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25/04/2006

Retour sur l'inhibition de l'action

Koz a publié hier un billet intéressant qui me donne l’occasion de revenir sur la notion d’inhibition de l’action. J’ai déjà abordé cette notion en filigrane dans plusieurs de mes billets sur la gestion du stress, et de façon plutôt appuyée dans mon billet sur la gratification et la concurrence, mais je voudrais y revenir à nouveau pour préciser certains points. Sans doute y aura-t-il quelques redites par rapport à ce que j’ai pu écrire ici ou là, mais après tout, la pédagogie c’est peut-être savoir répéter les choses en partant d’angles varié.

 

Un des éléments qui nous guide de façon universelle est la recherche de l’équilibre, c’est-à-dire de l’équilibre intérieur. Nous avons besoin de nous sentir bien dans notre corps (en bonne santé) et bien dans notre tête (équilibre psychologique). Il en va de même chez toutes les populations, et à toutes les époques, que l'on soit européen, chinois, congolais ou kwakiutl. En effet, à chaque instant, notre organisme réagis aux stimuli qu’il subit, afin de rétablir l’équilibre que ceux-ci peuvent fragiliser. Un peu comme un funambule avançant sur une corde mince, notre corps nous informe lorsque nous penchons trop à droite ou trop à gauche pour nous permettre de rétablir la situation initiale et de continuer à avancer.

 

Afin d’atteindre ou de conserver cet équilibre, nous mettons en œuvre tout une batterie de moyens, certains basiques (manger, dormir), d’autres beaucoup plus élaborés (comme réfléchir – il faudra que je revienne précisément sur ce point plus tard, dans un autre billet). Tous ces moyens, pour divers qu’ils soient, reviennent en fait à réaliser le même objectif : nous procurer un plaisir qui rétablit un équilibre perdu ou insuffisant. Par exemple quand j’ai faim, le ventre me tenaille et me fait un peu mal, j’ai alors besoin de stopper cette souffrance en m’alimentant, ce qui va me faire retrouver l’état d’équilibre dans lequel j’étais avant d’avoir faim (le fait que la nourriture soit bonne est un détail en fait, disons que si elle l’est, c’est un plaisir rajouté).

 

Ces plaisirs que nous recherchons, ce sont les fameuses gratifications dont j’ai parlé de façon plus précise dans le billet indiqué plus haut. C’est par l’obtention de ces gratifications que nous pouvons parvenir à conserver notre équilibre biologique (corporel et psychologique). Si l’on ne parvient pas à les obtenir, on se trouve alors constamment en situation de déséquilibre, de manque, et cela peut conduire à des dégradations importantes du comportement et/ou de la santé.

 

Or, dans la situation de concurrence inévitable créée par la recherche des gratifications, ce que les hommes ont trouvé de mieux pour s’assurer leur obtention c’est le pouvoir. C’est par le pouvoir que l’on parvient à se tailler une part plus grande de gratifications. Plus on a de pouvoir, plus on peut obtenir de gratifications, plus on peut se faire plaisir et, au-delà de la seule réponse à nos besoins, plus on peut répondre à nos pulsions orientées vers le plaisir.

 

Et inversement, moins on n’a de pouvoir, moins on peut obtenir de gratification et ainsi satisfaire ses besoins et ses envies. On est alors dans l’inhibition de l’action, c’est-à-dire dans l’incapacité d’agir nous-même pour obtenir nos gratifications. Cette situation met les personnes concernées dans une situation difficile à supporter, d’autant qu’elle s’accompagne souvent d’un sentiment d’injustice porté par la question: « pourquoi moi plutôt qu’un autre ? ». Mais étant faits comme les autres, ceux-là qui ont peu de pouvoir n’en ont pas moins de besoins et de désir que les « puissants ».

 

Il va donc leur falloir trouver des moyens dérivés pour parvenir à leurs fins. Des voies par lesquels ces personnes qui n’ont que trop peu de possibilités de se satisfaire vont pouvoir rétablir une forme d’équilibre, soit intérieur (un vrai équilibre donc, un équilibre objectif), soit vis-à-vis des supposés « puissants » (un semblant d’équilibre, un équilibre relatif – i.e comparé à celui des autres) Et l’un de ces moyens, c’est la violence. Celle-ci agit je crois selon deux axes : d’abord elle peut permettre de prendre le pouvoir, et donc d’atteindre un équilibre objectif, et ensuite, en privant les autres de leurs gratifications, elle réalise une forme de « justice », via un nivellement par le bas. « Je suis malheureux, peut-être, mais les autres aussi. Du coup je me sens mieux. »

 

On me rétorquera, et avec une certaine raison, que toutes les personnes appartenant aux couches sociales défavorisées n’ont pas recours à la violence. Certes. Mais je répondrai que ce n’est qu’en vertu du fait que le recours à la violence engendrerait pour elles un déséquilibre encore plus fort, né de ce que celui-ci entrera en conflit direct avec leurs valeurs. Mais le jour où le déséquilibre social surpassera le déséquilibre qui naîtrait par la violence, alors ces personnes risquent fort d’avoir recours à la violence (qu’on pense seulement à une personne sans le sou qui en est réduite à voler. Humainement, sommes-nous nombreux à l’en blâmer ? Et pourtant elle use bien d’une méthode violente).

 

En d’autres termes, la situation d’inhibition de l’action est un facteur qui accroît, et de façon très importante !, le risque d’un recours à la violence, même s’il n’est pas seul à l’expliquer.

 

Voilà qui éclaire, en tout cas je l’espère, avec quelques précisions l’interrogation de Koz sur son blog. Le problème n’est pas tant la peur de l’inéluctable que la difficulté pour certaines catégories de personnes de satisfaire, comme le font tous les autres, leurs besoins et leurs envies. Koz a en revanche raison lorsqu’il indique que les gens ont probablement le sentiment grandissant de n’être plus que des pions dont certains usent à leur guise, et qui n’ont plus véritablement voie au chapitre.

 

Et on comprend aisément que la mondialisation accroît encore cette crainte. Dans un pays de 60 millions de personnes, nombreux sont déjà ceux qui estiment que leur voix ne compte pas, qu’ils ne peuvent rien changer au cours des choses (pour ma part je reste toujours sidéré du pourcentage d’abstention lors des élections, quelles qu’elles soient), alors dans un monde de 6,5 milliards d’individus… Le sentiment de dilution est immense, et avec lui, la perception d’une inhibition de l’action, d’une impossibilité d’agir et de s’exprimer autrement que vers des murs.

 

Je crois que c’est ce point qui constitue le principal défi et le principal intérêt de la décentralisation. En permettant aux personnes de retrouver une voix et un impact au niveau local on peut leur redonner le goût d’agir. Pour cela, il faut d’abord que la décentralisation soit réelle et que les décisions locales portent sur des points importants, soient véritablement relayées aux niveaux supérieurs, mais aussi que les mécanismes décisionnels soient plus transparents et mieux connus pour que l’on puisse sentir l’impact complet des mesures adoptées localement, et qu’on comprenne dans quel mouvement elles s’inscrivent.

Commentaires

Vous oubliez le rêve...

Écrit par : Quoique | 26/04/2006

Que voulez-vous dire au juste ? Que ces gens n'ont plus la possibilité de rêver ? D'avoir des projets ?

Écrit par : pikipoki | 27/04/2006

Les commentaires sont fermés.