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16/09/2005

Le miroir de nos choix

Je me souviens d’une réflexion que je m’étais faite un soir après avoir assister à un spectacle à l’opéra Bastille. A la fin du spectacle, 99% du public s’était mis à applaudir fort bruyamment son bonheur d’avoir assisté à un représentation de grande qualité. Mais dans ce concert de bravos et de claquements de mains, je ressentais comme un hic, en fait même une certaine colère, parce qu’il me semblait très clairement qu’il y avait dans ce public un très grand nombre de personne auxquelles il aurait suffit de vendre des billets dans ce même opéra, que les places aient le même prix et que le spectacle soit donné dans le même décor, mais en y faisant venir une troupe d’amateur ayant appris l’art lyrique en 3 mois sur du Cleyderman, pour que le résultat soit le même à la fin : applaudissements et bravos à qui mieux mieux.

 

Ce fut notamment très visible lorsque la soprano apparût et eût droit à une ovation aussi immodérée qu’imméritée. Car elle n’avait pas été terrible, loin s’en fallait. Mais voilà, c’était la soprano, et ils n’y comprenaient pas grand-chose : soprano… opéra… il ne pouvait s’agir que d’une diva voyons ! Mouais… Pressentant donc que ces gens là eussent applaudis au moindre spectacle donné dans les mêmes conditions, sans le moindre esprit critique quant à la véritable qualité de ce spectacle (mais bon sang, quand une soprano ne parvient pas à faire porter sa voix, on s’en aperçoit sans difficulté !), j’ai compris que dans le fond, ils n’applaudissaient pas véritablement le spectacle (puisqu’ils ne le jugeaient pas, ils ne l’évaluaient pas).

 

Mais alors, qu’applaudissaient-ils ? Et bien à mon avis la réponse est extrêmement simple, bien qu’elle puisse paraître fort étrange : ils s’applaudissaient eux-mêmes. C’est-à-dire qu’en applaudissant à tout rompre les différents chanteurs, costumiers et autres metteurs en scène, ils utilisaient ladite scène comme un miroir qui leur renvoyait le prestige qu’ils étaient en train d’attribuer au spectacle. Ils approuvaient leur choix d’être venus, qui plus est à l’opéra qui, malheureusement, continue de véhiculer chez beaucoup l’image d’un divertissement d’élite. Ils étaient donc eux-mêmes cette élite. Tout le montrait autour d’eux, ou semblait le montrer à leurs yeux. Mais cela aurait été grandement gâché s’il leur avait fallut reconnaître la médiocrité du spectacle, ou même seulement d’un de ses acteurs.

 

Tandis qu’en applaudissant ainsi à tout rompre en respectant la convention qui voudrait visiblement à leur yeux qu’une soprano soit nécessairement l’héritière de la Calas, et qu’un opéra donné dans un salle qui s’appelle opéra soit forcément le sommet des sommets du bon goût culturel, leur propre prestige à être spectateur dudit opéra était alors grandit vers des cieux toujours plus hauts.

 

Mouais vous dites-vous. Mais où tout cela nous mène-t-il ?

 

Et bien je crois qu’on peut faire un parallèle assez proche concernant l’essentiel de nos choix. A mon sens, ceux-ci sont guidés selon deux voies principales, antinomiques : d’un côté la voie primale, instinctive, et de l’autre celle des valeurs.  C’est vrai en particuliers concernant nos choix en matière de politique.

 

En effet, il y a à mon sens deux éléments principaux qui rentrent en ligne de compte quand nous établissons nos choix politiques (typiquement, lors d’un vote):
 

  1. Que ce choix, comparativement aux autres, nous paraisse être celui qui répond le mieux à nos besoins personnels (dans une vision totalement égocentrée). C’est l’équivalent de la voie primale.
  2. Que notre choix nous donne une bonne image de nous-même. Qu’il nous permette de nous dire que notre image sociale est celle de quelqu’un de bien, quelqu’un qui a une vraie valeur humaine. C’est sur ce deuxième point que le marketing politique et la communication interviennent.

 

Il va s’agir pour ces disciplines de parrer le camp pour lequel elles œuvrent de valeurs. Je vais ici utiliser volontairement une caricature, pour simplifier et éclaircir mon propos. Il y a deux grandes valeurs qui s’opposent dans la vie politique française à mon sens. A gauche ce sont les valeurs morales, à droite c’est l’intelligence et la réussite qui l’accompagne. C’est très sensible ces temps-ci, notamment à gauche. A ce titre, l’accusation du groupe PS traditionnel représenté par Hollande d’être constitué de « social-traîtres » me semble très symptomatique. L’accusation porte sur un point moral. Hollande et sa clique sont des traîtres vis-à-vis de la société. Et au final, puisqu’ils sont traîtres, ils sont comme les gens de droite : misanthropes et égoïstes.

 

Du coup, les programmes politiques semblent se résumer de plus en plus à une simple bataille d’étendard : « je suis un homme meilleur que toi, en faisant mon choix tu feras un choix d’humaniste » « je suis plus intelligent que toi, en faisant mon choix tu feras donc forcément le bon puisque je sais mieux évaluer les choses ». Le problème principal est que ces étendards remplacent in fine les idées qu’ils sont censés soutenir. Dans certains débats on s’aperçoit qu’il suffit désormais de dire dans quel camp on se trouve pour que tout soit dit. On ne va pas plus loin que la bannière songeant que celle-ci remplace tous les discours. Et on retombe dans certains pièges en surinterprétant.

 

Cela pose à mon avis un problème majeur. Deux en fait. Le premier c’est qu’il n’y a plus de vrai débat, c’est-à-dire d’échange d’idée, chacun s’en tenant à essayer de faire entrer son idée dans le crâne de l’autre. Le deuxième, c’est que les idées disparaissent complètement derrière leurs étendards. Le risque existe alors que ceux-ci, utilisés à outrance, finissent par se dissocier des idées qu’ils devaient initialement représenter. Du coup, il n’y a plus de vraie réflexion critique menée sur les différentes idées politiques qui pourraient mériter d’être mises en avant. On privilégie la réaction systématique de rejet de choix qui, étant faits par un camp, ne peuvent que confirmer tout le mal qu’on pense de ce camp. Je crois que c’est surtout vrai pour les réactions que l’on voit dans les partis des extrêmes, de gauche comme de droite.

 

Et ces partis jouent sur ces étendards. A l’extrême gauche notamment, utilisant un vocabulaire de compassion, de souci des autres, notamment des plus faibles, on utilise la corde sensible pour dire aux gens : nous sommes des gens biens, altruistes, humanistes. Si vous vous joigniez à nous, vous ferez la preuve que vous l’êtes aussi. Les problèmes politiques et l’analyse des solutions que l’on peut y proposer sont toujours complexes. Parfois extrêmement complexes. Parce que dans des sociétés de plusieurs millions d’habitants, un problème concerne des milliers de personnes, mais pas toutes de la même façon. Il est alors bien rare que les solutions à prendre soient simples. Mais il est aussi bien difficile d’expliquer dans le détail la complexité de ces sujets. Les étendards sont alors des outils forts pratiques, servant à vulgariser, quitte à réduire.

 

Tout le talent consiste donc à ce que ces étendards renvoient aux gens une bonne image d’eux-mêmes. Si l’on obtient cela, une grande partie du travail est faite. Les gens se sentent rassurés. Ils pensent que leurs intérêts sont sauvegardés par leur choix, et plus encore, que leur valeur personnelle s’en trouve augmentée. Et ainsi, un peu comme à l’opéra, leur candidat dans le fond, ce sera eux-mêmes. Evidemment qu’ils vont voter pour lui !

Commentaires

La question est : en a-t-il jamais été autrement ?

Écrit par : Paxatagore | 16/09/2005

Peut-être... Mais j'ai le sentiment que c'est une tendance qui s'accentue de plus en plus, et ma crainte est là. De plus, mais je ne l'ai pas indiqué dans mon billet, cela pousse les gens à s'aveugler sur les fondements de leurs choix, et surtout à les embellir, de façon injustifiée donc. C'est cet aveuglement sur soi qui m'inquiète parce qu'il est extrêmement difficile de s'en défaire, et pourtant il le faudrait car il empêche d'analyser les choses clairement et avec esprit critique.

Écrit par : pikipoki | 17/09/2005

j'ai dejà du mal à prendre le temps de lire, en diagonale, les billets que vous émétez alors les écrire me semble relever d'une pure fantasmagorique volontée.
Anyway si l'effet miroir me semble relever d'un état de fait certain, ne lapidons pas les applaudisseurs, qui pour certains se seront saignés aux 4 veines pour offrir ce joyaux à leurs conjoints, enfants, familles, et puis l'émotion ressentie doit-elle seulement être liée à la performance technique ?
Certes être trop bon public m'exaspère et tel n'est d'ailleurs pas mon cas, mais ceux qui pleuraient devant ET (incompréhensible pour moi au demeurant) ne se sont-ils pas autorisés, enfin, à avoir la possbilité d'exprimer des tombereaux de sentiments cachés. L''action d'applaudir n'est-elle pas aussi le moyen incontesté de se faire plaisir ? sans jugement du voisin, en accord avec tous sans oeil inquisiteur et constestataire ? Alors miroir certes mais multifacettes.
Et à ceux qui ont eu la chance d'obtenir des places pour Cosi Von Tutte à Garnier cet automne, merci d'ajouters mes mains aux votres lors des applaudissements genereux et nourris que meritera certainement le spectacle !

Écrit par : langui | 19/09/2005

@Langui
Il y a quelque chose de très vrai dans votre commentaire, chère langui ;o). En effet pour ceux qui n'ont pas l''habitude de certains spectacles, avoir la chance d'y aller une fois les porte sans doute à un excès très compréhensible dans la manifestation de leur joie, et en effet, on ne peut pas les en blâmer.
La difficulté se trouve en fait au niveau de choix d'une autre portée que ceux de savoir si on va à tel ou tel spectacle. Lorsqu'on fait un choix politique les conséquences sont importantes. Et dans ce cas il me semble très important de faire un choix lucide. C'est ce point qui me semble parfois douteux.
Bonne journée ! :o)

Écrit par : pikipoki | 19/09/2005

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