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05/10/2005

Le pardon

Depuis quelques jours déjà je pense à un nouveau post à inscrire dans la catégorie gestion du stress. Un post sur le pardon. La lecture d’un article récent, encore dans le Courrier International (de la semaine dernière), concernant la Charte pour la paix et la réconciliation nationale soumise en Algérie, me fournit l’occasion d’étoffer le sujet en le liant quelque peu à l’actualité.

 

L’article n’étant pas accessible aux non abonnés, et aussi pour rendre ce billet le plus clair possible, j’en reprends ici quelques extraits.

 

Interrogé sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, le Rassemblement Action Jeunesse (une ONG) juge « qu’[elle] est une négation pour tous les algériens de leurs droit légitime et salvateur de connaître les raisons véritables et les différents instigateurs et acteurs de leurs souffrances, de leurs pleurs et de leur douleur. En Afrique du Sud, les personnes mises en cause reconnaissaient d’abord leurs actes, et ce n’est qu’après qu’elles étaient amnistiées, ou pas. […] » Rappelle Lyès. Pour lui, la réconciliation passe par la vérité. « On doit savoir qui a fait quoi et pour quelles raisons avant d’avancer l’idée de pardon. » […] Ce texte ne prône que l’oubli et l’impunité des coupables, au détriment de la vérité et de la justice, racines essentielles d’une société enfin unifiée. »[1]

 

Voilà qui est très intéressant et qui va nous aider à préciser ce que la démarche du pardon implique comme effort personnel. Le pardon, dans le cas évoqué dans cet article n’est envisagé qu'après la reconnaissance de la vérité notamment par les coupables eux-mêmes. Autrement dit, pour qu’une victime donne son pardon, encore faut-il que son bourreau le lui demande, reconnaissant en cela la souffrance qu’il a fait subir. Il y a bien sûr une idée très juste ici. Comment réclamer aux victimes leur pardon si aucun travail de reconnaissance de leurs peines et de leurs souffrances n’est fait? L’effort qu’on demande ici est presque surhumain. Et pour ma part je partage l’idée que le pardon le plus réparateur ne peut être donné par la victime qu’après que son bourreau lui a demandé pardon.

 

Mais il arrive, et c’est même très fréquent, que cette demande ne vienne pas. Faut-il dès lors refuser son pardon et s’enferrer dans les rancoeurs nées de notre souffrance ? La victime risque de se faire du mal à elle-même en prenant ce risque, de s’abîmer en cultivant des sentiments négatifs qui vont avoir un impact néfaste sur son comportement, et ceci à long terme. Il faut je crois être capable à un certain moment de prendre du recul et d’opérer l’arbitrage suivant en tentant de mettre de côté les émotions dues au méfait subit, au moins le temps de l’arbitrage afin d’y voir clair : entre d’une part la reconnaissance de ma souffrance et l’affirmation de la vérité, et d’autre part la chance de retrouver un équilibre que me donnerait le pardon accordé (si tant est que cet équilibre ait justement été bouleversé par le méfait en question – là on mesure l’impact de ce dernier et si on le juge acceptable alors on peut sans doute se permettre d’attendre la demande de pardon), qu’est-ce qui paraît le plus important ?

 

Car pour certains il peut y avoir urgence à retrouver l’équilibre perdu. Prendre le risque d’attendre toute sa vie une demande de pardon qui ne viendra pas c’est poursuivre l’œuvre du malfaiteur et même l’augmenter. Savoir donner alors son pardon est certes difficile, extrêmement difficile même, mais ce peut être la seule possibilité de sortir de l’ornière dans laquelle on se trouve. D’autant qu’accorder son pardon peut parfois avoir un effet inattendu, même sur les bourreaux les plus insensibles.

 

Je me souviens d’un reportage télévisé qui retransmettais le jugement d’un tueur en série américain dont les crimes avaient été particulièrement odieux. A la barre, défilaient certains membres des familles des victimes en qualité de témoins. Tous n’exprimaient que de la haine et proféraient les pires vœux quand au devenir du criminel. Tous, sauf une femme. Celle-ci, très émue, mais visiblement plus sereine que les autres personnes interrogées à la barre, s’adressa directement au criminel et lui dit qu’après plusieurs années d’incompréhension et de tristesse profonde, elle le pardonnait. Sincèrement. Et le criminel, qui avait conservé jusque là un visage incroyablement impassible devant la description de ses horribles crimes et la souffrance exprimée par les familles, se mit soudain à pleurer.

 

En lui donnant son pardon, la femme lui avait enlever son masque de monstre et redonné sa nature d’homme. C’était très net à l’image. Tant qu’il était insulté le criminel s’enfermait dans un rôle mécanique. Il était le monstre sans visage opposé aux victimes qu’il ne regardait pas. Il n’était pas un homme, il se résumait à la fonction qu’on lui assignait dans ce tribunal : être un monstre. Dès lors que cette image fut brisée par la femme, réintroduisant en lui sa part d’humanité, le masque impassible s’est rompu et on a vu l’homme ressurgir là où on pensait qu’il n’existait plus. Il ne put prononcer un mot. Mais ses pleurs étaient déjà pour les familles des victimes une première reconnaissance de ce qu’il avait fait.

 

Revenons à un niveau plus courant. A mon sens le pardon se heurte à deux barrières. D’abord celui déjà indiqué dans l’article du CI : la reconnaissance de la souffrance et la demande de pardon. Ensuite, l'orgueil, encore lui. Il intervient même doublement : chez celui qui a fait souffrir, et chez celui qui a souffert. Chez celui qui a fait souffrir car demander pardon c’est reconnaître sa faute, c’est mettre une partie de son destin (même si ça peut n’être qu’à très court terme) dans les mains de l’autre. Il paraît que chez les chinois, cela revient à perdre la face. A tel point que les autorités auraient pris des mesures pour aider les gens à pardonner en créant un « Centre d’excuses et de cadeaux » ! Et chez celui qui a souffert également car on peut être tenter de conserver une attitude de refus qui maintient celui qui demande pardon en situation « inférieure ». Il reste en notre maîtrise tant qu’on n’a pas accordé notre pardon.

 

Le pardon est un des éléments les plus importants de résolution des conflits, et ceci à tous les niveaux : autant entre deux personnes qui se sont chamaillées qu’entre des peuples opposés par des années d’affrontements et de guerre. Si l’on savait plus souvent envisager l’arbitrage que j’ai indiqué plus haut, à la fois pour retrouver son équilibre et pour redonner à celui ou ceux qu’on assimile à un (des) monstre(s) un visage humain, la résolution de certains conflits pourraient être facilitée.

 

Pour terminer cette note, et pour indiquer qu’en aucun cas je ne prétends que donner son pardon est une démarche aisée, j’indique quelques éléments personnels qui pourront justement paraître un peu contradictoires avec mes souhaits raisonnés. J’ai une difficulté un peu particulière avec le pardon. Je fais partie de cette catégorie de personne dont la confiance est longue à gagner mais peut être très rapide à perdre. Et j’ai beaucoup de mal à accepter la démarche de pardon que les autres peuvent effectuer après m’avoir blessé. Pas de donner mon pardon. Mais d’accepter qu’ils fassent la démarche. Parce qu’alors je prends cette démarche comme une reconnaissance que ce qu’ils ont fait était complètement injustifié. Et cette seule idée m’est difficilement supportable. Je prends ça un peu comme une deuxième claque. La première on me blesse, et la deuxième on m’explique que c’était bien injuste, bref on enfonce sa main un peu plus profond. Tout cela pour dire que, dans certains cas difficiles, le pardon est un chemin.

 

[1] : pour ceux qui veulent poursuivre la réflexion sur ce sujet d’actualité je signale un billet intéressant chez Gagarine.

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