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08/08/2005

Etre, faire et avoir

Le bouddhisme tibétain connaît depuis plusieurs années, nous dit-on, un intérêt croissant chez les populations occidentales désireuses de donner à leurs vies un souffle spirituel nouveau et de trouver un sens moins matérialiste à leurs existences. Or, parmi les enseignements que l’on rattache souvent au bouddhisme (mais je reste prudent quant à cette prétendue filiation, je n’ai rien trouvé qui me la confirme), on trouve une idée qui me semble importante, et qui à elle seule suffit pour occuper de longues méditations : la règle des 3 R : respect de soi-même, respect des autres, responsabilités de ses actes.

 

Je me propose aujourd’hui de vous soumettre une idée apprise en gestion du stress, en essayant de l’articuler avec cette règle des 3 R.

 

L’essentiel tient en une phrase : Je ne suis pas ce que j’ai, ni ce que je fais. Pour mieux se représenter la chose, je vous ai fait un petit schéma tout simple que voici.

 

 

Ok, c’est joli, mais maintenant, qu’est-ce que ça veut vraiment dire ? Et bien en gros, que les idées de psychologies de comptoir : « dis moi ce qu’il y a dans ta valise, je te dirai qui tu es » ou « dis moi quel sont tes hobbies, je te dirai qui tu es » sont erronées. L’idée de fond est qu’en aucun cas, en aucune circonstance, et pour aucune personne il n’est possible de juger réellement qui est l’autre. Ce que je suis, personne n’en sait rien. Et personne ne peut me juger sur la seule base de mes actes ou de ce que je possède (attention, je n’entends pas ici le verbe juger dans son sens juridique, sinon mon affirmation est fausse, et je reviendrai justement sur ce point plus tard). Là tout de suite le sujet est moins trivial, mais on perçoit qu’il y a une difficulté dans cette idée.

 

Mettons-nous en situation pour éclaircir tout ça. Imaginez-vous au travail. Votre supérieur vous a demandé de rappeler le client X pour lui demander qu’il règle enfin ses factures dues depuis 4 mois. Vous vous mettez ça de côté pour la journée, parce que bon, vous avez aussi le dossier du client Z à voir, puis celui du fournisseur W qui n’a toujours pas envoyé son avoir, bref aujourd’hui c’est un peu le bordel. En fin de journée, après avoir résolu le cas du client Z et discuté avec la secrétaire du responsable absent du fournisseur W (ça fait trois mois qu’il est paraît-il en congé), vous vous décidez à appeler le client X. Ben oui mais voilà, il est 17h30 quand vous appelez, et le client X, il se trouve que c’est un organisme public. Aucune chance de l’avoir au téléphone à cette heure-ci. Lorsque vous annoncez la chose à votre supérieur qui vient juste à cet instant vous demander où vous en êtes, celui-ci vous regarde l’air dépité et vous lâche un bon : « Mais quel con ! Evidemment que vous ne pouviez pas l’avoir à cette heure-ci ! » (*)

 

Mais là, vous vous levez lentement, et avec la sérénité du sage qui a lu le piki-blog, vous lui répondez tranquillement : « Je ne vous permets pas. Ce que je suis vous n’en savez rien. J’ai commis une erreur, je l’admets. Mais cela ne vous autorise pas à me dire que je suis un con. » Et là votre patron sidéré bredouille un : « beuh… euh… mé… » puis il regagne son bureau les épaules basses conscient qui si vous avez commis une erreur, lui n’est pas loin d’avoir commis une faute. J’en vois qui froncent un sourcil peu convaincu dans le fond. Je vais donc m’expliquer un peu mieux.

 

Ce que je suis, c’est en quelque sorte mon noyau, ce qui constitue ma nature profonde. Et cette nature est fondamentalement inaccessible. Quelques soient les investigations que l’on pourrait effectuer sur l’autre on n’arrivera jamais à une connaissance de lui telle qu’on pourra s’exclamer : « je te connais ! » C’est même vrai pour nous-même qui parfois avons une idée bien éloignée de ce qui fonde réellement nos actes (on a souvent tendance à vouloir enjoliver nos intentions quand bien souvent nous n’agissons que de façon très intéressée et matérialiste).

 

Mais je vois cela d’une autre façon en fait. Reprenons notre exemple, mais cette fois-ci vous avez appelé le client X 20 minutes après le retour du déjeuner pour lui laisser le temps de prendre sa pause café (**). Cette fois-ci votre supérieur, voyant l’habileté de votre manœuvre vient vous féliciter d’un glorieux : « Bravo, quel talent ! » Mais là alors, si on est logique ne devrait-on pas se lever pour lui dire : « Vous ne me connaissez pas et vous ne pouvez pas juger qui je suis sur la base de ce que je fais. » ? Et bien non. Vous trouvez ça illogique ? Ca n’a rien à faire avec une question de logique. On n’est pas là pour redémontrer que 2+2=4. On laisse sur le côté notre faculté intellectuelle de connaître les choses, et comme Kant le suggère lui-même (ah là tout de suite vous accordez plus de crédit à ce que je dis hein !), on utilise son intuition, sa sensibilité.

 

La question est de savoir se respecter soi-même. Et cela passe entre autre par la bonne délimitation de l’intrusion des autres dans notre vie. Dans tout rapport avec autrui, la communication, si l’on veut qu’elle soit efficace, juste et, pourquoi pas, agréable, doit s’établir sur les règles de base que sont le respect et la confiance (qui naît en grande partie du respect). Et précisément le respect s’arrête quand commencent les insultes et les mots déplacés. Et il est juste lorsque celles-ci émergent de remettre la personne qui les profère à sa juste place, en se remettant soi-même à sa juste place. Cette personne prétend que je suis idiot, égoïste, etc ? Je me recentre sur ce que je suis : ce que je suis cette personne n’en sait rien. Elle ne peut pas le savoir. Je le lui fais comprendre, et ainsi je recadre ma relation avec elle, je la repose là où elle était. Et j’apprends par la même occasion à l’autre à me respecter. En revanche, si cette personne me fait des compliments sur moi, pourquoi les rejeter ? Nous restons dans la relation de respect, celle-ci se renforce même avec de tels compliments : c’est super ! Aucune raison valable de s’en offusquer, bien au contraire !

 

Mais il n’y a pas que par rapport à des insultes qu’on peut utiliser cette différenciation entre l’être, l’avoir et le faire. Un autre exemple excellent est celui de l’éducation des enfants. Remettons-nous en situation. Vous êtes au restaurant avec toute votre famille. Le serveur vous apporte vos plats, et au moment où il sert votre petite fille, celle-ci fais un mauvais geste et renverse son verre. Le serveur, d’un regard amical lui lance un petit : « alors petite fille, on est maladroite ? » Et là, lecteur 3ème dan du piki-blog vous lui rétorquez : « Non, elle s’appelle Julie. » Et toc. Bon là vous me regardez avec un sourcil encore plus froncé qu’avant. Mais attendez que j’vous esspique. Cet exemple est un peu capilotracté, je vous l’accorde. Mais que veut-il dire ? Que les mots ont une force qu’on sous-estime souvent. Un enfant auquel on va dire un jour qu’il est maladroit parce qu’il a renversé un verre, puis deux jours plus tard auquel on va le répéter parce qu’il aura marché sur la queue du chien, va finir par s’identifier aux épithètes dont son entourage va l’affubler. Il va lui-même se construire en fonction de ces caractéristiques attribuées par les adultes. On appelle cela « jeter un sort ». L’enfant ne sortira plus de cette identité fabriquée par les autres, parce qu’il s’est petit à petit fait accepter ainsi, et en changeant il aura peur de perdre cette reconnaissance, c’est-à-dire que les autres ne le reconnaissent plus. Donc lorsque vous dites au serveur : « Non elle s’appelle Julie. » vous envoyez en fait un message à votre fille pour éloigner d’elle les mauvais démons de jugements trop hâtifs qui pourraient handicaper son développement personnel. Vous la recentrez sur elle-même. En revanche si le serveur vient lui dire : « tu es toute jolie toi ! » avec un grand sourire, acquissez vigoureusement du chef en bombant le torse et en pointant discrètement le doigt vers votre femme dont elle a hérité des yeux.

 

Bien sûr cela ne s’applique pas qu’à vos enfants, mais à tout le monde (mais ça me semble très sensible dans le cas des enfants). Voilà une grande marque de respect envers les autres que de savoir identifier les sorts que d’autres cherchent à leur jeter (très souvent involontairement), et même plus que de respect, une marque d’attention.

 

Mais finalement la plus grande difficulté, certains l’ont perçu qui gardent leur sourcil haut (attention à la crampe), est qu’alors si l’on ne peut faire remarquer à quelqu’un quels sont ses défauts comment dans le fond rendre justice à ceux qui souffrent des défauts de cette personne. N’y a-t-il pas des voleurs ? Des assassins ? Des tricheurs ? Des politiciens ? Si finalement on ne peut plus dire ce que sont les gens comment peut-on les juger ? Et pourtant il faut bien juger les criminels! Mais là les plus attentifs d’entre vous ont déjà compris quelle est la réponse à cette angoissant dilemme : la justice ne juge pas les gens sur ce qu’ils sont, mais seulement sur leurs actes. Un juge rendant son verdict dira : « vous avez été reconnu coupable de voies de fait, d’usage de faux d’assassinat ou encore d’activité douteuse à la mairie de Paris (pléonasme qui fait se gausser tous les magistrats), en conclusion de quoi je vous condamne à blablabla ». Mais pas : « Vous êtes un assassin donc je vous condamne à blablabla. » 

 

Ainsi, distinguer être et faire n’est nullement incompatible avec l’exercice de la responsabilité de ses actes. Bien au contraire, cela permet de recadrer avec précision quelle est la mesure exacte du comportement d’autrui et donc qu’elle valeur peut lui être donné. Car poussons l'exemple précédent jusqu'au bout. Si le juge déclare au condamné : « Vous êtes un assassin. » quelle pourrait être la justification qui permette de ne pas mettre cette personne au bagne pour le restant de ses jours? Elle peut changer avec le temps me diriez-vous ? Possible. Mais qui change vraiment ?. Je trouve qu’on perçoit cette possibilité du changement de façon beaucoup plus claire lorsque l’on dit : « il a commis un assassinat ». Il en est tenu responsable, mais la porte au changement est beaucoup plus ouverte parce qu’il n’est pas identifié comme étant fondamentalement un assassin. On n’associe pas sa nature à l’assassinat de façon catégorique et c’est là où on laisse la porte au changement et à l’évolution personnelle.

 

Savoir séparer avec justesse être, faire et avoir pourrait donc bien être une clé importante pour comprendre comment on peut mieux se respecter soi-même, respecter les autres, et comprendre où se situe la responsabilité de nos actes.

 

(*) : ne m’en veuillez pas de cette petite plaisanterie, c’est vraiment juste pour donner un peu de légèreté à mon billet.

(**) : oui bon…

Commentaires

Heureusement qu'il y a "avec justesse" car à "trop" séparer être, faire et avoir, la schisophrènie n'est pas loin !

Écrit par : Quoique | 09/08/2005

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