Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

05/04/2007

Nicolas Sarkozy et les singes de Delgado

medium_Singe.jpgJe découvre ce soir via un article du monde, le billet intéressant qu’a rédigé Michel Onfray  suite à sa rencontre avec Nicolas Sarkozy. Onfray indique dans son texte, d’une façon qui me paraît honnête, qu’il savait bien avant d’aller à cette interview que celle-ci pourrait être difficile du fait de l’opposition de ses opinions avec celles de Sarkozy. Il n’a visiblement pas été déçu.

Il y a deux choses qui me semblent intéressante à relever dans son compte-rendu. D’abord, et c’est certainement ce point qui sera principalement repris par la presse, les propos tenus par Nicolas Sarkozy concernant la prédestination génétique des individus.

Je reprends pour en rendre compte de façon synthétique, le même extrait que Le Monde

"J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a mille deux cents ou mille trois cents jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce que leurs parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d'autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense."

Cette vision, contredit une grande partie des recherches tant dans le domaine génétique que dans les disciplines de sciences humaines. Sarkozy peut donc s’attendre ici à recevoir une petite volée de la part du monde scientifique. Je ne compte pas revenir de façon détaillée sur l’impact génétique sur nos comportements. Il me semble avoir déjà démontré à mainte reprise que celui-ci était minime.

Il me suffit de rappeler succinctement, que jamais un bébé laissé à l’abandon sans la moindre possibilité d’expérimenter ce qui fait le monde humain (le rapport avec les autres essentiellement) ne se construira d’une façon que nous jugerions « humaines ». Il ne pourrait au mieux que devenir une sorte de sauvage, totalement inapte à la civilisation, mais les comportements humains de sociétés lui seraient parfaitement étrangers. L’inné encore une fois n’est qu’un potentiel, bien difficile à évaluer d’ailleurs. C’est l’apprentissage qui peut lui donner sa valeur. Il suffit pour s’en convaincre de remarquer qu’un enfant né de bonne famille mais élevé dans une famille pauvre n’aurait que très peu de chance de « réussir » socialement, alors qu’un enfant né d’une famille pauvre mais élevé dés son plus jeune âge dans une famille aisée suivrait exactement le chemin inverse. Mais je ne vais pas réécrire le scenario de La vie est un long fleuve tranquille, n’est-ce pas ?

Cette vision que rapporte Sarkozy, et Michel Onfray le rappelle, constitue l’une des bases de divergence philosophique fondamentale entre la gauche et la droite politique. Impossible ici de faire court sans caricaturer, mais en gros la droite s’accroche volontiers à la notion de l’inné, tandis que la gauche est plus attachée à celle de l’acquis. Parce que l’inné est ce qui permet de poser de façon simple des valeurs sur les personnes, et de les juger à l’aune de principes moraux, de mérite, etc. Et également d’agir de façon pragmatique, c’est-à-dire en faisant « avec ce qu’on a », et non avec ce que l’on peut espérer. Alors que l’acquis suppose une projection dans le temps, une évolution, un changement de l’homme. C’est la base de l’idéalisme où il n’est pas question de ce que l’on est, mais de ce que l’on peut devenir.

Je ne m’attarde pas plus sur ce point. Onfray le développe plus, et bien mieux que moi dans son billet. Et une littérature sans doute riche en rend compte pour ceux qui sont curieux. Ne m’en voulez pas trop si je suis un peu fainéant, mais si je voulais faire quelque chose de convenable à ce sujet, il me faudrait des heures.

Le deuxième point qui m’intéresse, c’est le comportement général de Sarkozy lors de cet entretien : son agressivité. Evidemment, il est tout à fait possible que celle-ci soit plus le résultat d’une mauvaise journée et de circonstances désagréables pour lui que d’autre chose. Mais l’article d’Onfray confirme une impression générale que le personnage Sarkozy véhicule il me semble : celle d’un individu agressif. Sans doute pas physiquement parlant, mais verbalement. Qu’il soit à la télé, ou ailleurs, c’est souvent l’impression qui se dégage de lui. Il me semble que c’est en grande partie ce qui explique la méfiance particulière qu’on entend s’exprimer contre lui.

On aurait très certainement tort de penser que les autres candidats, en tout cas ceux qui peuvent croire à la victoire, n’expriment aucune agressivité dans leur comportement, mais Sarkozy me semble être celui chez qui cette agressivité est la plus forte, en tout cas à tout le moins la plus visible.

Je voudrais à ce titre évoquer ici, de façon un peu provocatrice je le reconnais, une expérience menée par le physiologiste Jose Delgado (eng) sur des singes. Delgado s’est rendu célèbre en posant des implants électroniques dans le cerveau d’animaux et en parvenant, à l’aide de consoles radios, à guider et modifier les comportements de ceux-ci. Son expérience la plus célèbre a eu lieu à Cordoue avec un taureau de corrida, qu’il a pu stopper net alors que l’animal se ruait sur lui.

Delgado a également réalisé des expériences sur des singes, pour étudier leur comportement agressif et trouver les moyens de le modifier. Il a ainsi montré, qu’un groupe de singes ayant appris à stimuler à l’aide d’un appareil électrique, la zone de leur cerveau qui régule leur niveau d’agressivité, utilise cet outil pour jouer à monter et descendre dans l’échelle hiérarchique du groupe. En effet, plus les singes stimulaient leur agressivité grâce à l’engin, plus ils montaient dans l’échelle hiérarchique du groupe. Les singes qui étaient normalement les dominés accédaient au statut de dominant grâce à quelques stimulations. Et ceux qui étaient normalement les dominants, se voyaient alors dépassés dans l'échelle hérarchique du groupe par les autres, pour devenir à leur tour des dominés. Ayant compris le truc, les singes l’ont apparemment abondamment utilisé pour modifier leur rang et leur statut de dominant ou de dominé dans le groupe.

La conclusion de l’expérience de Delgado est simple et claire comme de l’eau de roche : c’est l’individu le plus agressif du groupe qui en devient l’élément dominant. En tout cas c’est le cas chez les singes sur lesquels l’expérience fut conduite.

Bien sûr, il y a une limite à l’analogie de ce type d’étude éthologique avec la nature humaine. Et ceci même si les animaux étudiés sont ceux dont nous sommes les plus proches. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a dans cette étude une vérité que l’on peut rapprocher du vade mecum de l‘homo politicus. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’idée est si largement répandue que la politique, ce n’est pas le monde de Candy et des idéalistes évangéliques. Les nombreux cyniques qui officient en tant qu’analystes dans cette discipline, en sont bien pétris.

En l’état je ne vois pas bien comment ce phénomène est évitable. Les hommes politiques n'ont guère de chance d'exister aux yeux du grand public s'ils n'ont pas une forme d'agressivité comportementale qui leur fait vouloir être sur le devant de la scène, vouloir le pouvoir, vouloir être des dominants. D’une certaine façon, ce n’est là que le reflet du schéma de construction de nos sociétés modernes, qui se sont faites en grande partie à partir de l’agressivité de compétition (j’aborderai ce point plus en détail prochainement).

Commentaires

Sur l'honneteté de M Onfray par rapport à N Sarkozy, permet moi d'avoir des doutes: on ne voit pas pourquoi il serait plus qu'un autre complétement maître de ses sentiments, capable de juger en toute objectivité un homme dont il ne partage radicalement pas les points de vue mais enfin... S'étonner de voir son interlocuteur beaucoup parler quand on vient l'interviever (donc justement le faire parler) me parait notamment assez étonnant!
Je voulais revenir sur l'inné et l'acquis
L'homme se caratérise dans le monde animal par la grande part de l'acquis dans son comportement.
Effectivement, les progressistes ont estimé utile d'agir par l'éducation pour développer chacun et ne pas se contenter des différences soit disant naturelles que pouvaient défendre ceux qui avaient intérêt à défendre leurs privilèges
Cette priorité donnée à l'acquis a aussi une justification majeure: après tout, c'est sur cela qu'on peut jouer!
mais elle a pu mener à des dérives, la plus connue étant la prétention de Lyssenko de pouvoir acquérir de l'inné (je sais je racourci!). derrière la priorité à l'acquis, il peut y avoir l'idée que l'enfant est une pâte molle sur laquelle je peux imprimer ce que je veux. A l'extrème, cela donne les khmers rouges
Le mouvement qui redonne de l'importance à l'inné peut très bien être un retour à une idéologie de droite. Mais il peut aussi être un moyen d'agir de manière plus efficace et plus respectueuse de l'individu, en tenant compte de ce qu'il est
Dans un domaine différent mais pas tant que cela, celui de la maladie mentale, on a vu s'opposer les tenants du tout chimique et ceux du tout psychanalytique. Cette opposition est elle réellement bienvenue?
Si on continue en médecine, on sait qu'il y a une probabilité génétique importante pour les cancers du sein. On peut en déduire qu'il faut une sélection génétique et on imagine les dérives. La réalité est qu'on surveille plus celles qui sont prédisposées si l'on en croit ce qu'on eu leurs ascendantes. Une de mes amies a développé un cancer du sein à 50 ans environ. Cmme il y avait déjà eu plusieurs mortes de cela dans sa famille, elle était particulmièrement surveillée et elle a été soignée à temps
Donc oui, reconnaitre l'importance de l'inné, cela peut aujourd'hui être un facteur de progrés. tout dépend avec quelle intention

Écrit par : verel | 05/04/2007

Verel
Concernant Onfray, il ne m'a pas semblé à le lire qu'il était étonné que Sarkozy parle, mais plutôt qu'il parle avec agressivité.

Sur ta conclusion concernant l'inné, ok concernant une surveillance médicale. En revanche en terme comportementaux, je ne vois pas bien où on peut trouver un progrès dans l'inné puisque sur ce point, penser que l'inné est important est erroné.

Écrit par : pikipoki | 05/04/2007

Les grands esprits se rencontrent pikipoki... (voir mon blog ce matin :-)

Pour la part inné/acquis, je suis en total accord également avec toi. Mais je me demande, au delà du parallèle avec le clivage droite/gauche, si ne se superpose pas également un clivage vision anglo-saxonne/vision européenne sinon française de l'homme. Je suis toujours frappé par le nombre de recherches menées outre-atlantique pour identifier le gène de ceci, le gène de cela, le nombre d'expériences, et presque la fascination, autour de la gémellité (pour prouver bien entendu l'importance de l'inné). Je me rappelle même d'un papier d'un éminent psychologue américain qui démontrait que l'éducation des parents n'avait qu'une part infime de responsabilité dans le devenir des enfants.

On connait le penchant atlantiste de Sarkozy, de droite et atlantiste, voilà une double raison pour une philosophie de l'inné (donc individualiste) plus que de l'acquis (donc social).

Écrit par : Krysztoff | 05/04/2007

Merci pour vos billets, souvent décalés que ceux d'autres contributeurs de Lieu Commun, mais très souvent d'une pertinence plus durable.

Juste une critique sur les termes employés "bonne famille" vs "famille pauvre", dont l'usage va à l'encontre de votre thèse.

Écrit par : traxler | 05/04/2007

Bonjour,
je suis trés en phase avec ce que vous avez écrit sur l'inné et l'acquis. Mon travail de thèse touche d'ailleurs à ce sujet.
Ce qui est surprenant chez les défenseurs du "tout génétique", et encore plus chez les scientifiques, c'est la dichotomie faite entre "éducation" et "génétique" en postulant qu'ils ont partitionné l'univers des possibles. En faisant ça ils en oublient un point fondamental: le hasard. (Econoclaste avait déja fait un billet fort interessant sur ce sujet où ils montraient que les individus sous-estimaient le role du hasard dans la réussite individuelle).
Pour moi, la construction du cerveau pourrait être rapproché de l'apparition de cristaux dans un solution saturée: quelle que soit la précision avec laquel vous reproduisez la situation initiale, deux cristaux ne seront jamais identiques (le simple mouvement brownien (i.e. heuristique) de l'eau suffit à perturber toutes les prévisions).
Par exemple quand N.S. dit: "Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire.", on voit que l'idée de hasard, de probabilité même, passe complètement à la trappe. Dans sa reprsentation du monde, chaque effet a sa cause identifiable. Quand je disais que les homme politiques manquent de culture scientifique...

Enfin, pour redevenir plus terre à terre, on aurait pu répondre à N.Sarkozy que la moitié des pédophiles se sont fait violés dans leur enfance...

Écrit par : Bernouilly | 05/04/2007

Du moment qu'elles ne contiennent pas d'estimation numérique, je me demande comment on peut prétendre départager les opinions de messieurs Sarkozy et Onfray.

Tout le monde sait que son patrimoine génétique n'est pas sans rapport avec les actes d'une personne. Et que son éducation non plus. Tandis que les phases de la lune, oui. Une fois qu'on a dit cette banalité, on peut faire des expériences de pensée (laissons un humain prospérer sans éducation, il devient un légume : on ne fabriquera pas Einstein sans l'envoyer à l'école ; essayons d'éduquer un légume : on ne fabriquera pas Einstein en envoyant à l'école les gênes d'un chou-fleur) bon et après ?

En l'absence de quantification exprimée par des nombres (et je ne sais pas du tout comment on pourrait quantifier) je ne vois pas comment on peut sortir de ces banalités et simplement donner un sens à "l'inné prédomine" ou "l'acquis prédomine".

Écrit par : André P. | 05/04/2007

Quid de l'hérédité des caractères acquis?

C'est une question de naïf demandant éclaircissement, hein...

Écrit par : carolus | 05/04/2007

Krysztoff
J'ai vu ton billet. Quel fainéant ! ;o)

Traxler
Merci

Bernouilly
Oui, nous sommes effectivement sur la même longueur d'onde.

André
Il n'y a aucune raison pour qu'une quantification soit la seule façon d'aborder sérieusement de telles questions. Des études en biologies comportementales, et en éthologies ont abondamment démontré ce que j'ai relevé dans ce billet. Enfin, votre hypothès de départ "Tout le monde sait que son patrimoine génétique n'est pas sans rapport avec les actes d'une personne" est parfaitement discutable.

Carolus
Voilà une excellente question. Ma réponse est à prendre avec précaution et réserve, mais enfin voilà ce que je dirais sur ce point: qu'il ne s'agit pas d'hérédité, mais d'héritage. C'est-à-dire que les caractères acquis se transmettent moins (voire pas) par les gênes, que par la mémoire collective. Qu'est-ce que la mémoire collective? En gros c'est la culture, l'histoire écrite dans les livres, les valeurs transmises.

Écrit par : pikipoki | 05/04/2007

Génétiquement on se transmet la main et culturellement la poignée de main !

[tiens ça c'est de la bonne formule ! :-)]

Écrit par : filaplomb | 06/04/2007

L'intrusion de la génétique (laquelle, puis-je le rappeler, n'est qu'une théorie biologique) dans le champ politique a jusqu'ici donné des résultats biaisés, faux, macabres et parfois très dangereux.
Nicolas Sarkozy a sauté (en grand angoissé qu'il est, toujours à la recherche de la solution qui lui coutera le moins en réflexion) sur la fameuse étude de l'Inserm concernant les "comportements asociaux chez les très jeunes enfants" et ce faisant a révélé un trait de caractère particulièrement inquiétant.
Malgré tout, opposer cela, le généraliser à la droite -et donc comme le font certains commentaires- à un combat gauche-acquis versus droite-inné est un peu court me semble-t'il, et fait abstraction des dérives aussi bien staliniennes que maoïstes ou, comme le disait verel, les khmers rouges.
Gare au scientisme appliqué à la politique.
Ce qui me rappelle, malgré tout ce vieil adage:
la gauche est contre la pauvreté; la droite, contre les pauvres.
Et Joyeuses Pacques.

Écrit par : leblase | 09/04/2007

Leblase
Vous avez tout à fait raison de relever cette limite, qui n'est pas des moindre, de l'application de données scientifiques au domaine politique. Pour en rajouter dans votre sens, le dénommé Delgado dont j'ai fait mention ici, avouait lors de la réalisation de ses expériences, que son idéal était de parvenir à implanter sur des humains les mêmes puces que celles qu'il implantait dans le cerveau des animaux, et de parvenir ainsi à les faire agir selon son bon vouloir. Dans une vision parfaitement totalitaire qu'il assumait sans aucun scrupule.

Donc oui, il faudrait donner un peu plus de chair à cette opposition gauche-acquis, droite-inné que je ne l'ai fait ici. Mais je n'en avais tout simplement pas le courage, et je ne suis pas sûr de l'avoir plus tard.

Écrit par : pikipoki | 09/04/2007

pikipoki ;-)

Écrit par : leblase | 09/04/2007

Dommage, l'opposition gauche droite est pourtant intéressante vue de cette manière ! :-)

Écrit par : filaplomb | 11/04/2007

Les commentaires sont fermés.