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23/09/2005

Nos surfeurs d'argent

Il y a quelques années déjà, j’ai lu une BD de Mœbius qui s’appelle Le surfeur d’argent. Il y a je crois une bataille entre les aficionados du surfeur d’argent de Mœbius et ceux de la version des Marvel comics de Lee Stan et Buscema John, chacun arguant que son surfeur d’argent est le seul, le vrai. Mais là n’est pas l’objet de ce billet. Ce qui m’a intéressé dans cette BD c’est ce que dit le héros à la fin de l’histoire, une fois qu’il a battu Galactus, le méchant.

 

medium_surfeur_d_argent.jpgSi je me souviens bien de la scène, la bataille finale a lieu dans les airs, car le surfeur d’argent a, entre autres extraordinaires pouvoirs, la capacité de surfer dans l’air et, tel un faucon, de fendre la bise sur les vilains, qui passent eux aussi leur temps en sustentation. Pas très sympas avec Newton qu’ils sont les gars. Galactus perd lamentablement, et le surfeur d’argent, décidemment pas à l’aise sur la terre ferme, décide d’aller contempler sa victoire du haut d’une tour. La foule est en délire. Galactus, le tyran, gît sur le sol, broyé.

 

Mais ce spectacle de liesse populaire qui suit la victoire du bien contre le mal ne réjouit pas le surfeur d’argent, qui en plus d’être un super héros avec un super collant, est aussi un grand philosophe. Il est debout, à côté d’une sorte de docteur Watson à lui et lui dit environ: « Voyez donc ce qui se passe. Tous ces gens qui célèbrent ma victoire et mon héroïsme. Et entendez-les réclamer qu’après avoir défais l’infâme Galactus, je prenne moi-même les rênes du pouvoir. Ces fous, ils ne se rendent pas compte que ce qu’ils réclament c’est un nouveau dictateur. Un nouveau tyran. Qu’ils remplaceront plus tard encore par un autre. »  Dans une logique sans fin… Ca valait bien la peine que le surfeur d’argent se déplace et se batte pour eux tiens.

 

J’y trouve une idée très juste. Je m’explique. Il y a une certaine tendance populaire à rechercher des héros, dans tous les domaines, sportifs, politiques, scientifiques, philosophiques, et à ensuite se retrancher derrière ces héros pour l’analyse et la prise de décision que nécessitent les principaux évènements qui surviennent dans le monde. D’une certaine façon, ces héros servent eux aussi d’étendards. Ces héros sont transformés en leader d’opinion, parfois contre leur gré, et servent en quelque sorte de caution morale pour la population qui va adhérer à ce qu’ils disent, parfois beaucoup plus par facilité que par conviction.

 

Car je crois qu’une des inclinations les plus répandues chez les hommes, c’est de chercher à être en tout déchargés de responsabilités. De n’avoir aucun compte à rendre à personne. Et de pouvoir vivre ainsi de façon totalement « libre », déliée de ce contrôle des autres qui s’impose dès lors que l’on se rend responsable de ses actes. C’est de pouvoir vivre dans une forme de tranquillité parfaite semblable à une bulle légère, comme des bienheureux extraits du monde et de tous ses éternuements. 

 

Ainsi, en érigeant des héros, on leur attribue ces responsabilités dont on ne veut pas. Pourtant, et c’est là le joli paradoxe de la chose, pour que cette abdication ne soit pas totale et que l’on conserve ainsi notre fierté d’hommes de bien, on attribue à ces héros le devoir de ne jamais faillir dans leur exemplarité. C’est-à-dire que tout en refusant d’être responsable, on ne s’interdit pas pour autant de juger ceux qui le sont pour nous. Et puisque d’une certaine façon ils représentent les valeurs qu’on n’a pas eu le courage de représenter soi-même, il est indispensable qu’ils les représentent le plus parfaitement possible. Un faux-pas de leur part suffirait pour que l’opprobre s’abatte sur eux aussi fiévreusement qu’est venue la gloire.

 

Mais cette abdication a évidemment un vice majeur, que l’on observe assez clairement dans la vie politique de nos jours. On attend tout de ces héros que nous élisons. Nous attendons d’eux qu’ils soient des guides clairvoyants, des décideurs … décidés et avisés, bref des individus parfaits dont on n’acceptera pas la moindre erreur. En fait on se comporte comme si ces gens là n’étaient pas du même monde. Comme s’ils se résumaient à leur fonction et que dans cette mesure ils devaient la remplir sans fourvoiement. On oublie deux choses dans ce comportement : la première c’est bien sûr que ce ne sont que des hommes, et qu’ils sont donc faillibles comme nous. La deuxième, et là je ne parle que du point de vue politique, c’est que la démocratie ne se confie pas, fusse à des hommes suprêmement intelligents et bons pour qu’ils en prennent soin pour nous. Elle ne se gère pas par procuration. Par définition elle est l’affaire de tous. Ca ne signifie pas qu'on ne peut pas élire des gens pour la faire vivre, mais qu'il nous revient à tous d'être vigileants pour qu'elle perdure.

 

Cela rejoint je crois l’analyse que j’avais faite il y a déjà quelques temps. La démocratie vit parce que ceux qui l’ont voulu la font vivre. En confiant à un organe, l’état, les pouvoirs qui lui permettent de garantir de façon satisfaisante les droits et les libertés de chacun, et d’assurer un certain développement humain, et en restant vigilant sur la conduite qui est faite de la chose publique. C’est ainsi que l’état peut vraiment s’entendre au sens large, comme composé de tous ses membres, c’est-à-dire du peuple dans son intégralité. En d’autre terme, que des hommes soient élus pour gérer une nation ne nous rend pas moins responsables, au moins en partie, de la conduite de cette nation. On ne peut pas utiliser une élection comme bouclier pour dire quand on nous demande des comptes sur la gestion de l’état : « ce sont eux les responsables, nous n’y sommes pour rien. » Certes il revient à ces élus de gérer au mieux la chose publique, mais en aucun cas cela ne nous dédouane de toute responsabilité sur cette gestion. Dans une démocratie chacun est responsable.

 

Et je crois que cette inclination à chercher dans les hommes politiques des surfeurs d’argent est particulièrement sensible en France. Elle se manifeste notamment par la place particulière qu’a le président de la république, dont on dit d’ailleurs de plus en plus qu’il cumule des pouvoirs de façon presque monarchique. J’ai pour ma part un peu le sentiment que lors de l’élection présidentielle, la France s’arrête comme s’il s’agissait là d’un aboutissement, presque un aboutissement ultime. C’est très symptomatique d’une importance excessive que l’on donne à cette élection et au personnage que l’on y élit, ce dernier devenant à cette occasion une sorte de champion national.

 

On pourrait même pousser la comparaison un peu plus loin. La tendance assez prononcée en France à toujours rejeter les élus qu’on a mis en place me semble relever d’une attitude similaire à celle qui est fustigée dans la BD de Mœbius. Nous avons une relation très délicate avec le pouvoir (comme avec l’argent). Je caricature mais en gros chez nous, le pouvoir c’est sale. Et très souvent, de façon sans doute excessive, on voit dans les hommes de pouvoir des dictateurs en puissance. Simplement parce qu’ils ont le pouvoir. La tentation est alors forte de vouloir les remplacer, dans un réflexe presque maladif de lutte contre la tyrannie. C’est exactement le même comportement que celui de la foule dans la BD. Peut-être est-il temps de mener une vraie réflexion de fond sur la responsabilité qu’a chaque citoyen dans la vie politique de son pays, et sur le rapport que nous entretenons avec le pouvoir. Car à y regarder de près il me semble que ce comportement que nous avons en France est signe d’une démocratie qui n’est pas encore véritablement passée à l’âge adulte.

 

Et puis il faut ouvrir les yeux. Comment a-t-on pu confondre Chirac avec le surfeur d’argent ? Allons.

Commentaires

Excellente BD par Mobius (une des seules que je possède :).

Quand à notre ami Jacques, il y avait malheureusement un système electoral qui ne supporte pas vraiment un grand nombre de candidat au poste tant recherché de Surfer d'Argent.

Sinon il y a un tropisme tres particulier en France qui est que voter pour une personne notoirement corrompue est acceptable et pratiqué courament a tous les niveaux electoraux.

Laurent

Laurent

Écrit par : guerby | 24/09/2005

Enchanté de vous accueillir sur mon blog Laurent.
Assez d'accord avec vous sur le faible nombre de candidat possible au poste de surfeur d'argent. Là aussi c'est un problème de maturité démocratique.

Écrit par : pikipoki | 25/09/2005

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