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19/07/2006

Déménagements et projet de société

Lorsque j’étais en terminale, notre professeur de philosophie, qui portait le cheveu savamment bouclé, et qui avait l’habitude de nous regarder avec un petit sourire supérieur en coin lorsqu’il citait un grand philosophe, pour nous épater, et nous montrer l’écart qu’il y avait entre nous, pauvres béotiens, et lui, le philosophe, qui savait voir les choses avec une oreille humant l’air du temps dégagée des carcans de pensée traditionnels, et ainsi ouverte à une vraie réflexion, nous gratifiait parfois de remarques qu’il voulait aussi marquantes qu’elles étaient censées aller à contre-courant de l’air du temps (Gustave Labarbe, sort de mon corps ! *).

 

Mais parfois, il arrivait que ces sorties originales nous donnent l’occasion d’entendre quelque chose de vraiment intéressant. Ou plutôt, qu’il nous donne quelques idées pour démarrer nous-même notre réflexion, ce qui, dans le fond, est probablement une bonne manière d’enseigner la philosophie.

 

Ainsi, nous avons abordé un jour la question du sens qu’on pouvait donner à ce qu’est une société de consommation. En se basant très simplement, et comme souvent d’ailleurs, sur le sens des mots, et donc en particulier sur celui du mot consommer. Je recopie ici la définition qu'on trouve dans le dictionnaire de l'académie française: v. tr. XIIème siècle, au sens de « détruire, anéantir ». Emprunté du latin consummare, « faire la somme de », d'où « accomplir, achever », mais, sous l'influence, dès le latin chrétien, de consumere, « consumer, manger », d'où « détruire ». Ce dictionnaire suggère même de se reporter au mot consumer pour en savoir plus ...

 

Consommer un produit, c’est l’utiliser, et ainsi l’user, ce qui conduit à plus ou moins long terme à sa destruction. Consommer de la nourriture ou une boisson même, cela ne veut rien dire d’autre que la détruire de façon immédiate lorsqu’on l’ingère. De sorte qu’il n’est pas ridicule à ce stade d’estimer qu’une société de consommation est par conséquent aussi une société de destruction, une société qui, puisqu’elle rappelle si souvent sa nature consommatrice, semble par conséquent assumer que sa principale activité est d’utiliser, transformer puis consommer et donc détruire, les produits et les matières qui sont mis à sa disposition par la nature.

 

Cette perspective inspire le pessimisme à deux titres. D’abord parce que comprendre que la société à laquelle on participe, tend vers une fin bien éloignée des grands idéaux dont on aurait voulu pouvoir la draper, a quelque chose d’assez déprimant pour nos égos. On peut toutefois estimer que cet objectif, n’en est pas vraiment un, mais qu’il n’est en réalité que la conséquence éloignée, et il faut bien l’admettre, pas si évidente que ça à identifier, de notre comportement naturel de recherche de confort et de richesses. Mais alors ceci laisse supposer que l’érection de cet « objectif » s’est faite de façon quasi inconsciente, ce qui n’a rien pour nous rassurer quant à notre capacité à le remettre en cause, puisque il est alors en grande partie lié à des éléments que nous contrôlons mal voire pas du tout.

 

Ensuite et surtout, parce qu’intuitivement on comprend bien qu’il n’est pas possible de détruire éternellement, et qu’il existe nécessairement une limite qui ne peut pas être dépassée. Certes il apparaît d’emblée très compliqué d’identifier où se situe cette limite, et pourtant on perçoit bien que cela constitue un des défis les plus importants qu’il nous revient de relever dans les décennies à venir. Car si nous n’y parvenons pas il se pourrait que l’on franchisse cette limite sans s’en apercevoir, avec à la clé les conséquences irréversibles que cela suppose.

 

Mais bien sûr on comprend que ce tableau reste caricatural et simpliste. Je ne vais pas m’avancer trop loin dans cette réfutation, je la laisse plutôt aux économistes, qui seraient le plus à même d’indiquer les limites de ces remarques. Tout juste puis-je subodorer que les circuits économiques ne sont pas purement linéaires, partant d’une production pour aller jusqu’à la consommation, qui serait la fin de vie du produit, mais qu’ils fonctionnent souvent en cycles, dans lesquels la consommation n’est qu’une étape dans un processus plus long, voire procède d’une transformation du produit initial pour en faire autre chose. Il me semble qu’il existe des types de « consommations » qui ne résultent pas dans la disparition du bien consommé mais qui peuvent participer à son renouvellement ou à la régulation de sa « population » (je pense à la chasse par exemple), ou encore que cette consommation peut entraîner un développement sur un autre plan (une personne qui mange se donne les forces nécessaires pour se développer, travailler, etc.). Qu’en bref, c’est une question complexe et que donc ma première impression reste insuffisante pour bien la cerner.

 

Pourtant je ne peux m’empêcher d’y percevoir une vérité. Vérité qui apparaît de façon très frappante lors d’un évènement personnel courant et dont je deviens un habitué ces temps-ci: un déménagement. Il suffit d’avoir à vider une maison dans laquelle furent entassés plusieurs années d’achats de bric et de broc pour s’apercevoir du volume que l’on « consomme » et que l’on se voit obligé de jeter ledit jour du déménagement, et saisir ainsi à quel point cette consommation peut se transformer en une destruction pure et simple. Vraiment tout y passe : des meubles qui servirent un jour et qui sont devenus inutilisables tant ils sont rongés par le temps, aux vêtements qui déjà à l’époque devaient faire rire nos camarades (quoi qu’ils ont dû porter les mêmes), en passant par les gadgets achetés sur un coup de tête, qu’on n’a jamais utilisés, et qui ont pris la poussière en restant dans leurs emballages. Les déménagements s’apparentent ainsi fréquemment à de grands coups de balais qui alimentent les décharges presque plus sûrement que nos futures habitations.

 

Et ce phénomène est d’autant plus étrange lorsque l’on doit pourtant passer ses week-ends à refaire les magasins pour s’équiper en mobilier et en matériel de tous les jours…

 

 

* : j’offre un dragibus jaune au premier qui comprend cette parenthèse.

 

Commentaires

Je suis aussi frappé que toi par le profond intérêt qu'il y a, de temps en temps, à lire la définition de mots courants dans le dictionnaire. J'avais ainsi un débat avec un de mes collègues sur la possibilité pour les titulaires de licence de donner des "consultations" juridiques quand ce n'est pas à titre habituel et rémunéré. Plutôt que de poursuivre une discussion oiseuse sur ce qu'est une consultation, j'ai été ... consulter ... le TLFI et j'en suis sorti avec les idées beaucoup plus claires.

Écrit par : GroM | 20/07/2006

Très fort votre professeur, il "savait voir les choses avec une oreille".
D'où, sans doute, l'allusion à Gustave Labarbe l'honorable et atrabilaire maire de Champignac qui pouvait sortir des formules comme: "le Champignacien qui, penché sur son labeur, y lèvera un oeil avide d'y boire à pleins poumons."
J'adore...
De la logique cubiste un peu...
(un petit best off ici : http://www.bdcouvertes.com/spirou/discours.htm)

Écrit par : aymeric | 20/07/2006

Grom
Oui, ce que j'aime bien dans cette manière de faire c'est que ça nettoie l'esprit des réflexes que l'on a lié aux termes et qui parfois se sont fortement éloignés du sens premier des mots. Et ça permet de voir les choses d'une façon un peu neuve.

Aymeric vous avez gagné un dragibus jaune ! Bravo ! Quelle est l'adresse d'expédition ? ;o)

Écrit par : pikipoki | 20/07/2006

Vous n'aurez qu'à me le donner à l'occasion d'un prochain pot ; enfin si ça vous tente.

Écrit par : aymeric (gonflé de l'orgueil du vainqueur) | 21/07/2006

Consommer serait détruire alors . J'ai bien en tête que ce que l'on dispose , ingère, utilise, disparaît d'une certaine manière mais, comme vous, si je vois des conséquences dommageable à cet acte , je vois aussi ce qu'il induit de vie et de sens constructif.
Rien que le fait de choisir des matières premières pour les assembler et les travailler , soit en un plat, soit en une construction(meuble, immeuble) , comme extraire et tailler une pierre pour en faire la flèche d'une cathédrale, de la terre pour en faire une tuile, etc...je ne vois que la poursuite d'un cycle de vie humain qui donne sens à construire un environnement favorable, aux besoins premiers ainsi qu' aux besoins symboliques et sociaux. Bref une continuité du sens à vivre.
Je crois que si consommer porte deux sens , c'est sans doute parce que l'être humain aussi en porte deux.
Avec la vie on reçoit la mort et tout ce qui se commence s'achève un jour. Donc tout ce qui se consomme, sans aucun doute aussi. Non par la fin de l'objet de consommation en lui même mais par la fin du sens qu'on lui donne. Si ainsi vous abandonnez vos vieux meubles usés
, (le sens est consumé)c'est la disparition de l'utilité que vous leur prêtez, car une fois sur le trottoir ou à la casse, ils peuvent à nouveau être saisis par une personne qui leur donnera un nouveau sens d'utilité. C'est un peu ce qui arrive pour nos ordinateurs qui se trouvent en chine, servant à faire vivre dans des conditions dangereuses et peu dignes, des hommes et des femmes qui y trouvent un sens.
Le risque est de produire et abandonner ce que nous produisons. Le pire à imaginer serait des décharges géantes de choses qui s'entassent parce qu'elles ne feraient plus sens pour personne. Finalement le pire, c'est la disparition du sens.

Écrit par : dg | 22/07/2006

Aymeric
Ca va être difficile avant la fin aout. Je suis toujours dans mes travaux et autres aménagements, et dans quelques jours je pars en congé. Mais à la rentrée, pas de problème (il va falloir que je me souvienne alors que je vous dois un dragibus jaune, c'est pas gagné).

DG
Il me semble en grande partie que ce pire que vous évoquez, il existe déjà: entre les déchets courants, les "gros objets" qui passent tous les mois, les déchetteries bien alimentées, etc. on atteint déjà un niveau de destruction de biens qui est à mon avis élevé.

Écrit par : pikipoki | 25/07/2006

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