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10/03/2006

Conclusion de la relation d'aide

Billet précédent de la série

 

 

Attention, encore un billet long.

 

 

Ce billet, le dernier de ma série sur l’aide, s’appuie à nouveau sur les travaux de Jean-Pierre Cléro (re-hop pdf) et Daniel Calin (hop aussi) déjà évoqués précédemment.

 

 

Quand j’ai commencé mon travail sur ce thème de l’aide, j’ai d’abord voulu partir d’une définition claire de ce mot qui paraît si simple au premier abord, mais qui, on l’a vu, recouvre une réalité complexe. Et en fouinant à la bibliothèque dans diverses encyclopédies et autres dictionnaires, je me suis aperçu que les sens donnés au mot aide variaient parfois de façon assez sensible d'un dictionnaire à l'autre.

 

 

Une des définitions qui m’a intéressé était celle du Larousse (bien qu’en général je préfère le Robert). La voici : "aide : action d’aider quelqu’un, de lui donner une aide momentanée ou accidentelle." Bon définir l’aide en disant que c’est l’action de donner son aide est un peu léger, mais passons. Ce qui m’intéresse ici c’est que cette définition considère donc que l’aide est une action momentanée, délimitée dans le temps, accidentelle même !

 

 

C’est ce point sur le caractère limité dans le temps de l’aide qui m’intéresse ici. On a déjà indiqué que très probablement l’aide ne peut pas tout aider, qu’elle a une limite dans les éléments de la vie de l’aidé sur lesquels elle peut se porter. Mais sauf cas rare elle est également limitée dans le temps. Alors même, comme le souligne Cléro, que la nature de l’aide est d’être illimitée dans son offre, afin de pourvoir à la demande de l’aidé, l’aide doit se terminer, elle doit prendre fin. Si elle ne se termine pas elle signe l’aveu de son échec, elle démontre qu’elle n’a pas su être efficace est qu’elle s’est déroutée vers une situation de dépendance irrévocable de l’aidé envers l’aidant.

 

 

Cependant, terminer l’aide, lui donner sa conclusion, n’est pas tâche facile.

 

 

D’abord il faut remarquer que dans bien des cas, l’aidant va devoir se préparer à ne pas recevoir de remerciement de la part de l’aidé. Jean-Pierre Cléro indique de façon assez détaillée dans son étude en quoi l’ingratitude est fondamentalement la réponse que l’aidant doit attendre à sa démarche. Non pas que les personnes aidées se révèlent en majorité ingrates envers ceux qui les ont aidé. Je serais surpris que ce soit le cas. Mais l’aidant quoi qu’il en soit doit, lorsqu’il s’engage dans la relation d’aide, ne pas le faire dans l’espoir d’en recevoir une quelconque marque de gratitude.

 

 

C’est le retour de médaille inévitable de la gratuité de l’aide. Si elle est gratuite, elle est payée d’ingratitude, du moins elle doit s’y attendre. L’ingratitude d’ailleurs, ainsi que le souligne Jean-Pierre Cléro, présente un avantage. Elle permet à l’aidé de s’affranchir de la relation d’aide "sans frais". Elle évite à chacune des parties de se retirer sans que la gêne ne s’installe de par le déséquilibre que la relation d’aide a pu créer.

 

 

Mais le principal défi de la conclusion de l’aide est de parvenir que celle-ci ait lieu sans détruire tout le travail qui l’a précédée. Plus que ça même, la détermination juste du moment où elle doit intervenir, ainsi que de la façon dont elle doit se faire, conditionne souvent en très grande partie l’efficacité finale de l’aide. C’est ce qu’indique Daniel Calin dans son texte. L’une des difficultés les plus complexes auxquelles se heurtent les professionnels qui accompagnent les élèves en difficultés est d’organiser la séparation avec ceux-ci de sorte que leur prise d’autonomie soit réelle et que la rupture de la relation d’aide ne se transforme pas en rechute. Quoique doit certainement être confronté à ce dilemme dans son travail.

 

 

Ce qu’indique Daniel Calin en particulier, c’est que pour que l’aide parvienne à devenir autonomisante, elle doit pouvoir être "intériorisable". C’est-à-dire qu’il faut que l’aidé puisse en quelque sorte rejouer seul ce qui se fait avec l’aidant. Et pour cela nous dit Calin, il faut que l’enfant ait avec lui un "partenaire ludique structurant". Celui-ci peut l’être par l’intensité de sa présence, de son attention, de sa sensibilité. Grâce à cette présence structurante l’enfant va être capable d’élaborer lui-même par la suite les expériences et les procédés qui vont le rendre plus autonome.

 

 

Si cette intériorisation ne se fait pas, le risque existe que la personne aidée perde très vite tout le gain de ce que la relation d’aide a pu lui apporter et qu’elle se retrouve à la case départ. Toutefois il me semble que ce risque intervient surtout dans les aides qui ont un fort contenu psychologique, lorsqu’il s’agit de construire ou reconstruire les éléments psychiques d’une personne manquant de repères. C’est le cas des enfants, même de ceux qui ne sont pas en difficultés d’ailleurs, et aussi par exemple des personnes suicidaires. Mais il me semble que dans le cas de personnes dont la demande se porte principalement sur des éléments matériels, comme trouver un travail, un logement, etc. ce risque est moins fort.

 

 

Il faut bien reconnaître ici qu’il serait un peu fallacieux de prétendre dégager une solution généralisable pour déterminer quand et comment l’aidant doit mettre fin à la relation d’aide. C’est essentiellement par une démarche sensible, personnalisée, mouvante au gré des personnes qui nous font face, que l’on peut espérer entrevoir avec justesse comment il faut s’y prendre. Toutefois, Daniel Calin indique une piste intéressante, qui est dans la continuité de son analyse sur l’intériorisation du processus d’aide. Il s’agit nous dit-il, de faire un travail de prise de conscience de l’évolution de la dépendance dans la relation d’aide. Ceci notamment peut se faire en balisant certains acquis, en les relevant clairement avec des remarques du type "tu as vu, tu avais besoin de moi pour cela, et maintenant tu sais le faire seul, tu n’as plus besoin de moi".

 

 

Mais le dilemme le plus grand peut-être qui se pose au moment de rompre la relation d’aide est de savoir si même cette rupture est réellement souhaitable. Cléro dans son analyse se pose très clairement en philosophe solipsiste, convaincu du caractère profondément solitaire du chemin de vie de chacun. Il évoque ainsi Pascal qui disait dans les Pensées "On meurt toujours seul." Il cite Freud également, qui indiquait dans Au-delà du principe de plaisir que nous devions tous conduire notre vie de la façon la plus privée possible. Cléro fait clairement ici écho à son introduction qui analysait la signification du mot aide dans les langues anglaises et allemandes, analyse déjà rapportée dans mon étude. Helplessness, Hilflosigkeit, ces deux mots, aussi paradoxal que cela puisse paraître, portent en eux le caractère insecourable de chacun de nous, ils témoignent de la solitude fondamentale qui entoure nos vies.

 

 

Ainsi Cléro nous dit que l’aide n’est guère qu’une rencontre momentanée, relativement courte au regard de l’ensemble de nos vies, parfois même accidentelle. Et aidant et aidé non seulement risquent une séparation définitive, mais encore cette séparation est normale voire même souhaitable en ce qu’elle ne fait que respecter la solitude de chacun et lui permettre de conduire son chemin de façon privée jusqu’à sa mort.

 

 

Le point de vue de Jean-Pierre Cléro est bien sûr très intéressant, mais en fait pour tout dire il me semble trop manichéen. Il désincarne trop la relation d’aide pour ne l’analyser que sur un plan purement théorique. Il oublie qu’on parle d’hommes ici et que les relations qu’ils sont susceptibles de nouer entre eux sont parfois d’une complexité qui les rendent impossible à saisir en partant d’un seul angle de vue. C’est pourtant bien ce que fait Cléro en regardant la relation uniquement sous l’angle de l’aide.

 

 

Car bien que la relation qui s’établit entre aidant et aidé est bien évidemment essentiellement une relation d’aide, elle n’est pas que cela. En effet, si elle s’est aventurée dans une personnalisation importante, qu’elle a créé, par le jeu de l’interdépendance entre aidant et aidé, un lien qui va au-delà de la seule aide que l’un pouvait apporter à l’autre, alors le lien initial qui les faisait se rencontrer s’est transformé en quelque chose de plus intense, de plus fort. Leur relation s’est transcendée pour faire naître une forme d’amour.

 

 

Cléro s’oppose dans son analyse à la transformation de la relation d’aide en amour. Je pense qu’il a tort. Je le rejoindrais volontiers s’il s’agissait de dire que dans le cadre strict de la relation d’aide, dans les éléments qui doivent permettre de la rendre efficace, on doit se méfier de l’amour qui peut naître entre aidant et aidé, qui est plus propre à voiler la réalité qu’il convient d’affronter que de la mettre au jour, mais une fois que l’aide est arrivée à terme, qu’elle a produit ses fruits et s’est révélée efficace, je ne vois aucune bonne raison pour refuser ce nouveau lien qui peut unir ceux qui étaient avant aidant et aidé.

 

 

C’est tout à fait la critique que formule Daniel Calin. Il indique effectivement qu’on se trompe en voulant absolument séparer l’aidant et l’aidé, et qu’il peut au contraire se révéler très bénéfique pour l’un et pour l’autre de savoir organiser des retrouvailles après la terminaison de la relation d’aide. L’enfant qui quitte le foyer familial ne le quitte pas pour toujours, et tant lui que ses parents trouvent du bonheur à se retrouver et à remettre en commun par intermittence une partie de leur parcours. Pourquoi en serait-il autrement dans le cadre des relations d’aide. Pourquoi se priver de la chance de construire un lien social durable, structurant donc, et qui nous apporte du bonheur ?

 

 

En fait Jean-Pierre Cléro et Daniel Calin ne parlent pas exactement de la même chose ici. Cléro en est resté exclusivement à la relation d’aide, tandis que Calin l’a étendu au lien personnel qui a pu se former entre l’aidant et l’aidé. Et comme lui je me méfie des absolutismes de l’autonomie et de la responsabilité isolée, et des théories de la solitude. Il ne faut pas refuser la construction du lien social, même si celui-ci se fait avec des personnes avec lesquelles nous avons pu connaître une relation déséquilibrée. C’est un des outils les plus sûrs pour construire notre bonheur. Et il n’y a pas de raison valable pour refuser qu’il nous apporte ses bienfaits.

 

 

Il existe je crois une vraie sagesse du bonheur, du bien-être. S’en servir pour déterminer quels chemins choisir, vers quoi s’orienter, quelles décisions prendre, me semble en fait plutôt sage et juste. Bien sûr il faut savoir identifier quand ces chemins ne sont en fait que des solutions à court terme ou qu’ils présentent le risque de se faire au détriment des autres, mais se les interdire par principe sous prétexte du respect de théories philosophiques, même si celles-ci peuvent paraître pertinentes, me semble un non-sens.

 

 

Nous voilà donc à la fin de cette étude, qui je l’espère n’est pas resté trop théorique et déconnectée de la réalité, afin d’apporter des éléments vraiment utiles pour mieux comprendre cette notion. Pour conclure cette série, puisque je l’avais ouverte en citant La Fontaine, c’est à nouveau à lui que je fais appel, bouclant ainsi la boucle de ce long travail :

 

« En ce monde il se faut l’un l’autre secourir », La Fontaine, Fables, VI, 16, Le cheval et l’âne

Commentaires

j'aime beaucoup votre avant dernier paragraphe et vais tacher de m'en pénétrer. Vous voilà maître à penser. Une forme d'aide

Écrit par : brigetoun | 10/03/2006

Billet qui ouvre la réflexion sur le "comment finir?" tout en finissant lui-même la série, serait-ce une illustration de la fameuse "mise en abyme" ? ;-)

Deux choses me viennent à l'esprit en vous lisant :
- en tant que personne aidée, je dirais que je ne me suis pas sentie ingrate, je crois que l'expérience reçue sert d'exemple. Prenons un petit cas de rien du tout : si quand vous êtes ado des personnes serviables et sympathiques vous prennent en stop sur le bord de la route, vous aussi un jour vous le ferez pour d'autres.
C'est une chose qui me semble naturelle de "passer le message à ton voisin". On ne remercie pas forcément ceux qui nous ont aidés, mais on leur reste "fidèles"en reproduisant à notre tour cette démarche d'aide auprès d'autres personnes.

- Terminer une relation d'aide est parfois très difficile mais dans l'association dont je fais partie, on estime qu'une action est réussie quand on peut quitter une famille ou un quartier. Je me souviens d'une médiation scolaire assez difficile, qui a abouti à ce que la mère de famille se présente aux élections de parents délégués. Pour moi, c'est un exemple de réussite : les gens reprennent le fil de leur vie, ils ont intégré les mécanismes de communication avec l'école. Il faut des mois et des années d'accompagnement parfois, mais quand on obtient ça, il ne reste plus qu'à partir et c'est bien ainsi.

Écrit par : samantdi | 10/03/2006

Brigetoun
Maître à penser? Ouhlà, vous me mettez la pression !

Samantdi
Très intéressant commentaire.
Je n'ai pas évoqué ce point du passage de témoin, mais c'est exactement ce que dit Daniel Calin dans son texte. Une fois qu'il est sorti de sa situation d'aidé et a acquis son autonomie, l'individu peut enfin offrir son aide aux autres et prendre le relai de ce qu'il a reçu.
Daniel Calin fait une comparaison qui me semble très juste entre l'éducation parents-enfants et les processus d'aide. C'est sans doute une des tâches de l'éducation des enfants de leur apprendre ce qu'il faut savoir pour devenir un jour parents. Je vous rejoins donc tout à fait.

Écrit par : pikipoki | 11/03/2006

Pour rebondir sur votre dernier commentaire, pratiquer l'aide au sens d'apporter à un autre la compréhension d'une adaptation à une situation donnée, peut être pratiqué bien en amont de "l'autonomie", qui me semble ici être capable se débrouiller seul ce qui ne veut pas dire sans aide.

Pour essayer d'être plus clair ! L'autonomie au sens absolu n'existe pas pour des individus d'une espèce qui ne peut que disparaître rapidement si un spécimen se retrouve seul. L’autonomie est donc la conscience et la capacité de prendre à des semblables différents les éléments qui manquent en sachant les adapter à ses propres particularités.

Dans la pratique, j’essaie de mettre les jeunes en capacité d’aidant pour moi-même ou pour un autre très rapidement voir immédiatement dès la première rencontre. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas de qualités « reconnues » que l’on n’est pas en capacité d’être un aidant. Un « aidé » mis immédiatement en position est surpris (c’était la discussion du jour avec deux jeunes que j’accompagne depuis déjà plus d’un an) et je pense que cette surprise ne doit pas être sans plaisir…

Écrit par : Quoique | 13/03/2006

Quoique : c'est une chose que j'ai aussi constatée. Même avec des enfants, on peut se trouver en situation de "personne aidée", par exemple j'ai peu le sens de l'orientation et dans leur quartier qui n'est pas le mien, il arrive souvent que les enfants me guident pour aller d'un point à un autre.

Écrit par : samantdi | 13/03/2006

@Quoique
Je vous rejoins complètement sur tout votre dernier commentaire. Et effectivement je crois que nous sommes tous dépendants d'une façon ou d'une autre des autres. Et même que c'est tant mieux.

Écrit par : pikipoki | 13/03/2006

tout à fait d'accord avec Quoique, et moins avec vous. Il me semble qu'il faut se réjouir si une relation d'amitié se noue après l'aide, mais pas à la fin ; il est nécessaire qu'il y ait une coupure temporelle, ou un espacement significatif pour que le rapport puisse se renouer sur un autre plan ; sinon l'aide devient carcan pour l'aidé. C'est la même chose avec les enfants

Écrit par : brigetoun | 15/03/2006

Brigetoun
Pas très d'accord sur votre point.
Parce que concrètement je vois bien mal comment ce que vous indiquez peut avoir lieu.

En fait, mais peut-être n'était-ce pas très clair dans mon billet, il me semble que la relation d'amitié naît parallèlement à la relation d'aide. Simplement, dans le cadre exclusif de la démarche d'aide, le couple aidant-aidé doit faire attention à la place qu'il donne à cette amitié pour qu'elle n'empêche pas l'aide de se faire de façon efficace.

Je ne vois pas comment les gens pourraient parvenir à cloisonner comme vous le suggérez, leurs relations avec les autres pour parvenir ainsi à rester exclusivement dans une relation d'aide pendant un an, puis, après un mois de séparation revenir se voir et démarrer une nouvelle relation, d'amitié cette fois-ci. Les choses ne se passent pas comme ça, où alors on serait des robos.

Écrit par : pikipoki | 15/03/2006

Merci beaucoup pour cette serie, je suis en train de faire un travail sur la relation d'aide et vos billets m'ont bien aidé.

Encore merci.

Anja

Écrit par : Anja | 26/05/2007

Merci Anja,

Puis-je simplement vous demander dans quel cadre vous faites votre travail sur l'aide?

Écrit par : pikipoki | 26/05/2007

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