13/07/2006
Le complexe du blogueur !
Parmi les affections qui peuvent toucher les blogueurs, outre la smsite aigue, qui transforme nos bons vieux azerty en kits à raccourcis, et la baronite espagnole (je mets cet adjectif juste parce qu’il fait joli, je ne vise personne, surtout pas un certain maître), qui pousse ceux qui en sont touchés à user d’un verbiage sentencieux pour annoncer qu’ils ont croisé leur concierge deux fois de suite en sortant les poubelles, il y a aussi le complexe du blogueur, un complexe qui n’épargne pas votre serviteur.
Mais d’abord, le complexe du blogueur, c’est quoi ?
A mon sens, c’est le sentiment d’être élevé de façon injustifiée à un rang qu’on ne pense pas mériter, et sentir que ce rang nous met dans une position où les attentes sont aussi fortes que les risques de les décevoir. Et surtout, que portés par ce rang, qui pour certains blogs ou collectifs de blogs est particulièrement élevé, ceux-ci étant parfois même perçus comme des institutions (je pense clairement que c’était le cas de Publius, et sans vouloir nous jeter des fleurs injustifiées, je crois que c’est la place que certains lecteurs donnent à lieu-commun), que portés par ce rang disais-je, et parfois contre notre gré, on se retrouve en haut d’une tour dont bon nombres de lecteurs finiront bien un jour par s’apercevoir qu’elle est en carton.
C’est donc craindre que les lecteurs finissent par percevoir dans notre démarche une forme d’imposture, d’usurpation de position, et que, après l’avoir porté haut, ils s’aperçoivent, comme me le disait François du Swissroll en mail, que le roi est nu. Ainsi, la reconnaissance qu’il aurait acquis auparavant se retournerait soudain contre lui pour fournir à ses détracteurs les armes les plus puissantes pour détruire son travail, en mettant en cause sa démarche même.
Car qui sont-ils ces blogueurs pour oser s’exprimer plus haut que les autres et se poser en références du débat sur Internet ? Pourquoi eux ? N’y a-t-il pas une injustice dans la formation de ces collectifs dont on peut soupçonner qu’une part importante des participants est là par cooptation et copinage plus que grâce à de réelles compétences ? Ces questions, les lecteurs se les posent certainement parfois, et on le voit d’ailleurs au travers de certaines réactions qui, je le dis sans sarcasme car je peux le comprendre, semblent parfois empruntes d’une certaines jalousie.
Réponses sur ce paragraphe: pour la plupart nous ne sommes pas des personnes plus élevées que qui que ce soit, certains ont des compétences particulières pour aborder des sujets spécifiques (c’est évidemment le cas des juristes), d’autres pas. Et très peu des blogueurs qui participent aux débats de société se sont autoproclamés cerveaux d’or. Les meilleurs le plus souvent ont gardé une approche au contraire très humble, et ouverte à la critique, mais ce sont leurs lecteurs, reconnaissants leurs qualités, qui les ont élevés au rang de références. Qui les en blâmeraient ?
Pour illustrer cela, je voudrais aborder le cas de mon blog. C’est très clairement cette crainte, relevée plus haut, d’être perçu comme une sorte d’imposteur, qui a guidé la décision dont j’ai fait part avant-hier. Ce sentiment que les lecteurs qui passent sur lieu-commun, voyant mon blog et mes billets, ont un grand « pfff » intérieur en songeant à la vacuité de mes billets, un pfff qui signifierait en gros : « bon sang, mais qu’est-ce qu’il fiche ici celui-là ? ».
Plusieurs choses ont contribué à cette impression. D’abord la pression de participer à un collectif dans lequel j’admire quasiment tous les participants (je dis quasiment uniquement parce que certains me semblent au-dessus des autres et qu’en conséquence le degré de cette admiration varie un peu), et qui engendre la crainte d’être comparé à ces autres blogueurs, ce qui me semblerait difficilement pouvoir tourner à mon avantage.
En effet, figurent dans ce collectif quelques une des figures les plus respectées de la blogosphère : Eolas bien sûr, mais aussi Ceteris-Paribus, Econoclaste, Versac, je ne les cite pas tous, mais il y en a peu qui ne soient pas des pointures. Me trouver à leurs côtés est forcément intimidant car il est clair que je n’ai pas leur impact (ce dont je ne blâme évidemment personne).
Enfin, cela s’explique aussi par la place que certains internautes, de plus en plus nombreux, accordent aux blogs pour s’informer et réfléchir, place qui reste encore aujourd’hui, à mon avis, un peu surestimée. Je le vois parfois dans mes statistiques, j’ai des lecteurs qui viennent de ministères, de l’Assemblée Nationale, d’écoles prestigieuses comme Normale Sup ou Sciences Po, et à chaque fois je me dis « misère, que vont-ils penser de ce que j’écris ? Combien ont un sourire en coin en parcourant mes pages et hésitent à me brocarder en direct en pointant du doigt mes égarements ? »
Pour finir sur mon cas personnel, je suis revenu sur ma décision, plutôt rapidement d’ailleurs, car les commentaires que m’ont envoyé presque tous les participants de lieu-commun m’ont immédiatement fait remettre en perspective la vision que j’avais de ma place dans le collectif. J’ai compris que je m’étais fait une fausse image de la situation, et cela a suffit à me faire changer d’avis car c’était cette interprétation erronée des choses qui me faisait partir.
Alors maintenant, comment guérir de ce complexe, ou plutôt, comment faire en sorte de le gérer pour qu’il n’empêche pas le blogueur d’intervenir sur ce qui l’intéresse lorsqu’il en a envie ?
Oh pas de grande recette. En fait il s’agit juste de savoir trouver sa place, par rapport à ce que l’on veut pour soi, et par rapport à ce que l’on espère produire pour les autres. Cela passe par ne pas hésiter à dire quelles sont ses propres limites, sans pour autant les dramatiser. Et il faut sans doute accepter l’idée que ce sont les lecteurs en très grande partie qui font d’un blog ce qu’il est, en lui accordant une plus ou moins grande importance, et que c’est bien ainsi.
Je crois que dans cette idée il y a le fait de ne pas chercher le succès à tout prix. L’enjeu est ailleurs : produire du contenu, analytique, ou plus simplement humain et qui apporte en cela quelque chose aux autres. Ce contenu sera reconnu pour sa qualité s’il en a. Et si jamais malgré les efforts fournis il ne reçoit pas l’estime que l’on souhaite, et bien on peut garder en tête la « phrase magique » qu’on utilise en relaxation, pour prendre du recul face à cette situation : « Ce n’est pas grave, ça n’a aucune importance ». Ou faire sienne, une célèbre devise Shadock...
16:30 Publié dans Un peu de développement personnel | Lien permanent | Commentaires (14) | Facebook |
Commentaires
"j’ai des lecteurs qui viennent de ministères, de l’Assemblée Nationale"
Je te rassures et je casse peut-être un mythe, ce ne sont pas les ministres et les députés qui viennent sur ton site. Je ne suis pas certains qu'ils sachent tous se servir d'un ordinateur.
Ce sont les collaborateurs, les administratifs qui surfent pendant leurs heures de travail.
Écrit par : authueil | 13/07/2006
Authueil
Ah mais je n'imaginais pas autre chose !
Écrit par : pikipoki | 13/07/2006
Vois-tu, cher Piki-Poki, ne serait-ce que pour ce billet, tu as pleinement ta place à Lieu-commun ! C'est extrèmement sain, ce billet, et ce complexe du blogueur s'appelle aussi garder la tête froide et les pieds sur terre.
On commence un blog en parfait inconnu. On y balance deux-trois idées, puis, parfois, en admiration devant certains autres, on se met à creuser un peu plus ses billets. Pour autant, sauf à écrire réellement dans son domaine de spécialité, nous ne sommes qu'une voix parmi tant d'autres.
Certains s'accomoderaient parfaitement de cette situation et pourraient estimer que ce n'est en fin de compte que la juste reconnaissance d'un talent trop longtemps mis sous le boisseau. Et puis, d'autres craignent l'imposture, l'usurpation... "Un jour ou l'autre, ils vont bien finir par crever la baudruche !" Dans ces moments, on regrette de ne plus être le petit blogueur presqu'anonyme.
Le phénomène, de toutes façons, ne touche pas que les blogs. Lorsque quelqu'un s'élève, on le voit mieux, et il devient une cible. En ce qui me concerne, si je n'ai évidemment pas l'audience d'Eolas ou de Versac, ayant acquis un peu de visibilité, il m'arrive d'osciller entre deux attitudes : la première serait de me dire que, puisque je veux continuer (et tant que je le veux vraiment), je dois accepter la face désagréable de cette visibilité appréciable par ailleurs - parce non, je n'écris pas que pour moi, même si cela m'apporte personnellement beaucoup. Je me dis dans ces moments-là que c'est le fonctionnement normal des relations humaines, aussi désagréable cela soit-il (et même si cela peut servir d'utile rappel à l'ordre). La seconde attitude serait de me rouler en boule dans un coin et de dire "mais laissez-moi tranquille, je ne vous ai rien demandé", et de rêver à l'époque où personne ne m'aurait reproché de ne pas aller au fond des choses, d'être trop léger, ou superficiel, parce que de toutes façons, personn n'attendait rien de moi.
Lieu Commun est une aventure un peu casse-gueule. Un ami sarcastique me dit souvent : "ah oui, les 15 meilleurs blogueurs auto-proclamés". Je sais qu'il le dit parce que c'est un observateur attentif de ce genre de choses, et non par méchanceté. Mais il est évident que certains le perçoivent ainsi. Alors qu'en fait, Emmanuel est une tanche, Jules écrit avec les pieds, Eolas est un psychopathe compulsif du clavier, Versac un soudard qui ne trouvant plus de comptoir où s'épanché a créé son blog, Verel un blanquiste de veau etc etc etc... Plus sérieusement, on n'arrivera jamais à effacer cette impression chez certains lecteurs et peut-être faut-il prendre leurs commentaires parfois agressifs comme d'utiles rappels sur Terre (ça, c'est quand on n'est pas fatigués). J'essaie aussi d'éviter dans mes billets de me croire plus important que je ne suis, de ne pas adopter d'opinions trop définitives. Je n'y arrive certainement pas tout le temps et je dois certainement avoir de temps à autre l'air arrogant. Ainsi va la vie...
Mais tu as parfaitement raison : ne nous donnons pas une importance imméritée. Si elle est légitime, d'autres nous la donneront. Si elle ne l'est pas, on mériterait les tartes dans la gueule que l'on se prendra inévitablement.
En tout cas, ton billet et, je pense, une très utile contribution à la blogosphère !
Écrit par : koz | 13/07/2006
Cela fait un moment que les aléas de la vie m'avaient éloignés des blogs et j'espère vous rassurer en indiquant que je trouve toujours du plaisir à vous lire pikipoki et j'en profite pour dire de même à Koz au vu de son commentaire. Je précise que ce "sentiment" de plaisir dans la lecture n'implique pas d'être toujours en accord avec ce qui est dit ... :)
Longue vie à vous dans cet exercice et ailleurs.
Écrit par : Quoique | 13/07/2006
Curieux, vous citez des blogs que pour deux d'entre eux je suis allée lire quelques fois et pourtant ce n'est pas chez eux que je suis revenue . Certes, le niveau est haut, mais la vision n'est pas toujours partagée et humainement, je n'y trouve pas toujours mon compte, (surtout quand on n'a pas le niveau de normal sup, du ministère , de l'Ena, ou quelqu'autre passeport pour s'ouvrir les portes de la reconnaissance immédiate...). Et puis quoi, ce ne serait donc pas une histoire de discussions et réflexions entre personnes différentes en tout point et d'autant plus intéressantes que socialement elles le sont aussi? Des rencontres "épistolaires" humaines? Ou serait ce des lieux où jauger le niveau de notoriété de chacun en miroir ? Tant que cela reste de l'ordre de l'humain, pas de crainte à avoir pour la survie des lieux de discussions comme les blogs . Même les internautes qui ne veulent pas créer de blogs ne sont que cela, des personnes qui n'ont que le pouvoir de parler en leur nom.
Écrit par : dg | 13/07/2006
En effet c'est tout l'intérêt des blogs de mettre en contact des gens différents.
PS. Je sais où la 1ère photo de ce billet a été prise : c'est dans le jardin du Centre culturel suédois dans le Marais !
Rien que pour des commentaires comme ça il faut continuer ton blog ;-)
Écrit par : polluxe | 14/07/2006
En effet c'est tout l'intérêt des blogs de mettre en contact des gens différents.
PS. Je sais où la 1ère photo de ce billet a été prise : c'est dans le jardin du Centre culturel suédois dans le Marais !
Rien que pour des commentaires comme ça il faut continuer ton blog ;-)
Écrit par : polluxe | 14/07/2006
Koz
Merci, on est effectivement tout à fait sur la même longueur d'onde sur le sujet je crois.
Quoique
Au plaisir surtout de pouvoir vous relire j'espère prochaînement !
DG
Oui. Des connections, des discussions, des liens. Mais quand on n'est pas seulement lecteur mais acteur de la chose, c'est difficile de ne pas songer au qu'en dira-t-on. En tout cas pour moi.
Polluxe
Je vais même garder le doublon alors ! ;o) (au fait pour la photo, hum en fait je l'ai piquée sur un autre blog, dont je ne me souviens même plus du nom...)
Dernier commentaire. Je m'aperçois que j'ai fait une erreur dans le lien du Swissroll et que j'y ai mis mon billet sur la reconnaissance, que je voulais mettre en lien plus bas (bref, c'est un peu le boxon). Malheureusement je ne serai pas en mesure de faire la modification ce week-end (même maintenant, je commente en conditions extrêmes !), ni même durant la semaine qui vient, car je m'absente pour le boulot. J'espère que François ne m'en voudra pas !
Écrit par : pikipoki | 14/07/2006
Halte au syndrôme des parts de marché et du taux d'audience dans la blogosphère. Restez-vous même. C'est pour ça qu'on vous lit!
Écrit par : gtab | 17/07/2006
Autre devise Shadock dont il m'arrive de faire un mantra les soirs de lassitudes face aux ratages : "S'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'ya pas de problème".
Mais, pour revenir au fond de votre billet, je crois (un peu comme Koz, en fait) que vous faites de ce complexe une force et que de votre manque d'assurance vient votre rigueur et votre prudence. Un mal pour un bien en quelques sortes...
Écrit par : aymeric (GA BU ZO MEU) | 18/07/2006
Merci Aymeric, sympa.
Écrit par : pikipoki | 18/07/2006
Attention mon chez Koz : je ne parle pas de Lieu Commun comme des "15 meilleurs blogueurs autoproclamés" mais comme des "15 meilleurs blogueurs politiques autoproclamés". A la fois pour rire mais aussi parce que c'est le "sentiment qui se dégage" à vue de nez, de l'initiative.
Plus sérieusement, le complexe de l'imposteur n'est certainement pas propre au blogueur. Il est parfaitement humain et on le retrouve chez toutes sortes d'individus qui se retrouvent exposés aux yeux d'autrui, le plus souvent sans y avoir été préparé.
Kurt Cobain qui ne supportait pas la réussite de Nirvana, rien à voir avec le sujet de ton billet ? Pas forcément : autre domaine, autre notoriété, mais complexe d'imposteur quand même. Forcément très courant dans tous les domaines artistiques.
Le complexe de l'imposteur est d'ailleurs si bien connu qu'il a été identifié en sciences humaines. Les coachs d'entreprise travaillent dessus : ils rencontrent sans cesse des managers avec de super responsabilités qui ne veulent surtout pas bouger de là où ils sont... parce qu'ils ont peur qu'on se rende compte qu'ils ne sont pas bons. Là aussi il s'agit pour un individu d'échapper au regard du monde, un regard pesant, créateur de responsabilités non désiréées.
Bloguer n'est donc qu'un moyen de plus d'accéder au complexe de l'imposteur, contre lequel on ne peut rien : on le ressent - ou pas. Pour ma part effectivement je pense que ce complexe n'est pas pour rien dans certains de mes coups de pompes depuis que j'ai commencé à blogué. Le tout est d'y être préparé ou de s'y faire.
Écrit par : un ami sarcastique de Koz | 22/07/2006
Un ami sarcastique (inconnu...) de Koz
Un mien informateur m'a laissé penser récemment qu'il pourrait poster un billet reprenant peu ou prou ce que vous indiquez ici. Et il pourrait s'agir du Swissroll...
Écrit par : pikipoki | 25/07/2006
'pour la plupart nous ne sommes pas des personnes plus élevées que qui que ce soit, certains ont des compétences particulières pour aborder des sujets spécifiques (c’est évidemment le cas des juristes)".
Encore un qui se laisse abuser par la mystification des juristes !
Écrit par : Paxatagore | 03/08/2006
Les commentaires sont fermés.