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27/11/2006

Vers une société de dématérialisation

medium_terre.JPGNicolas Hulot était hier soir l’invité de l’émission France Europe Express dans laquelle il présentait notamment le pacte écologique qu’il a mis au point avec bon nombres de scientifiques réputés au bout d’un travail de plusieurs mois. Le débat fut plutôt intéressant, sans doute grâce à un sujet de départ qui est finalement assez peu polémique et qui oblige plutôt à une vraie réflexion plutôt qu’aux réactions politiciennes pavloviennes habituelles.

 

Mais ce n’est pas vraiment du sujet de l’émission dont je voudrais parler, mais plutôt d’une idée qui m’est venue lors d’une remarque d’un des intervenants.  En effet, vers le milieu de l’émission, Jacques Attali a fait une remarque à Nicolas Hulot, et lui a dit en gros : « le plus grand défi pour l’avenir, c’est de parvenir à gérer notre passage à une société de l’information ».

 

Immédiatement cette formule de « société de l’information » a fait tilt dans ma tête. D’abord parce que je me méfie toujours des formules de ce style que tout le monde feint de comprendre mais que chacun définirait d’une façon différente des autres. Mais aussi, et surtout, parce que je vois une imperfection dans cette formule qui la rend finalement parfaitement inefficace pour rendre compte des défis que justement nous avons à relever.

 

medium_information.jpgCar il est faux de dire que nous entrons dans une société de l’information. Cette formule laisse à croire qu’il s’agit là d’un avenir, alors qu’il n’en est rien. La société de l’information, nous y sommes déjà, et depuis de nombreuses années. Depuis même beaucoup plus longtemps que vous ne l’imaginez en lisant ces mots. Cette société de l’information ne date pas des dernières décennies qui se sont accompagnées de tant d’évolutions technologiques. En réalité, la première société que l’homme a créée, il y a des milliers d’années de cela, était déjà une société de l’information.

 

Aujourd’hui nous avons le réflexe d’associer ce terme d’information à une activité de type tertiaire, abstraite. N’ayant entendu parler d’économie tertiaire étendue que tardivement dans le XXème siècle, nous datons donc l’émergence de la « société de l’information » dans les quelques décennies qui viennent de s’écouler. Certains même estiment qu’elle n’est encore qu’à venir (ça semble être le cas de Jacques Attali).

 

Mais depuis qu’il vit, l’homme ne fait pourtant rien d’autre que de traiter de l’information. L’information de son environnement, qui lui indique ce qu’il va pouvoir manger et boire, l’information venant des autres êtres vivants qui peuplent le même territoire que lui, et qui lui indiquent  notamment quelles sont les limites de sa propre action, l’information lui venant de lui-même, enfin, de son corps, qui lui dis quand il est malade, affamé, assoiffé, triste, heureux, etc. Ce que nous faisons chaque jour, ce n’est rien d’autre que traiter toutes ces informations, les mélanger ensemble et réagir aux messages qu’elles nous envoient.

 

Tout ce qui existe dans notre société n’est que le résultat d’un traitement de l’information. C’était le cas notamment dans les décennies qu’on a baptisées « ère industrielle ». Car lorsqu’un industrie, quel que soit son activité, produit un objet, une barre de fer, une voiture, une coque de navire, tout ce que vous voulez, elle ne fait rien d’autre que transformer une multitude d’informations (de savoirs), et la condenser dans un résultat palpable. Mais que ce résultat soit palpable ne signifie en rien qu’il n’est pas lui-même un condensé d’information.

 

A ce stade on estimera peut-être que la remarque que je fais dans ce billet est un peu oiseuse. Après tout, il ne suffit donc que de définir ce qu’est l’information dans l’expression « société de l’information », en disant qu’il s’agit des informations non matérielles, des pensées, des opinions, etc. et hop, le tour sera joué. Je crois qu’il n’en est rien pourtant, et je persiste dans mon idée.

 

Dans le fond, il me paraît beaucoup plus juste de définir une société par le support qu’elle utilise pour traiter l’information. Puisque toutes les sociétés sont des sociétés de l’information, presque par définition, puisqu’elles sont composées d’hommes, et que les activités de hommes ne consistent qu’à traiter de l’information, il me semble plus pertinent pour les décrire, d’identifier quel est le support par lequel elles traitent prioritairement cette information. Au XIXème siècle, il s’agissait principalement de l’industrie. On a donc, à juste titre, qualifié cette période d’industrielle.

 

Alors aujourd’hui comment peut-on appeler notre société ? Quel support utilise-t-elle en priorité pour traiter ses informations. Et bien je propose une formulation, qui il me semble apporte de vraies lumières pour comprendre notre monde moderne. Notre société utilise de plus en plus des supports immatériels pour traiter son information. Nous sommes dans une société de dématérialisation de l’information. C’est cela la vraie révolution que nous vivons ces dernières années, révolution qui s’accélère, on le comprend sans difficulté, avec le développement d’Internet et de toutes les technologies de télécommunication.

 

Ce terme permet à mon avis de mieux comprendre certains défis qui se posent à nous aujourd’hui. Car je crois que cette tendance à la dématérialisation pose à chacun de nous, de façon individuelle, un problème, hum, vais-je oser le terme, hum, un problème ontologique. Car elle va en quelque sorte à l’encontre des stratégies que notre nature biologique à mises au point pendant tant d’années pour maîtriser son environnement.

 

En effet, la première chose par laquelle nous apprenons à connaître le monde, à l’appréhender et à l’intérioriser, ce sont nos sens. Notre vue, notre ouïe, notre toucher, notre odorat, et notre goût. Nous connaissons le monde avant tout en le palpant, en le sentant, en l’observant de toutes les façons qu’il nous est donné de pouvoir le faire. C’est cette découverte sensorielle qui permet au nouveau-né de progressivement sortir de son « moi tout », en comprenant qu’il ne fait que partie d’un ensemble, d’un univers avec lequel il va devoir création des interactions afin de trouver les bonnes réponses à ses propres besoins.

 

C’est par cette démarche, avant tout autre, que nous nous définissons nous-mêmes, et que nous nous connaissons nous-mêmes. D’ailleurs, il n’y a pas que les bébés qui passent leur temps à s’observer, à se tâter, à se regarder, etc. Les adultes le font également, et au-delà du narcissisme qu’on peut y voir, cela montre aussi que nous avons besoin de ce lien des sens avec notre corps.

 

Les technologies qui se développent de nos jours modifient de plus en plus la façon dont nous pouvons traiter les informations qui nous entourent. Et pour ma part, je me demande si cette remise en cause de l’appréhension de notre environnement et de notre corps par les sens au profit d’une démarche plus immatérielle, n’est pas justement la cause de ce qu’on appelle de plus en plus dans nos sociétés modernes, la crise DU sens.

 

Pourquoi sinon proposerait-on si vivement le retour à la nature, qui n’est rien d’autre qu’un retour à une information primaire, basique ? Pourquoi observe-t-on tant de personnes qui se sentent perdues dans leurs vies, perdues dans leurs activités professionnelles, perdues dans leurs relations avec les autres ? Il me semble très possible, étant donné la place qu’occupe le traitement de l’information dans l’activité des hommes au quotidien, que la dématérialisation, qui en quelque sorte le déracine de lui-même, soit en grande partie la cause de cette crise du sens, de cette crise d’identité, de cette crise ontologique (choisissez l’expression qui vous convient le mieux, pour moi elles sont à peu près équivalentes).

 

Peut-être est-on en train de vivre une nouvelle mutation, d’une forme un peu inédite. Pas une mutation biologique à proprement parler, mais une mutation sociale, une mutation des esprits, qui vont devoir s’acclimater à des supports de traitement de l’information qui relèguent l’utilisation des sens à une place moins dominante.

Commentaires

Tu defends ici qu'il n'y a pas vraiment de changement qualitatif, ce qui est surement justifie. mais si l'on qualifie l'epoque dans laquelle nous sommes entres depuis une dizaine d'annees, c'est parcequ'il y a eu un changement quantitatif dans l'echange d'information. on communique plus, plus vite, plus loin. on en est arrive au point ou il faut des logiciels pour extraire l'information valable des monceaux d'informations inutiles entasses par d'autres logiciels. c'est plus cette possibilite de communiquer, d'informer et de s'informer en connexion avec toute la planete, qui cree et permet la mondialisation, plus que le developpement des transports (qui m'ont pas tant explose que cela).

donc de ce point de vue, il y a bien eu une evolution. nous ne sommes pas dans la "societe de l'information" depuis la fondation de Sumer...

Écrit par : Matthieu | 27/11/2006

Matthieu
Non, je ne défends pas du tout l'idée qu'il n'y a pas eu d'évolution qualitative. J'ai dû manquer de clarté.

Ce que je dis, c'est que les outils de traitement de l'information ont changés (c'est là qu'est l'évolution qualitative), mais qu'une société, quelle qu'elle soit, et quel que soit son talent pour effectivement traiter l'information, n'en reste pas moins, quasiment par nature, une société de l'information. Parce que chez des êtres vivants doués d'un cerveau, le traitement de l'information est leur fonction première, presque la seule. Qu'ils sachent le faire plus ou moins bien, qu'ils aient évolué ou non, n'y change rien. Ils sont dans une société de l'information, parce que c'est cela qu'ils ont à traiter tous les jours.

Suis-je plus clair?

Écrit par : pikipoki | 27/11/2006

j'aime beaucoup.une mutation. je n'ai pas une pensée aussi claire que la votre, mais Je me dis qu'effectivement tous les reperes se corrompant il ne nous reste plus qu'a developper un sixieme sens. embryon d'outil qu'on pu garder certains, proche de la nature, ou de leur nature. ou outil que l'on peut chercher je pense dans la spiritualité, la capacité d'ouvrir un monde intérieur, differentes des sens, pour trouver un peu de sens au nouveau monde. mais ça fait flipper tout le monde parce que ça touche des choses tellement ... . Vraiment j'adore votre analyse, merci.

Écrit par : jerome | 27/11/2006

Je ne sais pas si Pikipoki est clair ou pas, mais Jerome, lui, ne l'est pas :-D :-D

@Pikipoki : oui mais bon... est-ce que ce n'est pas un peu jouer sur les mots ? Quand on parle de société de l'information, je ne pense pas que quiconque implique qu'avant l'invention d'internet, les gens étaient aveugles, sourds, illetrés, et vivaient dans leur bulle sans échanger d'informations avec le monde extérieur :-)

Écrit par : Matthieu | 27/11/2006

Jérôme
Merci

Matthieu
Mais justement, je ne crois pas que ce soit juste jouer sur des mots. Parce qu'au final, dire que nous sommes une société de l'information, ça n'appporte pas grand chose, disons que ça ne permet pas de comprendre grand chose. Autant dire que nous sommes une société de l'Internet, de truc et de bidule, mais société de l'information, ça ne signifie pas grand chose.

Alors qu'en décrivant la société par le moyen qu'elle utilise pour traiter l'information, me semble apporter quelque chose de plus fin pour comprendre cette société.

Écrit par : pikipoki | 28/11/2006

Ce n'est pas tant le support de l'information qui s'est modifié que son mode de transmission, donc la communication.
Pour moi, internet est la septième invention majeure de la communication. Comme critère d'analyse, je prends les concepts d'espace et de temps, et accessoirement les notions de nombre et de coût.

1 - le langage animal ; un signal içi et maintenant.
2 - la langue humaine ; id , mais on peut traiter du passé, du futur et de l'ailleurs.
3 - l'écriture (on arrive au déluge) ; le message émis peut traverser les continents et les siècles sans se déformer. La civilisation en a découlé.
4 - l'imprimerie ; si on traduit par "copie mécanique", le progrés technique permet de diminuer le coût de chaque copie et d'accroitre progressivement le nombre de destinataires.
5 - le télégraphe ; traduit en "transmission électrique", permet un délais insignifiant pour communiquer. Mais on perd la pérennité du message.
6 - la radio ; traduit par "transmission sans fil" et incluant la télé et le portable, rend possible la communication depuis n'importe quel point du globe.
7 - internet ; le message, mis sur un serveur, peut être consulté de n'importe où dans le monde, éventuellement par des millions de personnes, pendant longtemps, pour un coût minime.

Tous les obstacles à la communication ont sauté ! Il reste un léger ;-} problème d'organisation pour s'y retrouver. Et il est faux de croire qu'il y a plus d'information dans le monde ; elle est "seulement" devenue accessible.
Un siècle serra-t-il suffisant pour voir ce que çà peut entrainer comme bouleversement social ?

Écrit par : Pilou | 28/11/2006

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