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14/03/2006

Un vrai billet de néophyte sur l’économie mondiale

Avertissement : tout est dans le titre!

 

En suivant un peu l’actualité économique ces derniers temps, je me disais qu’on voyait beaucoup d’entreprises affichant des profits très importants: France Telecom, Total, Arcelor, BNP, etc. Les grandes entreprises françaises annoncent à la file les unes des autres des bénéfices record pour l’année 2005. Même la SNCF s’y met aujourd’hui !

 

Du coup, moi qui malgré mes études supérieures en commerce n’y connais pas grand-chose en économie (oui c’est un peu la honte, mais j’ai tellement peu aimé ces études…), je me demandais comme il était possible, si nos plus grandes entreprises faisaient de tels résultats, que notre croissance au niveau national reste si décevante (pdf). Et pourquoi, si les entreprises dégageaient autant de bénéfices, elles n’en faisaient pas plus profiter leurs salariés.

 

Heureusement, depuis que je blogue je suis moins bête qu’avant, ou en tout cas je compense avec ce que je lis chez les autres. Et parmi les blogs économiques que je lis, il y a celui d’Eric Izraelewicz, que je trouve souvent très bon et très intéressant. Hier, j’y lisais un article qu’il a posté vendredi dernier, et qui répond exactement à ma question.

 

Pourquoi les résultats de ces entreprises ne se traduisent pas dans la croissance globale de notre pays ? Pour deux raisons principales indique-t-il :

  • D’abord parce que ces entreprises sont les (grands) arbres qui cachent la forêt. Derrière ces champions qui enchaînent les bons résultats, il y a tout un tas de PME et de TPE qui dégagent des rentabilités beaucoup plus minces, et qui parfois même sont en train de diminuer. Eric Izraelewicz constate ainsi qu’il y a une fracture sociétale entre les grandes entreprises qui ont de très bons résultats et les petites qui ont plus de mal.
  • Ensuite, parce que cette fracture s’explique en très grande partie du fait que les grandes entreprises réalisent désormais l’essentiel de leurs profits à  l’étranger ce qui est beaucoup moins le cas des petites. Et puisque leurs résultats sont surtout bons à l’étranger, c’est en toute logique là-bas, et pas chez nous, que se portent leurs investissements. Ainsi, les fruits des bénéfices de ces entreprises partent pour une très grande partie ailleurs pour faire des petits, créer des emplois et générer de la croissance. Et pendant ce temps, notre investissement restant en berne au niveau national, notre croissance et notre emploi restent timides.

 

Pour appuyer ce point, je voudrais citer un autre article que j’ai trouvé excellent, découvert hier soir en feuilletant le Courrier International de la semaine dernière,  et extrait de The Economist (je vous indique le lien de l’article original, en anglais donc, celui du CI étant un lien payant).

 

Dans cet article, le journaliste note la déconnection grandissante entre résultats des entreprises et santé de l’économie des pays où elles sont nées. Pour la même raison que celle avancée par Eric Izraelewicz : le fait qu’elle sont désormais très internationalisées et liées à l’économie mondiale, et que l’essentiel de leurs bénéfices se fait à l’étranger.

« Firms in Europe are delivering handsome profits that are more in line with the performance of the robust global economy than with that of their sclerotic homelands”

 

Plus loin il note que les 40 plus grandes multinationales du monde emploient 55% de leur personnel à l’étranger et que 59% de leurs bénéfices se font en dehors de leurs bases nationales. Mais ce qui est inquiétant note-t-il, c’est justement que cette internationalisation pousse les entreprises à investir presque l’essentiel de leurs bénéfices à l’étranger, handicapant ainsi la croissance de leur pays, mais aussi limitant les gains que pourraient enregistrer les travailleurs qui y sont.

 

J’ai trouvé cet article très intéressant, parce qu’en le lisant je me suis dit que c’était exactement l'un des reproches principaux fait par une large partie de la gauche en France, surtout par la gauche de la gauche, à la mondialisation. Les entreprises, tentées par des coûts plus faibles à l’étranger et par les bénéfices qu’elles parviennent à y dégager, y investissent plus d’argent que dans leurs pays d’origine, ce qui porte un coup important à la croissance de ceux-ci, et se répercute ensuite sur le portefeuille des particuliers qui diminue.

 

Pourtant, si on y réfléchit bien, il me semble qu’il y a un grand « mais » à cette critique. C’est qu’on voit bien ici le jeu de vases communicants qui s’opère entre les économies mondiales. Les grandes entreprises basées aux USA, en France, au Japon, en Allemagne, etc. font de grands bénéfices, mais elles investissent hors de leurs bases, à l’étranger, là où elles ont de meilleures perspectives du fait sans doute en grande partie de coûts plus bas. Bref, dans des pays en voie de développement. Alors est-on bien sûr que c’est là quelque chose de fondamentalement mauvais et injuste ? Ce jeu de vases communicants n’est-il pas la vertu de la mondialisation qui permet ainsi à ces pays d’effectuer un rattrapage économique par rapport à nous ?

 

En fait ce que je veux indiquer ici, sans doute de façon trop simpliste je le reconnais, c’est que la critique anti-mondialisation qui nous viendrait naturellement à la vue de profits records des entreprises, qui ne se traduisent pas par des hausses de revenus correspondantes chez nous, est en fait une courte vue parce qu’on arrête trop tôt sa réflexion sans se demander si ce qui apparaît comme une injustice au niveau local n’est pas en réalité un bienfait à plus grande échelle. On ne peut pas à la fois pester contre ce type de mécanisme de la mondialisation et déclarer vouloir le bien de l’humanité en agissant pour les pays défavorisés en même temps, sans risquer de tomber dans l’incohérence.

 

Pour autant, il faut bien admettre que ce premier réflexe, et bien nous sommes certainement très nombreux à l’avoir, et qu’il reste dans le fond très « humain ». Et donc qu’il est bien nécessaire d’essayer de lui apporter une réponse. Tout d’abord, je note ce que relève Eric Izraelewicz dans son billet : le partage de la valeur ajoutée dégagée par les entreprises françaises n’a guère changé. Depuis 2002, dit-il, chiffres de l’INSEE à l’appui, les salariés récupèrent environ 2/3 de la valeur ajoutée produite, et les entreprises en gardent 1/3. Il semble donc que la France soit mieux lotie que d’autres pays dans ce domaine, puisque l’article de The Economist se montrait plus inquiet sur ce point, notamment sur le cas allemand où les salaires réels auraient baissé durant les deux dernières années.

 

Mais aussi, parce qu’il existe des moyens pour faire en sorte que les salariés restent gagnant avec leur entreprise : les rémunérations complémentaires du type intéressement. Avec ce type de rémunération chaque employé profiterait des gains de son entreprise. Mais, l’article de The Economist propose une autre idée, plus pertinente selon lui : que les entreprises répercutent les diminutions de coûts dont elles profitent sur leurs prix de vente afin d’en faire profiter les consommateurs (qui sont aussi les salariés). Sur ce point je dois dire que mes limites en économie me gênent pour bien l’évaluer. Je ne suis pas sûr qu’un système généralisé de baisse des prix soit forcément bon pour une économie, et je sais même qu’il existe un grand nombre de théories montrant les méfaits d’une telle forme de déflation (je suis obligé de mettre le lien en anglais, à cause de l'accent sur le é). Mais je laisse à ceux de mes lecteurs qui s’y connaissent le soin d’apporter plus d’éléments critiques là-dessus.

 

J'espère n'avoir pas déçu la promesse faite en titre ! (hem)

Commentaires

Pas mal du tout pour un post de néophyte :-).
Quelques remarques :
- le 2/3 et 1/3 n'est pas "ce que touchent les salariés" contre "ce que garde l'entreprise". Si les 2/3 correspondent au "coût du travail" (salaires et cotisations) les 1/3 c'est l'EBE, qui sert pour l'essentiel aux amortissements, donc au renouvellement du capita existant. Or ce renouvellement est indispensable au maintien de bons salaires à long terme. Ce ne sont pas que des "profits" versés sous forme de revenus du capital (et donc forcément redistribués par l'intéressement ou l'actionnariat salarié).

- la déflation, c'est la baisse du niveau général des prix et des salaires. Que les entreprises répercutent les baisses de prix de leurs produits (obtenus en important ou en accroissant l'efficacité de la production) c'est la condition nécessaire de la hausse des salaires de tout le monde. Par exemple, si pas de T-shirt chinois, pas de vendeur de T-shirt chinois. Autre exemple, plus dur à avaler : si une partie des ressources nationales en travail et capital est utilisé dans des entreprises fabricant des choses qu'on peut avoir moins cher chez les chinois, cela retarde l'apparition de nouveaux emplois non exposés à la concurrence internationale ou dans les secteurs exportateurs chez nous.

- effectivement, les profits des grandes entreprises témoignent de la santé de l'économie mondiale, qui est plutôt une bonne nouvelle pour tout le monde. Cela dit, ces profits ne poussent pas tellement à l'investissement dans les pays pauvres, mais plutôt au déplacement des profits vers les pays à fiscalité avantageuse. Ce qui veut dire qu'on n'améliorera pas la situation des français par des taxes sur les profits des multinationales, ni qu'on l'augmentera en baissant les salaires pour "aider les entreprises dans la guerre économique mondiale" : on l'augmentera en faisant en sorte que la concurrence sur le marché intérieur facilite l'apparition de nouvelles activités. Ce qui est exactement l'inverse de ce que l'on fait.

Écrit par : econoclaste-alexandre | 14/03/2006

Merci pour vos précisions Alexandre.

Écrit par : pikipoki | 15/03/2006

Les commentaires sont fermés.