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02/04/2006

La logique du pire

Ce billet a failli s’intituler « Le CPE est mort, et pourtant la lutte continue ! », pour rendre compte de la double impression étrange que j’ai ressenti  vendredi soir en entendant la déclaration de Chirac. Sans doute l’écho que rendait le son élyséen dans les premières minutes de l’allocution de notre président était-il le présage de cette confusion émotionnelle, confusion qui n’a fait que se renforcer lorsque l’on entendit les premières réactions syndicales et que l’on vit la défilé des jeunes commencer dans les rues parisiennes.

 

Car, comme Koz hier, il me semble vraiment qu’on a assisté vendredi soir à la mort du CPE. En entendant Chirac évoquer les modifications qu’il souhaitait voir porter à l’article 8 de la loi sur l’égalité des chances, la durée de consolidation ramenée à 1 an, et le motif du licenciement indiqué à l’employé, j’ai d’abord fais un bond de joie chez moi et esquisser un large sourire. Ca y était, Chirac donnait le dernier coup de canif dans un texte qui, à la lecture de la décision du conseil constitutionnel rendue la veille, m’avait déjà semblé affaiblit.

 

En effet, le CC indiquait clairement dans son considérant n° 25 que dans le cas éventuel d’un contentieux il appartiendrait à l’employeur de présenter les motifs du licenciement opéré. Il écrivait sur ce point :

« il appartiendra à l'employeur, en cas de recours, d'indiquer les motifs de cette rupture afin de permettre au juge de vérifier qu'ils sont licites et de sanctionner un éventuel abus de droit ; qu'il appartiendra notamment au juge de vérifier que le motif de la rupture n'est pas discriminatoire et qu'il ne porte pas atteinte à la protection prévue par le code du travail pour les femmes enceintes, les accidentés du travail et les salariés protégés »

 

A la lecture, il m’avait semblé qu’on avait là un point qui clarifiait très sûrement ce que plusieurs commentateurs juridiques avaient déjà soulevé sur leurs blogs respectifs, et qui affaiblissait considérablement l’un des intérêts que les défenseurs du CPE mettaient en avant.

 

La déclaration de Chirac qui enfonçait le clou en demandant que l’explication du motif soit donnée lors de la procédure de licenciement à l’employé, et qui réduisait la durée de consolidation, tout cela assorti en plus d’une période de suspension, m’apparaissait donc clairement être un enterrement, même si celui-ci ne disait pas son nom.

 

Mais rapidement j’ai déchanté. Je me suis demandé quelle allait être la réaction des différents syndicats et des jeunes qui manifestaient depuis des semaines. Allaient-ils saisir le coup porté au texte qu’ils honnissent ? Dans les premières secondes je les imaginais sabrer le champagne place de la Bastille. Mais j’ai vite pressenti que l’on serait loin du compte. Non, ils n’allaient pas être satisfaits. Ce serait même tout le contraire. Et les premières déclarations que j’ai entendues ont confirmé ce mauvais pressentiment.

 

Bruno Julliard, président de l’UNEF, puis Bernard Thibaut, secrétaire général de la CGT, déclaraient tour à tour leur indignation face à la déclaration de Chirac et leur intention de reconduire leur mouvement de protestation tant que le CPE ne sera pas purement abrogé. Je n’ai pas écouté la suite. La cause était entendue, et les jeux faits. En dépit du coup porté au texte, rien n’avait vraiment changé dans l’esprit des anti-CPE, et le conflit allait perdurer.

 

C’est à ce moment là que j’ai vraiment mesuré toute l’étendue de l’incompréhension qu’il y a entre le gouvernement actuel, et les protestataires. Leur dialogue de sourds en arrive à un point d’une redoutable absurdité, où la raison semble avoir définitivement quitté les protagonistes, et ici il faut le reconnaître, plus les anti-CPE que les autres.

 

Je crois en effet que ces derniers se sont piégés à cause de leur réaction initiale. Celle-ci était largement inspirée par le mépris affiché au début de cette affaire par de Villepin pour le débat avec les partenaires sociaux. Puisqu’il méprisait, il fallait pensait-on opposer un positionnement absolument intransigeant, qui établisse un rapport de force du même niveau que le mépris dénoncé. Et pour ce faire, il fallait un slogan simple, marquant, assorti à une intransigeance forte quant à la satisfaction de la revendication qu’il exprimait. Ce slogan ce fut : « retrait du CPE », et l’intransigeance c’était que rien ne serait possible sans ce retrait, et que cette fois-ci il n’y aurait pas de recul sur cette requête.

 

Dès que ce slogan était exprimé avec cette intransigeance quant à sa satisfaction, le piège était refermé, et il n’était plus possible de sortir de l’ornière. Parce qu’il était évident que le gouvernement n’allait pas faire marche arrière au point de supprimer totalement une mesure phare de son dispositif pour l’emploi. C’aurait été un reniement trop fort de son action, une humiliation insupportable, qui eût probablement été assimilée à un suicide politique.

 

Chaque camp s’est ainsi retrouvé dans l’impossibilité, qu’il avait construite lui-même !, de faire un pas véritablement constructif pour faire avancer le débat. Le gouvernement ne pouvait pas retirer son texte, les manifestants ne pouvaient plus faire marche arrière sur leur revendication : eux aussi se seraient reniés et décrédibilisés de façon bien trop forte pour que ça leur soit supportable.

 

On est très clairement ici dans un exemple remarquable d’orgueil poussé à la limite de la logique du déni. Impossible de faire marche arrière car ce serait un bouleversement trop important de l’équilibre psychologique que l’on a créé. Si le gouvernement recule et abroge son texte il reconnaît son incompétence et met sa maison en danger à l’approche d’échéances capitales. Si les protestataires acceptent de négocier ils prouvent que leur démarche jusqu’ici était mauvaise. Et ils en ont tant fait qu’ils auraient bien trop à se faire pardonner ! Cette situation serait insupportable psychologiquement, et la seule solution qui leur reste est donc de poursuivre, en montrant par une certaine logique du pire que puisqu’ils continuent, c’est bien qu’ils avaient raison avant.

 

C’est pour cela qu’il leur en fallait en fait très peu pour que l’on assiste à cela. Quoi qu’eût dit Chirac vendredi soir, à partir du moment où il annonçait une promulgation de la loi, la réaction des anti-CPE était jouée d’avance. Parce qu’ils s’étaient inscrits dans une logique qui les empêchaient de faire autrement.

 

Pourtant aujourd’hui, il va bien falloir en sortir de cette crise, parvenir à renouer le fil d’un dialogue qui, s’il n’est pas évident à établir avec un premier ministre autiste, n’en reste pas moins indispensable. Alors qu’elles sont les solutions pour en sortir ? Et bien franchement sur ce point je ne suis guère optimiste, et je crois que les prochains jours ne montreront pas d’amélioration, mais plutôt une dégradation.

 

Car pour sortir d’un processus de piège d’orgueil, ce qui fonctionne le plus souvent c’est l’excès de trop. C’est ce que l’on voit dans l’expérience de Stanley Milgram que j’ai déjà rapportée : à la fin du processus au cours duquel l’individu testé inflige des décharges de plus en plus fortes à un inconnu, ce qui fait qu’il cesse enfin cette torture stupide est la douleur excessive de l’acteur-supplicié, douleur dont le spectacle devient enfin plus insupportable au testé que la reconnaissance de sa faute.

 

J’espère me tromper, mais j’ai peur que l’on soit dans la même mécanique ici. Les syndicats ont déjà indiqué qu’ils ne voulaient pas négocier tant que le CPE ne serait pas retiré. Et le gouvernement ne s’est pas vu donné la mission de le faire. S’il n’y a pas de dialogue instauré, j’ai peur qu’un seul un excès de trop, un dérapage malheureux, ne soit l’alibi du nécessaire assouplissement du mouvement actuel. Et l’on constatera une nouvelle fois, trop tard et tristement, que l’orgueil est bien le pire et le plus sûr ennemi de la raison.

Commentaires

Effectivement, les acteurs se sont enfermés dans une impasse, à partir du moment où, en fait chacun a voulu la défaite de l'autre, au lieu d'en sortir dans une configuration "gagnant/gagnant". Mais c'est vrai que c'est plus facile à dire. comme tu le dis, le CPE a été imposé aux partenaires sociaux sans aucune discussion préalable. Les mouvements étudiants et lycéens (en tous les cas les militants) eux, ont la mémoire des luttes passées, ou on demandaient "le retrait" des mesures que l'on jugeait néfastes ("SMIC jeune", loi devaquet si tu savais...) et tout cela s'était soldés par une reculade du gouvernement d'alors. Les syndicats de salariès et partis politiques de gauche ont emboité le pas.
franchement, je pense que la plus grande par de responsabilité provient du gouvernement, et depuis vendredi du président, qui s'est refusé à demander une nouvelle délibération, seule porte de sortie vraiement honorable et... légale.
bien entendu, ce qui vient polluer une sortie de crise favorable, ce sont les prochaines échéances électorales : chacun (forces politiques) est arc-bouté sur la position qui leur semble la plus payante électoralement, celle de l'intransigeance. Si nous avions en France une gauche plus dégagée de ces échéances (je sais je suis un naïf), nous aurions des leaders qui feraient part publiquement que le CPE est bien virtuellement mort et que le gouvernement a perdu, qu'il faut maintenant accepter la discussion.

Écrit par : somni | 03/04/2006

Somni
globalement très d'accord avec toi, notamment, et c'est malheureusement bien évident, sur la pollution créée par les échéances électorales prochaines.
J'ai un peu fait exprès de souligner la part de responsabilité du camp des protestataires anti-cpe car je crois que c'est probablement celle qu'on a le plus de difficulté à identifier clairement (justement parce qu'elle n'est pas étiquettable aussi facilement qu'avec une question d'échéances électorales), mais à la vérité, l'attitude du gouvernement ne fait preuve de rien d'autre que de ce qu'ils donnent priorité à des tactiques politiciennes plutôt qu'à la conduite du pays.

Et comme toi je ne comprends pas que Chirac n'ait pas demandé une nouvelle délibération ce qui aurait été le plus sain. Il est à mille lieu de mesurer le pourrissement du pays, et se montre chaque fois qu'une occasion lui est donné de grandir un peu le débat d'une maladresse particulièrement coupable.

Écrit par : pikipoki | 03/04/2006

D'accord avec toi sur le cercle de l'intransigeance. Villepin s'est placé lui-même dans la situation de se voir opposé une demande jusqu'au boutiste, de par son absence de consultation, et le mépris qu'elle a constitué.

Il faut aussi saupoudrer le tout d'une bonne dose d'échéances présidentielles, qui expliquent en bonne partie l'intransigeance des uns et des autres.

Écrit par : koz | 03/04/2006

"Ce billet a failli s’intituler « Le CPE est mort, et pourtant la lutte continue ! », pour rendre compte de la double impression étrange que j’ai ressenti vendredi soir en entendant la déclaration de Chirac."

Même si, comme beaucoup d'observateurs, tu as conclu que le CPE était mort, ce qui es pour ainsi dire le cas, tu n'as pas pu l'écrire. Il reste un doute. Et dans le doute, les syndicats ne vont pas s'abstenir, comme tu le déplore.
Personnellement, j'estime, en tant que salarié (précaire: je n'ai jamais été employé en CDI), que vivre pendant un an (comme l'a proposé Chirac) en période d'essai est très difficile, voire insupportable. Il faut trouver une solution plus équitable dans laquelle le salarié, l'employeur et l'Etat feraient un pas en avant. Ici, on demande des efforts uniquement au salarié (et qui plus est au jeune, donc inexpérimenté), c'est trop dur.
Mais, à ce qu'il me semble, le mouvement a une porté qui dépasse de beaucoup le CPE. Le 21 avril 2002, la gauche a échoué et n'a pas dit pourquoi. Le 29 mai 2005, la gauche et la droite ont perdu sans en tirer de leçons. En novembre 2005, les provocations d'un ministre et une bavure policière ont déclenché des émeutes dans les banlieues et personne n'a fait son mea culpa. De janvier à mars 2006, des luttes internes au sein du gouvernement, attisées par l'attitude intransigeante des syndicats, ont conduit à la crise que nous observons aujourd'hui. Comme disait Brecht (si je ne me trompe pas) la catastrophe, c'est que tout continue comme si de rien n'était...

Écrit par : Eric Mainville | 04/04/2006

Bonjour Eric

Très d'accord avec vous sur le diagnostic. Certains bruits faisaient état d'un nouveau "Grenelle social" lancé par Chirac après la promulgation de la loi, tout ce qu'il a annoncé était une réflexion que devait porter le gouvernement sur les liens entre l'université et les entreprises, il est clairement loin du compte. Ces deux mandats auront vraiment été catastrophiques et à aucun moment il ne se sera montré à la hauteur de sa tâche.

Ceci étant, ce que je déplore ce n'est pas tout à fait que les syndicats tiennent le coup, mais plus le piège dans lequel ils me semblaient engagé et qui ne présageait rien de bon. Peut-être va-t-il cependant y avoir une porte de sortie avec les négociations avec l'UMP. Je l'espère.

Mais vraiment maintenant il est grand temps que les politiques réapprennent à communiquer. Tout cela ne fait qu'affaiblir le pays, et la démocratie avec, en favorisant les extrêmes par des votes de ras-le-bol.

Écrit par : pikipoki | 04/04/2006

Que le ministre de l'Intérieur, adepte d'une politique sécuritaire, auteur de lois très dures sur le controle des citoyens et d'une autre sur le contrôle de l'immigration, que cet homme, qui déclarait la semaine dernière au Parisien: " Je cherche à séduire les électeurs du FN" (http://fr.news.yahoo.com/29032006/202/sarkozy-je-cherche-seduire-les-electeurs-du-fn.html), que cet homme enfin soit désigné comme l'homme de la négociation et de la conciliation voilà qui illustre bien les paradoxe de la politique française... La presse anglo-saxone n'a pas fini de se moquer de nous!

Écrit par : Eric Mainville | 04/04/2006

L'extension abusive de la psychologie à la phénoménologie sociale est risquée. Elle procède de la certitude qu'on représente, soi, en soi, la logique nécessaire et la totalité du compréhensible...

L'analyse ici le cède à la culture de l'ordre, de la logique abstraite du légal entendu comme mathémathique, du social confondu avec une symphonie classique, en somme à la techné comme forme lisse d'un monde meilleur.

Je ne viendrai pas sur ce terrain, il suffit de lire de si nombreux textes bien plus réaliste.

En revanche je livre à la sagacité du dédain un élément sous-jacent qui passe particulièrement inaperçu :

L'enterrement des institutions de la Vème ne serait pas une mauvaise chose, ni pour la 'gauche', ni pour la 'droite'... Puisque les français n'ont pas voulu de la constitution européenne, et bien qu'ils réalisent que leur constitution est vaine... Peut-être seront-ils plus à même d'apprécier une nouvelle mouture européenne ?

;)

Cadeau especial pour Pikipoki !!!

Écrit par : Baal | 05/04/2006

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