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10/01/2006

Points d'ancrage et manipulation

Parmi les techniques de gestion du stress on trouve quelques idées originales qui, si elles ne constituent pas vraiment des méthodes de fond, n’en sont pas moins intéressantes à explorer. L’une d’entre elle est l’utilisation de ce que je vais appeler les points d’ancrage. Je crois qu’il n’y a pas de formulation « officielle » pour cela mais l’expression poins d’ancrage me semble très appropriée.

 

Cette idée repose sur le fait que le corps mémorise un certain nombre de choses, et notamment les états de formes, physiques et psychiques, dans lesquels il s’est trouvé aux différents moments de l’existence. Et qu’il est possible de créer soi-même les conditions permettant de fixer ces souvenirs de façon corporelle, sans que l’on ait besoin plus tard d’un quelconque travail de la mémoire pour que ces souvenirs reviennent. En se constituant des points d’ancrage.

 

Il s’agit en fait, lorsque l’on se trouve dans un état physique et psychique particulier que l’on souhaite pouvoir retrouver plus tard, de s’imposer une sensation physique spécifique qui ancre le souvenir de cet état dans notre mémoire corporelle. Il suffira alors ensuite de répéter cette sensation physique spécifique pour que l’on se retrouve dans le même état physique et psychique que lorsque l’on a créé son point d’ancrage.

 

Mais quelques exemples éclairciront mieux ce que je veux dire. Mon premier exemple servira en particulier aux professeurs qui rencontrent des difficultés à faire régner l’ordre et le silence dans leur classe. Bien souvent, face à une classe excitée il faut plusieurs minutes de « Silence ! » tonitruants pour obtenir un retour au calme. En utilisant un point d’ancrage très simple vous pourrez parvenir à ce silence d’une façon plus facile. Il suffit, à chaque fois que vous êtes parvenu à retrouver le silence après un brouhaha que vous fassiez un claquement de doigts bruyant. Juste au moment où le silence est revenu. Faites-le plusieurs fois, à chaque nouveau brouhaha, afin, petit à petit, d’habituer les élèves à ce claquement de doigt. Et le jour où vous en aurez assez de crier, mettez-vous juste debout devant la classe et faites ce claquement de doigt bruyant. Si le point d’ancrage a été bien fait, vous obtiendrez instantanément le silence. Ca peut bien sûr aussi être utilisé par les professionnels habitués à faire des présentations devant différents auditoires, mais la difficulté sera là de créer le oint d’ancrage dans un délai court.

 

Deuxième exemple, utilisable par tous. Lorsque vous vous sentez bien, tant physiquement que moralement, lorsque vous sentez une harmonie profonde en vous, exercez avec l’une de vos mains une pression particulière quelque part sur votre corps. Vous pouvez par exemple saisir votre autre main entre votre pouce et votre index et appuyer un peu lourdement dessus, ou sur votre bras. Essayez de répéter cette expérience à plusieurs reprises quand vous retrouvez le même état général de bien-être. Et le jour où vous vous sentirez patraque, le sourire en berne et le moral dans les chaussettes, vous appuierez sur cet endroit. Le corps, rappelant à lui ce qu’il a mémorisé lorsque vous avez créé votre point d’ancrage, se remettra dans les mêmes dispositions que celles que vous avez mémorisées. Et vous vous sentirez mieux. Je pense que les résultats ne pourront pas être obtenus rapidement par tout le monde, et bien sûr ne comptez pas guérir d’une maladie avec cette seule technique. Mais avec un peu de temps et de patience elle peut aider.

 

Ceci étant dit, je crois qu’on peut tirer une réflexion plus poussée sur les points d’ancrage et sur leur utilisation (et c'est pourquoi j'inclue ce bilelt dans la catégorie réflexions et débats plutôt que dans celle de la gestion du stress - c'est parfois difficile de déterminer dans quelle catégorie doit aller tel ou tel billet).

 

Tout d’abord, les points d’ancrage peuvent être créés de toute sorte de façon : une pression de la main, un morceau de musique, une image, une madeleine, etc. On comprend bien en listant ces différentes méthodes que certaines d’entre elles peuvent créer des points d’ancrage non recherchés, de façon inconsciente donc. En écoutant pour la première fois depuis longtemps le deuxième mouvement du concerto pour piano N° 21 de Mozart je me suis soudain rappelé une partie de mon enfance, chez de vieux oncles et tantes, les jeux dans leur sous-sol, et les programmes télévisés de Chapi Chapo. Peut-être ce souvenir m’est-il venu parce qu’ils écoutaient souvent ce concerto lorsque nous y étions ?

 

Ainsi, les points d’ancrage peuvent se créer en quelque sorte d’eux-mêmes, de façon non voulue. C’est d’ailleurs le plus souvent comme ça qu’ils se forment puisque peu nombreux sont les gens qui cherchent à les utiliser à leur profit. Le problème, si l’on peut dire qu’il s’agit vraiment d’un problème, c’est qu’il agissent alors d’une façon qu’on ne contrôle pas bien. C’est le corps qui agit en fonction de sa mémoire sans nous demander notre avis. Et il rapporte avec lui TOUS les souvenirs qu’il a emmagasiné lorsque le point d’ancrage a été fait. Il ne fait pas le tri pour n’en livrer qu’une partie.

 

Il me semble qu’on peut utiliser cette notion de point d’ancrage dans un autre domaine : celui des mots. Qu’est-ce qu’un point d’ancrage sur des mots ? Un refrain. Un leitmotiv. Un slogan. Chacun de ceux-ci agit d’une façon très similaire aux points d’ancrage physiques que j’ai décris plus haut, par la répétition (c’est leur nature). Et ils sont susceptibles de porter avec eux bien plus que le seul message brut de leurs mots.

 

Je crois que c’est très précisément ce qui se passe pour les slogans et les leitmotivs politiques. Ceux-ci cherchent, par la méthode de communication qui les véhicule et par la posture du personnage qui est censé les porter (ce qui fait en fait partie de la méthode de communication), à enrichir la formulation du slogan brut d’un bagage d’idées générales fortes. Leur objectif est qu’in fine l’auditoire entende ou lise, avec le slogan politique mis en avant, le murmure sémantique qui l’accompagne, avec notamment les valeurs dont il est chargé.

 

On jugera qu’une communication politique est réussie si le slogan trouvé joue bien ce rôle de point d’ancrage, en rappelant avec lui de façon automatique tout le flux d’idées qu’on a cherché à lui rattacher. Le problème, c’est que cette démarche peut vite priver les destinataires de ces slogans de la réflexion nécessaire qui devrait les suivre. Je vois notamment deux cas de messages qui fonctionnent de cette façon dans le paysage politique français actuel. Le message du FN sur l’immigration, et le message de l’extrême gauche sur le libéralisme. Dans le premier cas, on perçoit bien parmi les partisans lepénistes, qu’il suffit d’évoquer le terme immigration pour que les notions d’insécurité, de délinquance, d’assistanat, voire d’illégalité surgissent dans leurs esprits. C’est l’avantage d’un discours monolithique. Sa seule répétition suffit au bout du compte à persuader un nombre important de personnes de sa justesse. Pas besoin de démonstration. Il suffit de répéter pour mieux enfoncer le clou.

 

Le phénomène me semble très similaire dans le discours général de l’extrême gauche à propos du libéralisme. Evoquez seulement ce mot aux oreilles de ces personnes et les thèmes de l’individualisme, de l’égoïsme, de la loi du plus fort, de l’injustice sociale, leur monte au cerveau. Là aussi, le « slogan » initial semble inévitablement accompagné de son emballage d’idées connexes. Il ne peut exister seul. Sa réalité est toute entière comprise avec les idées automatiques dont il s’accompagne. Le libéralisme n’est pas seulement libéralisme mais la doctrine libérale égoïste des puissants et du patronat qui cherchent à s’enrichir au détriment des classes sociales modestes (ou quelque chose de ce genre).

 

Il y a ici un vice majeur. C’est que des slogans utilisés ainsi peuvent très vite devenir manipulateurs. Pour une raison toute simple. C’est qu’utilisés comme ils le sont ils ne permettent pas de remettre en cause l’articulation faite entre le slogan et les idées qu’on lui rattache. On adhère au slogan, donc on adhère à tout ce qui l’accompagne, sans plus de distinction. Il suffit de brandir le slogan pour que d’une certaine façon tout soit dit. On signe alors la défaite de la pensée qui abandonne le travail de mesure de la relation qu’il y a entre ces slogans et les idées qu’ils abritent. Le problème n’est presque pas de déterminer si oui ou non aujourd’hui dans les deux exemples que j’ai évoqués ces liens sont justifiés. Le seul fait que la réflexion soit ainsi limitée par l’usage de ces slogans comme point d’ancrage est inquiétant. C’est pour cela que tout usage de slogan doit porter à la prudence et à l’exercice de la critique.

 

C’est tout le défi éthique de la communication politique que de parvenir à ne pas se transformer en un exercice de manipulation, fut-il inconscient.

 

Sur le sujet, pour éclairer notamment la notion de mémoire corporelle, j’indique ce texte qui, passée une introduction assez obscure, m’a semblé intéressant.

Commentaires

Autre forme de manipulation: j'avais vu cette technique du point d'ancrage corporel expliquée sur le blog d'un séducteur (mais je n'ai plus la référence) qui expliquait comment il les tombaient toutes, et se les attachait! ;-)

Écrit par : François Brutsch | 10/01/2006

Voilà une application du point d'ancrage dans laquelle je m'avoue franchement incompétent ! Vous sauriez retrouver l'adresse de ce blog ? ;o)

Écrit par : pikipoki | 10/01/2006

Non, désolé! Mais avec une petite recherche Google 'blog séduire ancrage' je trouve ça, et je ne serais pas surpris que ce soit une suite de ce blog que j'avais vu il y a longtemps...

http://www.frenchtouchseduction.com/articles/ancrage-42_1.html

Écrit par : François Brutsch | 12/01/2006

Ah oui j'ai lu, en effet ...

Franchement je crois que je resterai éternellement éberlué par ce genre de truc. Quel intérêt? Mais quel intérêt? Avoir du pouvoir? Mieux posséder les autres? Mais c'est nul franchement. La seule chose qui peut valoir la peine c'est un amour véritable, et avec ce genre de "techniques" s'il y a bien une chose dont on s'assure, c'est qu'il ne peut jamais l'être. Je dois être trop naïf ...

Écrit par : pikipoki | 12/01/2006

enfin une bonne parole ! nous ne regrettons pas la lecture de tous ces longs et nombreux billets qui aboutissent à la simple conclusion que vous êtes naîf ! ouf ! point n'est trop tard à celui qui sait attendre.

parole de sage à petit scarabée

Écrit par : langui | 12/01/2006

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