06/03/2007
Le libre arbitre et la question du caractère chez Schopenhauer
Je reviens donc comme prévu sur la question de la connaissance, par un biais assez différent de celui abordé plus tôt aujourd’hui, puisque je vais revenir un peu sur l’Essai sur le libre arbitre de Schopenhauer.
Dans son livre, Schopenhauer revient notamment sur un élément clé de sa démonstration contre le libre arbitre : celui du caractère. Son idée en effet, est que nos comportements résultent à la fois de notre caractère, sorte de noyau identitaire par lequel on pourrait définir notre être, et des circonstances, dans lesquelles ce caractère qui est le nôtre nous fait mettre en œuvre telle ou telle réponse comportementale aux situations que nous vivons.
Schopenhauer, adversaire de cette illusion qu’est le libre arbitre, avance dans son argumentation qui me semble toutefois étrange, sinon erroné : celui que ce caractère que nous avons, ce noyau, est chez chacun de nous parfaitement immuable, et qu’en conséquence, mis en face des mêmes situations, nous ne pourrions guère agir d’une façon différente entre une période et une autre. Il écrit ainsi :
« Le caractère de l’homme est invariable. Il reste le même pendant toute la durée de sa vie. Sous l’enveloppe changeante des années, des circonstances où il se trouve, même de ses connaissances et de ses opinions, demeure, comme l’écrevisse sous son écaille, l’homme identique et individuel, absolument immuable et toujours le même. » Pour Schopenhauer donc, l’idée qu’un homme peut réellement évoluer, et se changer lui-même, n’est qu’une illusion. Il laisse toutefois, après ce paragraphe, la porte un peu ouverte pour que quelques détails en nous puissent se mouvoir, mais si jamais nous parvenons, dit-il, à modifier une fois notre comportement, ce n’est que pour replonger bien vite dans ce que nous sommes fondamentalement et qui jamais n’a réellement bougé.
La seule chose que nous puissions réellement changer en nous, ce n’est dans le fond pas notre caractère, mais seulement notre connaissance. C’est-à-dire qu’il nous est possible d’apprendre à utiliser de meilleurs moyens, plus efficaces, de parvenir à nos fins, mais que cet apprentissage ne change rien à notre caractère qui nous fait toujours vouloir la même chose, peu importe que nous ayons appris une nouvelle manière de l’obtenir.
On peut tenter un exemple simple pour illustrer ce point : celui des divers moyens de motivation dont on peut être amené à user pour influencer une personne à agir conformément à nos souhaits. Les plus célèbres sont la carotte et le bâton n’est-ce pas ? Traditionnellement nous serions assez portés, après avoir vu une personne user de menace, puis promettre telle ou telle gratification en remerciement de l’action souhaitée, à estimer que celle-ci s’est donc bien adoucie, et qu’en ceci, elle a changé. Alors que son fond reste parfaitement identique, puisque l’objet de sa quête n’a varié en rien, et que si ses moyens pour y parvenir nous sont moins odieux, elle n’en est peut-être pas moins prête à tout, mais sous une nouvelle forme, pour obtenir son gain.
Ainsi donc, la connaissance modifiée des choses, est un facteur susceptible de nous faire changer de comportement. Pour ma part, je crois même, comme je le disais ce matin, que c’est elle qui est fondamentalement en cause dans notre façon de réagir à telle ou telle situation.
Mais ce redressement qui a lieu ne concerne, selon Schopenhauer, que notre connaissance. Notre caractère ne s’en trouve lui aucunement modifié, et il reste invariablement identique.
Je trouve cet argument de Schopenhauer assez étrange. Sa démonstration d’ailleurs m’apparaît assez embrouillée, lorsqu’il s’embarque dans l’explication de certaines de nos croyances populaires, comme celle d’un mal rattaché pour toujours à un homme, lorsqu’une seule fois il a commis un méfait : « voleur un jour, voleur toujours », rappelle-t-il, ou encore lorsqu’il indique que trahis par un proche nous disons toujours que celui-ci nous a abusé, plutôt qu’il a changé.
Schopenhauer me semble ériger ici un simple biais subjectif en principe universel. Et ceci sur une seule base : celle que notre caractère n’est en réalité que ce noyau ontologique qui nous définit, et qui jamais ne saurait changer.
Ce que je ne vois vraiment pas dans cette démonstration qu’il fait, c’est d’où sort ce moi mystérieux et immuable qui, selon lui, nous définirait. A part à l’expliquer par la magie ou le paranormal, je ne vois aucune façon d’en rendre compte. Et on ne saurait en aucun cas dire que ce caractère évoqué par Schopenhauer est constitué par notre capital génétique puisque celui-ci n’est qu’un potentiel, lors qu’un caractère renferme en lui la notion d’une chose qui a déjà émergé, qui s’est réalisée.
Schopenhauer ignore en fait totalement le rôle joué par la mémoire dans la constitution de ce que nous sommes. Il s’égare à mon avis dans une vision formatée de l’être, qui voudrait que l’homme soit constitué d’un noyau individuel incorruptible qui constituerait son identité propre et à nul autre pareil. Quand notre « personnalité » n’est en réalité issue que des expériences qui parcourent notre vie, des émotions que nous leur rattachons, et des moyens comportementaux que notre éducation aura mis à notre portée pour atteindre nos objectifs. Il n’y a en nous aucun noyau, aucun caractère primordial qui persisterait en nous et ferait de nous des rocs immuables et répétant inlassablement les mêmes choses dans les mêmes situations. Nous sommes avant tout autre chose des cerveaux qui sentent, ressentent, et travaillent ces matières premières que sont les sensations et les sentiments pour les transformer en actions (la pensée étant à mon sens un mode d’action). Des éponges si vous préférez, plus ou moins absorbantes d’un individu à l’autre.
D’une certaine façon, on doit d’ailleurs considérer alors que nous n’avons pas réellement de caractère. Ce terme ne nous sert en fait qu’à enfermer les autres dans la compréhension que nous cherchons à nous faire d’eux. Et à ce qu’ils s’enferment eux-mêmes dans la représentation qu’ils se font de l’image que les autres se font d’eux (ce n’est pas dit très simplement, mais je ne vois pas comment faire mieux). Le caractère est lui aussi un terme par lequel nous simplifions et réduisons les autres aux limites qui sont les nôtres de les comprendre.
J’en termine donc sur cette question de la connaissancen en espérant ne pas avoir être trop confus et nébuleux. Il me reste le dernier billet de cette série sur le libre arbitre à écrire, par lequel, je tenterai en effet de sauver la notion de responsabilité, en dépit du sort que je me serai acharné à faire au libre arbitre. Pour cela, nous devrons, comme certains l’ont pressenti, passer par la question de l’identité. Et rappeler un fondement de gestion du stress : la différence irréductible qui existe entre être, faire et avoir.
P.S: il y a une sorte de petite plaisanterie dans ce billet. Un peu à trois bandes, donc sans doute plutôt ratée. Je me demande tout de même si l'un de vous la verra.
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Commentaires
si tu t'appretes a parler de la responsabilite, la lecture de ce papier te fournira certainement enormement de matiere :
http://www.wjh.harvard.edu/~jgreene/GreeneWJH/GreeneCohenPhilTrans-04.pdf
elle m'avait ete envoyee par mail a la suite d'un de mes billets sur le sujet, par Xavier.
Écrit par : Matthieu | 06/03/2007
Merci pour l'info. Je vais voir ça. J'ai vu ton billet sur la religion. Tu connais la confiance qu'il faut porter à mes promesses, mais j'écrirai peut-être un petit quelque chose pour répondre à certaines de tes questions.
Écrit par : pikipoki | 06/03/2007
bah, en ce moment, je serais bien le dernier a te jeter la pierre
Écrit par : Matthieu | 07/03/2007
Salut,
Tu devrais lire le monde comme volonté et représentation de Schopenhauer. Cela te permettrait de répondre à la plupart de tes interrogations sur son essaie.
Écrit par : violaine | 23/05/2008
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