27/10/2009
Choisit-on les trottoirs de Manille, de Paris ou d'Alger...
... pour apprendre à marcher ?
Eric Besson, dans le grand débat qu'il souhaite ouvrir sur la définition de l'identité nationale, nous pose deux questions : "Qu'est-ce qu'être français ?"et "Quel est l'apport de l'immigration à l'identité nationale ?". Derrière ce débat, sa véritable intention, qu'il ne cache d'ailleurs pas vraiment, est de réaffirmer un message nationaliste. Ceci étant notamment matérialisé par l'idée de chanter la marseillaise dans les écoles et de promouvoir la fierté d'être français.
Sa démarche, aux relents forts nauséabonds, est bien sûr une caricature d'opportunisme. Elle semble en effet viser à la fois à détourner partiellement les regards des récentes polémiques qui ont affaiblit la majorité, et à préparer les prochaines élections régionales. Tout ceci sur un terrain qu'il a savamment miné en déterminant dès le départ l'orientation des conclusions auxquelles il espère qu'on arrive. Mais au-delà de cette manoeuvre, le débat posé a-t-il une chance de faire émerger une idée intéressante ?
Personnellement j'en doute. Je ne vois pas bien comment on pourrait aboutir à autre chose qu'à des affrontements binaires et stériles. Ceci d'autant qu'il me semble qu'il y a un piège dans la question posée autour de l'idée de nation et de projet auquel les uns et les autres nous adhèrerions ou pas. Car je ne crois pas que qui que ce soit adhère véritablement à un quelconque projet de nation dans notre pays. Pas plus d'ailleurs que ne le font les peuples des autres pays de la planète.
D'abord parce qu'il me semble qu'il y a bien peu de pays qui ont un projet de ce type. La plupart du temps, on a plutôt l'impression que la politique des uns et des autres est faite d'un mélange plus ou moins maîtrisé de mesures pour la croissance économique, de quelques dispositions sociales (souvent guidées par des considérations économiques) et de postures pseudo-morales qui soit ne coûtent rien et donc n'engagent à rien soit sont en réalité elles aussi guidées par des visées économiques(c'est le cas par exemple de plusieurs positions des pays développés autour des guerres menées dans les pays pauvres). Mais bien malin à mon avis qui pourrait déceler dans tout cela un projet de société ou de nation. En tout cas pour ce qui concerne notre pays j'en suis moi bien incapable.
Mais surtout, quand bien même un pays se doterait d'un projet de ce type, je doute très fortement de la possibilité que ses habitants soient nombreux à se l'approprier et à choisir de vivre dans ce pays en raison de ce projet. Un projet de nation, pour la très grande majorité des gens, cela n'a pas beaucoup de sens. Ce qui a du sens c'est ce qui est palpable au quotidien, qui touche la vie de tous les jours. Il n'y a que face à un défi global, comme une guerre par exemple, qu'un projet de société (qui se borne en fait à chercher la survie dans l'exemple que j'ai donné) peut exister. On peut le regretter mais c'est ainsi.
Mais il y a plus encore. La chanson évoquée en titre, d'une sagesse élémentaire, répond en filigrane qu'on ne choisit pas le pays où l'on naît. Elémentaire, car l'on voit mal comment il pourrait en être autrement n'est-ce pas ? On peut peut-être plus raisonnablement se poser la question de savoir si l'on choisit d'y vivre. Et la réponse me semble invariablement la même. Pour la très grande majorité d'entre nous, on ne choisit pas véritablement. On se contente de vivre là où l'on est né. On grandit en s'arrangeant avec ce que nous offre notre pays, sauf à ce que les conditions soient exceptionnellement mauvaises. Mais même dans les pays très pauvres, je ne crois pas que la part des gens qui cherchent à partir soit supérieure à celle des gens qui restent.
Si donc un projet de société existe dans tel ou tel pays, on n'y adhère pas réellement. Il se trouve juste qu'il existe et qu'on habite dans ce pays. Point. On peut ensuite l'avoir compris et trouver qu'il recouvre des points positifs. Mais guère plus. Qui dans sa vie a déjà songé à mener une enquête aboutie pour découvrir le pays dont le projet de société serait le meilleur à ses yeux et d'aller y vivre ? On s'arrange avec ce que l'on a sous la main, et si l'on ne va pas vivre ailleurs c'est simplement parce que cet ailleurs nous est inconnu (avec le sentiment de risque que cela implique).
Mais aucun choix de vivre dans tel ou tel pays n'est jamais fait par qui que ce soit en totale connaissance de cause. L'adhésion dont on parle ici ne peut donc être qu'à minima. Elle ne peut exister en fait que dans un seul cas, lorsque pour se rassurer on fabrique son adhésion au projet de son pays. Et encore il ne s'agit là que d'un cas d'école. Les seules adhésions fortes à un projet de société qui se soient vues n'ont à mon avis eu lieu que dans les pays fascistes, où le nationalisme servait de projet. Sa simplicité et son objectif de domination sur les autres expliquant son succès. Mais même dans ces cas il ne s'agit pas d'une adhésion positive, mais plutôt d'une adhésion par rejet du reste, une adhésion fondée sur la peur.
Chercher à débattre autour de la question de projet de nation peut paraître au premier abord une chose légitime. Pour la seule raison que le mot nation existe, et qu'il apparaît donc normal de chercher à le définir. Mais je me demande si ce n'est pas finalement un angle de réflexion qui n'apporte rien. La première préoccupation politique est de savoir comment créer les conditions du bonheur pour un peuple. Peu importe que cela vienne d'un projet national ou d'autre chose. Ce n'est là qu'un éventuel qualificatif de plus qu'on pourra adosser à la démarche entreprise, mais qui n'a dans le fond rien d'important. La seule chose qui compte c'est qu'on parvienne à cet objectif. Le reste ne répondrait en réalité qu'à un objectif d'affichage devant les autres pays (et donc forcément sur un mode "notre pays est plus beau que le vôtre"). Je n'y vois donc qu'une impasse générée en réalité par un piège de langage.
22:23 Publié dans Un peu d'actualité et de politique | Lien permanent | Commentaires (5) | Facebook |
Commentaires
Pour Rousseau dans le Contrat social, la constitution de l'Etat se fait justement par adhésion des habitants qui passent contrat ensemble
la période révolutionnaire vit en France le développement d'un fort attachement à la nation
On ne peut donc écarter d'un trait de (belle) plume le sentiment nationaliste
Il est vrai que nos générations voyageuses ont pris l'habitude de compter dans leurs proches telle américaine mariée à un Français, tel français vivant pour l'instant à Hong Kong, tel français dont les parents sont nés et vivent en Algérie.
Tant mieux
Ce n'est pourtant qu'il n'y a guère des européens s'écharpaient gravement en ex Yougoslavie sous le prétexte de ne pas avoir la même langue, en Irlande sous le prétexte de ne pas avoir la même religion
Et les événements sportifs sont l'occasion pour certains d'animer le sentiment imbécile qu'il faut taper sur la g... de celui qui n'est pas du même pays ou du même club
Écrit par : verel | 28/10/2009
Bonjour Vérel,
Je suis assez d'accord, il y a bien un sentiment national qui existe. Mais dans les exemples que vous rapportez il me semble qu'il n'est pas tourné vers la construction de quoi que ce soit. Ca me semble plus être un alibi au repli sur soi, au rejet. Pour dire les choses autrement, ces personnes utilisent l'idée de nation pour parer leur refus des autres de quelques abstractions censées faire office de pensée. Il est plus "beau" en quelque sorte de dire "j'ai un projet national dont tu ne fais pas partie" que "je te hais, dehors!".
Ceci étant, j'ai un peu appuyé mon argumentation dans un sens pour lui donner de la cohérence, mais je ne pense pas que nos positions soient si éloignées l'une de l'autre.
Écrit par : pikipoki | 28/10/2009
Orthographe : relents nauséabonds.
Merci pour ce billet.
Écrit par : Charles | 28/10/2009
Merci pour cette indication, je n'étais pas sûr de moi en effet sur ce mot.
Écrit par : pikipoki | 28/10/2009
Bien que français, né en France, et ayant subi des difficultés assez semblables à celle de Mme de Rosnay (privé de passeport et sommé de prouver ma nationalité), j'estime que la question n'apporte rien sinon des troubles.
Venant d'un individu qui n'est même pas né en France, et aux positions et agissements bien connus, ce questionnement "fait un peu gerber", si vous me passez l'expression.
La vraie question serait plutôt : Que reste-t-il de la France AUJOURD'HUI qui permettrait d'en être fier ?
En fait, bien peu de chose. Et la façon dont elle est dirigée depuis le nouveau millénaire n'arrange rien.
Il suffit de voyager un peu pour se rendre compte que "ce qui fait la fierté d'être français" repose sur le passé : estime due à une image encore forte de valeurs (hélas mises à mal) héritées du passé, sur ce qu'il reste d'empreinte culturelle. La part de la langue française et de ses grands auteurs n'y est pas pour rien.
Mais depuis plus d'une décennie, il n'y a guère de quoi fanfaronner aux yeux des populations étrangères, notamment les populations européennes et d'outre-Atlantique.
C'est encore une chance que celles-ci aient bien souvent une haute idée de la France, basée sur des informations obsolètes ou extrêmement peu fidèles à nos réalités quotidiennes.
Alors au lieu de poser la question de l'identité nationale (à l'heure de l'Europe, c'est quasiment inconvenant), nos (très chers) dirigeants feraient mieux de se poser la question de leur propre cohérence en matière de gouvernance...
Écrit par : Lonewolf1300 | 28/10/2009
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