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17/08/2005

Irréductible incommunicabilité

Billet précédent de la série

 

Je commence donc ma série de billets sur la communication et l’écoute. Et comme promis je vous propose d’abord un extrait de L’Insoutenable légèreté de l’être de Kundera. Dans ce livre, Kundera aborde entre autre la question de la différence qui sépare les individus dans la perception des mots et des choses. Kundera propose, pour illustrer son idée, un petit lexique des mots incompris.  C’est à partir d’un extrait de ce lexique que je démarre donc cette série.

Le cimetière :

«[Pour Sabina] Les cimetières de bohème ressemblent à des jardins. Les tombes sont recouvertes de gazons et de fleurs de couleurs vives. D’humbles monuments se cachent dans la verdure du feuillage. Le soir le cimetière est plein de petits cierges allumés, on croirait que les morts donnent un bal enfantin, car les morts sont innocents comme les enfants. Aussi cruelle que fut la vie, au cimetière régnait toujours la paix. Même pendant la guère, sous Hitler, sous Staline, sous toutes les occupations. Quand elle se sentait triste, elle prenait sa voiture pour aller loin de Prague se promener dans un de ses cimetières préférés. Ces cimetières de campagne sur fond bleuté de collines étaient beaux comme une berceuse.
Pour Franz un cimetière n’est qu’une immonde décharge d’ossements et de pierraille. »

 

Et pour reprendre encore Kundera, afin d’éclaircir un peu ce passage : « Ils comprenaient exactement le sens logique des mots qu’ils se disaient, mais sans entendre le murmure du fleuve sémantique qui coulait à travers ces mots. »

 

Ainsi, deux personnes partageant un grande partie de leur intimité (Sabina et Franz sont amants) qui vivent certaines expériences ensemble, et qui parlent des mêmes choses, rattachent à ces expériences, à ces choses et donc aux mots qui les désignent, des perceptions qui peuvent être extrêmement différentes. Et cet écart de perception crée une sorte de faille entre les deux personnes, un espace vide où se loge l’incompréhension. Franz et Sabina ne peuvent pas se comprendre lorsqu’ils vont ensemble dans un cimetière car ils n’y rattachent pas les mêmes images, les mêmes émotions, les mêmes idées, celles-ci venant de leurs souvenirs propres, de leur vécu particulier et personnel.

 

Nous nous construisons tous de façon originale. Avec un patrimoine génétique qui nous est propre (la tarte à la crème), et à travers les expériences que la vie met sur notre chemin (ou que l’on se crée), qui ne sont jamais identiques à celles que vivent les autres. Elles sont parfois similaires, mais ont une intensité différente d’une personne à l’autre, n’arrivent pas dans le même « ordre », etc. Et ainsi petit à petit, en construisant notre propre identité, nous nous séparons des autres progressivement, en grandissant de façon originale. Et cet individu original que nous devenons ne comprend forcément pas les choses de la même manière qu’un autre. Nous avons chacun nos filtres personnels, nos angles de vue qui correspondent à nos priorités, à nos valeurs, etc. Et c’est la confrontation de ces angles de vue très différents qui, parfois, nous fait nous disputer sur des sujets sur lesquels nous sommes pourtant fondamentalement en accord. Pour reprendre Kundera une dernière fois : « Quand ils se rencontrent à un âge plus mûr, [la] partition musicale [des gens] est plus ou moins achevée, et chaque mot, chaque objet signifie quelque chose d’autre dans la partition de chacun. »

 

Je crois donc pour ma part qu’une part de cette faille qui nous sépare des autres est irréductible. Qu’il y a un espace que l’autre, aussi grande soit son attention pour soi, ne pourra jamais franchir, jamais combler. Ca rejoint  un peu l’idée que l’autre ne peut pas savoir précisément et complètement qui on est. Cet écart irréductible entre soi et les autres, je crois que c’est en partie ce qui constitue l’intimité. C’est le jardin secret qu’on cultive en soi à l’abri des autres. Ainsi, cette part de nous dont on garde les clés restera toujours inconnue même pour les gens qui nous sont les plus proches. Et pour ma part je trouve ça bon. Je crois beaucoup que la préservation de cette intimité et de ce jardin secret permet de se développer de façon équilibrée.

 

Peut-être trouve-t-on donc là un élément qui réduit irrémédiablement les possibilités de la communication. Quelque chose qui fait que jamais on ne pourra s’assurer vraiment qu’il y a une compréhension totale entre soi et les autres. Mais cet écart me semble fondamentalement souhaitable puisque c’est lui qui fait qu’un échange permet à l’un et à l’autre de s’enrichir. On ne (com)prendra peut-être pas tout ce que l’autre nous a dit, et on ne parviendra peut-être pas non plus à lui transmettre tout ce que l’on voudrait transmettre, mais des éléments feront leur chemin, parviendront de chaque côté et ainsi chacun recevra quelque chose de l’autre (et parfois il faut accepter que cela prenne du temps).

 

Cet écart ne signifie donc pas qu’on ne peut pas trouver un terrain d’entente commun. Ce qui nous laisse la chance de débattre… (à suivre).

 

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Commentaires

Oui... peut être ... mais savons nous qui nous sommes, n'est ce pas au contact de 'l'autre" que nous pouvons véritablement le découvrir ?

Écrit par : Quoique | 18/08/2005

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