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07/02/2006

Dernier round sur Mahomet

Je terminais mon dernier billet sur une note bien amère, pour ne pas dire franchement pessimiste quant à l’issue qu’aura le débat soulevé par l’affaire des caricatures de Mahomet. J’ai encore passé du temps à lire les avis des uns et des autres, de chaque côté, pour tenter de mieux comprendre les oppositions, leurs sources, leurs enjeux. Et chaque fois que je lis un billet bien argumenté, et il y en a pas mal sur les blogs que je visite, je me dis « ah ben oui c’est vrai, il a raison », ceci en alternant pourtant des argumentaires qui s’opposent.

 

Alors je le dis clairement : « j’en ai marre de la schizophrénie dans laquelle me plongent ce débat ! ». Il est temps maintenant de démêler un peu tout ça et de trouver sur quel terrain les parties pourraient s’entendre. Et je vais le faire thème par thème, pour simplifier un peu tout ça, parce que sinon moi non plus je ne m’y retrouve plus.

 

D’abord, identifions les adversaires en présence !

A ma gauche, la liberté d’expression, principe démocratique fondamental, appartenant au triptyque fondateur de la république française : « Liberté, Egalité, Fraternité ».

A ma droite, les principes de responsabilité et du respect dû à autrui, et la croyance religieuse.

Deux adversaires dépassant chacun allègrement les 88,451 kgs, ce qui les situe résolument dans un débat catégorie poids lourds. Comme dans tout débat où les positions s’opposent aussi fortement le soupçon est fort que chaque partie ait au moins en partie raison. Et on risque d’avoir besoin de plusieurs rounds pour les départager. Mais allons-y.

 

Round 1 :

La publication de ces caricatures n’a pas été faite dans l’intention de provoquer mais en réaction à l’autocensure qui semblait frapper les artistes contactés pour réaliser des dessins du prophète dans un livre pour enfants (cf lien fourni par François). Cette autocensure n’est pas tolérable. Dénoncer ce qui en est la cause est donc une bonne chose. La liberté d’expression envoie un crochet au foie à son adversaire. Mais publier les caricatures telles quel, sans autre message qu’elles-mêmes, était-il la meilleure façon de fonctionner ? En général une caricature n’est pas publiée seule, juste pour elle-même : elle est plutôt un support à un message humoristique. Ici l’utilisation de la caricature la sort de son rôle habituel. Elle n’est plus un outil humoristique mais uniquement un message politique. Elle est détournée de l’usage qu’on en fait habituellement. C’est en cela que l’intention qui la soutient n’est pas innocente, et que ces caricatures-ci ne peuvent pas être banalisées comme les autres. Clairement l’intention était de mettre au défi, de provoquer une réaction, sans doute pas de l’ampleur qu’on constate, mais une réaction quand même. Le journal danois disait en substance aux islamistes : « chiche ! ». Les défenseurs de Mahomet esquivent donc le crochet au foie, mais pas complètement à mon avis. J’accorde un demi point à la liberté d’expression parce que c’est quand même un peu les autres qui ont commencé en mettant la pression.

 

Round 2 :

Mahomet Riposte. Enfin il tarde tout de même. Il n’a pas l’air pressé, et il laisse son adversaire tranquille de son côté pendant plusieurs semaines. L’arbitre s’impatiente, le public aussi. Alors quand Mahomet remet les gants pour lancer son uppercut, ce dernier crie au combat truqué. Et je me joins à lui. Y’a un truc qui colle pas. Tu reçois un crochet au foie et tu ne ripostes pas tout de suite toi ? Tu attends tranquille pendant plusieurs semaines avant de te dire que finalement, si, c’était inadmissible, ils vont voir ce qu’ils vont voir, et quand y’en a marre y’a Allah Akhbar ? Mouais… tu ferais pas de la politique toi ? Vraiment je crois que la manipulation politique du côté des pays arabes est plus qu’importante dans les évènements qui ont lieu actuellement. Je l’ai déjà dit, je trouve particulièrement troublant que le rappel de l’ambassadeur saoudien au Danemark et le déferlement qui lui a succédé aient suivi d’aussi près l’élection triomphale du Hamas en Palestine. Je vois clairement là une utilisation de l’affaire des caricatures pour que chaque groupe islamique affirme à nouveau son poids politique en établissant un rapport de force avec l’ennemi occidental.

 

Dans ce round, on ne peut pas ignorer l’impact qu’ont les gouvernances respectives de nombreux pays islamiques. L’égoïsme et l’autocratie de leurs dirigeants sont directement en cause, et je me joins ici aux récents commentaires de LaVitaNuda pour l’affirmer. Cela les disqualifie tout à fait dans un combat où les coups sous la ceinture sont rigoureusement interdits. Et je crois qu’il n’est pas utile de dire que les excès qui ont eu lieu depuis, les menaces corporelles, les attaques contre des ambassades, les intimidations, les tués même (voir article de Ludovic Monnerat) sont inadmissibles. C’est véritablement du terrorisme intellectuel. Il ne peut pas être accepté.

 

Mahomet marque contre son camp en méprisant les règles du combat. Il reçoit un carton rouge et se file lui-même son uppercut dans le menton à cause de sa maladresse.

 

Round 3 :

Les philosophes entrent sur le ring. L’arbitre laisse tomber et va siffler une bière devant le Superbowl. La question à résoudre est en substance : jusqu’où va la liberté d’expression ? Bien sûr on est tenté de dire que moins elle peut aller loin moins il s’agit d’une liberté. Tout élément qui vient la contraindre, la limiter, la remet en cause, au moins pour partie. Mais je crois pour ma part que c’est bien mal raisonner que de dire qu’elle ne doit être sujette à aucun contrôle, notamment du point de vue moral. Kant aurait dit que la liberté ce n’est pas pouvoir faire ce qu’on veut, c’est choisir de se comporter de façon morale. Je crois aussi qu’on oublie trop vite, et ceci m’est revenu à l’esprit à la lecture d’un commentaire sur un billet du Bigbangblog une autre valeur, qui n’est pas moins importante que la liberté : la fraternité. Elle figure elle aussi dans notre triptyque fondateur. Qu’a-t-on fait de la fraternité nous autres occidentaux dans cette histoire ? N’a-t-on pas poussé la volonté d’usage de la liberté d’expression jusqu’au point où cet usage vient réduire la fraternité ?

 

Le problème peut-être ici, c’est que si la liberté est encadrée par des lois, auxquelles ont peut faire appel lorsqu’elle est foulée au pied, je ne crois pas, et j’en appelle ici aux juristes pour qu’ils m’apportent plus de précisions sur ce point, que la fraternité bénéficie du même support. Je ne vois d’ailleurs pas bien comment ce serait possible. C’est sans doute ici la faiblesse de cette valeur devant la liberté d’expression, et ce qui fait qu’on y porte moins d’attention. En a-t-elle pour autant une valeur intrinsèque inférieure ? Vraiment pas sûr. Je crois donc qu’on peut dire sans pour autant s’acoquiner avec les pires tyrans que la liberté d’expression rencontre forcément des limites, et que sans doute dans cette affaire la méthode utilisée ne lui a pas vraiment rendu service. Mettre au défi est s’y prendre bien mal pour démontrer la justesse d’une position. Cela ne signifie pas qu’il faille laisser passer sans rien dire. Surtout pas même, ce serait un aveu de faiblesse, une porte ouverte à des actions d’autant plus fortes et destructrices qu’elles ne rencontreraient que peu d’opposition.

 

Pour terminer sur ce round, je crois comme je l’ai affirmé dans mon billet précédent qu’il y a aussi un conflit de valeurs qui trouble toute cette histoire. Parce que de chaque côté il donne des armes de légitimité des actions entreprises. C’est ce conflit qui est le plus difficile à dénouer, le plus ardu à résoudre. Mais il m’apparaît pourtant essentiel d’y parvenir si l’on veut pouvoir discuter en connaissance claire des enjeux en cause. Je ne m’étends pas sur ce point, puisque je l’ai déjà fais, et d’ailleurs je note que je ne suis pas parvenu à respecter mon intention de départ de faire court.

 

Pour conclure tout de même, la mise au défi était une mauvaise idée, et les réactions plus qu’extrêmes qu’on a vu sont absolument inacceptables. Il va être à mon avis indispensable d’abord de traduire en justice les fauteurs de trouble, là où ils sont identifiés, pour rappeler que leur colère ne peut s’exprimer par la violence. Mais le combat ne s’arrêtera pas là. Le débat devra même continuer pour qu’on n’en reste pas à des antagonismes susceptibles de resurgir à la moindre occasion. Et rappelons-nous que dans un débat, on ne laisse aucune chance au dialogue si l'on admet pas ses erreurs, fussent-elles plus petites que celles de l'adversaire. Et aussi qu'en général, c’est le plus serein qui l’emporte.

 

[Edit: certains le verront peut-être, j'ai changé le titre initial que je trouvais très mauvais.]

Commentaires

merci de la clarté de l'analyse de ce sac de noeuds, de m'en avoir fait rire un peu et d'avoir rappelé la fraternité

Écrit par : brigetoun | 07/02/2006

Enfin un peu plus de recul et d'humilité !

Écrit par : langui | 08/02/2006

"de chaque côté il donne des armes de légitimité des actions entreprises."
Oui, c'est bien pour moi l'impression qui domine ainsi que cette manière de cloturer le débat ( renforçant d'ailleurs ce phénomène) qui faisait qu'on ne pouvait plus faire des réserves sur la qualité ou la pertinence des caricatures sans être perçus comme un affreux censeur, qui plus est allié objectif des bruleurs de drapeaux et autres saccageurs d'ambassades.
On a beaucoup cité Voltaire ces derniers temps (à tort selon Phersu) sans se rendre compte que la citation commençait par "Je ne suis pas d'accord avec vous".
Ambiance crispante qui m'avait fait décidé de ne plus revenir sur cette affaire.
J'ai encore craqué...

Écrit par : aymeric | 08/02/2006

Le match se fait sur le même ring médiatique, mais avec des visions de l'image différentes, qui accentuent les oppositions
La mentalité moyen orientale veut un art abstrait car elle croit trop aux pouvoirs de l’image. Ceux qui créent peuvent donner le souffle de la vie en usurpant le pouvoir de Dieu et ceux qui regardent peuvent faire ce qu’ils veulent de ce qu’ils voient. Ce sont ces perceptions très anciens qui se mettent en mouvement à propos de Mahomet. Représenter un objet le soumet donc au risque de l’irrescpect, sans pour autant manifester le plus important pour l’art musulman, les structures invisibles, la perfection froide et géométrique d’un monde saisi par la logique d’un Dieu unique et désincarné.

Écrit par : Annales histoire société christianisme | 08/02/2006

Ah oui quand même.
C'est moi qui vous fait cet effet?

Écrit par : pikipoki | 08/02/2006

Tiens, ça me fait de la peine de te voir tout désorienté. Je te propose de lire l'avis définitif qui te sortira du doute :

http://hugues.blogs.com/commvat/2006/02/les_dessins_de_.html

Écrit par : Hugues | 08/02/2006

Ah ben c'est malin ! Pendant que tu commentais chez moi, je commentais chez toi ! Mais tu noteras que moi j'ai été vachement plus détaillé dans ma réponse ;o)

Écrit par : pikipoki | 08/02/2006

Oui c'est compliqué. D'autant plus qu'il se dit aussi des choses intéressantes là-bas :

http://www.radical-chic.com/index.php?2006/02/08/369-libres-penseurs-en-couches-culottes

Écrit par : Hugues | 08/02/2006

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