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29/05/2006

Ne méprisons pas la souffrance

Mon blog est en train de se faire avaler par un grand trou noir. Je n’ai plus d’ordinateur personnel depuis quelques semaines (disque dur mort), j’ai été pris toute la semaine dernière par mes travaux (qui avancent, mais punaise quand on est seul et de surcroît génétiquement handicapé pour les travaux manuels, c’est pas facile), et la fréquentation de cet espace s’en ressent très lourdement (même si je note que, très sympathiquement, Blogspirit continue de faire semblant de compter des entrées).

 

C’est donc en situation « blogging de survie » que je poste ce billet (si mon chef me lit, je le salue). Sur un sujet qui va en plus passionner tout le monde et qui en dit long sur mon niveau de connection avec les dernières informations : le passage de Joey Starr chez Ardisson samedi soir.

 

Il présentait son dernier livre, une autobiographie écrite avec Philippe Manœuvre, intitulée « Mauvaise réputation ». J’en avais un peu entendu parlé la veille dans le magazine de la santé, sur France5, et la présentation qui en avait été faite donnait un peu envie de tourner quelques pages dudit ouvrage. Visiblement, Joey Starr s’est livré à un exercice pas évident, et peut-être encore moins pour lui qui semble plus souvent chercher à donner des gages de virilité qu’à se dévoiler, en racontant un peu les détails de son enfance, et notamment de l’éducation reçue par son père.

 

On y découvre que Joey Starr a été élevé par son père, à la ceinture, et dans une ambiance générale pour le moins « virile ». L’anecdote la plus marquante étant sans doute celle du lapin. Un jour, le père de Didier Morville (puisque c’est son vrai nom) ramène un petit lapin blessé, et le lui donne. L’enfant s’en occupe, s’y attache, l’aide à se rétablir. En quelques jours, celui-ci devient le petit centre chaud de sa vie quotidienne. Puis un matin, son père lui demande d’amener son lapin, et le petit Didier s’exécute. Son père donne alors deux coups de planches au lapin pour le tuer, et force son fils à le manger au repas de midi. Sympa.

 

Ce qui m’a frappé durant l’interview du chanteur, ce fut l’attitude générale des gens sur le plateau, tant d’Ardisson-Baffie, que des invités, et en particulier de Maurice Druon. Car alors que l’on raconte l’histoire d’une enfance battue et maltraitée, tout le monde semble faire comme si de rien n’était, comme s’il s’agissait dans le fond d’une histoire cocasse, haute en couleur, de celle que l’on connaît fréquemment chez les artistes, en particulier quand ils sont de cette trempe là, et donc bon, rien de très particulier à tout ça, dans le fond on reste dans le connu et le prévisible, et Joey Starr, maintenu dans un univers violent, même si ce n’est pas lui l’auteur des violences en questions, n’est dans le fond perçu que perpétuant ce pour quoi on l’attend : une histoire sordide d’un gosse des cités.

 

Puisqu’il a la politesse de bien conserver l’étiquette publique qu’on lui colle volontiers, alors même que son bouquin semble donner quelques pistes pour faire comprendre qu’il ne peut pas tout à fait être résumé à cette seule étiquette, personne ne bronche, et l’interview se poursuit sur le ton bon enfant qui sied le mieux aux émissions de divertissement. Maurice Druon, disais-je, se détache tout de même un peu du lot, en se rapprochant plus que les autres du pire. On le voit arborer un sourire immense, pouffer lors de l’explication de certains passages du livre. Pour lui pas de doute, on raconte là l’histoire d’une enfance exotique et bigarrée qui le change du milieu engoncé de l’Académie Française.

 

Et il touche le sommet lorsque, en intervenant suite à la mention des coups de ceinture et de ceinturon, il indique que selon lui, l’éducation s’accommode très bien de quelques coups donnés à un enfant, pour lui faire comprendre le concept d’autorité. Je ne souhaite pas ici aborder le débat sur l’éducation des enfants pour savoir s’il est bon qu’elle soit musclée ou non, mais relever l’incroyable absence de sensibilité, dont le par ailleurs très valeureux Druon, a témoigné à ce moment là.

 

Car ce n’est pas une éducation normale qu’on évoquait alors, on ne parlait pas de la gifle traditionnelle donnée en réprimande d’une bêtise. Et il s’agissait encore moins d’une « histoire » seulement bonne à remplir un livre. Non, on parlait d’un enfant qui a été maltraité et battu par son père, et qui semble toujours témoigner, du moins pour ce qu’en montrent les médias, de l’influence qu’a exercé cet environnement violent sur lui.

 

D’ailleurs, à l’image, cette dichotomie apparaissait assez nettement. Car tandis que les autres persistaient dans leur légèreté, Joey Starr se montrait lui peu à l’aise, touché par moment par certains détails qui étaient rapportés par Ardisson. Son comportement, ses gestes, le choix de certains mots, témoignaient, il me semble, de la blessure encore vive qu’avait laissé ce père dans la vie du garçon. L’un des cameramen fut apparemment le seul de la joyeuse bande à saisir ce malaise, qui fit plusieurs gros plans sur les mains de l’artiste, lorsque celles-ci se joignaient nerveusement, comme pour contenir les émotions que l’histoire soulevait.

 

Et lorsque Druon indiqua qu’il trouvait qu’une bonne paire de gifles faisait parfois le plus grand bien, on vit Joey Starr se rejeter légèrement en arrière, tourner la tête en sens opposé à l’académicien qui était à sa gauche, esquisser discrètement un signe négatif de la tête. Je me trompe peut-être, mais je crois qu’à ce moment là c’était très clair : Joey Starr n’assimilait pas son enfance et les coups de ceinture de son père à de simples claques, et non il ne devait pas trouver que ce qu’il avait subit pouvait être ainsi méprisé et rabaissé à une banale histoire de choix d’éducation. Je crois que s’il avait ouvert la bouche à ce moment là, il aurait volontiers dit qu’il aurait bien aimé voir Druon à sa place pour savoir s’il prendrait toujours la chose avec le même sourire.

 

Qu’on comprenne bien de quoi il s’agit ici pour moi. Pas de faire des différents participants de l’émission des monstres sans cœur et incapables de réagir avec sensibilité devant un récit sordide. Mais plutôt d’adresser un avertissement contre ces comportements qui laissent trop facilement passer des faits ignobles sous le seul prétexte que c’est du passé et que celui qui les a vécu semble s’en être bien sorti. En passant, on voit très bien dans cet exemple quel mal peuvent faire les étiquettes lorsqu’elles collent trop solidement aux gens. Je suis absolument persuadé que si ce récit avait été fait par un garçon auquel ne collait pas une image aussi sulfureuse et entourée de violence que Joey Starr les réactions auraient été beaucoup plus peinées et attentives.

 

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L’ironie de l’histoire pour moi, c’est que c’est chez Fogiel dimanche soir que j’ai entendu la phrase qui me semblait la plus percutante pour répondre à ces attitudes. Il présentait en fin d’émission le livre semble-t-il très intéressant de Xavier Pomerreau, intitulé Ado à fleur de peau, qui traitait des signes de souffrance manifeste que les adolescents laissent parfois (j’ai eu du bol, je n’ai regardé que ce passage de l’émission). Xavier Pommereau a eu une phrase clé selon moi, que je reproduis environ : « Il n’y a rien de pire que de mépriser la souffrance des adolescents. »

 

Je crois qu’on peut clairement généraliser cette idée à tout le monde, aux adolescents autant qu’aux non-adolescents. Et dire qu’il n’y a rien de pire pour quelqu’un qui souffre ou qui a souffert, de voir les autres remettre en cause la réalité ou même seulement la force de cette souffrance. C’est comme si l’on niait ce que l’autre à vécu et qui fait pourtant partie de ce qui l’a le plus marqué. C’est aussi un message qui dit en substance : « nous ne t’aiderons pas », puisque précisément on ne considère pas que cette souffrance en vaille la peine. On enfonce ainsi un peu plus la personne qui souffre dans sa solitude, ce qui est pourtant dans de très nombreux cas exactement ce qu’elle a besoin de rompre pour se donner une chance de ne plus souffrir.

 

On trouvera peut-être que mon jugement est excessif, mais pour moi une telle absence de sensibilité est quasiment criminelle. Elle fait partie de ces comportements scandaleux dont Camus écrivait dans le Mythe de Sisyphe qu’ils sont aussi nombreux que répandus parmi les hommes.

Commentaires

j'ai regardé ardisson une fois, il m'est apparu rapidement que les invités n'étaient là que pour faire valoir ardisson d'une façon quasiment obscène. j'avais l'impression que faire durer un sujet plus de dix secondes sans plaisanterie vaseuse était inconvenant. bref, la meilleure solution me semble de ne jamais regarder ardisson...

Écrit par : edgar | 29/05/2006

Un billet qui a le mérite de m'avoir fait découvrir une facette de la personnalité de Joey Starr, que je ne "connaissais" que par le biais des Guignols de l'info.

Écrit par : GroM | 29/05/2006

Edgar
Ah oui, mais pour se vider la tête après des heures de travaux manuels éreintants, franchement c'est pas mal.

Grom
Comment? Il n'a pas d'autres mérites mon billet ?

Écrit par : pikipoki | 29/05/2006

je suis on ne peut plus d'accord. Je ne suis pas un grand amateur de rap mais les rares interview de Joey Starr que j'ai entendu m'ont toujours paru très intéressantes. Quand à Druon ça donne pas envie de le lire... le plus étonnant est que sa grande oeuvre est apparamment une sorte de Dallas (n'y voyez rien d'injuriant, j'aime beaucoup Dallas) où est dépeint un univers assez dur: argent, pouvoir, femmes d'intérieur soumises... Dallas quoi... bon, j'ai pas lu, c'est probablement très bien écrit...

Écrit par : clic | 29/05/2006

Jcrois que t'aurais pu rajouter qu'apres joey s'est mis a pleuré de rire quand lalanne ouvrait la bouche pour dire des conneries et que peut etre cela dénotait d'un trop plein d émotions qu'il avait du contenir.....

Écrit par : gauthier | 04/06/2006

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