30/06/2010
S'intégrer quand on est un enfant HP (High Potential)
Quisti m'a posé il y a quelques mois la question suivante : pouvez-vous faire un billet sur la difficulté qu'éprouvent les enfants et les adultes dits HP à s'intégrer dans la vie sociale en général, à s'accepter et à vivre ? D'emblée il me faut dire que je ne répondrai pas complètement à cette question. Parce que cela nécessite pour être convenablement fait une compétence que je n'ai pas. Les cas d'enfants HP sont particuliers et répondent à des mécanismes psychiques qu'il convient d'avoir étudiés un minimum à mon sens avant de prétendre y apporter des réponses adéquates.
Mais je ne veux pas laisser la requête de Quisti sans réponse, et vous propose de le faire en abordant un point qui éclairera je l'espère au moins partiellement le sujet : la construction de l'identité de l'enfant.
Mais qu'est-ce qu'un enfant HP tout d'abord ? Il s'agit en réalité d'un acronysme issu de l'anglais High Potential. En français on traduira par enfant précoce, ou par le terme surdoué (que je n'aime pas du tout pour ma part car je trouve qu'il est trop connoté). Sur ce point déjà j'ai découvert par une recherche rapide que les spécialistes pouvaient être circonspects, et qu'ils différencient parfois enfants précoces et surdoués, les précoces pouvant n'être que précoces (et donc pas surdoués). Si l'on lit rapidement un peu de littérature sur le sujet qu'y trouve-t-on ? Rapidement, que ces enfants ont un mécanisme de pensée différent des autres. Ils ont une mémoire meilleure que les autres, leur pensée fonctionne en arborescence et non de façon séquentielle, ils sont également plus intuitifs, plus créatifs, et leurs sensibilité est plus élevé que la norme.
Cette différence de comportement et de fonctionnement crée une difficulté particulière pour ces enfants : comment vont-ils trouver leur place dans un monde construit pour d'autres types de fonctionnement que le leur ? Comment vont-ils s'intégrer parmi un milieu social composé de gens qui ne comprennent et n'envisagent pas le monde comme eux ? A mon sens un enfant précoce se pose en particulier rapidement une question, même si elle n'est pas réellement formulée clairement ainsi dans son esprit : qui dois-je devenir ?
Imaginons-nous un instant dans son univers, à sa place. Ses parents ont détecté sa précocité dans ses jeunes années. Plusieurs fois il les a entendu parler de lui en prononçant ce mot : "précoce". A chaque fois ce mot en porte avec lui un autre : "diffférent". J'ai 5, 8, 12 ans. Je suis différent. Différent de qui ? Différent de quoi ? Si je suis ainsi différent est-ce que les autres vont m'accepter ? Les parents jouent un rôle fondamental dans la construction de l'identité de l'enfant. Il se construit pour la majeure partie dans ses jeunes années en fonction de l'image que ceux-ci lui renvoient de lui-même. Ainsi l'enfant peut-il aboutir à la question personnelle suivante : "mes parents me disent que je suis différent, qu'est-ce que cela signifie sur ce qu'ils attendent de moi ? Que dois-je faire pour pouvoir être accepté, aimé ?"
J'ai l'impression que le risque ici est d'enfermer l'enfant dans une vision qui ne le laisse pas libre de devenir lui-même. Les parents bien souvent ont tendance à faire des projections d'eux-mêmes sur leurs enfants. C'est assez inévitable en réalité. Et l'enfant lui dans ses jeunes années va naturellement vouloir être aimé de ses parents. Dès lors son identification par ses parents en tant qu'enfant précoce peut constituer une forme de pression sur l'identité que l'enfant va chercher à atteindre. Les autres enfants sont bien sûr eux aussi l'objet des projections de leurs parents, mais ils n'entendent jamais ce mot qui les met à l'écart des autres, qui les différencie du groupe "normal". Ils n'ont aucun effort à faire pour être normal. Les enfants précoces eux ont en plus des autres cette question de leur positionnement vis-à-vis du groupe social à régler. Elle peut se traduire dans un effort démesuré pour devenir normal, et aboutir à renier leur potentiel, au risque d'étouffer leur identité et leur personnalité réelle.
Les enfants précoces d'une certaine façon doivent donc peut-être parvenir à éluder la question de l'intégration dans le groupe social. La question à laquelle il leur faut répondre à mon avis pour être heureux (oui c'est forcément ça l'objectif), n'est pas comment faire pour s'intégrer, mais comment être eux-mêmes. Et c'est là que bien souvent le bas blesse. Parce que les parents s'ils ne sont pas HP peuvent avoir du mal à comprendre leurs enfants. Par ailleurs il m'apparaît logiquement nécessaire qu'ils abandonnent leurs projections s'ils veulent permettre à leurs enfants de développer leur personnalité de façon libre (ce qui ne signifie pas qu'ils doivent abandonner l'idée de donner des repères, notamment moraux, à leurs enfants), ce qui n'est pas chose aisée.
Cette question peut se traduire concrètement pour les enfants HP dans les attentes que les adultes manifestent à leur endroit. Quel est leur droit à l'erreur s'ils sont plus doués que les autres ? Quelle patience leurs parents vont-ils avoir vis-à-vis de leurs difficultés à l'école ? Je ne suis pas sûr de ce que j'avance, mais j'imagine possible qu'un enfant, même précoce puisse rencontrer quelques difficultés dans certaines matières. Quelle pression cela peut alors être de se retrouver avec des adultes qui ont des attentes très élevées et qui n'ont pas la patience de se pencher sur ses difficultés pour aider parce qu'ils considèrent que l'enfant peut tout faire et facilement en plus ! Ces attentes dressent un portrait attendu pour l'enfant, une identité obligée : zéro défaut et une facilité qui doit être visible. Quelle place leur reste-t-il pour être eux-mêmes ? Là aussi ça ne signifie pas qu'il ne faille pas être exigeant. S'épanouir, au sens propre du terme, c'est bien arriver à développer toutes ses compétences, tout son potentiel. Mais entre pression et motivation il doit y avoir un pas à trouver.
Ces remarques soulèvent peut-être plus de questions qu'elles n'en résolvent. J'espère n'avoir pas écrit trop de bêtises, mais je manque de matériau pour être plus sûr de moi, et ces questions sont tellement mouvantes d'un individu à l'autre qu'il est difficile de viser juste pour chacun. Il me faudrait peut-être devenir moi-même précoce pour trouver la bonne solution, ou alchimiste céleste ...
23:48 Publié dans Un peu d'observations | Lien permanent | Commentaires (6) | Facebook |
Commentaires
De bonnes remarques, mais un raisonnement un peu plus étrange.
Il est à savoir tout d'abord que les enfants HP ont une caractéristique commune : ils sont plus intelligents (au sens qu'ils ont plus de capacités d'apprentissage, de formation de concepts et d'intrication des concepts) que leurs "maîtres", instituteurs ou même parents. C'est cette difficulté fondamentale qui en fait d'eux des êtres moins adaptés à la vie sociale.
Ils ont des aptitudes hors normes dans une ou plusieurs compétences, je n'ai jamais rencontré en vrai ou par écrit de neurologue ou psychologue relatant un enfant à HP complet. Ces aptitudes, mal travaillées quand l'enfant n'est pas "détecté", font qu'il va trouver le cadre scolaire très ennuyeux car basé sur la répétition, alors que cet enfant comprend en une seule fois des concepts qui lui paraissent être naturels (comme les bébés ont de manière innée certaines lois de la physique comme la gravité ou la continuité du mouvement, mais sans pouvoir les verbaliser).
En fonction de leurs aptitudes, ils peuvent ensuite les développer ou non si le cadre d'apprentissage est adapté, et s'ils ont un soutien émotionnel suffisant (les enfants HP étant souvent des enfants hypersensibles, David Tammett avec sa capacité de synesthésie étant lui-même considéré comme un autiste alors qu'il le réfute). Il s'agit moins alors pour les parents de pousser ou non leur enfant que de le soutenir et de le comprendre, car le pousser entraîne souvent des réactions comportementales vigoureuses.
Pour les parents d'enfants HP, peu de structures (tout du moins en France) sont proposées. Il n'y a que les "sauts" de classe qui sont acceptés, ou une instruction hors académie. Les deux solutions sus-citées vont de pair avec une difficulté supplémentaire de construction sociale de l'enfant qui se voit différencié des autres. Il lui faut compter sur des pairs plutôt que sur des enfants dits normaux, car les expériences de psychologie sociale sur ces relations de groupe d'un enfant HP montrent que les enfants normaux ont eux-mêmes tendance à rejeter et railler un enfant qu'ils percevront comme différent.
Il en reste que les enfants HP, malgré une intelligence (je déteste ce mot) ou plutôt un ensemble de compétences supérieur à la moyenne, restent des enfants. De par ce constat ils n'ont pas nécessairement acquis tous les codes sociaux parce qu'ils sont plus doués. Et beaucoup d'adultes ont tendance à les considérer comme tout sauf des enfants.
Difficile pour des parents adultes de se retrouver avec un enfant qui peut par exemple vers six ans développer un langage beaucoup plus riche que le leur, ou des aptitudes mathématiques supérieures.
Il s'agit donc ni plus ni moins que de composer avec tous les mystères entourant la venue et la maturation d'un enfant, chacun étant différent, chacun étant unique, chacun soulevant ses difficultés et apportant ses grandes joies.
Pour la documentation, se référer aux recherches du CRESAS. Et rechercher les concepts d'effet mare aux poissons, effet de confirmation des attentes, et effet pygmalion.
Écrit par : Hélios | 01/07/2010
Helios
Et bien voilà un exemple parfait de l'intérêt des commentaires ... Merci, et notamment pour les idées de documentation.
Écrit par : pikipoki | 01/07/2010
C'est un plaisir, c'est mon domaine... et un peu de vécu dans mes jeunes années...
Pour d'autres documentations, j'en ai à la pelle...
Écrit par : Helios | 01/07/2010
Bonjour, je ne suis pas du tout "spécialiste" dans le sens professionnel, je suis juste "concernée". Cet article m'a touchée par certaines réflexions sur l'adaptation et la différence. Le commentaire d'Helios est très intéressant aussi! Je serais très intéressée par de la documentation supplémentaire. Je voudrais juste apprendre ce qui m'a rendu la vie... un peu difficile parfois.
Écrit par : Talim | 03/12/2010
Bonjour,
Je ne suis malheureusement pas en mesure de mon côté de vous transmettre de la documentation. Il en existe toutefois sur Internet, mais même pour ça je ne suis sans doute pas le meilleur conseiller...
Content toutefois que l'article ait pu éveiller votre intérêt :o)
Écrit par : pikipok | 03/12/2010
Je vous recommande vivement , chaudement, les livres de Jeanne Siaud-Facchin. Celui sur les adultes est un peu meilleur que celui sur les enfants.
C'est pragmatique et très aidant, parce que c'est exact, c'est très difficile de laisser l'enfant précoce vivre sa vie d'enfant...
J'ai moins aimé celui de Arielle Adda- sauf les contes délicieux de la fin du livre - et moins aussi le Jean-Charles Terrassier.
Ce qui est vital avec ces enfants, et ces adultes, c'est d'intégrer qu'ils sont différents. Ils ont de processus cognitifs, relationnels, d'apprentissage, différents et spécifiques. Cela peut être très déroutant. c'est questionnant sur notre vision du monde, et notre organisation du monde. Mais c'est une aventure géniale !
Écrit par : Tanakia | 09/01/2011
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