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07/10/2005

La perpétuité: pourquoi et comment?

Un débat intéressant a été soulevé chez Paxatagore sur la question de la peine de prison à perpétuité, au travers du cas de Lucien Léger, récemment mis sous liberté conditionnelle après 41 ans de détention (il avait été condamné pour le meurtre d’un enfant de 11 ans).

 

Ce débat a soulevé plusieurs points :
1. Faut-il adopter la perpétuité réelle ? Les remises de peine sont-elles acceptables ? Sont-elles utiles ?
2. La fonction de la prison est-elle punitive ou éducative ? Dans quelle mesure peut-elle être éducative ?
3. La peine à perpétuité, même dans la mesure où elle peut-être réduite, n’est-elle pas plus cruelle et plus hypocrite que la peine de mort et, partant, cette dernière ne serait-elle pas plus souhaitable ?

 

Ces questions appellent une analyse approfondie. Encore une fois un blog me semble peu adapté pour ce type d’approfondissement. Mais en revanche rien n’empêche de lancer quelques réflexions et de proposer quelques idées pour prendre position. En prenant ces questions dans l’ordre.

 

1. L’application réelle des peines, notamment de la perpétuité.

Le fondement de l’argument qui plaide pour que les peines soient appliquées telles qu’elles sont énoncées au tribunal, à mon sens, c’est en grande partie que ne pas faire la peine telle qu’indiquée c’est ne pas respecter entièrement la décision de justice prise alors, et donc l’esprit de justice que cette décision entendait faire valoir. En effet, pourquoi condamner une personne à une peine si c’est pour que cette peine ne soit jamais respectée ? Quelle valeur donne-t-on aux décisions de justice, et donc à la justice elle-même, si celles-ci sont foulées au pied de façon systématique ? A cela s’ajoute très probablement chez les victimes l’impression d’être flouées, trompées par le système. En réduisant la peine de leur agresseur dans le fond, ne remet-on pas en cause le niveau de leur souffrance ?

 

Ces arguments ont une pertinence indéniable. Mais leur grand défaut c’est qu’ils ne sont bons que jusqu’à ce que  la porte du tribunal se referme après la condamnation prononcée. Ils oublient que les choses ne s’arrêtent pas là. Après la peine doit être purgée. Et à partir de là l’application stricte de la fixité de la peine me semble montrer plusieurs défauts.

 

D'abord, la logique de réduction possible de la peine pour bonne conduite est un facteur d’apaisement qui rend la vie carcérale plus « acceptable », à la fois pour les détenus et pour les gardiens. Si les détenus savent qu’un bon comportement ne peut rien leur apporter, quelle motivation peut être la leur pour se conduire convenablement ? Sans cette carotte, on peut parier que les prisons seraient infernales à gérer.

 

Et surtout, cette perspective constitue un espoir, et cet espoir est à mon sens très important pour une raison fondamentale: il préserve la nature d’homme chez les détenus. Qu’est-ce qu’un détenu ? Que reste-t-il de l’homme chez celui qui a été condamné par sa société, par ses semblables ? La condamnation le stigmatise pour des défauts avérés qui sont, au moins en partie, une négation de sa nature humaine. Un assassin, lorsqu’il planifie puis exécute son forfait, se comporte en monstre, au mépris de ce qui fait de lui un homme. Fondamentalement, c’est ça le message de la condamnation. Mais aussi monstrueux soit son acte, l’individu n’en reste pas moins un homme. Cela rappelle un peu qu’il n’est pas ce qu’il fait. Le fait qu’une société se propose de donner ce message à ses détenus montre qu’elle se fonde par principe sur des valeurs humaines fortes.

 

2. La fonction de la prison est-elle punitive ou éducative ? Dans quelle mesure peut-elle être éducative ?
Disons les choses clairement. Si l’on assigne à la prison une fonction exclusivement punitive, alors c’est que notre processus relève du principe de vengeance. Et quelle peut bien être l’utilité de la vengeance pour la justice d’un pays, si ce n’est éventuellement la catharsis qu’elle permettrait ? Il me semble que la fonction punitive n’est donc acceptable que dans la mesure où on lui reconnaît une dimension éducative. A l’école, quand on a fait une bêtise, par exemple en parlant à son voisin au lieu d’écouter le professeur, on se fait punir. Mais cette punition à pour but de faire prendre conscience de la faute commise et de la mesure de cette faute. Plus la faute est grande, plus il y a de lignes à recopier. C’est cette intention mise dans la punition qui la rend « efficace ». Si elle ne porte pas en elle cette dimension, alors elle ne crée que des rancoeurs supplémentaires, et donc elle engendre une situation encore plus risquée.

 

Le problème qui se pose concernant les peines de prison est qu’il est difficile d’entrevoir en quoi la privation de liberté et l’humiliation d’être privé de sa nature d’homme peut être éducatif. La prison porte en elle une limite intrinsèque par le traumatisme qu’elle représente. Dans un monde idéal, il faudrait être en mesure de « soigner » les criminels afin de s’assurer qu’ils ne répètent pas leurs crimes. Mais nous ne sommes pas dans un monde idéal. Et nous ne sommes pas capables aujourd’hui de « soigner » tous les dysfonctionnements qui peuvent amener un homme à se mettre hors-la-loi. L’écartement de ceux-ci apparaît donc comme une solution, entre d’autres. Je crois pour ma part, que cette punition permet en partie, et peut-être souvent, de faire prendre conscience aux condamnés la mesure de leur faute, et donc que ce seul enfermement les éduque en partie. On peut également ajouter le fait que la plupart des pensionnaires de prison ont sans doute peu envie d’en refaire l’expérience. Et comment l’éviter ? En se mettant en conformité avec les règles de la société. N’est-ce pas là aussi un élément « éducatif « ?

 

3. La peine à perpétuité, même dans la mesure où elle peut-être réduite, n’est-elle pas plus cruelle et moins hypocrite que la peine de mort et, partant (mon ajout au débat), cette dernière ne serait-elle pas plus souhaitable ?

C’est le point du débat le plus important à mes yeux.
Sur quoi s’appuierait cet opinion? D’abord sur la cruauté, très réelle, de la peine à perpétuité. Lucien léger est resté 41 ans en prison. C’est une forme de violence exceptionnelle que l’administration judiciaire a exercé contre lui. Que peut-il rester d’un homme après qu’il a passé si longtemps en prison ? Un autre argument est avancé, très intéressant, qui relève l’hypocrisie qu’il peut y avoir à condamner à perpétuité afin de ne pas se donner la mauvaise conscience d’avoir tuer un homme, sans pour autant lui offrir une condition plus enviable que la mort. Je serais pour ma part presque d’accord avec cet argument si la peine de perpétuité était réelle et que, comme certains le suggèrent, les condamnés à perpétuité mourraient effectivement en prison.

 

Mais je ne le suis pas. Outre certains arguments pragmatiques, comme le fait que la peine de prison, notamment de perpétuité, est réversible, ce que n’est évidemment pas la peine de mort, je trouve principalement à cela une raison absolument fondamentale, de principe, que je vais tenter d’exposer le plus précisément possible.
J’ai des lectures un peu réduites, mais certaines me fournissent déjà beaucoup d’éléments de réflexions, et je les utilise donc de façon un peu récurrentes. On m’excusera donc de citer à nouveau les Fondements de la métaphysique des mœurs de kant. Je cite un passage de la deuxième section de ce livre : « L’homme, et en général tout être raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen dont telle ou telle volonté puisse user à son gré ; dans toutes ses actions, aussi bien dans celles qui le concernent lui-même que dans celles qui concernent d’autres êtres raisonnables, il doit toujours être considéré en même temps comme fin »[…] « Ainsi je ne puis disposer en rien de l’homme en ma personne, soit pour le mutiler, soit pour l’endommager, soit pour le tuer ».

 

L’homme est une fin en soi. Voilà une notion qui, si elle était plus présente à l’esprit des gens, permettrait d’améliorer bien des choses. Elle permet entre autre de comprendre que, par principe, la peine de mort est inacceptable. Car elle pose la valeur d’une vie humaine comme relative. Ce qu’elle n’est pas, en aucun cas, même pour ce qui concerne les pires criminels. Il n’y a pas de hiérarchie dans la valeur de la vie des hommes. Ce qui peut être hiérarchisé ce sont éventuellement les actions de ceux-ci, mais en aucun cas leurs vies qui ont toutes une valeur identiquement respectable et qu’il convient de défendre avec la plus grande conviction.

 

Il y a une chose que les partisans de la peine de mort oublient (aux rangs desquels je ne range pas les débatteurs chez Paxatagore, je déborde un peu ici de la question qui était discutée chez lui). Si l’on pose comme principe acceptable qu’on peut ôter la vie d’un homme par voie de justice en condamnation d’un acte criminel de sa part, fondamentalement on envoie à tous les hommes le message que leur propre vie a elle aussi une valeur toute relative, que d’une certaine manière on ne peut pas lui rattacher de dignité puisqu’on peut opposer à sa valeur un « prix » qui serait le calme social (la dignité, toujours selon kant, étant ce à quoi on ne peut pas opposer d’équivalent, comme un prix). Dans La liste de Schindler, le film de Spielberg, on entend une phrase extraite du Talmud : « tout homme qui sauve une vie, sauve l’humanité toute entière ».Mais il y est aussi écrit : « Tout homme qui tue une vie, tue l’humanité toute entière ». C’est exactement ça. Une société qui accepte de tuer pour le « bien social » se tue elle-même. Elle se dit à elle-même qu’elle n’est pas pourvue de dignité.

 

Et pour ma part, pour clore cette dernière question, je dirais que ma surprise serait très grande si, questionnés sur la possibilité de choisir entre la prison à perpétuité, fut-ce avec une peine réelle, et la mort, les condamnés étaient nombreux à choisir la mort. Je suis absolument certain qu’on ne trouverait que quelques très rares exceptions qui demandent à être exécutés.

 

Add: je m'aperçois ce matin que le simple lien que j'avais mis vers le billet de Paxatagore s'est transformé en trackback chez lui. Ne me demandez pas comment, je n'en ai aucune idée! J'avais souhaité ne faire qu'un simple lien pour ne pas me faire une publicité que je juge un peu imméritée, si certains lecteurs ont le même sentiment, qu'ils m'en excusent donc.

Commentaires

Un argument classique sur la peine de mort est le risque d'erreur.

Sinon, je ne connaissais pas le "Talmud", si ta citation est correcte, alors pourquoi en Israel la peine de mort est présente depuis la création de cet état ?

Laurent

Écrit par : guerby | 08/10/2005

Intéressante remarque. Je ne saurais répondre, si ce n'est qu'il me semble bien malheureusement que les hommes font souvent de leurs textes "fondamentaux" les interprétations qu'ils veulent et qui leur conviennent le mieux...

Écrit par : pikipoki | 09/10/2005

Si ca continue ca va devier sur la religion et le fondamentalisme :).

Laurent

Écrit par : guerby | 09/10/2005

Un aspect également à mentionner:

la prison est une mise à l'écart de la société, une façon pour la collectivité de se protéger d'un individu jugé nuisible. La personne qui ne respecte pas les règles du jeu est interdite de jouer, du moins pendant un certain temps.

Au-delà d'une vertu éducative, qui me semble passablement utopique, l'objectif de l'enfermement me semble la dissuasion, ainsi que la protection.

Écrit par : gilles | 10/10/2005

Oui, Gilles: la fonction de la prison n'est ni punitive, ni éducative – elle est protectrice. Il s'agit d'empêcher des individus agressifs de porter atteinte à l'intégrité, à la liberté et aux biens des personnes qui respectent l'état de droit.

Écrit par : ajm | 11/10/2005

@Gilles et Ajm
Mmm pas entièrement d'accord.
Evidemment la prison "permet" de protéger la société des individus reconnus "dangereux". Mais si c'était sa seule fonction, et qu'elle ne pouvait avoir absolument aucun rôle éducatif ou de prise de conscience, alors il faudrait que toutes les peines soient à perpétuité réelle ! Puisque cela signifierait que les individus n'en sortiraient pas changés (s'ils peuvent en sortir changés, positivement, alors on doit admettre, par définition, qu'elle a aussi un rôle éducatif).

En fait c'est une question d'angle de vue. En ce qui nous concerne, le rôle de la prison est de nous protéger de ces individus, mais ce raisonnement ne tient qu'à court ou moyen terme. A long terme, dans la mesure où on ne va quand même pas condamner les voleurs à la perpétuité par exemple, il faut bien que la prison remplisse une autre fonction que simplement l'écartement des indésirables. Sinon elle est elle-même un aveu d'échec et n'offre même dans le fond aucune garantie de protection "à terme".

Écrit par : pikipoki | 11/10/2005

Je pense que tout deviendrait plus claire si l'on n'écartait pas les victimes du débat et l'on serait surpris plus souvent que l'on pense du choix de celles-ci. Les peines sont appliquées au service de la société et non pas des victimes. Nous nous sommes fourvoyés en plaçant la société en haut de la pyramide… C'est l'Homme qu'il faut ancrer à ce sommet et il est urgent d'agire dans ce sens.

Écrit par : -YMS- | 11/10/2005

@YMS
Je ne vois pas vraiment pourquoi ces deux aspects devraient être opposés. Un jugement a un double valeur à mon sens: il sert à la victime, pour que, reconnaissant la vérité et la mesure de sa douleur, justice lui soit rendue (ce qui permet entre autre à celle-ci de "repartir"), et à la société pour montrer l'application des valeurs sur lesquelles elle a entendu se forger.

Écrit par : pikipoki | 12/10/2005

Vous avez raison mais à mon sens la société a phagocyté l'Homme qui ne la contrôle plus vraiment. Je garde l'espoir que la technologie va permettre la mise en place de la démocratie directe afin de corriger rapidement ce qui ne nous donne pas satisfaction ( comme reconnaître une place plus importante aux victimes ).

Écrit par : -YMS- | 12/10/2005

Hmm, vous pensez au vote électronique par exemple?
Pour ma part je connais plutôt malle sujet technologie/démocratie, mais je dois dire que je suis plutôt réservé sur les espoirs qu'on pourrait fonder sur la technologie pour développer la démocratie. Rien de sérieux ne peut venir sans une volonté politique forte sur le sujet, technologie ou pas.

Je crois notamment qu'il y aurait une réflexion très importante à mener sur l'expression publique: celle des hommes politiques, celle des groupes de pression, des syndicats, et celle des citoyens. Quel cadre pour cette expression? Quelles libertés/contraintes ? Quels relais sur le "terrain"? Aujourd'hui il me semble qu'il y a un grand flou sur ce point, qui contribue à désordonner les opinions, à biaiser les débats, bref qui représente un risque, que je crois grandissant pour la démocratie.

Écrit par : pikipoki | 12/10/2005

Tout juriste qui a des souvenirs, même vagues, de ses cours universitaires (donc ni le Garde des Sceaux ni le Ministre de l'Intérieur) sait qu'aucun principe ne prescrit que la peine prononcée soit entièrement appliquée. Au contraire, le droit d'application des peines prévoit depuis des lustres le contraire. La difficulté est donc de faire correctement passer le message: l'une des pistes régulièrement évoquée serait de "découpler" la décision sur la culpabilité prononcée par le tribunal (qui pourrait revêtir des degrés par exemple, sur une échelle de 1 à 10 plutôt qu'un nombre de mois ou d'années) et la décision sur la peine qui serait prononcée par un autre tribunal, et qui serait évolutive pour tenir compte de l'évolution du condamné.

Écrit par : Alex | 13/10/2005

Piste très intéressante... et en effet il semble qu'un travail de communication important est à réaliser concernant la notion de remise de peine tant la confusion apparaît grande sur ce sujet.

Écrit par : Pikipoki | 13/10/2005

Très interessantes réflexions qui me renforcent dans l'utilisation d'Internet comme outil de communication de l'expression publique de base pour la démocratie. J'aime bien la proposition d'Alex, une belle piste pour améliorer ce que nous avons et qui ne fait pas l'unanimité dans nos sociétés " libres ".

Écrit par : -YMS- | 13/10/2005

La société ne devrait pas perdre son temps et son énergie avec des criminels. Ce sont leurs victimes dont il faut s'occuper. La prison n'a pas à assumer de rôle social. Si le criminel veut s'amender, il faut bien sûr qu'il en ait la possibilité, mais la possibilité seulement – l'initiative doit lui revenir entièrement. Et ce cortège d'assistants sociaux, de psychiatres, de conseillers et de bonnes âmes de toutes sortes qui rêvent de sauver la victime qui sommeille dans le cœur de tout criminel participe davantage à la corruption des valeurs morales qu'à leur élévation.

Quant à un tribunal de plus consacré à l'application des peines, dans chaque jugement, c'est une idée pour un monde qui n'existe pas.

Écrit par : ajm | 14/10/2005

C'est peu de dire que je ne suis pas d'accord avec vous ajm.
On dirait que pour vous criminel un jour, criminel toujours. Sinon vous faites comment pour dire à partir de quel niveau la société doit ne pas s'occuper d'eux? Assassins, "simples" voleurs, etc? hm?
Ceux qui ont commis des crimes seraient donc des "sous-hommes"? Vraiment c'est un raisonnement que je ne peux pas accepter.

Evidemment qu'il faut s'occuper des victimes, évidemment qu'il faut leur donner les moyens que justice soit rendue, mais mettre les criminels au ban des hommes est une erreur fondamentale: c'est leur donner encore plus de raison de continuer dans leur voie.

Et d'ailleurs que faites-vous des erreurs judiciaires dans votre système ?

Écrit par : pikipoki | 14/10/2005

Je ne pense pas que nous ayons besoin de «système» pour les criminels, seulement pour les gens convenables, et c'est déjà assez difficile pour eux.

L'erreur est humaine, l'erreur judiciaire aussi. C'est de s'obstiner dans l'erreur qui est malveillant. Il vaut mieux une erreur judiciaire qu'un crime de sang froid, non?

Si quelqu'un a commis un crime et qu'on a des raisons de penser qu'il est dangereux, il faut l'enfermer, ou le séparer de la société, d'une manière ou d'une autre (la peine de mort me va très bien aussi, oui, merci – jamais de récidive). Et il faut éviter que ceux qui ont commis des crimes aient plus de facilité à se réinsérer que les gens qui respectent les règles du jeu. La vie, ce n'est facile pour personne. Chouchouter les criminels, c'est les encourager à vivre de ce genre de bonne volonté. C'est favoriser le crime.

Remarquez, si la société est presque parfaite, qu'elle va si bien qu'un grand nombre de ses membres peuvent se pencher sur les criminels et les récupérer à force de douceur et de compréhension, et sans risque pour la société, je veux bien. Mais après. Bien après. Quand les gentils seront satisfaits et en sécurité.

Les sous-hommes, c'est votre idée. Et cela illustre bien votre vision des choses. C'est pour vous que les criminels sont des gens spéciaux, inférieurs, qui ont besoin de davantage de soins. Pour moi, ils sont moins fiables que les autres, voilà tout. Il faut s'en méfier, et s'en protéger davantage. Il y a un certain respect aussi, dans mon attitude, tandis qu'il n'y a guère de la commisération dans la vôtre. Vous vous croyez supérieur, vous croyez savoir de quoi ils ont besoin et comment le leur donner. Mais cela n'est pas donné aux hommes, sinon par hasard ou comme le fruit d'un effort démesuré. C'est de l'utopisme. C'est inutile.

Écrit par : ajm | 14/10/2005

ajm

Je ne vois rien dans mon billet ni dans mon commentaire qui puisse porter à croire que les criminels seraient des sous-hommes. Je dis même le contraire.

Je trouve en fait que c'est votre vision qui est décorrelée de la réalité. Car enfin, ces criminels, ils faut bien les gérer une fois qu'on les a "écartés" de la société. Et tout criminels soient-ils, oui ils ont aussi des droits et une dignité qu'on se doit de respecter. Quelle image d'elle-même donnerait une société qui traite certains des siens comme quantité négligeable? Et vous croyez sincèrement qu'aujourdh'ui les criminels sont chouchoutés? Et vous pensez que les soigner serait les chouchouter? Allons, vous ne pouvez pas être sérieux.

En fait je ne vois pas pourquoi mettre en place les conditions pour la réinsertions de ces criminels seraient une remise en cause de l'attention qu'on doit effectivement porter aux victimes. Et la réalité ne me semble vraiment pas montrer que ce sont ces premiers qui sont "favorisés". Et personne ne le réclame, pas moi en tout cas. Il ne s'agit pas de les favoriser. Juste de les traiter en hommes.

Écrit par : pikipoki | 15/10/2005

Il y a un lien direct entre les efforts de réinsertion des criminels et le manque d'attention, ou de respect, porté aux victimes. Exemple (j'invente): un «homme» a agressé, violé, puis tenté d'étrangler votre fille, qui en restera handicapée pour la vie – physiquement et psychologiquement. Et vous assistez aux efforts de gens supérieurement éduqués et financés par les fonds publics visant à améliorer le sort de cet «homme» et à le présenter comme un individu devant bénéficier des mêmes droits que vous et votre fille. Ainsi, si l'«homme» prend douze ans, votre fille peut le croiser dans le bus six ans plus tard – lui en bonne santé, tout content de profiter de sa semi-liberté toute neuve, et elle encore fragile, menant une vie amoindrie, qui n'est pas la sienne – et son indignation passera alors aux yeux de gens tels que vous comme une sorte d'injustice.

Donner les mêmes droits et les mêmes égards au criminel et à la victime, c'est, de facto, favoriser le criminel, récompenser le crime, l'encourager.

Je ne veux pas dire par là qu'un criminel est forcément irrécupérable, mais il est immoral que l'organisme créé pour faire respecter la loi, défendre les intérêts des victimes, se soucie du sort du criminel. Cette tâche doit être totalement négligée par l'État, c'est-à-dire laissée à d'autres, à des gens qui se sentent l'appel de la charité. Et si personne ne se sent cet appel dans un certain cas, et bien tant pis (pour le criminel). Point.

Il faut gérer les criminels, oui, mais il suffit pour cela de les (laisser se) nourrir et de leur laisser un accès aux informations. Le principe essentiel est d'empêcher de nuire (c'est à ce niveau qu'il faut se montrer créatif, mais c'est autrement plus délicat que de se vanter de ses bons sentiments). Et à la libération, il ne faut pas aider à s'insérer, il faut surveiller de manière plus intensive. Sinon, le nombre de criminels «gris» augmente dans la société et tôt ou tard les gens comme vous, qui s'imaginent que l'État doit «gérer» les gens, demandent, au vu de l'augmentation de la criminalité ambiante, qu'on limite les libertés des honnêtes gens. Et, encore une fois, le crime gagne.

Quant aux «sous-hommes», je ne veux pas vous faire un procès d'intention. Je sais bien que vous n'allez pas admettre croire qu'il existe des «classes» dans l'humanité. Et je suis sûr aussi que vous êtes de bonne foi. Mais vous vous trompez. Lorsque vous estimez qu'il faut gérer les criminels, s'inquiéter de leur réinsertion, vous utilisez forcément des représentations de vous et des criminels qui vous placent dans une position de supériorité, de pouvoir sur eux. Vous proposez de manipuler le sort des gens, au-delà de la simple privation de liberté protégeant la société contre les criminels. Ce faisant, vous prenez une liberté interdite, vous dirigez, régissez des phénomènes dont les tenants et aboutissants vous échappent irrémédiablement. De simplement demander une «égalité» ou une autre ne vous met pas à l'abri de ce travers.

Certes, nos sociétés sont suffisamment évoluées pour camoufler cette erreur par l'argument selon lequel il est permis d'essayer, puis d'analyser et de corriger. Et, en effet, il peut être bon de tenter des expériences, même sociales. Mais alors il faut présenter les choses comme telles, comme des expériences, et les accompagner de toutes les précautions auxquels les scientifiques sont aujourd'hui habitués. Or, en matière de «Justice», les apprentis sorciers des «sciences sociales» jouent avec l'ensemble du système car ici, une décision fait jurisprudence et engage tout l'appareil juridico-légal. Et je pense que c'est à ce niveau que se situe l'erreur, ou l'hypocrisie fondamentale: si l'on veut «jouer» avec les «gens», et c'est ce que fait la Justice des hommes, il faut l'admettre clairement et mettre en place de véritables structures d'expérimentation. Il faut élaborer des tests qui permettent de démontrer valablement (scientifiquement) quelles mesures de réinsertion, par exemple, sont favorables à la société, à la justice. Et quelles autres sont nuisibles.

D'ici là, nous aurons simplement des opinions qui s'affrontent, c'est-à-dire des décisions qui se basent davantage sur le talent rhétorique que sur la véracité des faits, une sorte d'arbitraire, donc, et nos systèmes appliqueront tantôt une politique tantôt une autre, ou le plus souvent des mélanges inextricables des deux, et desquels personne ne saurait tirer des enseignements fiables.

D'ici là, je pense que nous devons limiter l'intervention de l'État – l'instance la plus puissante de nos systèmes – au plus strict minimum. En matière de justice pénale, cela signifie protéger les membres qui respectent le droit. Et c'est tout.

Écrit par : ajm | 15/10/2005

Bon, visiblement nous ne parviendrons pas à un accord.
Quelques remarques tout de même. Vous répétez que je considère que les criminels me seraient inférieurs sous prétextes que je leur impose des règles. Et le droit c'est quoi? Ca n'impose pas des règles? Alors quoi, nous serions tous traités en inférieurs par le législateur?

Ma remarque principale enfin, mais je vous l'ai déjà dite, c'est que votre vision est totalement irréaliste. En fait votre idée ne peut se soutenir que par une seule solution: la peine de mort pour tous les criminels, quelque soit d'ailleurs leur crime. Encore une fois me me lisez bien mal. Je n'ai pas dit que le traitement des criminels devait être égal à celui de la victime. Ce que je dis en revanche, c'est que fondamentalement, la vie du criminel revêt la même valeur que celle de la victime. Ce que vous proposez, ce n'est rien d'autre que les enfoncer encore et encore. Mais au lieu de prendre en exemple les pires individus, envisager donc des hors-la-loi plus "gentils". Des voleurs par exemple? Alors quel sort leur réservez-vous? Vous trouvez vraiment normal de les mettre au bagne pour le restant de leur vie et de ne leur donner aucune chance? Encore une fois, ce n'est pas parce qu'on porte attention aux chances de réinsertion de ces gens qu'on ne fait pas aussi attention, et plus, aux victimes. Ce sont deux choses décorrellées. On peut très bien mener l'une et l'autre.

Oui les bons sentiments ne font pas tout, et servent plus qu'à leur tour à se donner bonne conscience. Mais votre idée en fait est tout ce qu'il y a d'inhumain. Et d'ailleurs c'est ingérable concrètement, sauf encore une fois à tous les tuer.

Écrit par : pikipoki | 15/10/2005

Il y a un monde entre «tous les tuer» et attendre de l'État des efforts de mère-poule pour «les» réinsérer. En outre, je ne souhaite pas décider (je pourrais tout au plus élaborer des propositions) de ce qu'il faut faire subir aux criminels, je veux interdire à l'État de se soucier de davantage que cela – la peine, la pénitence – pour ce qui concerne le criminel et de réserver exclusivement ses «soins» à leurs victimes.

Contrairement à ce que vous prétendez, il y a corrélation directe entre le traitement de l'auteur et des victimes d'un crime, et il est malsain que le même organisme prévoie des mesures d'aides aux deux parties. Cela équivaut à en même temps punir et soutenir (les criminels) – c'est schizoïde par nature.

Que certains se sentent la vocation d'aider les criminels à cesser de l'être, soit, très bien même, mais lorsqu'on institutionnalise des méthodes de réinsertion au nom de cette attitude en soi respectable, il faut ensuite, au nom de l'égalité de ceci-cela, accorder cette aide à tous les criminels, peu importe quelle attitude ils adoptent, en conscience, vis-à-vis du droit. Et le système judiciaire devient une farce, qui ne protège plus guère la société que des criminels les plus frustes.

Écrit par : ajm | 15/10/2005

[Corrections] du 1er paragraphe ci-dessus:

(...) je veux interdire à l'État de se soucier de davantage que cela – la peine, la pénitence – pour ce qui concerne le criminel [et l'obliger à] réserver exclusivement ses «soins» [aux] victimes.

Écrit par : ajm | 15/10/2005

Je retiens de l'intervention d'ajm "... Contrairement à ce que vous prétendez, il y a corrélation directe entre le traitement de l'auteur et des victimes d'un crime, et il est malsain que le même organisme prévoie des mesures d'aides aux deux parties. Cela équivaut à en même temps punir et soutenir (les criminels) – c'est schizoïde par nature... " ce sentiment qu'ont les victimes de ne pas être reconnues et d'être souvent traitées comme un simple rouage d'une cause à juger. les montants réparatoires ridicules et les pressions pour choisir de régler par la médiation accentuent cette impression. Le système États Uniens est le seul à ma connaissance qui permet aux victimes d'obtenir des sommes importantes. Au Québec les sommes au civil ne dépassaient pas 100 000 $ jusqu'à aujourd'hui, ce qui est profondemment inique.

Écrit par : -YMS- | 16/10/2005

@pikipoki : "tout criminels soient-ils, oui ils ont aussi des droits et une dignité qu'on se doit de respecter"
C'est là où l'on n'est pas d'accord.
Je crois à la réciprocité.
Je te respecte. Si tu me respectes aussi, tu as droit à mon respect. Sinon, tu perds le mien.
Si tu respectes la vie, la dignité des autres, les tiennes seront respectées. Dans le cas contraire, ne viens pas te plaindre que ta dignité soit bafouée ou ta vie méprisée.

Écrit par : dri | 29/05/2008

@pikipoki : "Une société qui accepte de tuer pour le « bien social » se tue elle-même. Elle se dit à elle-même qu’elle n’est pas pourvue de dignité."
Il ne s'agit là que de mots, d'idées, de concepts, d'abstraction intellectuelle. Un Fourniret qui viole, étrangle, abat, enterre une enfant, c'est réel, concret. Cela existe réellement.
C'est ce qui me gêne toujours dans ce débat : quand des idées hautement respectables, philosophiques (et arbitraires ?), sont finalement considérées comme ayant plus de valeur que la vie d'enfants.
Une société ne se débarrasse pas d'un criminel récidiviste « pour le bien social », pour une idée, pour une abstraction. C'est au contraire pour éviter quelque chose de bien réel : des enfants torturés, tués, des familles dévastées.
Personnellement (et subjectivement) je trouve bien plus louable de pousser jusqu'au bout les moyen d'éviter de tels horreurs, plutôt que de chercher à préserver à tout prix je ne sais quels concepts philosphiques.

Écrit par : dri | 29/05/2008

@pikipoki : "Quelle image d'elle-même donnerait une société qui traite certains des siens comme quantité négligeable?"
Un criminel récidiviste n'est pas pour la société une "quantité négligeable". C'est un problème, une menace spécifique à éliminer. C'est pour cela qu'il est déchu de ses droits les plus élémentaires, et non par négligence, non par dédain. Les mesures prises par la société visent à protéger les plus faibles des plus dangereux. On peut aussi bien retourner la phrase : Quelle image d'elle-même donnerait une société qui ne protège pas les plus faibles ? Or, quand elle libère un criminel sexuel, elle lâche le loup dans la bergerie, en toute connaissance de cause.
Et pourquoi diable la société devrait-elle considérer un tel monstre comme l'un des siens, et lui accorder les mêmes prérogatives qu'aux autres citoyens ?
Ce qui m'interpelle également, c'est cette préoccupation : "Quelle image d'elle-même donnerait une société (...) ?" Est-ce que vraiment une société doit déterminer ses actions en fonction de l'image qu'elle donnera ? (à qui, au fait ?) Est-ce que, au moment de libérer un Dutroux ou un Bodein, on doit se réjouir de ce qu'on donne une bonne image de soi, en tant que société ? C'est vraiment une préoccupation d'intellectuel de salon, non ? ;-)
Tous ces égards qu'on accorde (ou souhaite accorder) à des individus monstrueux me semble découler d'une stricte application de la ligne de conduite évangélique : "moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l'autre." (Matthieu 5:39)
En ce sens, cela m'évoque une forme d'intégrisme. En somme, il a tué des enfants, mais au nom de notre compassion, et de valeurs humaines inaliénables, prenons le risque de lui livrer d'autres enfants...
En définitive, pourquoi ces gens-là sont-ils enfermés ? (ou passés à la chaise électrique) Par ce que c'est le seul moyen connu de les empêcher de nuire. Oui, c'est cruel, oui c'est inhumain. Et alors ? Cela s'applique à des gens autrement plus cruels et inhumains. Peut-on croire, de toute façon, que ces gens, en liberté, seraient heureux et épanouis ? Et s'ils l'étaient, ne serait-ce pas obscène ?

Écrit par : dri | 29/05/2008

Dri
Vous réagissez en ne vous projetant pas un instant dans l'avenir. Remarquez, cela n'a rien de surprenant tant l'exercice est difficile, et nous devons bien être 99% des gens à fonctionner de la sorte lorsque l'on suit de près (et je l'ai fait) une affaire comme celle de Fourniret.

Mais essayez ne serait-ce qu'une minute de vous imaginer dans 30 ans. Vous avez oublié cette affaire, vous avez mené votre vie, vous avez changé. Oui, vous avez changé.

Et vous apprenez qu'un certain Fourniret, mis en prison 30 ans auparavant est sur le point d'être sorti. Il est grabataire, marche peut-être sur des béquilles. Ce jour là on vous donne deux solutions : le pendre vous-même; oui vous même quoi, pourquoi serait-ce à d'autre de le faire puisqu'aujourd'hui vous êtes bien celui qui semblez le condamner à mort; ou le laissez sortir. Que faites-vous ?

Ce débat prend du temps à démêler, et sans je conçois bien qu'à l'écrit certaines idées ne semblent être que des discours de salon. Mais croyez bien que pour ma part ils vont bien au-delà, et que j'ai pesé chaque idée ici défendue, de façon bien plus concrète que vous ne semblez le croire.

P.S : j'espère que cette réponse ne vous semblera pas agressive ou hautaine car ce n'est pas mon intention. Vraiment.

Écrit par : pikipoki | 29/05/2008

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