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17/03/2010

La télé n'a rien à voir là dedans

Le jeu de la mort.jpgCe soir la télévision nous a donné à voir un spectacle assez spécial en la matière d'un jeu dans lequel une série de candidats doivent infliger des décharges électriques progressives à un comparse afin, pensent-ils, de remporter une forte somme d'argent. Mais le comparse n'est en réalité qu'un acteur, auquel l'ensemble du système mis en place n'inflige absolument aucune torture, l'objet de l'expérience étant censemment de tester la niveau d'obéissance ou de résistance des candidats. Et France 2 de nous annoncer que cela permet de mesurer l'influence de la télévision sur nos comportements.

 

Je n'ai vu que la fin du "jeu", et ne sais pas donc s'il a été mentionné au début de l'émission que cette expérience n'a rien de révolutionnaire ou d'innovante puisqu'elle est en réalité l'exacte réplique de l'expérience réalisée par Stanley Milgram entre 1960 et 1963, expérience reprise avec beaucoup de talent et de précision dans le film I comme Icare. L'expérience de Milgram est particulièrement intéressante, et ses conclusions font frémir car elles sont implacables quant-à notre nature et notre propension à agir comme des bourreaux face à des personnes qui ne nous ont rien fait. Elle démontre de façon très claire qu'en l'homme la barbarie n'est jamais loin, que les régimes totalitaires ne sont pas le fait d'individus si anormaux que cela, et surtout qu'ils se sont toujours appuyés sur une grande majorité de personnes "normales" qui ont accepté sans réchigner de réaliser des besognes infâmantes.

 

Mais je dois dire que je suis par ailleurs franchement énervé de la présentation faite par France 2, et en particulier du rôle présenté comme majeur de la télévision dans le comportement de docilité dont font preuve la majorité des candidats de l'émission. Soyons clairs sur ce point : aucun éléments scientifiques sérieux ne vient étayé la thèse que c'est la télévision qui mène les candidats à accepter de suivre ces ordres inhumains. Aucun. Milgram, que je sache, n'a pas mené son expérience dans le cadre d'un jeu télévisé, et à aucun moment ce soir il n'est expliqué, ni même envisagé d'etre expliqué, en quoi ce "jeu de la mort" diffère de l'expérience de Milgram et donc quels pourraient être les critères qui permettraient d'isoler le rôle de la télévision par rapport aux autres facteurs d'obéissance.

 

La conclusion de l'émission est donc parfaitement gratuite, sans aucune valeur, et l'on est bien obligé d'admettre en conséquence qu'elle ne s'appuie que sur une volonté de sensationnalisme, ce qui témoigne d'une perversité sans nom.  Ainsi, on ressort de cela sans aucune idée de l'influence réelle de la télévision sur nos comportements ni en particulier sur notre capacité d'obéissance, mais avec des convictions plus fortes sur sa capacité à tirer sur n'importe quel fil pour faire du spectacle et du sensationnel. Avant toute autre chose, elle nous en dit ainsi beaucoup sur la perversité à laquelle elle n'hésite pas à s'adonner.

 

Quel dommage tout même, quel gâchis, sur un sujet qui mériterait tant de réflexion et d'honnêtes interrogations.

Commentaires

Je suis en train de regarder, en différé, en même temps que je surfe.

Comme quelques rares personnes, je connais depuis longtemps Milgram, I comme Icare etc...

Et je dois dire que ton jugement est un peut à l'emporte pièce. Je ne sais pas si sur la fin ou dans le débat, ils insitent lourdement sur la télé et se regardent le nombril, mais pour ce que j'en ai vu, les commentaires et le recul qui est pris, le coté "on démontre que la télé l'autorité qui nous ferait faire vraiment le pire" est largement derrière le coté "l'autorité est un mécanisme qui peut aussi être incarné par la télé, mais on vous présente tout avec du recul et des références sérieuses". Il y a un travail sérieux derrière, sur un gros échantillon, avec publications et tout et tout. Du lourd par rapport à ce qu'ils auraient pu en faire.


Pour moi, c'est pas du tout un gâchis, la réflexion est bien développée. J'ai certainement un biais de CSP+ cultivé, mais je trouve qu'une lecture premier degré "on mesure l'influence de la télé" disparaît rapidement derrière une reflexion globale de l'autorité.

Mais je comprends qu'on ta vision. Et moi comme toi n'avons pas vu l'intégralité, donc à biais, biais et demi :)

En bref, et pour moi, une bonne popularisation de la sociologie, certes aguicheuse dans ses accroches, mais putain, qu'est ce que ça fait du bien de voir ça en prime time sur la deux !

Écrit par : Toto | 18/03/2010

Bonsoir Toto,

En fait je suis forcé de confesser que je n'ai vraiment vu qu'une partie du jeu. Mais j'ai vu des pans entiers qui en faisaient à mes yeux des tonnes sur le côté "c'est la faute de la télé", et quand j'entends des spécialistes abonder dans ce sens alors que sur cette influence particulière il n'y a rien de sérieux qui soit avancé, ça m'agace. Ceci étant votre commentaire et votre remise en perspective de mon approche sont justes, et je vous en remercie.

Écrit par : pikipoki | 18/03/2010

Biiiip
La bonne réponse était "psychologie sociale" ;), non pas sociologie (c'est le privilège du psychologue que de défendre ses plates bandes)

De suite, pardon pour ce long commentaire.

Le problème, à mon humble avis, pour ce genre d'émission, tient autant à la voix-off qui en fait des caisses pour arguer que la télévision est mauvaise (à des gens captivés qui sont en train de regarder une émission...de télévision, vive la dissonance cognitive, mais passons) qu'à l'absence d'un débriefing sérieux sur ce qui vient d'être montré et à fortiori sur l'expérience de Milgram en elle-même.

Car il ne faut pas oublier que l'expérience présentée dans les facultés s'inscrit dans un vaste cours sur l'influence de groupe, ou sur la soumission à l'autorité, ce à quoi la majorité des gens n'est pas sensibilisé.

Et le spectateur (pas nécessairement CSP+, il y a des CSP+ incapables de tirer un enseignement sérieux de ce genre d'expériences, ne pas confondre CSP et assimilation des principes éthiques et moraux serait un plus) qui se prend CE message dans la figure, et qui n'a pas les armes psychologiques ou philosophiques pour le décortiquer et le comprendre, je le plains.

Là où les différents intervenants se sont trompés en mettant en avant la télévision, c'est qu'elle "est" une entité indépendante ayant un pouvoir, alors qu'elle n'est qu'un médium d'informations centralisées. Ce sont les hommes qui la composent qui sont à surveiller, rien de plus.

D'où la petite affaire entre Christophe Hondelatte et le rédacteur en chef de Philosophie Mag.

Je vous rejoins dans le fait que rien de sérieux n'a été dit sur l'influence de la télévision, mais ceux qui y officient ont tendance à se prendre pour des anges, d'où un des contre-feux allumés hier soir sur "les horreurs d'Internet où tout le monde est écrivain, journaliste, éditorialiste, etc".

Cette remarque est intéressante car elle sous-tend, en attaquant un autre médium d'informations (décentralisé mais de moins en moins) la justesse des critiques adressées à la télévision par le mécanisme de condensation-déplacement cher à beaucoup de cliniciens, avec un merveilleux "allez voir ailleurs si j'y suis", la personne ayant sorti ceci officiant également, devinez où ? ... sur Internet, par le biais de ses éditos et chroniques.

Comme l'a dit David Abiker qui participait à feu Arrêt sur Images (TV), la télévision n'a pas le recul nécessaire pour une auto-analyse.

Il reste qu'elle participe de l'éducation de nos enfants, et qu'elle use et abuse de la psychologie cognitive pour un meilleur temps de cerveau disponible.

Pour finir, je vous laisse avec ceci : je ne connais que peu de monde capable de réciter des sonnets appris à l'école; je connais énormément de gens capables de me rendre compte mot à mot des publicités et émissions de son enfance.

Écrit par : Vince | 18/03/2010

Effectivement le début de l'émission vous manque...
Le protocole de l'expérience a été soigneusement et explicitement mis au point pour coller au plus près de Milgram dans tous les détails. Les cris préenregistrés de la "victime" sont par exemple une traduction fidèle de l'expérience d'origine. La seule différence : le public, les caméra. L'expérience de Milgram permettait de tester l'autorité incarnée par un scientifique (a priori une autorité légitime). Il s'agissait de savoir si l'autorité d'une présentatrice de jeu télévisé serait égale. Elle s'est finalement avérée supérieure.
Enfin les "candidats" étaient censés participer à une emission test et donc sans gain financier. Un petite indemnité équivalente à celle que versait Milgram leur était remise avant le début du "jeu"

Écrit par : Melvill | 18/03/2010

Vince
Merci beaucoup pour ce commentaire très riche.

Melvill
Qu'est-ce qu'il y a de précis qui démontre que l'autorité de la présentatrice s'est avérée "supérieure" à celle du scientifique de l'expérience de Milgram ? A mon sens on ne peut pas conclure cela de façon sérieuse. Parce qu'il y a d'autres éléments modifiés, comme la présence et l'utilisation du public pour influencer les candidats par exemple.
En bonne psychologie, une expérience sérieuse doit permettre d'isoler les facteurs les uns des autres pour tirer des conclusions valables. C'est tout le défaut que j'ai vu dans cette émission qui mettait en place un système avec plusieurs facteurs mais qui les analysait par la suite isolément pour leur donner à chacun une valeur spécifique. C'est cela qui est le plus critiquable dans leur démarche.

Écrit par : pikipoki | 19/03/2010

Je suis d'accord pour dire qu'il est difficile de tirer des leçons des résultats chiffrés dont on a vu qu'ils pouvaient varier énormément avec le départ de l'animatrice
il est d'ailleurs dommage qu'on ait focalisé sur le rôle de la télé alors qu'on avait l'occasion de faire connaître une expérience fondamentale des sciences sociales, que manifestement aucun candidat ne connaissait !

Écrit par : verel | 19/03/2010

Verel,

yup en effet, dommage. J'ai par ailleurs lu ton billet sur le sujet et je partage également tes commentaires.

Écrit par : pikipoki | 20/03/2010

u sujet de cette émission, je vous renvoie à l'article de Miguel Benasayag,philosophe et psychanaliste, torturé dans les geoles argentines : intitulé "comment devenir un bourreau ," il ouvre une piste de réflexion très pertinente et hélas fort d'actualité au vu de l'individualisme ambiant.

http://www.temoignagechretien.fr/articles/article.aspx?Clef_ARTICLES=1673&Clef_RUBRIQUES_EDITORIALES=1

Écrit par : Anne | 07/04/2010

Excusez moi de demander ça ici et après tant de temps, mais je pensais que l'expérience de Milgram dans son protocole originel avait été interdite ?
il me semblait qu'on avait plus le droit de mener cette expérience car elle était trop traumatisante pour les "bourreaux" quand ils se rendaient compte de leurs actes ...
Lobby de la TV ? ? ? N'y avait-il pas de moyen moins violent de démontrer l'influence de la télévision ?

Écrit par : Ofi | 12/08/2010

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