17/09/2005
L'état c'est la civilisation !
Je découvre, avec un peu de retard, un article (malheureusement accessible uniquement aux abonnés, il est extrait du Salon magazine de San Francisco) très intéressant, relevé la semaine dernière par le toujours aussi bon Courrier International, et titré : L’état, c’est la civilisation !
L’article fait partie du dossier du Courrier International sur la catastrophe du cyclone Katrina, et il l’œuvre du sociologue Alan Wolfe. Au-delà de l’analyse, que je partage en grande partie, qu’Alan Wolfe fait de l’évènement, son article me semble dépasser le seul cadre du drame qu’on vécut les américains. Il propose une réflexion sur le rôle de l’état en tant qu’élément de civilisation. Il montre en quoi l’état est bien le garant de la civilisation, et ce qui nous permet de vivre en tant qu’êtres humains, et pas justes comme des bêtes.
L’article part d’une reprise d’une idée du philosophe anglais Thomas Hobbes qui montrait que sans autorité, nous vivrions en état de guerre perpétuelle. Cela signifie en quelque sorte que livrés à nous-mêmes dans la nature, nous reviendrions à l’état de nature (pour être plus précis je dirais que nous reviendrons à l’état de notre nature primale, un peu ce que Laborit désignait sous les comportements dictés par notre cerveau reptilien). Ce phénomène s’est très largement manifesté à la Nouvelle-Orléans, et c’est en grande partie lui qui est à la base des réactions d’horreur, bien au-delà à mon avis des réactions envers l’administration américaine. On a entendu ou lu beaucoup de gens dire : comment peut-on en arriver là dans un pays dit civilisé ?
Mais en réalité nous n’avons fait que redécouvrir l’importance de l’influence de notre cerveau reptilien sur nos comportements. Importance que l’on sous-estime très largement dans notre quotidien ! Nous avons redécouvert qu’en l’absence d’autorité, nous avons tous tendance à nous conduire comme des bêtes, avec pour seul objectif de satisfaire nos besoins primaires. Rien de neuf sous le soleil dans le fond.
Que retire-t-on de cette observation ? Et bien que l’homme ne s’est extrait de son animalité qu’en se donnant des règles de vie, lui permettant une mise en commun avec les autres hommes de ce qu’il a et de ce dont il a besoin. C’est par l’érection de ces règles, par la naissance de la solidarité, que la civilisation peut naître. C’est ainsi que l’homme devient véritablement un homme et pas seulement un mammifère un peu plus développé que les autres. J’ose dire que cela rejoint en partie ce que je relevais il y a quelque temps. Etre un homme, ce n’est pas juste avoir deux bras, deux jambes, un ventre, un visage et des sens. C’est penser, c’est raisonner et se raisonner, c’est apprendre à vivre en société, et donc apprendre à échanger et enfin à s’entraider.
Et l’état (au sens large) est bien entendu le principal garant de cette civilisation que l’homme fait naître. Parce que c’est lui qui détient la règle, la fait appliquée, et sanctionne lorsque celle-ci est bafouée. Il est le gardien de la loi et le représentant des valeurs qui font que l’humanité peut s’ériger des objectifs, des horizons autres que la seule réponse à nos besoins de primates. Cette réflexion me semble très intéressante pour comprendre quelle place on peut accorder à l’état dans les domaines politiques économiques et sociaux. Il m’apparaît très clairement, que l’abandon total de l’état dans une de ces trois disciplines, serait, au moins en partie, un retour vers notre état de nature animale. C’est notamment, à mon sens, toute la limite de la logique économique libérale.
Ainsi il est bon parfois de se rappeler que si nous sommes bien issu du règne de la nature, notre nature d’hommes nous a fait nous en extraire, partiellement au moins (puisque notre cerveau reptilien est là pour nous rappeler quelles sont nos origines…). Ce sont les règles, essentiellement sociales, que nous avons établies, que nous nous sommes données à nous-mêmes, qui nous ont permis de nous en extraire, et d’accéder à notre nature d’homme. Si nous ne savons pas faire vivre ces règles, et respecter l’entité, l’état, qui en est garante, alors nous nous retirons notre nature d’homme, nous agissons en négation de ce que nous sommes.
19:30 Publié dans Un peu d'observations | Lien permanent | Commentaires (7) | Facebook |
Commentaires
Bonne analyse du « problème katrina », vous en relevez le point certainement le plus fondamental, mis en évidence par ce cyclone. « Etat », « autorité » peut être, mais certainement mise en commun ce qui implique une « liberté individuelle » limitée par les exigences du collectif. Les graves erreurs historiques de gestion du collectif par des hommes dont le « cerveau reptilien » devait avoir pris le dessus, ne doit pas pour trop longtemps encore avoir envoyer aux oubliettes cette notion fondamentale de l’identité humaine.
Petite correction à faire dans le dernier paragraphe : « Ainsi il est bon parfois de se rappeler que si nous bien issu du règne de la nature » il manque sans doute « sommes » entre nous et bien.
Écrit par : Quoique | 19/09/2005
Merci Quoique. C'est corrigé.
Écrit par : pikipoki | 19/09/2005
Ch'uis pas d'accord :-)
Bon que l'état soit structurant ( civilisation etc.) oui bien sûr. Ca ne décrit cependant en rien son fonctionnement : mission régalienne, ediction de règles et lois, intervention tout azimuth, totalitarisme ? Il y a, à ce sujet place pour le débat, mais ok. En passant l'état ne nous protège en rien des guerres, un rapide survol d'un bouquin d'histoire devrait
y suffire..
Mais ce qui me dérange c'est la référence au "cerveau reptilien"(hypothalamus + hypophyse, si je ne m'abuse ?) et à l'état d'animalité. Ce n'est pas sympa pour les reptiles et je suis un animal d'abord. C'est un peu du grand n'importe quoi : évidemment que nous sommes constitués d'émotions, de pulsions, de sexualité. Evidemment que tout cela influence notre comportement. Mais croire que cela apporte de la "sauvagerie" c'est une vision catho du rapport à son corps et ses émotions. C'est un peu comme le débat sur l'inné et l'acquis, il n'a qu'un sens limité, on ne peut tracer une frontière claire entre le "reptiliens" et le cortex. Et je ne vois pas pourquoi le cortex serait bon et le "reptilien" mal ? (bon je grossis le trait tu ne dis pas ça, bien sur).
-L'autorité ? Oui bien sûr. Mais elle est doit être comprise et partagée. Je passe pas mal de temps à l'expliquer à mes (jeunes et très jeunes) enfants : le pourquoi, le comment, le comment jouer avec.... L'état n'a pas à être le seul structurant en ce domaine : non seulement ça fait froid dans le dos, mais de plus il y a risque de deresponsabilisation (ça se voit à l'école, chez certains parents qui attendent , disons poliment, trop de la structure éducative étatique, non ?).
Il faut faire confiance en l'homme.
Enfin content d'avoir trouvé ton blog :-)
Écrit par : Eviv Bulgroz | 20/09/2005
Eviv.
D'abord effectivement, mon billet n'a pas pour objectif de décrire dans son intégralité la fonction que doit remplir l'état. Mon intention est plus de donner une idée de départ sur laquelle chacun peut ensuite réfléchir. Mais je crois que vous l'avez perçu.
Votre remarque concernant mon point sur le cerveau reptilien me semble (très) rapide. Il me semble que vous n'avez pas bien pris le temps d'essayer de comprendre ce que je voulais dire. Je reprends donc quelques points de votre commentaire:
"croire que cela apporte de la "sauvagerie" c'est une vision catho du rapport à son corps et ses émotions". Il ne s'agit pas de "croire". C'est un fait plutôt avéré, et pour vous en convaincre je vous renvoie aux lectures de Laborit. Ignorer notre part animale simplement parce qu'elle ne nous arrange pas, c'est se leurrer sur soi-même à mon avis.
Et les "cathos" n'ont rien à voir là-dedans...si? (non je sais là c'est votre style qui vous emporte ;o) )
"Et je ne vois pas pourquoi le cortex serait bon et le "reptilien" mal ? (bon je grossis le trait tu ne dis pas ça, bien sur)." Effectivement ce n'est pas vraiment ce que je dis. Mon idée c'est que le réptilien nécessite d'être encadré pour ne pas prendre le pas sur le reste (limbique, que vous oubliez, et néocortex). Lisez un peu les informations pour lesquelles j'ai donné des liens, vous comprendrez mieux mon idée. Si nous vivions dans une société où le réptilien avait tout loisir de s'épancher, ce ne serait pas une société, mais la jungle. Ca ne l'est pas, justement parce que nous ne nous résumons pas uniquement à notre cerveau réptilien. Et tant mieux!
Sur votre dernier paragraphe, je pense que nous sommes d'accord, donc je ne rajoute rien.
"Confiance en l'homme": je suis d'accord, et je vous rejoins tout à fait pour dire qu'il y a aussi un danger fort si on le déresponsabilise en prenant tout en main de façon extérieure à lui. Pour autant, vous serez je pense d'accord avec moi pour dire qu'il est tout de même nécessaire qu'il y ait des lois dans un pays, non? Et si l'on y réfléchit bien, ne sont-ce pas aussi en partie ces lois qui responsabilisent les gens? Précisément parce qu'elles imposent à chacun de se rendre responsable de ses actes, sous peine de quoi on peut avoir à rendre des comptes à la justice?
Une dernière remarque eviv, et j'espère que vous n'en prendrez pas ombrage. Je suis bien sûr content d'accueillir de nouveaux lecteurs ici, et de pouvoir engager des débats sur les sujets que j'évoque (ce qui reste assez rare d'ailleurs). Mais s'il vous plaît, évitez ce genre de choses: "C'est un peu du grand n'importe quoi ". C'est désagréable à lire, et si vous trouvez que mes idées sont mauvaises il faut suffit de dire: "je ne suis pas d'accord" et de vous expliquez. Je suis ouvert aux critiques, mais pas aux tons qui cherchent seulement à clouer le bec.
Merci :o)
Écrit par : pikipoki | 20/09/2005
Le "c'est un peu du n'importe quoi" s'adressait aux tenants du "cerveau reptilien", pas à vous spécifiquement. Ca n'apparaît pas clairement dans ce que j'ai écris, c'est vrai, je ne prendrais aucun ombrage si vous éditez mon texte afin de le faire disparaître ;-).
Laborit et autres avec leur cerveau reptilien/limbique etc, ça me semble super faible comme théorie, pour les raisons que j'énonce plus haut. J'y vois une sorte de croyance, d'où la référence à la religion catho (qui n'aime pas l'animalité "tapis au fond de nous"). Le cerveau c'est beaucoup plus compliqué que ça et que partiellement découpable en "tranche". Je trouve ça castrateur et dangereux cette simplification reptilienne, c'est tout.
Ce que je voulais dire, et ça me permet de le préciser, c'est que l'état n'est pas une construction ex nihilo qui s'impose à nous. Elle est le fruit de notre travail à nous être humain. Ce n'est pas quelque chose qui nous est imposé "de l'extérieur" par je ne sais quel entité. En ce sens j'ai le plus grand respect/admiration pour les sauvages préhistoriques qui par tâtonnement ont abouti à ces créations. Ils étaient très loin d'être "reptiliens" pour parvenir à construire tout cela, non ? Mais quelque soit le respect que j'ai pour nos ancêtres communs, ça ne signifie en rien que le "tâtonnement" soit terminé. Nous sommes les reptiliens de nos descendants :-)
a+
Écrit par : Eviv Bulgroz | 20/09/2005
@eviv
Je consultais attentivement statcounter pour guétter votre réponse.
Je n'ai pas grand chose à ajouter à votre commentaire, car je suis très d'accord avec vous sur l'essentiel. Vraiment.
Un petit point juste concernant Laborit. Allez voir sa fiche sur wikipédia et vous verrez qu'il est très loin d'être un sombre alchimiste de la pensée. Il aurait pu être prix Nobel le monsieur, et ses travaux uniques font références encore aujourd'hui. Les théories qu'il avance sont donc bien plus que de simples croyances. :o)
En fait la simplification, c'est moi qui la fait (un billet c'est pas très pratique non plus pour réécrire un bouquin ;o) ).
Écrit par : pikipoki | 20/09/2005
Mais je suis un gentil, sisi :-)
Laborit, je vais mieux regarder. Je pense néanmoins que le fonctionnement du cerveau.... ben on est pas arrivé :-)
Bonne journée
Écrit par : eviv Bulgroz | 20/09/2005
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