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20/10/2005

Unilatéralisme vs Multilatéralisme

Chez Damien, il y a un débat très intéressant sur le rôle des Etats-Unis dans les processus de démocratisation des pays d’Europe de l’est (récemment l’Ukraine, la Kirghizie également, et d’autres avant). Ce débat naît notamment du récent documentaire diffusé sur Canal+ à ce sujet, réalisé par Manon Loizeau. Il y a à mon sens deux questions principales qui sont soulevées chez Damien, la seconde étant plus une réflexion sur une organisation géopolitique envisageable à l’échelle de la planète :

1. Que penser de l’action de « sponsoring » américaine dans ces processus de démocratisation?
2. Le multilatéralisme est-il préférable à l’unilatéralisme ?

 

Sur la deuxième question Damien finit son dernier commentaire ainsi : « Difficile question, je trouve, vraiment ». Il nous met ainsi en garde contre les simplifications auxquelles on pourrait être amenés, mais je l’interprète également comme un appel à la prudence pour ceux qui voudraient développer une argumentation prétendument savante alors que leurs compétences en matière géopolitique seraient bien faibles. Il a raison de me le rappeler, et c’est l’occasion pour moi d’une petite mise au point concernant ma démarche sur ce blog.

 

Je ne suis pas un grand connaisseur de la vie politique, ni d’ailleurs des sujets économiques et juridiques qui occupent une très grande part des blogs « sérieux » dans lesquels il m’arrive de débattre. Je n’ai à peu près aucune compétence pour les aborder en véritable connaissance de cause. Je ne réagis donc qu’en tant que simple personne, intéressée par les sujets qui sont soulevés par ces domaines, tentant de mieux comprendre certains enjeux qui me paraissent important pour le présent et le futur, conscient surtout que si je ne suis pas un expert dans ces disciplines, elles n’ont pas moins un impact important sur ma vie de tous les jours, en l’orientant, en lui donnant ses règles, en lui laissant son espace de liberté aussi. J’espère ne pas avoir suscité de confusion là-dessus. Je pense toutefois que les maîtres de ces blogs auront déjà remarqué cet état de fait me concernant, ma dernière inquiétude étant d’avoir peut-être parfois diminué le niveau du débat qui avait lieu ici ou là.

 

Je reviens maintenant sur le sujet de fond de ce billet, me permettant donc, vous l’aurez remarqué, de tenter une analyse des éléments du débat posé. Et en réfléchissant aux questions soulevées par Damien, il me semble qu’on peut proposer une réflexion intéressante en reprenant certaines des idées de Laborit que j’avais soulevées précédemment.

 

Doit-on craindre l’action américaine dans certains récents processus de démocratisation ?
Il y a à mon sens plusieurs raisons qui expliquent la réaction de défiance exprimée, notamment dans les médias français (voir la revue de presse d’Alain Hertoghe concernant l’action américaine dans les pays de l’est européen).
D’abord, une part indéniable d’anti-américanisme tout ce qu’il y a de primaire. Alain Hertoghe rapporte l’objectif premier du documentaire de la journaliste, en la citant : « [je pensais] faire un film sur le complot américain ». C’est assez édifiant sur le parti pris qui animait son intention de départ. Je crois qu’aujourd’hui, au-delà d’une simple jalousie, l’anti-américanisme se nourrit de deux choses.

 

D’abord de la peur vis-à-vis des actions souterraines ou perçues comme telles. Parce que, par définition, on ne peut pas comprendre comment elles se déroulent et ce qui s’y « trame ». On a besoin de voir et de savoir pour se sentir rassuré. Tout ce sur quoi on n’a pas de maîtrise est sujet au doute, et à l’inquiétude. Sur ce point, ce qui est frappant, et Damien le relève très pertinemment dans son billet c’est que précisément les acteurs américains soutenant les processus de démocratisations étudiés ne cherchent nullement à se cacher. Ils restent au grand jour et ne montrent pas de réticences à être filmés, interviewés, etc. Si comme je le pense, le mythe de l’action souterraine est un des piliers de l’anti-américanisme, dès lors que ce pilier s’effondre, les préjugés s’en trouvent affaiblis. Et c’est bien pour cela que la journaliste se met à douter, et qu’elle évolue au fur et à mesure de son reportage.

 

Deuxième élément, et qui va m’amener vers la seconde question du débat, la peur de la soumission. Je crois qu’en France nous avons peur de devenir un jour tout à fait soumis aux Etats-Unis, tant politiquement, économiquement que culturellement. C’est pour cela que chaque manifestation de la puissance des USA est une occasion chez nous de voir s’exprimer des critiques qui paraissent de plus en plus déplacées. Pour en revenir à Laborit, il n’est pas impossible qu’il y ait là une crainte de se retrouver un beau jour en inhibition de l’action. Souvenez-vous, l’inhibition de l’action est la situation, imposée par l’environnement (au sens large) qui empêche une personne de se faire plaisir, de s’offrir ses gratifications. A un certain terme, cette situation peut mener la personne à la maladie, parce qu’elle accumule un trop grand stress sans avoir de moyen pour l’évacuer ou l’éviter.

 

Dans un monde où un pays tient une place de plus en plus grande, sur l’essentiel des plans où s’exercent l’activité humaine, on peut s’inquiéter (je veux seulement dire ici que ça arrive) que les règles que ce pays s’est donné à lui-même pour son fonctionnement finissent par s’imposer ailleurs que chez lui, là où il exerce son influence. Plus cette influence augmente, plus on risque de s’en sentir prisonnier, et d’avoir de moins en moins de moyen d’y répondre. Par ce processus on devient progressivement moins libre de ses choix, et cela génère une frustration d’autant plus grande que les contraintes viennent de l’extérieur, ce ne sont pas des choses qu’on a choisit soi-même. C’est exactement le processus de l’inhibition de l’action. L’inquiétude ici ne vient plus de ce que les règles en question soient justes ou pas, mais de ce qu’elles soient modifiables par soi ou pas et par nous ou pas. A bien y réfléchir, je pense que les mouvements grandissants de contestations sociales se nourrissent en très grande partie de cela : on a l’impression d’être de moins en moins maître de sa vie, et on ne le tolère pas.

 

Unilatéralisme vs Multilatéralisme

 

Je crois que c’est en partie pour cela que l’unilatéralisme est dénoncé. Mais pour ma part j’y vois un autre défaut. Je vois un risque majeur dans l’unilatéralisme. C’est que si aujourd’hui on peut considérer, avec  tout de même une certaine raison, que les Etats-Unis sont un pays démocratique, et dont l’action n’est pas profondément inspirée par le grand Satan, rien, absolument rien ne peut garantir qu’il en sera toujours ainsi. Abdiquer à un pays, quel qu’il soit, et qu’elles que soient ses bonnes intentions aujourd’hui, la toute-puissance pour résoudre les problèmes de la planète est en cela extrêmement dangereux. C’est le même processus qui fait naître les tyrans. C’est en partie ce que je dénonçais dans mon billet sur le surfeur d’argent de Moebius. Le surfeur d’argent le disait lui-même (je cite en gros) : « Ils me célèbrent comme un héros et veulent me donner tous les pouvoirs pour que je sois leur guide éclairé. Ils ne se rendent pas compte qu’ils réclament au fond un nouveau tyran. » C’est à mon sens exactement le risque que fait encourir l’unilatéralisme.

 

Et la solution logique qui se présente si l’on rejette l’unilatéralisme est évidemment le multilatéralisme. C’est une idée chère à Chirac, l’une des seules peut-être que j’ai trouvé vraiment intelligente venant de lui depuis qu’il est président. Construire un monde où plusieurs pôles viendraient se réguler les uns les autres, comme le mécanisme des pouvoirs et des contre-pouvoirs d’un état permet d’éviter les dérives des uns et des autres. Mais Damien a une réplique très intéressante à cette vision. Il souligne qu’un monde multipolaire, fondamentalement, est un monde où les pôles, pour se réguler, peuvent être amenés à s’affronter. Ainsi il dit : « la concurrence pourrait bien être un facteur de rivalités guerrières ». Incroyable ! Damien doit donc lire mon blog plus que je ne l’imagine ;o) ! Car c’est dans le fond exactement ce que je relevais il n’y a pas si longtemps. Il pourrait bien être un grand adepte de Laborit, peut-être même sans le savoir. Mais sa remarque est extrêmement intéressante et soulève un point très juste : la concurrence entre états n’est effectivement en rien garante d’équilibre et de paix. Loin s’en faut.

 

Je m’aperçois donc que brandir le multilatéralisme comme remède mondial est au mieux simpliste, au pire idiot. On remarquera d’ailleurs qu’il est pour le moins paradoxal si nos dirigeants craignent comme nous la toute puissance américaine qu’ils n’agissent pourtant en rien (ou si peu) pour donner à leurs états une plus grande part dans les grands évènements. Et cet étonnement est d’autant plus grand lorsqu’il s’agirait par ces actions de promouvoir la démocratie. Pour terminer sur la seconde question, plus que d’un multilatéralisme, ce qui est sans doute nécessaire c’est de développer les initiatives de coopérations (OTAN, ONU, UE) par lesquelles les intérêts de chaque participant est lié à ceux des autres (je n’invente ici vraiment rien).

Commentaires

Mais oui, je lis souvent votre blog. C'est vrai qu'en règle générale je laisse rarement des commentaires sur les blogs que je lis, mais ce n'est pas propre au votre.

Une question qui me semblerait intéressante à faire entrer en jeu est celle de la disuasion nucléaire et autres ADM. La destruction mutuelle potentielle des "pôles" peut apparaître, paradoxalement, comme un facteur favorable à une régulation pacifique d'un monde multipolaire il me semble.

Écrit par : Damien | 21/10/2005

Vous avez peut-être raison. C'est vrai toutefois que cela constitue un paradoxe. On est évidemment tenté de se dire qu'il serait bien plus simple et sûr que toutes ses armes n'existent pas. Mais c'est une vision pour un autre monde.
En fait précisément le fait que l'existence d'ADM devienne ainsi un facteur de régulation est sans doute un symptôme qui vient révéler que l'humanité en reste encore au stade de la puberté. Nous ne sommes pas assez adultes, civilisés. Loin s'en faut même.

Écrit par : pikipoki | 22/10/2005

C'est un facteur favorable tant qu'un des joueurs ne cherche pas a nullifier le pouvoir des autres joueurs. Mais les USAs qui continuent la course a l'armement (anti-)nucléaire officiellement dans l'objectif se protéger des terroristes mais la réalité est sans doute moins présentable.

Écrit par : guerby | 22/10/2005

Le puissant a besoin de stigmatiser le mal pour paraître le bien et motiver des troupes préférant comme les charognards les restes du festin de peur d’en être l’objet. Chacun des acteurs espérant aussi prendre part, avoir sa place dans l’histoire, la saga des mégalos, sans doute pour vaincre son stress personnel face à la peur d’une mort tellement égalitaire qu’elle en deviendrait infréquentable.
Qui sait d’ou viendra l’immagination permettant de dépasser une vision cadré du monde, que cela soit par volonté grégaire ou par ignorance du préformatage de nos représentations ?
Sans doute de la ou on ne l’attend pas comme le mamifère notre ancêtre qui a survécu de part son invisibilité alors que les puissants d'alors pouvaient espérer l’éternité de leur ligné.

Écrit par : Quoique | 22/10/2005

Au passage, pour developper mon idee du meilleur comme du pire coté USA, voila un temoignage devant le sénat américain qui parle de l'intervention des USAs au Venezuela :

http://www.cepr.net/publications/weisbrot_testimony_vz_democracy.pdf

Pas vraiment dans le sens de la démocratie pacifique ...

Laurent

Écrit par : guerby | 24/10/2005

Merci Laurent,
J'ai lu le texte, et ce qui reste un peu flou pour moi c'est la raison du soutien américain à l'opposition vénézuelienne au gvt Chavez. Il est proche de Castro, mais enfin cela semble bien insuffisant (le rapport note d'ailleurs les liens entre le Brésil et Castro et pour autant les US ne cherchent pas à renverser le gvt brésilien).
Et effectivement, à la lumière de ce témoignage on constate que l'action américaine à l'étranger n'est peut-être pas toujours d'inspiration très démocratique.

Écrit par : pikipoki | 24/10/2005

Le Venezuela fournit le pétrole de la Californie, et pétrole c'est le mot magique aux USAs...

Cela faisait des années que les USAs "travaillaient" a une privatisation de la compagnie nationale pétroliere. Les USAs ont fini par lacher le lock-out des cadres de cette compagnie quand les premiers signes d'un possible manque d'approvisionnement de la Californie ont surgi.

Mais la ou le cas du Venezuela est le plus interessant c'est la representation médiatique des evenements de 2002 et du pays depuis, c'est ce qui m'a poussé a regarder de plus pres tellement les articles sur le coups d'etat dans la presse francaise etaient incoherents.

Les articles de en.wikipedia sont excellents :

http://en.wikipedia.org/wiki/Venezuelan_coup_attempt_of_2002
http://en.wikipedia.org/wiki/Hugo_Chavez
http://en.wikipedia.org/wiki/Venezuela

Tout cela relativise le financement de transition pacifique vers la démocratie comme politique principale des USAs (mais bien sur sans en enlever la réalité et l'efficacité dans le cas des dictatures de l'Est).

Laurent

Écrit par : guerby | 24/10/2005

C'est amusant comme finalement, on redécouvre une bonne veille analyse marxiste au détour de certains propos. Je vous cite citant Damien :"la concurrence pourrait bien être un facteur de rivalités guerrières". Je crois bien de Marx ne l'aurait pas mieux dit, à savoir la façon dont le système capitaliste intrumentalise les nations pour les monter les unes contre les autres dans la concurrence internationale. D'où la proposition marxiste de dépasser cette concurrence nationaliste et capitaliste par une internationale des travailleurs.

Ceci étant dit, le monde est de fait multipolaire, à défaut d'être multilatéral. Et ces pôles, sauf à être naïf, ont vocation sur nombres de sujets à se concurrencer sinon à s'opposer. Toute la question, comme je viens de le noter dans un commentaire sur votre note sur la concurrence, est bel et bien de trouver des modes de régulation pacifiques des conflits potentiels (autres que la guerre donc), à l'échelle mondiale comme à l'intérieur de chacun des pôles. C'est bien la conclusion de votre billet, et ce n'est pas contradictoire avec le multilatéralisme revendiqué de la vision "française". Je traduis l'unilatéralisme comme la volonté de ne se préoccuper que de ses intérêts propres, soit par pur cynisme, soit en considérant que ses intérêts sont aussi ceux de tous les autres (c'est un peu le discours de l'administration Bush autour de la démocratisation du monde). Vu ainsi, le multilatéralisme est la tentative de prise en compte de l'ensemble des intérêts afin d'arriver à une position médiane de consensus (ce qui suppose des renoncements de part et d'autre) alors que l'unilatéralisme est la version politique du postulat économique selon lequel la somme des intérêts individuels conduit forcément à l'intérêt collectif par le jeu des lois du marché (la fameuse main invisible).

Écrit par : Krysztoff | 24/10/2005

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