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09/12/2005

La culture d'origine: Kelman & Krysztoff v Mona Cholet

Krysztoff a produit hier un billet intéressant issu de sa lecture du livre de Gaston Kelman « Je suis noir et je n’aime pas le manioc », qui l’a visiblement pas mal marqué. Une des idées les plus intéressantes qu’il rapporte est la déconstruction faite par Gaston Kelman de la notion de « culture d’origine » à laquelle on chercherait encore (trop) souvent à rattacher les enfants d’anciens immigrés (ou les enfants des enfants d’immigrés, ou… etc). On attribue à ces personnes, de façon presque pathologique, une culture originelle qui est celle du pays d’où viennent leurs aïeux, alors même qu’ils n’ont jamais connu autre chose que la France et ne sont parfois jamais parti à l’étranger.

 

Ainsi, Kelman relève l’idée qui me semble très juste que ces jeunes fils et filles d’immigrés sont bien plus rattachés à la culture française qu’à tout autre. Un jeune qui est né en banlieue parisienne et y a vécu toute sa vie est culturellement parlant plus proche d’un parisien dont toute la lignée a vécu en France que des habitants du pays d’où venaient ses parents. Et ainsi, il ne s’agit pas du tout d’intégrer ses jeunes à la société française, mais bien de reconnaître enfin leur appartenance pleine et entière à notre société et à notre culture. Ils n’en sont pas des éléments originaux auxquels échouerait un travail d’inscription de notre culture dans leur comportement. Le « travail » revient surtout à ceux de souche gauloise qui n’acceptent toujours pas que ces descendants d’immigrés sont bel et bien des citoyens français à part entière.

 

Cette idée de Kelman est intéressante et je crois qu’elle devrait être un des fondements de la réflexion à mener dans la lutte contre certains processus d’exclusion. Mais j’y vois une limite, que relève en partie Mona Cholet dans l’article qu’elle a rédigé en avril 2004 au sujet du livre de Kelman, et que Krysztoff indique en lien. Je dois d’abord dire que si je trouve des éléments intéressants dans son texte, Mona Cholet ne me paraît pas moins procéder à une caricature très excessive de la pensée de Kelman. Mais donc, je vois une limite aux propos de celui-ci, et qui est très manifeste lorsque Krysztoff résume son idée en disant : « oui, culturellement parlant, ses ancêtres sont bien des gaulois ».

 

Il me semble que Kelman et Krysztoff vont trop vite sur ce point. Parce qu’il choisissent pour ces individus à quelle culture ceux-ci doivent se rattacher, alors que cela ne peut provenir que du propre choix des intéressés. Certes ils sont nés (et peut-être déjà leurs parents, voire leurs grands-parents) en France, et y ont vécu toute leurs vies. Mais pourquoi cela devrait-il signifier qu’ils doivent assimiler intégralement la culture française presqu’au point de renier de leurs origines anciennes ? S’ils se sentent proches de cette culture originelle, je ne vois pas de raison de les en déraciner, même s’ils vivent en France sous l’auspice de nos lois et de nos institutions. C’est à eux de déterminer à quelle culture ils entendent le plus se rattacher.

 

Pour que mon idée soit claire je vais tenter une analogie avec un enfant adopté. Un jour ses parents adoptifs lui annoncent qu’ils ne sont pas ses géniteurs. Ce jour là, libre à lui s’il le souhaite de chercher ses « vrais parents ». Il peut tout à fait décider de ne pas entreprendre de recherches, comme il peut au contraire chercher à comprendre plus précisément d’où il vient. Et s’il retrouve ses géniteurs, il doit pouvoir être libre de choisir de rester avec eux ou du moins de les intégrer pleinement à sa vie, ou de ne pas le faire.

 

A mon sens il en va de même pour les individus issus de près ou de loin à une culture étrangère. Qu’on me comprenne bien (et je pense que Krysztoff a d’abord dû sursauter en lisant mes premières lignes). Il ne s’agit bien sûr pas d’accepter ces personnes et leurs cultures quoi qu’il en coûte, et entre autre au détriment de la nôtre. S’il y a un élément dans leurs cultures qui est en contradiction forte avec nos valeurs, et notamment avec notre droit, il ne me semble pas normal qu’il soit accepté. Certes une certaine flexibilité a priori doit à mon avis présider vis-à-vis de ces différences afin de ne pas les rejeter de façon trop mécanique (sinon on s’interdit d’évoluer), mais il serait je crois idiot de décréter qu’on peut tout accepter. La différence n’est pas nécessairement belle parce qu’elle est différence. Il faut savoir l’évaluer, la mesurer, la juger pour ce qu’elle est vraiment.

 

Mais dans la mesure où leurs cultures ne rentrent pas en conflit avec la nôtre, ou leur expression ne devient pas exclusive de nos valeurs, et qu’elles apportent la richesse de leur altérité (promis bientôt j’arrêterai de me gargariser avec ce terme), elles doivent pouvoir être accueillies à bras ouverts. Ou alors c’est qu’on a une vision figée de la société, qu’on ne lui donne pas les chances de découvrir d'autres horizons et d’évoluer. Et même, la fierté que peut ressentir une personne quant à ses origines ne me paraît pas nécessairement en contradiction avec son acceptation de la culture du pays où elle vit. On peut tout à fait être fier du passé de ses ancêtres sans pour autant rejeter le système dans lequel on vit parce que celui-ci est différent. C’est simplement l’affirmation de (toute) son identité, et cela ne signifie pas forcément que celle-ci est réduite à cette fierté et qu’elle n’est pas autant construite par son environnement quotidien.

 

D’ailleurs on s’aperçoit là que le vrai problème n’est pas que certains aient choisi de se rattacher à la culture de leurs (parfois lointaines) origines, mais plus qu’ils l’ont fait de façon exclusive, c’est-à-dire en rejet de toute autre culture et en particulier de la nôtre.  Ce n’est donc pas en proposant à notre tour un système exclusif qu’on pourra résoudre ce problème. On ne ferait ainsi qu’exacerber le conflit en radicalisant encore plus les positions.  C’est une culture de la tolérance et de l’ouverture saines qui doit être favorisée. Quand je dis « saines » cela veut dire, en respect de règles sans lesquelles cette tolérance et cette ouverture ne seraient qu’un « gant sans main » (expression que j’emprunte à Kandinsky), parce qu’inapplicable.

Commentaires

Je savais bien (et je l'ai un peu écrit pour cela, justement parce que c'est un des arguments souvent évoqués quand on parle de l'enseignement de l'hsitoire aux enfants d'immigrés) que cette phrase avait quelque chose de choquant, sinon d'excessif.

En fait, ce que je veux dire, ou plutôt ce que Kelman entend (et que je partage), c'est, d'une part qu'en tant que français à part entière, il n'est pas illégitime que de leur apprendre l'histoire de leur pays, la France (et donc que les ancêtres des français d'aujourd'hui étaient les gaulois).

D'autre part, comme je le redis dans la conclusion de mon post, rien, absolument rien, ne doit interdire la double, la triple ou plus, appartenance culturelle. A une seule condition, que vous mentionnez clairement et que je partage, que ces appartenances soient sans exclusive et cohérentes avec les us et coutumes (la culture) de la société française (Kelman a tout un développement sur les familles polygames et l'impossibilité d'accepter ce mode de vie en France, il en sait quelque chose, il a été directeur du Syndicat d'Agglomération de la ville nouvelle d'Evry, j'ai été élève dans une école d'Evry, en face d'un quartier avec une forte communauté malienne où nous allions faire de l'aide au devoir - il avait par ailleurs sur Inter l'autre matin une image assez amusante, il faut dire qu'il est plutôt plein d'humour, sur le fait qu'il aurait du mal à accepter d'avoir son salon innondé en permanence parce qu'une famille Inuit aurait construit son igloo dans l'appart au dessus).

Enfin, Kelman considère la culture comme des outils permettant de vivre ici et maintenant. Vue comme cela, la culture est forcément temporalisée et spatialisée. Le reste appartient à l'histoire familiale, à l'histoire personnelle, libre à chacun de s'approprier ou non cette histoire.

Écrit par : Krysztoff | 10/12/2005

Krysztoff
D'accord avec vous sur la légitimité à apprendre l'histoire de France aux enfants qui y naissent et qui y vivent, quelles que soient leurs origines (lointaines ou pas).

Sur le point de la culture "exclusive ou non" on retrouve je crois la question que j'avais tenté il y a quelque temps de soulever à propos de l'intégration de la Turquie dans l'UE. Pour reprendre un peu l'idée que je développais, les notions d'ouverture et d'identité travaillent en quelque sorte l'une contre l'autre. Plus on va vouloir définir une identité, plus celle-ci va devenir exclusive, et à l'inverse, plus on va chercher l'ouverture, moins on va donner de contours à l'identité.

Le dilemme est difficile à résoudre car on n'est pas dans un schéma simple d'une notion bonne contre une notion mauvaise; les deux notions "identité" et "ouverture" renvoient à des éléments positifs. L'identité est notamment ce qui permet d'apporter du sens (c'est tout le défi de l'Europe aujourd'hui de trouver quelle identité elle veut véritablement se donner, c'est par là que passe la compréhension nécessaire de son projet), et l'ouverture est ce qui permet d'évoluer, de découvrir, de s'épanouir. On ne peut donc pas résoudre le problème en disant: "on fait disparaître l'un pour n'avoir que l'autre". Le choix doit se faire en prenant une part de l'un et une part de l'autre et c'est la mesure de ces parts qui est très difficile à effectuer.

Écrit par : pikipoki | 12/12/2005

En ce qui concerne les jeunes nés en France issus de parents immigrés, KELMAN vit dans un rêve. En effet, je connais des jeunes congolais, maliens, nés en France, vivant parfaitement leur culture d'origine et la culture française. Ils parlent le malien, linguala, et, même nés en FRANCE, se sentent avant tout congolais et maliens. Ils vivent parfaitement leur deux cultures et son très bien dans leur tête !!! Certainement mieux que les enfants de KELMAN ! Là ou leurs parents ont réussis, KELMAN a peut être raté quelquechose !!! J'ai proposé à ces jeunes de rencontrer kelman pour lui montrer son erreur de jugement, mais ils n'en voient pas l'utilité. Ils pensent que M. KELMAN a un problème personnel d'identité ! car pour ceux, tout va bien! Ils ont déjà été dans le Pays de leurs parents et aiment y retourner chaque fois qu'ils peuvent.

Écrit par : berna | 07/03/2006

@ berna

Si vous pouviez laisser les enfants de Kelman tranquilles... Qu'est ce qui vous permez de dire qu'ils ne sont pas bien dans leur tête? Et qu'est ce qui vous permet de suggérer que Kelman aurait raté quelque chose dans l'éducation de ces enfants? Avez-vous lu les livres de Gaston Kelman? Ces jeunes dont vous parlez, les ont-ils lu ces livres? Et si vous invitiez Gaston Kelman à venir débattre avec eux, pour qu'ils le convainquent de sa manifeste erreur...

Écrit par : Krysztoff | 09/03/2006

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