êtes tous victimes d’une inférence mal placée. Moi je dis que si la tasse bouge, c’est à cause des aliens, voire peut-être de l’ongle incarné qui me démange depuis ce matin. »
« Mais enfin, qu’est-ce que tu racontes? C’est ridicule ce que tu dis ! »
« Pas plus que ce que tu dis toi. La tasse bouge ? Et alors ? »
Oui, et alors ? Revenons au processus mental qui fait conclure que si la tasse bouge c’est bien que les esprits existent. L’idée de l’existence des esprits est quelque chose de très ancien. Ca fait un peu partie de ces sujets sur lesquels nous sommes tous amenés à nous positionner : les esprits existent ou n’existent pas, les fantômes existent ou pas, etc. Le paranormal c’est vrai, ou c’est des histoires. Bref, c’est un sujet qui fait partie des tartes à la crème populaires. Du coup l’inférence dont sont ici victimes nos amis imaginaires est très coriace à défaire. Parce que la conclusion (les esprits existent) qui suit le phénomène observé (la tasse bouge) est admise a priori comme la seule possible. Si jamais la tasse bouge, il leur sera impossible de conclure à autre chose qu’à l’existence des esprits. Ils se sont tous piégés à l’avance. Ils ont établit leur conclusion sans admettre la moindre possibilité qu’autre chose puisse exister.
Mais si l’on prend le recul nécessaire à l’analyse de cette situation, il n’existe en réalité absolument aucun lien logique qui permette de conclure raisonnablement que si la tasse bouge c’est qu’elle est mût par les esprits qui entrent en contact avec nous pour s’occuper un peu. Aucun. On peut très bien, à l’instar du récalcitrant dans notre exemple, supposer que c’est en fait l’action télékinésique des amis d’E.T qui est en jeu, ou le battement d’aile d’un papillon volant à Tokyo, ou (mettez ici n’importe qu’elle idée saugrenue qui vous passe par la tête, ça fera très bien l’affaire). Et dans cet exemple le rasoir d’Occam ne nous sera absolument d’aucune utilité. Bien au contraire même ! Car si on réfléchit quelques instants, on s’aperçoit qu’il est clairement plus simple et probable d’expliquer le phénomène par la forme de transe dans laquelle les participants se sont mis, l’énergie, même faible que chacun imprime à la tasse avec son doigt, etc. que d’expliquer qu’en fait les esprits de nos ancêtres circulent dans un entre-deux impalpable et parviennent par des voix mystérieuses à nous entretenir des choses de la vie.
Mais redescendons un peu sur Terre et maintenant que, je l’espère, la notion d’inférence et des pièges que celles-ci peuvent recouvrir est claire pour tout le monde, revenons à un exemple plus près de notre réalité quotidienne. Nous avons très souvent tendance à être pareillement victimes d’inférences lorsque nous débattons de sujets importants ou qui portent une charge émotionnelle forte. Le débat qui a eu lieu (et qui continue toujours, chouette :o) sur l’Europe et en particulier sur le TECE en a fournit de très nombreux exemples. Les camps se sont radicalisés, chacun s’est positionné dans l’un ou l’autre et on a rapidement vu des comportements absolutistes qui faisaient attribuer à n’importe quel partisan d’un camp tous les défauts que l’on pouvait trouver dans ledit camp. Un noniste dès qu’il avait prononcé le mot «plombier» était quelqu’un de xénophobe, d’intolérant, un homme de la rue sans réflexion incapable de choisir intelligemment son vote et qui aurait mieux fait de laisser ça à son député, et un ouiiste, à peine avait-il évoqué la notion de marché et/ou de concurrence qu’il devenait un type sans état d’âme, un néolibéral (ou ultra-libéral ? ou juste libéral ?) bref un diable bushiste ne pensant qu’à s’enrichir et à accaparer le pouvoir, et bien sûr sur le dos des défavorisés.
Alors que l’analyse des causes du chômage (dans quelle mesure les délocalisations et l’idée de « droit du pays d’origine » mettent-elles en péril les économies nationales ?), le projet économique de l’Europe (quel voie suivre : plutôt libérale ? Au contraire? Comment faire évoluer des systèmes qui ont besoin de modernisation ? etc.), tous ces sujets là méritaient d’être posés et analysés, et si l’on n’était pas tant tombé dans la caricature de part et d’autre sur certains sujets il en serait ressorti beaucoup plus d’avancées.
Apprendre à détecter ses inférences c’est ça. C’est savoir repérer à quel moment on est dans la surinterprétation, c’est savoir ne pas prêter à l’autre des idées ou des intentions dont il n’a pas fait foi, sous le seul prétexte qu’on trouve que « ça va avec ». C’est venir avec une véritable ouverture a priori pour les arguments de l’autre, c’est mesurer les automatismes de raisonnement que l’on a tendance à faire, et savoir les remettre en cause pour mieux comprendre ce qui se passe dans l’esprit de l’autre.
Et par cette voie, on découvre les prémisses de l’empathie.
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P.S: je fais des jolis dessins sur excel, non?
18:10 Publié dans Un peu de développement personnel | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |
Commentaires
J'aimerais être capable d'écrire comme je pense, long mais facile à lire, bravo.
Ah l'empathie, ce n'est pas la 'chose" la plus courante que l'on rencontre.
Écrit par : Quoique | 19/08/2005
L'empathie fera l'objet de mon dernier post sur le thème de la communication et de l'écoute. C'est celui qui m'intéresse le plus.
Au passage, z'avez vu mon travail de transition d'un sujet à l'autre ? Hin, Hin ? :o)
Écrit par : pikipoki | 19/08/2005
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