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27/01/2006

Montée de l'islamisme et démocratie

Hier donc, l’organisation terroriste du Hamas a remporté haut la main les élections législatives palestiniennes, remettant du même coup en cause les espoirs qu’on pouvait conserver quant au processus de paix au Moyen-Orient.

 

La dernière livraison du Courrier International a semble-t-il un peu anticipé ce résultat puisqu’elle titre, avant les résultats palestiniens : Islamisme, pourquoi il triomphe partout. L’article (payant) extrait du journal Al-Hayat notamment, est très intéressant. Il montre quels sont les différents moteurs de la poussée islamiste, ainsi que la limite des systèmes démocratiques en place dans plusieurs pays de cette région du monde.

 

Réduire la montée islamiste à la seule occupation israélienne est réducteur selon Al-Hayat. En effet, elle ne peut à elle seule expliquer l’élection d’Ahmadinejad en Iran, la poussée des frères musulmans en Egypte, ou encore celle des islamistes radicaux en Syrie ou en Irak (tant sunnites que chiites). Cette lame de fond qui semble traverser tout le Moyen-Orient trouve aussi ses origines, dit Al-Hayat, dans la pauvreté, l’incapacité à se moderniser, à participer à la mondialisation de l’économie, dans l’égoïsme des gouvernants arabes, et enfin dans ce sentiment fort de dépendance vis-à-vis de l’occident, dépendance qui, pour la Palestine, se matérialise notamment avec l’apport financier de l’UE.

 

Petite réflexion à deux sous avant de venir à la question de la démocratie dans ces pays. Il me semble qu’une des raisons du succès de l’islamisme, et en particulier de l’islamisme radical, tient à sa capacité à apporter des solutions simples et même simplistes aux questions que se posent ses adeptes. Notamment sur les questions de la modernité et de la dépendance à l’occident. Leur situation de retard de développement et de dépendance, vécue donc comme une soumission, entraîne, et c’est très humain, un sentiment de frustration, d’inhibition pour en revenir aux termes de Laborit déjà souvent évoqués ici.

 

Et comment se sort-on d’une frustration ? Soit en se donnant les moyens (si tant est qu’on soit seul à pouvoir se les donner) de la dépasser, et d’obtenir une autonomie satisfaisante, soit en s’attaquant à ceux qui exerce ce pouvoir d’inhibition sur soi. Et la deuxième possibilité, si elle ne résout aucun problème de fond, est en revanche bien plus facile si j’ose dire à adopter. Parce qu’elle est beaucoup moins exigeante pour soi. Dès lors il n’y a plus qu’à trouver une source forte de dénégation de la légitimité du système qui inhibe (et donc de légitimation de sa réaction par l’attaque) pour emporter l’adhésion des gens. C’est je crois de cette façon que les islamistes radicaux utilise leur religion. On le voit bien notamment dans l’expression de rejet que subisse les américains dans cette région du monde. Ils ne sont pas de simples occupants. Ils sont « le grand satan », et puisqu’ils sont tels, la légitimité perçue de les combattre est totale.

 

Revenons-en maintenant à la question de la démocratie. Al-Hayat soulève un point très intéressant, qui mérite je crois une vraie réflexion, et pas seulement d’ailleurs pour les pays comme la Palestine, l’Iran ou l’Irak. L’élection palestinienne s’est déroulée démocratiquement. C’est le peuple qui, massivement (plus de 70% de participation), a élu les représentants du Hamas comme force gouvernante principale. Leur retirer la légitimité de leur choix paraîtrait donc bien bancal. Et comme le dit Paxatagore, on se retrouve désormais piégés.

 

Pourtant on peut formuler une critique sérieuse contre cette « démocratie ». Le résultat de cette élection montre que pour qu’un régime puisse véritablement prétendre être une démocratie, il ne suffit pas qu’il en ait les apparences et qu’il se soit doté de ses aspects de vitrine. C’est sans doute encore plus net dans certains pays d’Afrique qui continuent d’élire leurs gouvernants sur des scores Staliniens. La démocratie ne peut être véritable que lorsqu’elle est éclairée et que non seulement elle dispose des institutions qui la garantissent, mais aussi, et peut-être même surtout, qu’elle a développé une vraie culture de leur fonctionnement libre.

 

Bien sûr, je me suis comme d’autres réjouis lors des récentes élections en Irak, du taux de participation, là aussi très important. Mais cette démocratie aussi restera lettre morte si elle ne s’accompagne pas d’efforts soutenus pour développer la culture de la citoyenneté, et pour réduire au maximum les formes de pression et d’intimidation dont peuvent encore faire l’objet les personnes.

 

A ce titre, je crois important de ne pas trop se comporter de façon paternelle et supérieure vis-à-vis de ces pays. D’abord parce que ce comportement, relevé d’ailleurs par Al-Hayat au sujet des cris de victoires répétés des USA en Irak est, je l’ai déjà indiqué, un stimuli dont profite les extrémistes. Mais aussi parce que nous-même, en France, risquons fort de vivre une humiliation qu’on évoque encore bien peu à l’aube des élections présidentielles de 2007. Je crois même qu’on n’a aucune chance d’y échapper. Car au-delà des candidats qui pourront être présents au second tour de cette élection, au-delà de la peur qu’ont certains de voire Le Pen nous refaire le coup de 2002, le seul fait que nous passerons immanquablement par le débat du vote utile est en soi un camouflet pour notre démocratie.

 

Que veut dire la question du vote utile ? Qu’est-ce qu’elle sous-entend ? Que si on ne vote pas utile, on fait prendre un risque à la démocratie. Mais le seul fait qu’on se pose cette question montre que d’une façon ou d’une autre on est dans une situation d’otage, et donc que la démocratie est déjà remise en cause. La pression exercée n’est certes pas physique, nous ne risquerons pas notre peau en allant voter pour l’un ou pour l’autre. Mais elle n’en est pas moins forte. Il faut le dire clairement : dans un pays dont la démocratie est saine, aucun citoyen ne devrait avoir peur de voter pour un petit parti si celui-ci se trouve représenter le plus justement ses opinions, quand bien même les chances de celui-ci de l’emporter seraient minces sur le papier. Et pour ma part, si au premier tour du vote de 2007 je me sens coincé par l’obligation de voter utile, sans avoir été vraiment convaincu, je crois bien que j’aurai honte pour mon pays.

Commentaires

Bonjour,

Je ne voudrai pas avoir l'air de distribuer les bons points mais c'est un bien beau billet que celui-ci.
La dernière partie me touche particulièrement. Fonctionnant beaucoup par appréhension, je vis déjà les élections de 2007 avec la trouille au ventre. Il n’est pas exclu que je vote beaucoup trop en fonctions d’(illusoires ?) anticipations de résultats au risque de s’arranger un peu facilement avec les désaccords ou les antipathies que m’inspireraient celui pour lequel je me déciderai finalement. Pas exactement une perspective alléchante. Je n’ai pas l’impression, même si c’est chez moi peut-être excessif, d’être le seul dans ce cas et j’ai du coup tendance, comme vous (et quelques autres) l’écrivez, à y voir un symptôme d’un pays pas très à l’aise avec sa démocratie.
En même temps la situation est assez paradoxale, je n’ai jamais eu (blogs aidant) autant le sentiment, exaltant, d’assister à une telle profusion de débats argumentés concernant les choses publiques. Encore que, (chaque chose a décidément un nombre infini de faces), la teneur de ces débats laisse parfois apparaître les crispations de chacun et, en fait d’échange on n’a pour l’autre que quelques noms d’oiseau et de grosse certitudes.
J’alterne donc entre les réjouissances et l’inquiétude, prédictions et perplexités ce qui est peut-être le lot de toute personne qui se penche sur (et se sent concerné par le peu qu’il sait de) l’état du monde.

Écrit par : aymeric | 27/01/2006

Bonjour Aymeric,
Merci d'abord pour votre bon point. Bon j'aurai préféré une image plutôt mais enfin... ;o)

Je vous rejoins assez sur vos inquiétudes comme vous avez pu le comprendre en lisant ce billet. C'est vrai que les blogs pourraient, s'ils se développent vraiment et deviennent un vrai média de débat ouvert et pas trop polémiste, aider à raviver un peu la démocratie. C'est tout à fait le sentiment que j'avais lors du débat sur le TECE, notamment sur Publius.

Cependant, je ne parierai pas trop sur l'influence que cela pourra avoir sur le problème du vote utile en 2007. Car la seule solution pour que celui-ci ne perturbe pas l'élection, c'est que les idées du FN (et pas seulement les scores de ses représentants) reculent de façon importantes dans l'opinion publique. Et ça malheureusement je crois que ce n'est pas gagné. Depuis 1988 Le Pen fait 15% (à la louche). Ce n'est pas le signe d'un vote de protestation à mon avis. Bien malheureusement. C'est un vote d'adhésion. Sinon ce score ne serait pas aussi stable à chaque élection. Et je n'ai pas vu ses idées prendre du mou dans l'aile depuis 2002. En fait on se rend compte ici que le signe de la faiblesse de notre démocratie il est déjà là. Depuis presque 20 ans. Pas même besoin d'attendre 2007.

Pour voir les résultats des premiers tours des élections depuis 1965, suivez ce lien http://francepolitique.free.fr/FPR.htm

Écrit par : pikipoki | 27/01/2006

Il me semble que la réthorique du vote utile est intimement lié au mode de srcutin. Avec un scrutin à la proportionnelle, la question est beaucoup moins cruciale.

A cette remarque près, je suis assez d'accord avec votre dénonciation du vote utile, qui éloigne le vote de sa signification première (enfin celle qu'il devrait avoir), l'adhésion à des idées, à un programme, et non un pur calcul de tactique politique.

Écrit par : Krysztoff | 27/01/2006

Pikipoki,

Mon idée n’étaient pas de présenter les blogs comme un contrepoids suffisant et donc à même de faire reculer les idées de l’extrême droite. Je le voyais simplement comme un signe, réjouissant, encourageant, mais peut-être pas rassurant, que la démocratie n’était pas uniquement travaillée par des forces qui la minent. Maintenant il est évident que la tendance générale est plus anxiogène qu’euphorisante (et, à l’instar d’Hugues dans un de ses derniers billets (« Between a rock and a hard place »), j’y inclurais l’inquiétante polarisation en cours).

@ Krysztoff,

La vocation première (l’idéal) du vote n’a, à mon avis, jamais été complètement pure de toute évaluation des forces en présence et donc de considérations tactiques.
Le problème, depuis 2002, c’est l’importance de cette considération empêchant les expressions plus sincère et nuancées.
Je vous rejoindrais assez sur la proportionnelle.

Écrit par : aymeric | 27/01/2006

Même si je suis d'accord avec l'idée de fond que la démocratie est un laborieux apprentissage, je trouve assez injuste de mettre dans le même sac les élections irakiennes et les élections palestiniennes. Dans un cas on a un "crash course" de démocratie vivante, dans l'autre on a un proto-Etat et des élections jusqu'à présent largement mimées: s'il y avait des blogueurs indépendants palestiniens, cela se saurait! Cela n'induit pas la même portée à l'acte de voter: voter Hamas est au moins autant anti-OLP que anti-Israël.

Pour en revenir à la France, je comprends votre sentiment par rapport à 2007. Mais ce qui est inquiétant pour la démocratie c'est que l'électorat se soit senti le besoin, en 2002, de détourner un scrutin de sa fonction, en faisant d'un premier tour l'exutoire des frustrations et non un choix en vue du deuxième tour.

Écrit par : François Brutsch | 28/01/2006

Pikipoki,

Pour ce que je connais de l'histoire de la Palestine , c'est à dire trés peu, je pense qu'on ne peut seulement dire que les palestiniens sont inhibés et frustrés de leur dépendance aux pays qui les subventionnent et de leur retard ou incapacité à se moderniser.
Il me manque une précision plus juste. Ce que je connais par certains documentaires vus sur Arte: beaucoup de familles palestiniènes ont été dépossédées de leur terre, maison, de leur territoire, de leur vie , de leur activité, à l'origine. Ce n'est donc pas à mon sens une seule frustration ou inhibition qui caractériserait un soi disant retard ou incapacité de se morderniser de ce pays . La dépossession , les enclaves , le mur construit , la colonisation , me semblent plutôt amener à penser une atteinte et un préjudice , tant aux personnes qu'à leur droit de vivre et de s'organiser.
La frustration et l'inhibition me semblent donc bien lègères.
Et dire : "vivre cela comme une soumission", amène une négation de la souffrance réelle et une responsabilisation des seuls palestiniens de leur situation , alors qu'il s'agit d' une atteinte réelle, un fait juridique, pour lesquels justement leur souffrance a engendré le refus de la soumission jusqu'à son extrême.
"Vivre cela comme" implique pour celui qui est concerné, d'avoir le choix de le vivre mieux ou autrement sans mettre en cause ce qui le met dans cette situation.

Essayez de vivre une simple inhibition et frustration si l'on vous prive de votre lieu de vie, de votre travail , de votre village , d'eau d'électricité, de papiers réguliers et que vous ayez à vivre en sus dans un camp surveillé en compensation . La frustration caractérise ce que vous ne pouvez avoir sans vous atteindre personnellement , et non pas ce qu'on vous enlève volontairement .

Écrit par : DG | 29/01/2006

DG
Je ne parlais pas spécifiquement des palestiniens, mais de l'ensemble des pays (Syrie, Iran, Irak, Palestine, Egypte, etc.) dans lesquels on voit aujourd'hui une poussée importante de l'islamisme.
Cette généralité que je faisais ne cherchait donc pas à analyser la situation spécifique palestinienne, qui est sans doute très influencée par les éléments que vous avancez.

Enfin, je ne vois pas pourquoi une frustration ne pourrait pas naître de ce qu'on maurait enlevé volontairement. Qu'il y ait une volonté ou non de m'enlever ce que je veux (ma gratification), sa seule absence suffit à créer ma frustration.

Écrit par : pikipoki | 29/01/2006

Pikipoki

Oui, si on vous enlève quelque chose qui n'a pas une trop grande incidence ni n'est une trop grande perte, vous êtes frustré , mais pas forcément malheureux. ( vous n'avez pas acheté la dernière voiture en vogue, vous pouvez être frustré, on vous a pris plus d'impôt, vous êtes frustré, mais si vous n'avez rien à manger ou que l'on vous en prive , vous êtes alors trés mal , voire malheureux. Pas frustré d'après moi, privé de droits fondamentaux, voire menacé dans votre vie.) De la frustration nait la capacité à produire de la créativité pour pallier l'objet inaccessible.

Je comprends donc la frustration comme le sentiment désagréable de ne pas recevoir réponse à une attente ou l'impossibilité de satisfaire un désir. (Il est vrai que l'on dit aussi frustrer un héritier, le déposséder de son héritage ) En l'absence d'autres termes pour expliquer les difficultés de ces pays , je l'ai lu pour cette première définition dans votre billet. Cela ne me semblait pas assez .

Il est vrai que vous parliez d'une situation générale, , que vous ne traitiez pas sous l'angle de torts volontaires causés à des populations. En ce cas, je le conçois alors comme vous le dites et je peux l'imager par la frustration de ne pouvoir améliorer une situation. Par ex : un gouvernement qui ne répondrait pas à des attentes légitimes
mais pas forcément fondamentales ( pour un gouvernement reconnu et légitime).
Dans les situations comme celles de l'Irak ou de la Palestine(en sortie de guerre), j'ai du mal à entendre que ces populations soient seulement frustrées et inhibées et que cela explique le retard dans l'évolution de leurs pays. Dit ainsi ne m'apparait pas suffisement tout ce qui se joue de plus grave que ces seuls sentiments dans la montée de l'islamisme radical. La pauvreté l'explique bien. Mais sûrement aussi des torts tout aussi importants, comme l'installation de régimes de type "dictature", des spoliations graves . En Iran, le régime règne par la contrainte et la crainte, use de torture, enferme les opposants ..(une amie iranienne me l'expliquait à travers sa manière de vivre la bas) . De la privation de droits fondamentaux ou d'accès aux besoins essentiels, se jouent d'autres sentiments qui sont bien réels et qui ne peuvent être du seul ressort du "vécu comme", mais du réellement vécu.
Voilà , pour vous dire , cela ne me suffisait pas à m'expliquer que le "retard" de ces pays repose sur la seule frustration ni que les peuples dont nous parlons le vive seulement comme tel . Enfin, je crois.

Écrit par : dg | 29/01/2006

Les Islamistes gagnent aussi parce que les pouvoirs en place ont annihilé toute autre opposition (très clair dans les cas de l'Egypte où le seul opposant non religieux a été emprisonné peu avant le scrutin). Le but du pouvoir dans certain pays est de se poser en rempart contre la montée de l'Islamisme. Maintenant, nous les Occidentaux ont a fermé les yeux et la bouche devant ces pratiques dictatoriales. Les seuls à ne pas se coucher furent les islamistes. Doit-on s'étonner qu'ils transforment l'essai lors des élections? Regardons la Palestine : Arafat a régné tranquillement pendant des années, a utilisé les attentats des islamistes pour les discréditer et renforcer son pouvoir légal. Un vaste système de corruption s'est développé car le pouvoir semblait intouchable. Résultat, la population en a marre du Fatah et a choisi le Hamas plus clean, plus actif (services sociaux performants).
Si ces pays sont peut-être dépendants de nous financièrement, on a refusé de juger leur politique sous prétexte d'indépendance. On voit le résultat.

Écrit par : FaTraPa | 02/02/2006

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