03/06/2007
Suicide et automutilation - quelques éléments de compréhension
Depuis de nombreuses années la question du suicide, de ses formes, de ses raisons, m’intéresse. D’un point de vue théorique, je l’ai découverte notamment à travers la philosophie de l’absurde de Camus. Il m’avait alors fallu plusieurs années pour lire son Mythe de Sysiphe, qui dresse les fondements philosophiques de l’absurde et qui aborde précisément la question du suicide, la seule question philosophique qui mérite d’être posée selon lui. Plusieurs années car je sentais qu’il y avait là quelque chose de brûlant et que je craignais d’être incapable de bien le comprendre.
Je voudrais tenter d’aborder ce sujet ici, pas vraiment sous l’angle philosophique, mais plutôt pour réfléchir à haute voix, si je puis dire, aux démarches d’aides qui peuvent être engagées envers des personnes suicidaires ou qui exercent sur elles-mêmes toute forme d’automutilation. Ceci en deux billets, le premier risquant déjà d’être assez long. Celui-ci abordera quelques éléments importants pour comprendre ces comportements extrêmes que sont le suicide et l’automutilation. Dans le second, j’essaierai d’esquisser quelques pistes, à envisager comme toujours avec prudence, en songeant toujours que c’est avant tout la qualité humaine de sa propre démarche qui importe alors, plus que le respect strict de n’importe quel mode d’emploi.
J’avance très prudemment sur cette question, car on touche là à des éléments éminemment intimes et sensibles pour les personnes, et donc éminemment complexes. Chercher à fournir une réponse standard à ces souffrances sous forme de vade mecum systématiquement applicable serait évidemment une erreur. Pire ce serait pratiquement un comportement coupable car une personne suicidaire qui se verrait confrontée à quelqu’un qui ne sait que lui offrir un discours théorique calibré mais ne montrant pas de proximité avec son cas particulier, et donc pas d’écoute, pas d’attention, n’en sortirait sans doute que plus mal en point. Il faut une extrême prudence lorsque l’on prétend essayer de « comprendre » et de « connaître » la souffrance des autres. Comme me l’écrivait très récemment l’un d’entre vous, le front est souvent une frontière.
Pour en finir avec ces préliminaires, qu’il soit bien clair que les éléments que je souhaite évoquer ne sont pas des éléments de médecine, science qui m’est tout à fait inconnue, mais seulement quelques idées sur l’accompagnement psychologique qu’il est peut-être possible d’apporter dans de telles circonstances.
Commençons maintenant par appréhender la compréhension que l’on peut avoir de ces comportements.
Le suicide et l’automutilation sont des actes qu’on s’explique souvent mal. En effet, nous connaissons tous ce fameux « instinct de survie » qui est sensé l’emporter sur toutes nos pulsions lorsque nous sommes confrontés à un danger extrême et imminent. Ce principe vital élémentaire qui faisait dire à certains que « notre seule raison d’être c’est d’être » (on me chuchote à l’oreille que cette phrase vient d’un neurobiologiste célèbre…). Cet instinct, pense-t-on, existe invariablement chez tous les êtres vivants, qu’il s’agisse des animaux ou des hommes, voire même des végétaux. Comment expliquer alors que certains violent ce que nous pensons être une loi biologique et s’affranchissent de cet instinct de survie pour se donner la mort ou pour se mutiler ? N’est-ce pas là un comportement qui va profondément à l’encontre de notre nature, et même de LA nature ?
Cet écart est probablement l’une des causes des réactions accusatrices qui sont encore le fait de nombreuses personnes face au suicide ou à la mutilation. Ou plutôt, c’est leur alibi. C’est la description élaborée et moralisatrice de ces comportements qu’ils utilisent pour ne pas avoir à dire plus crûment qu’ils se trouvent incapables de répondre à ces cris si particuliers, et que cette incapacité leur est insupportable car ils s’en sentent coupables. Las, ils choisissent alors de désigner un autre coupable pour détourner les regards désapprobateurs, et puisque ce n’est pas eux qu’ils mettent en cause, c’est obligatoirement sur l’autre, celui qui veut attenter à sa vie, qu’ils se tournent. Comment parer des mots de la raison un comportement totalement déraisonnable.
En fait je crois qu’on se trompe souvent lorsqu’on dit que ces tentatives de suicide ou ces comportements d’automutilation vont à l’encontre des principes naturels qui défendent notre vie. La notion de principe d’équilibre, ou d’homéostasie, pour en revenir une fois encore à l’expression de Cannon, permet de le comprendre : l’individu qui attente à sa vie ou à son intégrité physique, malgré la brutalité des apparences, cherche lui aussi à trouver, ou plutôt à retrouver son équilibre. C’est vrai pour le suicidaire qui cherche à trouver dans la mort l’apaisement que la vie, pense-t-il (ou plutôt ressent-il car c’est avant tout un ressenti qui intervient ici), ne peut plus lui offrir. C’est vrai également pour celui qui se mutile, qui, aussi étrange que cela puisse paraître, trouve souvent dans cette démarche un apaisement à la souffrance qu’il vit, ou au moins un état plus acceptable pour lui que s’il n’agissait pas ainsi.
Expliquons cela un peu mieux. Dans le cas du suicidaire, la logique interne qu’il suit ne me semble pas très compliquée à comprendre. La mort est la solution envisagée afin de s’extraire d’une condition jugée insupportable, « invivable » à proprement parler. En tant qu’observateurs extérieurs on est bien sûr tentés de dire qu’il s’agit là d’une mauvaise solution, voire de la pire. Pourtant le suicidaire l’envisage, et l’idée douce de l’arrêt des souffrances, physiques ou psychologiques, qu’il endure, l’emporte sur le gain qu’il peut très éventuellement encore percevoir à rester en vie.
Ceci est d’ailleurs clair lorsque l’on sait que souvent les personnes qui ont décidé de se suicider vivent leurs derniers instants avec un calme et un bonheur apparent surprenants. Une fois la décision prise, toute la tension qui était la leur lorsqu’ils envisageaient l’avenir disparaît et laisse la place à un comportement apaisé et rasséréné.
Je n’ai pas de statistiques sous la main, mais il me semble que le suicide est très rarement un geste impulsif, et qu’au contraire il est majoritairement l’issue d’un cheminement plus ou moins long. Ainsi, la personne qui a « enfin » décidé de mettre fin à ses jours organise ses derniers moments, effectue quelques dernières démarches importantes à ses yeux avant de disparaître, renoue le contact avec des êtres chers qu’elle avait perdus de vue. J’avais ainsi lu l’histoire d’un jeune garçon en dépression dont la famille désespérait, qui montrait un comportement très instable, avec des sautes d’humeur fortes et une agressivité qui tranchait avec son comportement d’avant. Puis un jour il vint les voir et montra une attitude radicalement différente. Il devint soudain prévenant, attentionné, calme. Il leur demanda pardon pour son comportement récent, et leur dit qu’il tenait à eux. Le soir même, il se donnait la mort. Ce n’est que plus tard que ses parents comprirent que son attitude du jour aurait dû les alerter. Mais comment fait-on lorsque l’on voit une personne vous sourire pour envisager son possible suicide ?
Cet apaisement que l’on constate donc parfois à l’approche du suicide me semble bien être le signe de ce que j’indique : cette démarche elle aussi est orientée vers la recherche de l’équilibre de l’individu. On ne peut pas parler d’équilibre biologique en l’espèce, mais très certainement est-ce l’équilibre psychologique qui est ici en question.
Dans le cas de l’automutilation, l’explication est probablement plus difficile à comprendre. Le suicide aboutissant à la mort, on perçoit que cette cessation de vie et l’idée de l’arrêt des souffrances qui l’accompagnent puisse germer dans la tête du suicidaire. Mais l’automutilation ne suppose pas un arrêt des souffrances, au contraire même, elle les augmente en ajoutant aux douleurs psychiques des douleurs physiques que l’on s’impose. Quel apaisement cela peut-il donc constituer ?
Et bien aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est parfois exactement la même logique qui est ici en œuvre que pour le suicide. Je considère même que la violence exercée ici contre soi, bien qu’elle est plus longue que celle de la tentative de suicide, est en réalité moins violente que le suicide, puisqu’elle n’aboutit pas à la mort de l’individu. Mais la personne qui se mutile, cherche elle aussi à retrouver par cette voie un équilibre perdu. Il faut comprendre et admettre, que malgré les apparences, la personne qui se mutile le fait aussi pour trouver une forme de mieux être, ou à tout le moins un état qui l’insatisfait moins que si elle ne le faisait pas. On comprend bien en la découvrant encore dans ces cas extrêmes, à quel point cette recherche d’équilibre, cette tension vers l’homéostasie, est un fondement majeur de nos comportements.
Il y a deux idées notamment qui me semblent permettre d’éclaircir un peu ceci. La première est liée à une certaine logique du désespoir : après lui, il ne peut rien arriver de moins bon. Une fois le fond atteint, on ne peut que remonter. Peu importe que cela ne soit pas haut et qu’on ne retrouve pas le bonheur. Ce qui compte est de savoir qu’on a touché le pire et qu’on l’a supporté. Dés lors, plus rien de vraiment grave ne peut arriver, mais surtout, la tension et la peur d’être malheureux s’atténuent puisque le malheur est déjà arrivé et qu’il ne peut être augmenté. La cessation de cette attente en tension, que constitue la crainte d’être encore plus malheureux, constitue en soi une forme d’apaisement. Cela permet de repartir en se régénérant car dans le désespoir on se lave en quelque sorte de toutes les incertitudes que les espoirs pouvaient laisser en nous. Ca remet à zéro. Ou pour dire les choses autrement, quand on a touché le fond, vraiment touché, on a enfin le droit de vivre.
La deuxième est plus compliquée. Elle est liée à deux choses : le besoin d’estime de soi et de sentiment d’estime que l’on perçoit venant des autres, et le mimétisme social. Le besoin d’estime de soi est à mon sens le moteur principal de la majorité de nos comportements. Notre milieu culturel et social engramme en nous un certain nombre de réflexes comportementaux, et de valeurs qu’il y rattache, désignant les comportements qui sont mauvais et ceux qui sont bons. La plupart du temps ceci est en relation directe avec les besoins de perpétuation du groupe, qu’il assure par la transmission et l’enseignement de ces valeurs qui le soutiennent. La mise en conformité de nos comportements avec ces valeurs permet à l’individu de s’assurer une reconnaissance en retour, reconnaissance qui est indispensable pour que sa construction personnelle soit équilibrée. En gros ce que l’on recherche ici c’est le laissez-passer pour appartenir au groupe, pour y être inclus. Nous avons besoin de faire partie. Toujours l’importance du lien social. Sans cela, l’on se retrouve dans la situation d’isolement dont je parlais plus haut.
Le deuxième point de cette idée est le mimétisme social. On comprend aisément que lui aussi intervient en grande partie pour nous faciliter l’accès au groupe qui nous acceptera d’autant plus facilement que nous serons « conformes ». Le groupe appelle le conformisme pour sa survie, il déteste la remise en cause. Mais surtout le mimétisme est le mode premier que nous utilisons pour grandir et pour forger ce que nous sommes. Un enfant, dans ses plus jeunes années, apprend en cherchant à copier et à imiter ses parents. Je l’ai déjà indiqué, c’est en partie ce qui permet d’expliquer le fondement du complexe d’Œdipe freudien : le fils observant le pouvoir du père sur la mère (je veux dire ici que ce dernier y a un « accès » privilégié), va lui aussi établir des stratégies pour la séduire. En imitant le père, il espèrera obtenir les mêmes gratifications.
Ce mimétisme se traduit dans cette imitation des enfants envers leurs parents, afin donc d’obtenir les mêmes plaisirs dont ils voient les adultes profiter, et également d’être acceptés, admis par leurs parents, parce que conformes, eux aussi. Ce n’est pas pour rien que l’on trouve souvent une parenté de professions d’une génération à l’autre au sein d’une même famille. Et bien ce mimétisme je crois, peut trouver des formes d’expression surprenantes, jusque dans les comportements d’autodestruction. Ainsi quelqu’un qui se sent rejeté par son milieu peut exercer une violence contre lui-même afin que son comportement soit conforme à l’image qu’il pense que son milieu lui renvoie de lui-même. On peut trouver ce raisonnement tordu, mais d’un point de vue comportemental il me semble au contraire très cohérent. La pire illustration de ce mécanisme arrive sans doute lorsque ce sont les personnes auxquelles on tient le plus qui sont la cause de notre sentiment d’exclusion.
Là aussi le besoin de mimétisme peut agir, notamment chez les plus fragiles, les enfants, qui conservent, malgré le rejet que leurs parents peuvent parfois manifester, un besoin d’être acceptés si fort qu’il peut les mener à l’automutilation, pour là aussi, être conformes. Je crois que d’une certaine façon ce comportement constitue pour l’enfant une forme de déclaration d’amour au parent qui le rejette : « tu ne m’aimes pas, mais moi je t’aime et je vais essayer de te le prouver par mon comportement d’acceptation de l’image que tu me renvoies de moi-même ». Ce qu’il faut comprendre ici, qui rejoint ce que j’indiquais précédemment sur la notion d’homéostasie, c’est que l’enfant qui fait ce choix le fait parce que pour lui il serait beaucoup plus invivable de rejeter ce parent, et de valider ainsi son isolement de ceux qui devraient l’aimer le plus, que de se protéger. C’est dans ce sens là que le principe d’homéostasie agit. C’est une logique du moins pire.
Un point majeur peut être dégagé de ce toute cela : souvent les personnes qui entrent dans cet engrenage sont des personnes isolées, qui parlent peu à leur entourage, principalement parce qu’elles se sentent rejetées par leur milieu, qu’il soit celui de la famille, des amis, des collègues, ou autre. Cet isolement peut même plus simplement venir d’un sentiment de ne pas être écouté ou compris, sentiment qui n’est pas toujours facile à déceler pour les autres.
Mais même dans ces derniers cas, cet isolement n’est pas quelque chose de bénin. C’est un isolement particulièrement fort et profond dont il s’agit, un isolement qui laisse les personnes tout à fait perdues au milieu des autres, et perdues en elles-mêmes. Un isolement presque « ontologique » si l’usage de termes aussi pompeux m’est permis sur un sujet si sensible. Ontologique car il est vécu comme l’isolement de ceux qui sont exclus du groupe non pas pour ce qu’ils sont mais parce qu’ils sont. Ce qu’ils sentent comme étant remis en cause ce n’est pas simplement leurs choix, leurs manières, ou quelques « qualités » dont les autres les auraient affublés, mais c’est ce qu’ils sont, c’est leur nature propre.
L’individu devient alors un étranger dans son milieu, un autre que personne ne saisit. Ceci se traduit, et c’est là le nœud du malaise vécu, par une incapacité à s’exprimer et à dire son mal-être. Puisque la personne est étrangère aux autres, que le lien qui l’unissait à eux est rompu du fait de l’écart ressenti entre ce qu’elle est et ce qu’elle ressent qu’on attend et qu’on comprend d’elle, elle se trouve privée de moyens d’expression, privée de langage. Elle se retrouve muette, faisant face à des sourds. Là aussi on observe le rôle jouer par l’inhibition de l’action et du langage.
Cette inhibition peut d’ailleurs ne pas être imposée par un agent extérieur, contrairement à ce qui se passe majoritairement dans les situations d’inhibition sociale de l’action qui aboutissent à certains types d’agressivité. C’est en partie, et parfois majoritairement, l’intériorisation que l’individu fait de sa propre situation qui le pousse à s’extraire de son milieu et à s’en exclure. C’est l’interprétation qu’il fait du regard des autres qui entre ici en jeu. Ce piège la est terrible puisque l’individu le boucle tout seul sur lui-même en excluant les autres de sa vie. Il leur interdit le passage, et s’ils viennent, il leur dira peut-être qu’il est trop tard, qu’il fallait y penser avant qu’il ne sombre. Il reste seul avec lui-même.
Dans ce contexte, l’automutilation se présente comme la seule façon qu’il trouve pour exprimer ce que les mots ne soutiennent plus. Ce que le langage habituel ne sait plus dire. La souffrance qu’il impose à son corps, et cette souffrance est d’ailleurs bien plus que physique, est sa façon de faire ressortir son mal-être, de l’expulser hors de lui-même. C’est une forme d’expression extrême, mais c’en est une. Qu’on ne se trompe pas sur ce point : il ne me semble pas évident que ce soit systématiquement une forme d’appel à l’aide. Probablement est-ce souvent le cas, mais je ne suis pas sûr que cela soit systématique. Le plus marquant pour moi est que cette démarche témoigne du besoin de la personne de se remettre dans une forme d’action, qui lui permet d’exprimer son mal-être. De sortir coûte que coûte de l’inhibition du langage dans laquelle elle se trouve.
Cela rejoint l’idée que j’avais émise à la fin de mon billet sur l’agressivité d’angoisse et d’irritabilité. La violence que les personnes sont parfois amenées à exercée contre elle-même est elle aussi un avatar de cette agressivité issue de l’inhibition de l’action et du langage. Elle s’arrête parfois à des expressions d’auto-agression peu violente comme la consommation de toutes sortes de drogues douces (on oublie de dire que toutes les drogues ont quelque chose de doux pour leurs consommateurs, c’est d’ailleurs bien pour ça qu’ils les consomment et qu’elles sont dangereuses) : alcool, tabac, pétards ; et les drogues dures. L’automutilation et le suicide sont des comportements plus violents. Mais il n’y a pas une seule des drogues que j’ai indiqué ici qui ne soit accompagnée d’un cortège de morts.
Je voudrais compléter ces éléments par quelques remarques sur la manifestation et l’identification d’une démarche de mutilation, notamment en pensant à ceux qui ne parviennent peut-être pas à admettre qu’ils sont engagés dans ce type de démarche. La plupart du temps me semble-t-il, l’automutilation peut s’identifier par trois éléments :
1. S’imposer une souffrance physique réelle (si vous vous amusez à tracer quelques traits au couteau sur vos bras, mais sans vous faire saigner, il est probable que vous ne soyez pas exactement dans une démarche d’automutilation – toutefois personnellement je trouve que ce type de comportement doit déjà être surveillé et ne pas être seulement assimilé à un folklore).
2. Effectuer ceci dans l’objectif d’apaiser une phase de crise (il peut s’agir d’une crise dont on ne perçoit pas de signes extérieurs).
3. Etablir un rituel qui entoure la mutilation.
Ce troisième point du rituel est je crois quasiment systématique chez les personnes qui se mutilent. Il se retrouve d’ailleurs en partie chez les suicidaires qui en quelque sorte mettent en scène leur départ. C’est à cela que reviennent notamment les adieux apaisés adressés à l’entourage, le fait de ranger sa chambre avant de se donner la mort, alors qu’on ne l’utilisera plus jamais, jusqu’à la lettre d’adieu posée soigneusement à un endroit où l’on est sûr qu’elle soit retrouvée. Il ne serait sans doute pas inintéressant de se pencher sur le sens et la fonction de ce rituel, mais cela serait long. D’une certaine façon, je ne crois pas que celui-ci soit si éloigné de ceux qui ont lieu dans certaines pratiques païennes et même religieuses. Le rituel sert à donner une importance forte à un événement, en l’entourant d’une geste qui le transcende en quelque chose de plus qu’une simple succession de mouvements, elle en fait un point culminant après lequel l’individu peut retrouver un niveau de tension plus faible. Sans montagne il n’y a pas de vallée.
Bien sûr il peut arriver que des actes d’automutilation se manifestent de façon isolée, sans répétitivité, ni rituel. Mais ils sont alors peut-être plus simples à arrêter. Car ils ne sont pas inscrits dans une habitude, une forme de mythe comportemental que la personne s’est créé et qui finit par constituer un cercle vicieux. C’est d’ailleurs bien là le problème majeur du rituel : il crée une habitude, il facilite si j’ose dire, il institue un comportement et l’insère comme un élément normal, parce qu’habituel, de la vie de l’individu.
J’espère que tout ceci ne sera pas parut trop lointain, trop compliqué, et surtout que je n’aurai pas raté quelque marche essentielle à la compréhension de ces comportements, même si j’ai conscience que je n’ai pu être réellement exhaustif. J’aurai voulu aborder quelques exemples très concrets que j’avais en tête, mais j’ai songé que ceux-ci seraient trop personnalisés pour s’adresser à tous. Si quelques manques importants apparaissent donc, n’hésitez pas à les indiquer. Je tenterai alors d’être plus utile dans le prochain billet à venir sur ce sujet, dans lequel j’exposerai les éléments qui me semblent les plus importants dans le cadre d’une démarche d’aide à ces formes d’autodestruction.
21:18 Publié dans Un peu d'analyse comportementale | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook |
Commentaires
Je ne comprend pas bien pourquoi vous traitez en parallèle le suicide et l'automutilation. D'ailleurs vous n'expliquez pas votre choix. Ensuite vous modifiez votre propos, et vous décidez de nous parler plutôt de "ces tentatives de suicide ou ces comportements d’automutilation", ce qui n'était pas le programme initial, me semble-t-il.
Je remarque en tout cas que, tout au long de votre raisonnement, vous envisagez que le suicide (ou la tentative de suicide, on ne sait plus très bien de quoi vous parlez, alors qu'une telle distinction serait peut-être opportune dès l'origine) répondrait à une volonté de faire cesser des souffrances.
Il me semble que vous généralisez un cas particulier: la tentative de suicide pour faire cesser des souffrances. Il me semble qu'il existe bien d'autres formes de suicides, notamment celles qui ont pour but de mettre simplement fin à la vie.
Je pense au suicide des vieillards ou des malades incurables, qui n'éprouvent pas nécessairement de souffrance au moment de leur acte, mais qui estiment utile de s'épargner cette épreuve si la poursuite de la vie la rendait inévitable. La souffrance n'est d'ailleurs souvent plus un enjeu dans ce cas, puisque l'usage de la morphine commence enfin à être accepté pour les fins de vie difficiles.
Je pense aussi au suicide moral, ou philosophique, de celui qui se trouve placé devant un dilemme et qui trouve dans la mort une issue.
Je penses en fait, que votre approche du suicide est bien réductrice, alors que le phénomène est complexe.
Vous écartez par exemple toute approche philosophique : puisque la mort est inéluctable, ma liberté réside dans le choix du moment. Cela vaut par exemple pour les vieillards et les malades...
Parlons aussi du chagrin d'amour. Est-il si facile de répondre à celui qui estime que son chagrin d'amour dégrade à ce point la qualité de sa vie à venir, qu'il préfère l'interrompre maintenant et achever sa vie "en beauté" plutôt que de poursuivre au prix de compromissions intenables avec son idéal ?
Quelle place laissez vous suicide du philosophe romain, du samouraï japonais, ou du jeune romantique allemand ? Le suicide n'est-il pas dans certains cas une ultime liberté ? Gagne-t-on à médicaliser, ou "psychologiser" cette question dans tous ses aspects, qui sont nombreux ?
Écrit par : stricto | 04/06/2007
Stricto : vous etes dur, par exemple Pikipoki parle de souffrances ressenties qui seraient vues comme intolerables et sans espoir envisageable de s'en sortir. les mots ressenties, vues et envisageable sont importants, et couvrent certainement le chagrin d'amour dont vous parlez.
Écrit par : Matthieu | 04/06/2007
Bonjour Stricto,
Votre attaque initiale est assez injuste. Je m'intéresse à la démarche des suicidaires. L'acte lui-même, le moment ou la personne se donne la mort, ne présente d'une certaine façon pas grand intérêt. C'est tout ce qui y conduit qui m'intéresse, car on peut encore agir dessus pour essayer de faire dévier la personne de ce choix morbide. La distinction que vous semblez juger nécessaire me semble donc inutile.
Ceci étant dit, votre commentaire est intéressant, et vous voyez des choses très justes. Notamment, oui, je ne traite pas certains cas particuliers de suicides, comme l'euthanasie, ou encore les suicides d'honneur comme ceux des samourails, ni les suicides romantiques. Et effectivement je ne suis en cela pas exhaustif dans mon analyse. En fait, mais je pensais que cela était clair dans ce texte, ce qui m'intéresse ce sont les cas de mal-être qui poussent les personnes au suicide ou à la mutilation, cas qui me semblent les plus majoritaires dans l'explications de ces comportements. Car tout de même, les autres formes de suicides, étant donnés les chiffres dramatiques que l'on voit encore là-dessus, sont des exceptions: que ce soit les cas d'euthanasie, les suicides d'honneur ou les suicides romantiques (ces deux derniers cas étant carrément rarissimes).
Je reviens plus en détail maintenant sur quelques points que vous indiquez.
Le cas des malades ou des vieillards. Sur ce point, leur choix est proche dans sa logique de celle que j'indique dans mon billet: faire cesser une souffrance. Ils n'éprouvent pas de souffrance au moment de l'acte? Encore une fois ce n'est pas cette éventuelle souffrance qui m'intéresse mais celle qui intervient avant, et celle là, pour la plupart d'entre eux, ils la ressentent bien, qu'elle soit physique voire seulement psychologique.
Sur le suicide philosophique, le vrai, celui dont l'expression vient de Camus, il n'est pas un suicide à proprement parler: il n'est qu'une renonciation à ses idées. Mais vous parlez visiblement d'un suicide de raison, issu d'une réflexion sur la liberté qui ferait que l'individu choisirait de se suicider pour se sentir plus libre. J'ai deux remarques à ce sujet :
1. Imaginer un seul instant que le suicide constitue un acte de liberté est une vraie bêtise. Dans l'acte du suicide, l'individu n'est pas moins conditionné par son passé, son entourage, ses émotions, et tout le toutim, que s'il choisissait de rester en vie. Ce n'est pas la liberté qu'il cherche ici, c'est la cessation de l'attente en tension d'une mort dont il ignore la date de venue. On revient alors exactement dans le cadre que j'analysais.
2. Je crois que ce cas est purement théorique. Un homme ne se suicide pas pour se soustraire à l'arbitraire et à l'inconnu de la mort. Ou en tout cas, si le cas existe, je ne suis pas sûr que son étude puisse servir à sauver grand monde tant il doit être une exception.
Sur le chagrin d'amour, vous semblez évoquer ici la fidélité à un idéal de vie. Je ne vois pas bien pourquoi cela concerne le chagrin d'amour qui est purement dans l'émotionnel, et où la personne ne se suicide certainement pas pour être conforme à l'idée qu'elle se faisait d'elle-même, mais bien parce qu'elle désespère d'être aimée.
Voilà, j'espère que ma réponse ne vous semblera pas trop abrupte car je vois que le sujet vous tient à coeur. Mais j'ai l'impression que vous avez lu certaines choses trop vite.Si vous le souhaitez nous pouvons poursuivre cette discussion par mail.
Écrit par : pikipoki | 04/06/2007
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