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17/11/2005

Aux sources du racisme et de l'antisémitisme (première tentative)

Billet précédent de la série

 

Bravant les problèmes techniques et même les adjonctions Languitiennes (mais elle sait que je la poutoune quand même ;o)), je vous propose, comme je l’avais initialement prévu, un billet qui prend encore son inspiration dans ma lecture d’Alain Finkielkraut. Finalement, c’est un peu une grande note de lecture cette série, mais franchement faire plus court aurait été pour le moins « léger ».

 

Mon intention ici est en fait de livrer mon décryptage des questions du racisme et de l’antisémitisme avant d’avoir lu les paragraphes particuliers dans lesquels Finkielkraut les aborde de façon directe, mais non sans me trouver déjà armé des réflexions que sa lecture, même si elle reste partielle, m’a ouvertes.

 

On a vu dans le billet précédent que l’autre en apparaissant à ma vue, m’a assigné mission de le considérer, de prendre soin de lui, de me soucier de lui. Dans la mesure où je vois son visage, où je le reconnais comme étant un visage et donc comme étant un homme, je me vois devenir responsable de son devenir. En ne m’étant plus inconnu, il m’oblige à lui. Mais bien qu’il ne me soit plus inconnu, le visage me reste en quelque sorte étranger. Il est autre, et ne se laisse pas saisir. L’altérité du visage qui me fait face est insoluble, quelques soient mes efforts, je ne parviendrais pas à le cerner, à le connaître. A chaque mouvement de ma part pour m’en approcher, pour le scruter, il se dérobe et fuit par toutes les issues. Dans cette intrigue la tentation est forte de barricader l’image de l’autre, de lui désigner enfin une place fixe à laquelle on entend le retrouver, qui nous évite en réalité d’avoir à supporter cette danse incessante du visage qui s’absente. Et pour ce faire on va qualifier l’autre. On va l’entourer de qualificatifs, on va le définir pour le cerner, pour le « saisir » enfin. Et par la même opération on échappe à l’assignation qu’il nous avait donné de s’occuper de lui, de se soucier de lui. L’obligation a disparue lorsque l’on a remplacé son visage par un masque que nous avons nous-même dessiné.

 

Dès lors, on fait perdre à l’autre sa qualité d’humain. Il n’a plus de visage, et rien à nos yeux ne saurait désormais le reconnaître comme homme. Il n’est plus qu’une image figée, une icône de ce que nous avons finalement voulu voir en lui. C’est bien pour cela que la tendance à coller des étiquettes sur les fronts est si répandue. Cela nous évite d’avoir à véritablement regarder l’autre, nous esquivons sa présence en lui enlevant son caractère vivant puisque nous l’avons figé presque comme une statue. On comprend bien que toutes les formes d’intolérance, de discrimination, jusqu’aux plus grands totalitarismes, peuvent facilement prendre leur source dans une telle forme de définition, de qualification de l’autre. Car l’autre n’est plus, il ne reste que ses descriptifs qui ont annihiler son existence, sa présence. Dès lors il m’est loisible de « le mutiler, de l’endommager ou de le tuer » puisqu’il n’est plus homme. Je ne tue plus personne lorsque je tue une icône ou une caricature.

 

C’est donc ici que viennent prendre place le racisme et l’antisémitisme. A ce niveau, j’avance dans ma réflexion avec prudence, conscient qu’il me manque certainement quelques outils théoriques pour être plus précis. Il me semble tout d’abord qu’il faut distinguer le racisme et l’antisémitisme. Certes ils ont une souche identique, mais je crois tout de même utile de leur réserver une analyse différenciée. Chaque chose en son temps donc. Commençons par le racisme. Il est je crois une forme accentuée du rejet du visage de l’autre. Parce qu’il me semble que Finkielkraut oublie d’indiquer un détail dans son analyse (punaise, je critique une analyse philosophique de Finkielkraut maintenant… on aura tout vu ici) : c’est que face à la responsabilité que l’autre m’assigne, ma première réaction va être de chercher tout moyens pour me dérober à sa requête. Et si son visage, tout en étant autre, m’apparaît très semblable, alors je peux feindre, et utiliser sa similarité pour prétendre ignorer sa différence. Ou tout du moins je peux me sentir moins en porte-à-faux d’agir ainsi face à un visage dont les traits et la couleur me seront proches.

 

Et ce seul ressenti, qui atténue l’impression de responsabilité, est déjà beaucoup. Mais plus la différence de l’autre est difficile à nier plus la force de la responsabilité qu’il m’assigne se fait éclatante et pesante. Le racisme envers le noir (pour un blanc, ou du blanc pour un noir) se loge là je crois. La couleur de sa peau stigmatise sa différence, il m’est absolument impossible de la nier, je n’ai aucune échappatoire pour l’esquiver. Quoi que je tente, sa couleur éclabousse son visage et me rappelle à lui à chaque tentative que je fais de l’ignorer. Cette différence est donc encore plus violente contre moi que celle du simple autre individu. Doublement violente même car sa différence remet en cause la légitimité de l’identité que je me suis forgé. Il est autre, très différent de moi, et il ose vivre comme si de rien n’était, comme si son chemin était en fait le bon. Il me dit alors qu’il est possible que je me trompe, que mon chemin soit bien loin de l’absolu auquel j’aurais voulu croire. Le seul fait qu’il mette ainsi à jour la possibilité de mes errements, et par sa seule existence, est une violence de plus. Pas étonnant que les premiers conquérants ayant découverts les populations indigènes des pays qu’ils ont découverts les ai asservis, et que la plupart du temps ils aient remis en cause la qualité d’êtres humains de ces « indigènes ». Le choc était trop fort. La remise en question trop cassante. C’est je crois en grande partie la raison pour laquelle les asiatiques sont bien mieux acceptés dans les pays occidentaux que les noirs ou les arabes. Parce que leur différence n’est pas stigmatisée de façon trop abrupte, parce qu’ils nous laisse ainsi une opportunité d’échapper à leurs visages.

 

En complément, je voudrais ajouter un autre point. Il me semble qu’il y a deux formes de racisme :

  • Le racisme que j’appellerais « ontologique », c’est-à-dire le racisme véritablement issu de l’individu, qui n’est pas lié à des contingences.
  • Le racisme que j’appellerais « social », qui naît lui essentiellement dans une logique d’affrontement, qui est conséquence d’un vécu, d’un quotidien.

Le racisme « ontologique » est celui de l’ignorance. Ce racisme là naît de la non connaissance de l’autre. C’est le racisme des campagne, de la peur de l’autre parce qu’on ne sait pas qui il est, parce qu’on ne l’a jamais rencontré et qu’il est dès lors très difficile de « l’appréhender ». Dans l’ignorance de l’autre, l’appréhension de son visage, de son identité est rendue beaucoup plus ardue. Il est encore plus fuyant, plus insaisissable, parce qu’il est encore plus indéterminé. Il devient monstre parce que ses contours me sont totalement inconnus. Finkielkraut reprend au début de son livre l’analyse que fait Levinas de l’expérience d’un enfant qui s’endort dans le noir. Pourquoi l’enfant a-t-il peur du noir? Parce que dans le noir il ne sait plus donner aux choses un contour clair. Parce que tout devient diffus, indéterminé. Le monstre qui se cache sous le lit peut avoir toutes les formes possibles et imaginables. C’est cette indétermination de l’être inconnu qui engendre la peur. Le racisme des villages est celui d’enfants qui ont peur du noir (et hop un jeu de mot, il faut aussi détendre un peu l’atmosphère de ce billet non ? Enfin je dis ça pour ceux qui sont arrivés jusque là).

Le racisme social naît dans l’adversité, dans l’affrontement qui fait s’opposer des communautés de races différentes. C’est le racisme qu’on rencontre dans certaines villes, certaines banlieues. L’autre est alors qualifié d’étranger après la rencontre qu’est la confrontation.

Je trouve important de bien faire cette distinction car elle permet de voir qu’on ne peut pas prétendre combattre le racisme en suivant une seule méthode. Le racisme ontologique se combat par l’éducation, par l’ouverture à l’autre, alors que le racisme social se combat beaucoup plus à travers des politiques économiques et sociales. Si on ne fait pas cette distinction on ne peut pas être efficace.

 

Venons en maintenant à l’antisémitisme. Au stade où j’en suis, je perçois deux éléments qui s’ajoutent dans l’antisémitisme. Tout d’abord il faut rappeler que le racisme contre les noirs ou les arabes fut et reste majoritairement tourné vers des populations très majoritairement inférieures aux blancs d’un point de vue social. C’est un rejet contre des défavorisés. La violence qui s’est exercée contre eux pendant tant de décennies vient en grande partie de là. Quand on tape sur un faible on fait beaucoup plus mal que quand on tape sur quelqu’un qui peut se défendre. Pendant longtemps les noirs sont restés perçus comme des sous hommes, comme des animaux même. Dès lors l’acharnement qu’on pouvait avoir contre eux était sans limite : non seulement ils n’étaient pas des hommes (donc il n’y avait aucune limite morale à la barbarie), mais en plus ils étaient faibles et dépourvus.

 

Le premier élément nouveau concernant les juifs, c’est qu’ils ne sont pas perçus comme une communauté faible. Cette perception engendre alors un paradoxe qui augmente l’insupportable : le visage du juif m’oblige tout autant que les autres mais en même temps il me dit qu’il n’a pas besoin de moi. Parce qu’il n’est pas faible, il s’en sort très bien tout seul. Alors même qu’il me demande de lui porter secours il m’indique combien je lui suis inutile. Qu’on me comprenne bien, cette sensation de la « force » du juif n’est pas à mon sens une réalité, elle n’est qu’un sentiment, une impression qui soutient chez l’antisémite sa réaction face au juif.

 

Le deuxième élément nouveau dans l’antisémitisme est celui-ci : alors que le visage du juif, parce qu’il est autre me rend responsable de son destin, il bloque a priori l’accès à lui. Avant même que j’ai esquissé l’intention de le comprendre, de le prendre en compte, il ferme la porte et me dit : « tu ne passeras pas ». Je (l’antisémite) perçois chez le juif une intention de ne pas être saisi. (ce point notamment reste faible, j’aurais besoin de le développer plus, j’espère dans un prochain billet).

 

Ici je me rattache à ce que j’ai appris de Laborit. Ces deux éléments que je viens d’indiquer comme étant spécifiques aux juifs renvoient tout à fait à la notion d’inhibition de l’action. Alors que dans le racisme basique contre le noir, ma haine peut se déchaîner à tout va, le juif lui me met dans une situation d’inhibition de l’action. Je ne peux rien pour lui, du moins est-ce ce qu’il me semble, et pire, il met lui-même à jour l’inutilité de mes tentatives pour l’appréhender. Voilà qui est susceptible d’augmenter encore plus ma rage et ma violence.

 

Il est tard, je vais arrêter ici ce billet qui est déjà un peu long. Il y a des éléments qui me laissent un peu insatisfaits, et notamment une imprécision sur certains points qu’il faudra que je revoie. Je vous livre tout de même ce texte ainsi, ce qui donnera la possibilité aux courageux qui sont allé jusqu’au bout de m’aider s’ils le souhaitent dans cette démarche.

 

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Commentaires

Bonjour Pikipoki, au petit déjeuner votre lecture est vivifiante pour la journée :-)
Je n'ai ni votre culture ni cet art si particulier d'alligner des mots sur une longue distance ... J'hésite d'ailleur à apporter un commentaire qui à la relecture une fois publié m'apparait le plus souvent comme un parasite a la recherche d'une symbiose qu'il ne trouve pas ...
Cette lecture (le billet ci-dessus) me laisse perplexe, en essayant de globaliser votre propos j'y vois un essais d'identifier hors de tout contexte une sorte de fondement originel de l'homme... Existe-t-il ? Est-il (s'il existe) constant dans le temps (un temps qui ne serait pas celui d'une vie) ? Je n'ais bien évidemment pas la réponse à ces questions. Alors si je regarde votre texte autrement (peut-être avec "ma différence" innée ou acquise) je me pose justement la question de savoir si votre réflexion qui écarte notamment : l'historique individuel et collectif de "l'humain", l'observation des autres "êtres vivants" qu'ils soient animaux ou végétaux, uni ou pluricellulaire, n'est pas vouée à une impasse car trop focalisé sur un point qui n'est peut être qu'individuel ....

Écrit par : Quoique | 17/11/2005

Quelques éléments complémentaires :
il me semble que l'homme n'est qu'un collectif, il n'a aucune survie possible seul. Cette notion est-elle inscrite dans son être à la naissance ou est-elle acquise ensuite ?
Lorsque vous explorer le visage de l'autre, vous n'utilisez qu'un seul sens : la vue. Pourquoi le privilégier, l'isoler ? Alors que l'ouie, l'odorat sont également présents et que les personnes aveugles sont bien également des "humains" ?

Écrit par : Quoique | 17/11/2005

Quoique
Votre dernier commentaire appelle une précision. Vous prenez trop lemot visage dans son sens littéral. Le visage n'est en quelque sorte que l'apparition physique de l'altérité de l'autre, de sa qualité d'être autre: il ne se réduit donc pas à deux yeux une bouche et un nez. Dans son exploration Finkielkraut aborde directement le lien amoureux (c'est quand même surtout l'amour le sujet de son livre) et entre autre il décrit ce qui se passe dans l'acte qui unit les chairs (ah c'est descriptions elliptiques pour enoblir nos paroles...). Dans la caresse que je fais sur le corps de l'autre, je transforme tout son corps en visage. Il devient tout entier altérité.

Dès lors vous comprenez que cette analyse n'exclut nullement les aveugles. Tous les sens peuvent être mobilisés pour découvrir le "visage" de l'autre.

Écrit par : pikipoki | 17/11/2005

Le racisme « ontologique » est celui de l’ignorance. Ce racisme là naît de la non connaissance de l’autre. C’est le racisme ..[blabla].., de la peur de l’autre parce qu’on ne sait pas qui il est, parce ..[ snip platitudes à propos du racisme] ».

Tiens, ...parlez-nous donc un peu du racisme qui nait, non de l'ignorance mais de la connaissance (si si ! ça existe, et c'est plusq fréquent qu'on ne croit). La connaissance de l'autre, justement. Qu'on voie un peu où vous en êtes ?

Écrit par : Naibed | 10/08/2007

Naibed
Je me trompe où vous êtes fâché? Pourquoi ?

Ah, non, ok. J'ai lu 2 secondes votre blog et je pense avoir compris. Et donc, vous imaginez que parce que vous connaissez les gens que vous haïssez, votre attitude est plus noble ?

Je relis encore, et en fait je m'aperçois que vous n'avez rien compris. Parce que vous ne savez pas correctement utiliser les mots que vous employez et que d'une certaine façon vous "les croyez sur parole" ces mots.

Connaître ? Vous voulez bien me dire où cela s'arrête lorsqu'il s'agit d'une personne? C'est vous qui avez déterminé la limite sans doute? Vous qui êtes juge de ceux qui connaissent et de ceux qui ne connaissent pas. Et bien sûr, ceux qui connaissent sont ceux qui pensent comme vous en réalité? Non? hm?

Je vous invite cordialement à lire un peu Lévinas, et vous comprendrez alors, peut-être, que lorsque l'on aborde une relation interpersonnelle, le faire sous le sceau d'une volonté de connaissance de l'autre est déjà le signe de l'ignorance, entendu dans le sens d'ignorer la personne, d'éviter ce qu'elle a de vraie en elle pour pouvoir à loisir l'enferme dans les petites cases qu'on a déssinées pour elle à l'avance. Il n'y a pas de connaissance des personnes qui vaillent, il n'y a que la connaissance de comportements qui est possible. C'est votre prérequis qui est déjà fautif. Pas étonnant que vous vous égariez par la suite.

Écrit par : pikipoki | 10/08/2007

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