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20/07/2007

Apprendre la flexibilité

72443d054e22b80c0735a8870fff5710.jpgUn certain Yog a publié un article récemment sur Naturavox un article qui me laisse mi-figue mi-raisin qu'il a intitulé : Désapprendre. Son idée centrale, comme ce titre l'indique, est qu'il nous faut parvenir à désapprendre afin de retrouver qui nous sommes (?) et d'avoir un regard neuf sur les choses. Il y a des choses que je trouve intéressantes dans son article, notamment lorsqu'il aborde la notion de conditionnements, et de la forme d'emprisonnement auquel ceux-ci aboutissent.

 

Mais il y a trop d'imprécisions et de confusion dans ce qu'il écrit pour que son article puisse vraiment apporter quelque chose d'utile à ceux qui le lisent. Lorsqu'il aborde le processus de connaissance notamment, présentant cela comme un processus d'accumulation, qui naturellement semble nous conduire plus tard à accumuler des possessions: "Plus de connaissances, plus d’expériences, plus d’argent, plus de réussites, etc." écrit-il. Je ne vois pas bien comment le lien logique entre ces éléments peut être justifié, tant le glissement d'un élément à un autre est léger.

 

Mais surtout, bien que son idée de départ, se défaire de ses conditionnements, ne soit pas fondamentalement mauvaise, Yog se trompe dans la formulation qu'il en produit, et aboutit à de vrais non-sens. Car désapprendre ne veut pas dire grand-chose. Le mot, par la démarche qu’il appelle, porte même en lui sa propre contradiction.

 

Car de quoi s’agit-il exactement ? Yog présente cela comme le fait de désapprendre tout ce que nous avons appris depuis notre naissance, nos connaissances, comme nos automatismes culturels et sociaux. Pour appuyer cette idée, il fait appel à quelques grands noms, comme Krishnamurti, qui selon lui avait une vision favorable au désapprentissage. Certains savent déjà le piège de ces références qui se suffiraient à elles-mêmes pour donner de la profondeur à une idée, alors qu’elles peuvent être utilisées à mauvais escient voire à contresens, simplement à cause d’une trop grande légèreté d’approche ou par manque de réflexion. Le billet de Yog me semble malheureusement tomber dans ce piège. J’y reviendrai un peu plus loin dans ce billet.

 

Mais comment envisage-t-on de désapprendre ? Comment fait-on pour oublier, puisqu’il doit bien s’agir de cela à un moment ou à un autre, sinon ce n’est pas de désapprendre dont il s’agit, mais de faire mine de ne plus savoir ? Voyons cela pour les deux types d’éléments qu’il nous faudrait désapprendre : nos connaissances et nos automatismes culturels.

 

Désapprendre des connaissances c’est parvenir à les oublier, pour ne plus être affecté par les réponses qu’elles nous portent à mettre en œuvre dans les situations que nous vivons. Pour oublier, de telles choses, on ne peut envisager que de se forcer à ne plus faire usage de ces réponses que nous connaissons, pour petit à petit en perdre l’usage. Plus qu’un processus de désapprentissage, c’est d’un processus de démémorisation, si l’on me passe ce barbarisme, dont il est en réalité question. Techniquement, cela semble certes possible, mais s’il s’agit de tout oublier, combien de temps cela peut-il prendre ?

 

Désapprendre des automatismes culturels, automatismes que l’on pourrait appréhender comme des connaissances pour certains d’entre eux, mais les aborder séparément me semble être plus clair, les désapprendre donc, voilà qui pour le coup pose un problème assez complexe. Puisque l’on touche là à deux éléments sensibles : les automatismes qui nous permettent d’être insérés dans le groupe social dans lequel nous sommes, qu’il nous sera difficile de rejeter étant donné ce qu’ils nous apportent, et les automatismes inconscients du quotidien, qu’il nous sera difficile d’identifier et donc également, de rejeter. Entre désagrément à perdre un gain perçu et quasi impossibilité de détecter certains éléments, l’individu se trouve en grande difficulté pour désapprendre ces automatismes.

 

On comprend donc, même si cette analyse reste très courte, que désapprendre est une démarche quasiment impossible, et on suspecte déjà sans doute, que cela n’est en réalité pas souhaitable. Et puisque j’ai lu un peu Krishnamurti, je vais moi aussi me hisser sur ses épaules pour éclairer un peu notre sujet et commencer à entrevoir quelle démarche Yog aurait pu proposer en lieu et place de celle de désapprendre. Krishnamurti, me semble-t-il, ne parlait pas de désapprendre. En revanche, l’une des idées qu’il martelait était celle de l’indépendance d’esprit, c’est-à-dire de la faculté de l’individu à s’extraire des automatismes de pensée l’environnant afin d’être en mesure de développer une vision réellement personnelle des choses, qui serait donc plus riche que de simples redites plus ou moins bien régurgités.

 

Son idée principale, me semble-t-il, était donc de parvenir à lutter contre nos propres automatismes culturels, intellectuels, sociaux, de nous en affranchir pour produire une pensée originale et neuve. Il n’est pas question pour autant de désapprendre, ce qui paraît être un objectif absurde. Mais plutôt d’apprendre à gérer nos connaissances et nos automatismes d’une nouvelle manière, afin de mieux les exploiter et de ne pas en devenir esclaves. Il s’agit donc essentiellement d’appréhender ce que l’on sait autrement que nous sommes habitués à le faire, de prendre du recul vis-à-vis de certains de nos automatismes et de nos réflexes (certaines valeurs de politesse, pour donner un exemple, peuvent être remises en cause pour mieux comprendre ce qu’elles apportent et ne pas en dévoyer l’usage – appliquer ces règles coûte que coûte, parce que c’est « comme ça qu’on fait » - pour les essentialiser en quelque sorte).

 

Il s’agit donc d’apprendre à apporter de la flexibilité à notre pensée et à nos comportements, de les dérigidifier (encore un barbarisme – c’est la marque des prétentieux apprentis philosophes que voulez-vous ;o) ). Qu’on ne se méprenne pas sur cette notion de flexibilité. Il ne s’agit pas ici de devenir adaptable à toute situation, devenant en cela un individu caméléon sans personnalité réelle, mais d’apprendre à déceler les connaissances et les automatismes qui nous enferment dans des comportements standardisés privés de sens. L’objectif n’est pas de devenir une anguille, mais de redonner un vrai sens à nos actes, afin que ceux-ci ne soient plus seulement la réponse de celui qui réagit ainsi parce qu’il a grandit dans tel groupe social (j’écris « seulement », parce qu’il me semble absurde de prétendre ne pas réagir au moins en partie à cause de cela), mais plus parce que « c’est lui ».

 

Il ne s’agit pas non plus ici de refuser d’être en partie ce que les autres font de nous. Ce refus serait lui aussi absurde puisqu’il reviendrait à exister dans un groupe et à en refuser tout ce qu’il apporte, à ne pas être un individu social, ce qui n’existe tout simplement pas. En revanche, cela signifie que l’on reste critique vis-à-vis du comportement de ce groupe et des chemins vers lesquels il nous oriente (cela nous permet d’ailleurs d’y apporter quelque chose à ce groupe).

 

Il reste alors à découvrir comment on peut acquérir cette flexibilité de pensée et de comportement. C’est un sujet long à traiter, on s’en doute, et je ne ferai donc ici que l’effleurer en donnant quelques pistes, surtout sur l’aspect comportemental.

 

La difficulté dans cette démarche est que l’on intervient en fait sur la mémoire. Les connaissances, les automatismes, tout cela est lié à la mémoire. Or le travail sur la mémoire comportementale et sur la flexibilité qui peut en découler est beaucoup plus aisé dans les premières années de la vie que lorsque l’on est adulte. En gros, si vous avez déjà la vingtaine passée et que vous n’êtes pas flexible, ça ne va pas être simple de le devenir. C’est pour cette raison que dans les premières années de l’éducation d’un enfant, il est intéressant de lui proposer des expériences variées. On suggère ainsi, par exemple, que les plus jeunes puissent dormir dans des pièces différentes sans être trop cantonnés à leur seule chambre attitrée. Et de ne pas brider leur curiosité par peur de ce qui va arriver, même si s’inquiéter est naturel (bon ça se mesure hein, vous n’allez pas non plus laisser un enfant mettre la main au feu sous prétexte qu’il va ainsi vivre une expérience nouvelle).

 

Pour le reste, je dirai qu’en grande partie il faut être attentif à tout ce que nous faisons de façon automatique et répétée, en détectant les impacts réels qu’auraient des comportements différents, afin d’identifier d’abord quels sont nos prisons comportementales, et ensuite où nous pouvons agir afin de modifier notre comportement. Il faut savoir ouvrir les yeux sur des idées répandues, être vigilant face aux effets de mode, et se demander si dans un autre contexte, à une autre époque, dans un autre pays, avec d’autres personnes, etc. on agirait de la même façon, pourquoi ? pourquoi pas ? qu’est-ce qu’on peut y trouver qui semble généralisable ? au contraire de très particulier ? des tas de questions en perspective… Pour faire court, je dirais, en imaginant que chacun de nous est une armoire (une image chouettement poétique non ?), qu’il s’agit de savoir laisser nos connaissances et nos automatismes dans leurs tiroirs, de n’ouvrir ceux-ci qu’à bon escient, et de ne pas les laisser devenir l’armoire toute entière.

 

Dernière chose rapide. Yog semble contester la logique d’accumulation des connaissances, comme si cette accumulation nous était nuisible. La aussi cela me semble trop simpliste et au final erroné. Il ne s’agit pas de ne pas accumuler ou de se désemplir et de devenir ainsi une coquille vide. Ce qui compte c’est de savoir gérer et organiser en soi ce que l’on emmagasine. D’identifier ce qui nous pollue et le séparer de ce qui nous construit.

 

Désapprendre donc, me semble être une fausse bonne idée. Cela apparaît proche des idées de décroissance, de déconstruction. Celles-ci rencontrent un franc succès chez certaines populations déçues, à juste titre ou non, par leur mode de vie actuel. Mais autant je peux saisir une certaine logique dans la décroissance (je ne dis pas une certaine justesse, juste qu’il y a une cohérence dans le raisonnement à mes yeux), autant désapprendre m’apparaît seulement flirter avec ces idées à la mode en dé- et ne pas avoir de contenu réel, tant la démarche s’avère absurde quand on la décortique. Tant et si bien que là aussi on est dans un effet de mode, et donc dans la situation inverse de celle qu’on souhaitait obtenir.

Commentaires

Votre article m'interpelle par rapport à un domaine que je connais légèrement mieux que la philosophie dont je ne connais rien.
Je pense que pour créer quelque chose de nouveau, il faut connaitre parfaitement les techniques de son art afin de pouvoir les oublier, de les dépasser et d'en inventer de nouvelles qui permettront de créer quelque chose de réellement nouveau.
Peu y parviennent avec génie et je me classe dans la masse de ceux qui n'y parviennent pas...

Écrit par : Ø | 21/07/2007

Oui, c'est le bon côté des automatismes. Lorsque l'on maîtrise bien ce que l'on fait, par l'habitude de le répéter notamment, cela permet à la mémoire de fonctionner plus rapidement, plus facilement. L'individu n'a plus besoin de solliciter autant ses capacité pour réaliser ce qu'il a à réaliser. C'est ce qu'on appelle "le métier". Et effectivement, cela laisse de la place au cerveau, qui est ainsi moins mobilisé, pour créer de nouvelles choses.

Écrit par : pikipoki | 21/07/2007

Moi qui participe régulièrement à une petit, tout petit, groupe philosophique à Paris, j'ajouterai bien volontiers la pierre Pikipoki à notre léger édifice :)

Désapprendre rejoint le thème de l'oubli. On ne désapprend pas la langue allemande, on l'oublie plutôt en ne la pratiquant plus. Mais est-il sérieusement possible d'effacer de notre mémoire les mots de base qui y ont été incrustés comme ya, nein, danke ou les fameux sobriquets donnés aux animaux de compagnie Strob et Mieze, appris lors de la première leçon ?!

Reste évidemment la tentation d'un oubli sélectif. La gélule K712...

Mais pour qui et comment ?

Sans compter les dérapages, les effets pervers et contradictoires dont nous soupçonnons déjà la diversité et l'incroyable étendue...

Écrit par : Shaggoo | 21/07/2007

Il me semble que l'oubli est plutôt involontaire.
Désaprendre ferait plutôt appel à la volonté

Écrit par : Ø | 21/07/2007

Dans ce cas désapprendre serait apprendre en lieu et place. Comme on efface le contenu d'un support en enregistrant par dessus. Je désapprends Ya en apprenant Yes.

Je reste septique, pour le moins !

Écrit par : Shaggoo | 21/07/2007

Septique... sans doute un lapsus révélateur ! :)

Écrit par : Shaggoo | 21/07/2007

Plutôt d'accord avec la remarque de 0. Oublier est en général envisagé comme quelque chose d'involontaire. Ceci dit, on pourrait imaginer une démarche volontaire de ne plus faire ce que l'on sait, pour oublier ses connaissances. Et là on tourne un peu autour du pot.

Mais désapprendre n'est pas apprendre en lieu et place. Comme dirait Coluche, c'est désapprendre qu'est désapprendre !

En fait on voit bien l'incohérence de l'idée de désapprendre. Au sens strict cela signifie entreprendre la destruction de ce que l'on sait. Pratiquement, on voit bien mal comment cela peut se faire, puisque n'importe quelle expérience vécue, même celle qui vise au désaprentissage, engramme nécessairement des choses dans notre cerveau, lui incruste une mémoire spécifique, et dés lors, constitue une autre forme d'apprentissage.

Écrit par : pikipoki | 22/07/2007

très intéressant post qui me fait immédiatement penser au supplément du nouvel obs sur machiavel... Désapprendre ou en tout cas apprendre à connaitre son environnement pour en déceler les contraintes rejoint assez la démarche machiavélienne d'amoralité. Connaitre d'un objectif et chercher à l'atteindre en s'adaptant à un environnement sans s'embarrasser de contraintes morales existantes..

Petit commentaire dérapé desolé : )

Écrit par : frednetick | 03/08/2007

Apprendre à désapprendre ? J'y vois comme une aporie, à laquelle ce billet n'échappe pas.

Il me semble que Yog faisait la promotion de la méditation : quand on n'y a pas goûté, il est difficile de ne pas en dire des bêtises. Et quand on y a goûté, on n'est pas plus immunisé : il nous faut faire preuve d'humilité.

Notre formation, notre mise en forme culturelle et sociale, ne nous apprend pas le détachement, la mise à distance, celle qui permet la perspective. Il y a comme un dictature de la pensée rationnelle; mais cette dictature nous cache les merveilles d'autres modes d'accès à la connaissance.

Personnellement j'ai eu à faire la migration de la pensée scientifique positiviste à d'autres modes de pensée n'obéissant pas à la logique aristotélicienne où le paradoxe est exclus. C'est douloureux de s'arracher des pans entiers de ce qui apparait alors comme des croyances, qui ne sont fondées sur rien. Désapprendre ? Edgar Morin propose plutôt d'englober les savoirs passés réducteurs dans une approche plus globale : je crois que c'est pragmatique.

Écrit par : Randall | 06/08/2007

Randall
Décidemment, vous allez penser que je le fais exprès, mais je ne comprends pas bien ce commentaire non plus.
Pourquoi ce billet plonge-t-il dans l'aporie?
Et sur la fin de votre commentaire, en quoi consiste celle approche globale prônée par Morin ?

Écrit par : pikipoki | 07/08/2007

Pikipoki >

En vous lisant, j'ai eu le sentiment qu'apprendre à désapprendre ne vous était pas possible. Discourir d'une chose semble plus facile que la mettre en actes. Désapprendre est une route sans fin, et trouver son entrée n'est pas évident. Sans fin pour les bouddhistes, qui vont jusqu'à proner la disparition de l'ego... Les résistances pour ceux qui s'y essaient sont d'une puissance considérable : travail à temps plein !

Morin ? Il faut lire 'La méthode' ou, plus léger, 'Introduction à la pensée complexe'. Hautement indigeste pour un cartésien. On ne lit pas Morin sans changer sa vision du monde et des connaissances : warning !

Écrit par : Randall | 07/08/2007

Il me semble que l'idée qu'il y a derrière tout ça rejoint au moins en partie certains éléments apportés par Laborit et sur lesquels j'ai déjà pas mal écrit ici. A savoir principalement, parvenir à reconnaître ce qui dans nos comportements et nos raisonnements, provient d'un apprentissage culturel, et qui est venu se loger dans nos cerveaux comme des valeurs absolues, alors que ce ne sont que des éléments culturels et donc relatfis (à un groupe social donné, à une époque, à un environnement, etc.).

Nos perspectives ne sont peut-être pas très éloignées cher Randall ... :o)

Écrit par : pikipoki | 07/08/2007

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