Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/05/2007

Un "Looking Glass Self" actif !

medium_Human_Nature_and_Social_Order-4.jpgUn intéressant article a été posté hier sur Naturavox par Diane Lafond, au sujet des travaux de Charles Horton Cooley, et en particulier sur ce qu’il nomme le « Looking Glass Self ». L’idée principale de l’article de Diane et qu’elle rapporte de sa lecture de Cooley, est que la représentation et l’image que nous avons de nous-mêmes est le résultat non pas de l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes, ni de celle que les autres se font de nous, mais de l’idée que nous nous faisons de l’idée que les autres se font de nous. Un billard à deux bandes donc. Et à nouveau le jeu de miroir dont je parle souvent ici.

 

De prétendues « sagesses populaires » évoquent souvent l’image que l’on a de soi, ou celle qu’ont nos proches de nous comme les fondements de notre construction intime, et partant, comme les leviers sur lesquels il nous est possible d’agir pour nous porter mieux (améliorer l’image de soi par exemple, souffle comme un mantra sans cesse répété ici et là). Ces idées ne sont pas fondamentalement fausses, mais elles manquent de précision dans leur analyse, et de ce fait, elles ne permettent sans doute pas de répondre d’une façon tout à fait adéquate aux difficultés que nous pouvons avoir. Celle proposée par Cooley me semble plus intéressante.

 

On peut y retenir deux éléments importants :

1.       L’image que l’on a de soi ne peut se construire sans l’intervention du regard d’autrui. Elle ne se fait pas « de nous, par nous et vers nous » si l’on m’accorde l’expression, mais bien en passant par l’intermédiaire de l’autre qui joue ici le rôle de miroir personnel.

2.       La place que nous avons dans cette construction issue du regard des autres est grande. Puisque ce n’est pas le regard des autres qui nous fonde, mais bien la représentation que nous nous faisons du regard des autres. Cela signifie que nous avons donc un levier directement à notre portée sur lequel nous pouvons agir pour modifier notre rapport à nous-mêmes.

 

On perçoit bien l’aller-retour dans ce schéma :

1.       L’individu interroge autrui sur le regard qu’il porte sur lui

2.       Autrui répond

3.       L’individu interprète la réponse d’autrui et construit ainsi son regard sur lui-même.

 

Du coup je ne comprends pas très bien un des points indiqué par Diane comme faisant partie de la critique adressée à Cooley : celui du rôle passif que sa théorie donnerait à l’individu dans la construction de sa propre image. Il me semble au contraire que dans la troisième phase que l’on repère à travers le « Looking Glass Self » l’individu est actif et non passif. C’est lui qui est « en charge » de l’interprétation du regard des autres pour construire sa propre image. Il lui appartient pleinement d’intégrer ce regard à sa façon dans son schéma personnel. Bien sûr, il ne contrôle pas tout dans ce processus, et il serait bien étrange celui qui transformerait en point positif un regard désapprobateur. Mais cela ne le rend pas passif pour autant.

 

Un point important notamment, qui me semble toujours rester à l’entière discrétion de chacun de nous, est de déterminer quelle degré d’importance nous sommes prêts à accorder au regard des autres. Car s’il me semble parfaitement illusoire de prétendre n’en accorder aucune, ce qui signifierait que nous ne sommes pas des individus sociaux et serait donc contradictoire avec notre nature, nous n’en pouvons pas moins maîtriser l’influence qu’aura ce regard sur nous.

 

La philosophie stoïcienne en propose une vision extrême en suggérant avant tout de s’inquiéter de ce sur quoi nous pouvons agir, et non de ce qui nous est extérieur, comme le regard des autres. On le comprendra étant donné ce que je viens d’écrire sur l’illusion d’une vie construite en dehors du regard d’autrui, je ne suis pas d’accord avec l’absolutisme de cette logique. Mais je lui reconnais l’intérêt de montrer que nous pouvons agir et modifier l’impact de ces éléments extérieurs sur nous–mêmes.

 

Je me souviens à ce titre d’une petite histoire que j’avais lue ou que l’on m’avait racontée, je ne me souviens plus bien. Un vieux moine bouddhiste, assis à même le sol et ayant entamé sa méditation, fut rejoint par un touriste qui se mit au défi de faire sortir le sage de ses gons. L’individu commença alors à harceler le moine de remarques désobligeantes. Celui-ci ne montrant aucune réaction, le touriste haussa encore le ton et en vint purement aux insultes, qu’il déversa ainsi sans s’arrêter durant de longues minutes. Mais le moine resta imperturbable. Agacé et à bout de souffle, le touriste finit par demander au moine comment il faisait, et pourquoi il ne réagissait pas. Le moine lui répondit alors : « Tu te tournes vers moi et m’envoie des présents. Pour l’instant, je choisis de ne pas les prendre. »

 

Il est sans doute bien difficile pour la plupart d’entre nous d’agir avec un tel détachement. Cependant cette remise en perspective du regard des autres me semble importante à bien intégrer. C’est la base du recentrage sur soi dont on parle parfois en gestion du stress, par laquelle on se rappelle à ce que nous sommes et non à ce que les autres nous renvoient de nous. C’est ce travail de recentrage personnel qui peut permettre de rétorquer à celui qui nous insulte qu’il ne sait pas ce que nous sommes, et qu’il ne lui est pas permis de tenir de tels propos.

 

L’image que nous construisons du regard que portent les autres sur nous ne doit donc pas nous laisser passif. Il est inévitable, et sans doute nécessaire, d’intégrer ce regard dans notre construction personnelle. Mais nous pouvons aussi rester vigilants sur ce qui nous est renvoyé, sur ce que nous acceptons de recevoir et sur notre façon de l’intérioriser pour construire notre image de nous-mêmes.

Commentaires

Chais pas si t'as vu mais Versac cherche un auteur à inviter pour la semaine prochaine.

Une occasion de faire un bel aticle comme d'habitude à la croisée des chemins entre le mécanisme social qu'est l'élection et le ressenti intérieur que la participation à ce rituel procure.

Écrit par : Psy Co. Ltd | 01/06/2007

Tiens je ne savais pas. Où avez-vous vu ça? (je n'ai rien lu de tel sur son blog récemment, mais je n'ai que survolé rapidement).

Ceci dit, allez, je peux vous donner le scoop : je serais très surpris que versac ait envie que ce soit moi qui intervienne.

Écrit par : pikipoki | 01/06/2007

"...Je proposerais donc bien cette tribune aimable à quelque économiste lugubre ou politologue qui aimerait se coltiner les farouches discussions de versac.net. Si cela intéresse quelqu'un,....."

http://vanb.typepad.com/versac/2007/05/rush_hour.html

à supposer, ce dont je doute profondément, que la qualité de vos écrits ne soit pas le seul réel critère dans ce contexte, il existera toujours un contexte dans lequel ce le sera

Écrit par : Psy Co. Ltd | 01/06/2007

Merci pour votre compliment, même caché. Ca me fait plaisir.
Mais si je lis bien, ce qu'il cherche c'est plutot un économiste ou un politologue. Je ne suis vraiment ni l'un ni l'autre...

Écrit par : pikipoki | 01/06/2007

Encore un article passionnant !!!
J'ai donc une bonne image de vous.
Mais restez vigilant !
;-)

Écrit par : charly | 02/06/2007

Merci Charly. Je vais faire attention à la suite alors :o) (remarquez, elle risque de ne pas être super gaie ...)

Écrit par : pikipoki | 02/06/2007

Bonjour,
C'est ma première visite à votre blog. J'admire ce que vous faites. Je manquerai pas d'y revenir.
Bonne chance

Écrit par : slim | 03/06/2007

L'expression écrite permet rarement au non-littérateur d'exprimer autrement que par un excès d'emphase ce qu'il peut ressentir. Les communicants nous auront habitué à considérer avec suspicion et dédain les messages trop évidemment positifs : d'où l'intérêt de simuler la pudeur en réservant à ceux parmi les lecteurs qui prennent le temps de lire le propos dans toute son intégralité l'expression de sa simple opinion personnelle, en limitant toute possible citation tronquée du propos qu'on publie à une simple énumération, éventuellement choisies, de faits, constats et lieux communs.

Mais je pérore : écrivez donc, plutôt.

Écrit par : Psy Co. Ltd | 03/06/2007

Les commentaires sont fermés.