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08/09/2006

Première critique envers Laborit: retour sur la dominance et la gratification

medium_gants_de_boxe.jpgJe voudrais aujourd’hui proposer une critique au billet que j’ai posté mardi sur le naturel et la mémoire. Dans ce billet, on a pu entrevoir que Laborit attribuait une grande importance aux stratégies de dominance dans nos comportements. Dans les processus de réenforcément (c’est-à-dire la répétition d’actions spécifiques) nous dit-il, nous cherchons en premier ressort à établir notre dominance sur notre environnement (géographique et social) afin de nous donner la meilleure garantie d’obtenir nos gratifications. De cette observation, Laborit tire une analyse générale sur la construction de hiérarchie à laquelle la plupart des sociétés modernes ont aboutis.

 

Pour reprendre, rapidement, son idée, des individus se trouvant sur le même territoire, territoire qui contient un certains nombres de gratifications, vont s’affronter pour l’obtention de celles-ci, guidés qu’ils sont par le maintien de leur homéostasie, ou, dirait Freud, par leur principe de plaisir. Cet affrontement va résulter en l’établissement de dominances entre les uns et les autres, déterminant ainsi la quantité de gratifications que chacun va effectivement pouvoir obtenir. C’est ainsi que Laborit affirme que la notion de propriété (et non pas l’instinct de propriété, celui-ci n’existant pas puisque la notion de propriété est une chose apprise et nullement innée) est à la source de la guerre.

 

Mais donc, je voudrais proposer une critique de la vision de la dominance selon Laborit. Car à la lecture, qui reste forcément partielle, de ses travaux, il me semble qu’il envisage les notions de dominance et de gratification de façon trop monolithique. Il raisonne en effet en glissant à mon avis trop facilement du concept général, à son application concrète dans la vie de tous les jours. Et ainsi, d’une analyse globale, il passe à l’observations de comportements spécifiques, sans pour autant intégrer les circonstances et les contingences qui les entourent.

 

Je m’explique.

 

Lorsque Laborit explique les comportements de réenforcement, qui sont donc directement orientés vers la recherche de gratifications, il utilise ce terme de gratification sans aucune nuance, sans vraiment poser la question de ce qui constitue une gratification. On comprend bien que pour ce qui est des besoins fondamentaux (manger, boire, dormir, se reproduire), il n’y a pas vraiment place à la confusion les concernant. On mange afin de combler un déséquilibre dont notre corps nous a informé lorsque nous avions faim. Notre appétit comblé, nous avons retrouvé notre homéostasie.

 

Mais il n’est pas besoin de beaucoup réfléchir pour comprendre qu’en dehors de ces besoins fondamentaux, on trouvera sous ce seul mot de gratification, des éléments très variés, et dont certains même pourraient nous sembler parfaitement opposés. On m’excusera, je l’espère, d’illustrer ce propos avec un exemple classé X, mais il me semble vraiment bon, donc je n’hésite pas plus.

 

Lorsque deux personnes cherchent à satisfaire leurs désirs sexuels, elles peuvent tout à fait, alors qu’elles recherchent toutes les deux une même chose, le plaisir, envisager des moyens opposés pour obtenir celui-ci. C’est ainsi que dans les pratiques sado-masochistes, certains vont préférer occuper la place du maître-bourreau, alors que les autres vont préférer jouer le rôle de la victime soumise. Et d’ailleurs dans ce cas, leurs "stratégies" pour obtenir le plaisir sont tout à fait complémentaires, puisque l’un va avoir besoin de l’autre pour se satisfaire. Leur recherche de plaisir, loin d’aboutir à une confrontation, si ce n’est celle des chairs, passe au contraire par une forme de collaboration.

 

Ainsi, si le principe de plaisir est effectivement le même pour chacun de nous, il s’en faut de loin que nous ayons tous une vision identiques des moyens qui permettent de l’atteindre. Nous voyons bien ici, que le schéma de deux personnes s’affrontant pour obtenir la même gratification est trop simpliste, puisque les personnes ne seront pas toujours au même moment à la recherche des mêmes gratifications, et qu’il ne saurait donc en résulter de façon systématique un affrontement.

 

D’ailleurs, on entrevoit déjà avec mon exemple l’autre flanc de ma critique. Car Laborit est trop restrictif lorsqu’il envisage la dominance comme la principale stratégie pour obtenir nos gratifications. On l’a vu dans le cas d’une relation sexuelle sado-masochiste, les partenaires entrent dans une relation de collaboration afin de satisfaire l’un et l’autre leur désir. On pourrait dire qu’ils passent un accord pour que l’un donne à l’autre ce qu’il désire, en échange du plaisir qu’il recevra en retour.

 

medium_poignee_de_main.2.gifEn gros, ils négocient. Voilà un aspect oublié par Laborit dans son analyse. Au-delà de la stratégie de dominance, qui reste une attitude assez primitive, les hommes ont su trouver d’autres méthodes pour satisfaire leurs besoins et se faire plaisir. Petit à petit, au fil des siècles, ils ont mis en place des structures qui encadrent leurs activités, et ils ont trouvé des modes de fonctionnement qui répondent de façon efficaces à leurs attentes. Bref, ils se sont mis à négocier, et à collaborer.

 

Je sais qu’il existe déjà une littérature fournie sur ce sujet, les économistes qui me lisent peut-être ont déjà de multiples exemples en tête pour illustrer ceci. Mais je voudrais tout de même proposer mon petit exemple, parce qu’il me plaît (vous pouvez tout de même sauter la suite de ce paragraphe, et le suivant, si vous le souhaitez). Imaginons deux gamins un peu filous qui veulent aller profiter du pommier du voisin Alfred pendant que celui-ci s’est absenté. Il leur faut pour cela passer au-dessus du mur de clôture de la maison d’Alfred, mais tous les deux sont trop petits pour y arriver seuls. Toutefois, ils peuvent le faire s’ils se font la courte échelle.

 

Victor et Michel passent alors un deal, c’est Victor qui soulèvera Michel à l’aller, et Michel qui soulèvera Victor au retour. Evidemment on se dit que Michel pourrait tout à fait, une fois qu’il est sur le mur, décider de ne pas aider Victor à le rejoindre, et ainsi profiter de toutes les pommes pour lui tout seul. Mais ce serait en vérité un bien mauvais calcul, car alors il se priverait très probablement de la possibilité de rééditer ceci une prochaine fois, Victor n’acceptant pas de se faire pigeonner à deux reprises. Mais surtout, il serait bien en mal de revenir chez lui puisqu’il serait toujours incapable de franchir le mur au retour et se retrouverait ainsi piégé. On voit bien ici que les deux galopins vont devoir négocier et se mettre d’accord pour arriver à leurs fins. S’ils s’affrontent au contraire, cela résultera en une perte pour les deux.

 

Les économistes, s’il y en a qui me lisent, trouveront tout cela particulièrement évidemment. On ne fait en effet ici que redécouvrir la théorie des jeux, et, si je ne me trompe pas, en particulier celle des jeux à somme nulle (comme le dilemme du prisonnier). Cette théorie montre bien qu’il existe d’autres stratégies que la dominance pour arriver à ses fins, et que celle-ci ne saurait donc pas être envisagée comme la seule permettant de répéter nos actions gratifiantes. En fait, il n’est pas interdit de penser que dans tous les cas où les gratifications seront suffisamment nombreuses pour tout le monde, on aura plus intérêt à établir des stratégies de collaboration que de dominance pour les obtenir.

 

Mais il faudra que je revienne sur ce point dans un autre billet, pour cette fois-ci apporter un élément de soutien à Laborit.

 

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Commentaires

Sabre de bois !
Quelle intensive productivité ces jours derniers...

Écrit par : aymeric | 08/09/2006

et les billets, excellents...

Écrit par : . | 10/09/2006

Aymeric
C'est que j'avais à me faire pardonner ces derniers mois !

Écrit par : pikipoki | 11/09/2006

"Cette théorie montre bien qu’il existe d’autres stratégies que la dominance pour arriver à ses fins, et que celle-ci ne saurait donc pas être envisagée comme la seule permettant de répéter nos actions gratifiantes."
A cela je réponds :
La dominance n'est pas une stratégie en elle-même.
C'est plutôt la stratégie qui est une manière de dominer !
De plus, Laborit n'a pas évoqué la négociation, car elle est simplement une des multiples possibilités d'établir sa dominance...
Par exemple, il parle d'individus qui s'associent, en groupes, états, pour établir leur dominance.
Ou pour le moins, éviter la souffrance et donc maintenir leur structure biologique en fonctionnement.

En résumé, la collaboration, négociation sont des stratégies particulières pour obtenir une gratification ou éviter une souffrance.
Quant au rapport de force, il s'établira de lui même dès qu'une autre entité (individu, groupe, état, ...) entrera dans le "territoire" (lieu où se trouve la gratification).

Quant au calcul de Victor et Michel, Laborit affirmait que le néo cortex, doué pour la réflexion, ne servait qu'à justifier la dominance (déculpabilisation ?) et élaborer des stratégies pour mettre le rapport de force de leur côté....

Écrit par : Jean | 12/09/2006

Bonjour Jean

Content de te voir à nouveau dans ces parages, et merci pour ton commentaire qui apporte vraiment du fond à tout ça. En fait, ce que tu décris, c'est il me semble un glissement du rapport de dominance d'un individu, vers un autre. En gros, Victor et Michel sont entrés en partenariat, mais ils ne cherchent pas moins à exercer une dominance envers ceux qui n'y sont pas encore et qui pourraient entrer en concurrence avec eux pour obtenir les gratifications du territoire.

Mais la relation dominant-dominé entre eux à disparu. Et de la même façon, il me semble qu'on peut tout à fait envisager que ce rapport de partenariat d'étende au delà de leur duo. C'est bien ce qui se passe au niveau des états avec la création de regroupements tels que l'ONU, ou l'OTAN, etc. On pourra certainement trouver encore des relations de dominance en leur sein, mais ces organisations tendent vers cette relatioin de partenariat.

Et ainsi, il ne me semble pas totalement impossible (enfin surtout d'un point de vue théorique) que la dominance soit remplacée partout par une forme de collaboration.

Écrit par : pikipoki | 12/09/2006

"Et ainsi, il ne me semble pas totalement impossible (enfin surtout d'un point de vue théorique) que la dominance soit remplacée partout par une forme de collaboration."

Oui, c'est théorique en effet ! (hélas !)
La collaboration trouve sa raison dans le fait de mieux établir sa dominance.
Sociétés secrètes, cercles, réseaux d'influences, anciens élèves, ... pour un but assez simple : tirer son épingle du jeu de cette foire d'empoigne qu'est devenue notre société !

Que cette dominance soit remplacée par une forme de collaboration tient du rêve !
Selon Laborit, sans conscience des mécanismes qui sous tendent nos actions, aucune révolution n'est possible ... et l'histoire lui donne raison !

Quant aux anarchistes, là aussi l'histoire montre l'impossibilité de créer une collaboration qui tienne dans le temps ... (histoire de l'exclusion de la CNT, des phalanstères, des communautés, par exemple ...)



Je suis allé un peu trop vite en parlant des anars, mais pour que ton rêve de dominance remplacée par la collaboration soit possible, cela suppose que les dominants acceptent de rendre leur pouvoir .... bon courage !!!

Au fait, je ne savais pas que tu étais un anarchiste dans l'âme .... :o)

Écrit par : Jean | 13/09/2006

Jean
Je crois qu'on se rejoint pas mal sur la difficulté de passer de la possibilité théorique à la réalité pratique. En fait, Laborit lui-même ne rejetait pas cettepossibilité théorique puisqu'il disait dans L'Agressivité détournée que l'on ne parviendrait pas à se défaire de la volonté de dominance tant que l'homme ne serait pas planétisé. Cela laisse entrevoir, que cette planétisation serait la solution qui rendrait inefficace la dominance.

Mais j'espère revenir un jour sur la critique faite dans ce billet, et, comme je l'indiquais, ajouter cette fois-ci de l'eau au moulin de Laborit.

La suite par mail, je voudrais te poser une question.

Écrit par : pikipoki | 13/09/2006

Il est constructif de tenter une critique de l'oeuvre de Laborit et cela mérite, en soi, des félicitations.
Cependant, ton raisonnement me semble invalide en de nombreux points puisque ses prémisses ne sont pas exactes et donc que la conclusion à laquelle ils mènent (Laborit a une vision réductrice de la dominance et de la gratification, du plaisir) est fausse.
Je te cite "Et d’ailleurs dans ce cas, leurs "stratégies" pour obtenir le plaisir sont tout à fait complémentaires, puisque l’un va avoir besoin de l’autre pour se satisfaire. Leur recherche de plaisir, loin d’aboutir à une confrontation, si ce n’est celle des chairs, passe au contraire par une forme de collaboration"
Puis plus loin "le schéma de deux personnes s’affrontant pour obtenir la même gratification est trop simpliste, puisque les personnes ne seront pas toujours au même moment à la recherche des mêmes gratifications, et qu’il ne saurait donc en résulter de façon systématique un affrontement"
Laborit n'a jamais prétendu que le plaisir ne pouvait naitre que de la dominance ou bien que la recherche du plaisir aboutissait nécessairement à un affrontement. Tu fais l'erreur logique de prendre une composante du raisonnement de Laborit sur la recherche du plaisir, de la gratification (le cas où deux individus vont s'affronter pour obtenir, par exemple, la gratification née de l'obtention d'un poste dans l'entreprise) et de généraliser ce cas à l'ensemble de sa théorie. Laborit s'est évertué, et c'est une constante dans son oeuvre à montrer que l'individu pouvait tirer son plaisir d'autres moyens non conflictuels tels la satisfaction des besoins primaires du cerveau reptilien (manger, baiser etc.) ou encore des champs d'actions infinis que nous permet notre capacité humaine singulière à imaginer, à désirer l'autre et pas seulement à le dominer. Il souligne à quel point l'homme souffre d'oublier ses fondations, poussé qu'il est par la société de la compétition acharnée à se sublimer, à conditionner bêtement son plaisir à l'ascension dans les hiérarchies sociales fonctionnant par définition sur la domination.
"Nous ne sommes que les autres", voilà ce que nous dit Laborit, ce sont les relations que nous nouons avec eux qui nous permettent d'apprendre à marcher, à parler, à devenir des hommes. La dominance n'est qu'un apprentissage qui prend ses racines dans l'enfance (l'appropriation de sa mère comme source de plaisir premier). En tant qu'apprentissage, nous sommes capables de le relativiser et de trouver d'autres voies que la dominance et l'appropriation pour assouvir nos plaisirs, même s'il est ardu de s'en débarasser totalement, les automatismes étant profondément ancrés.

Il raisonne ainsi dans un passage d'"Eloge de la fuite" : Lorsqu'il a connu les lois de la gravitation, l'homme a pu aller sur la lune, ce qui ne veut pas dire qu'il s'est débarassé de la gravitation. Il en est de même pour la dominance : Si tous les hommes comprenaient les mécanismes socio-culturels et biologiques qui les poussent à la dominance, ils pourraient dans bien des cas éviter de faire de la dominace.

Ces considérations mises à part, je te félicite chaudement pour ton blog qui est très intructif.

David.

Écrit par : David | 18/09/2006

David
Merci pour ce commentaire aussi interessant que limpide.

Je reviens rapidement dessus. Il me semble d'abord que ce que vous dites va finalement plutot dans le sens de ma conclusion et de mes propres commentaires. Ce qui en revqnche meritait d'etre remis en perspective, et vous l'avez bien fait, c'est l'idee que Laborit insiste de facon monolithique sur la notion de dominance.

Toutefois, il me semble que votre remarque peut etre egalement nuancee. Car ce que vous indiquez est essentiellement le comportement de fuite qui permet, efefctivement, de trouver d'autre sources de gratificatuion que pqr la dominance. Cependant, ce comportement n'est mis en oeuvre que dans des conditions specifiques, si je ne me trompe pas.

Laborit motre en effet quelles sont les trois grqnds types de reations face a une agression: en priorite, vient la lutte, c'est-a-dire que chaque fois qu'on le pourra on entrera en lutet avec l'agresseur, afin precisement d'etablir notre dominance sur lui. Ensuite, lorsqu'on ne peut lutter, on va choisir de fuir, afin de trouver par d'autres voies de nouvelles gratifications qui retablissent notre equilibre. Enfin, vient l'inhibition de l'action, la troisieme ''voie'', qui est le comportement de celui qui ne peut ni lutter ni fuir (l'ouvrier oppresse par son patron).

Mais donc d'une facon generale il me semble bien que Laborit considere que la methode que nous employons de facon privilegiee et chaque fois que nous le pouvons est bien celle d'etablri notre dominance. Mais il faudra que je revienne sur la notion de fuite plus tard. Pour l'instant je vais aller me ballader sur la plage, et peut-etre piquer un plongeon!

Pardon aux autres commentateurs, je ne peux repondre a tous actuellement, meme si j'ai vu pas mal de choses interessantes. Peut-etre trouverai-je du temps pour le faire plus tard, mais je ne peux rien promettre.

Écrit par : pikipoki | 19/09/2006

C'est par hasard que je suis tombé sur cette discussion très interessante, et me permet d'y mettre mon opinion.L'idée de laborit que la nature utilise la dominance ( force ? ) pour arriver à la gratification me semble juste si on souligne qu'il s'agit ici d'un stratégie d'un cortex primaire ( le crocodile ne fait pas de deal ). Ce n'est que par l'arrivée du cortex limbique et du néocortex que le mammifère à eu la possibilité d'établir des stratagèmes plus complexs. Mais il ne faut pas oublier lequel des trois cerveau réagit en premier...., c'est bien le cortex archaïque.
Son rôle c'est le maintien de sa structure par la dominance sur son environnement.Déjà dans une situation de stress ( danger ) il n'y pas de temps à la collaboration, même pas chez l'humain . Le lobe frontal du néocortex n'étant pas assez rapide pour proposer une solution. Peut-être dans 400.000 ans avec un néocortex qui trravail avec 4 milliards bytes par seconde ( vitesse des connexions archaïques )
pascal

Écrit par : pascal | 21/09/2006

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