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14/04/2007

La légende des comportements : l'agressivité défensive

medium_chien_de_garde.jpgDepuis le début de ma série sur la légende des comportements, j’entame chaque billet de description des réactions types à l’agressivité d’un rappel des trois formes que ces réactions peuvent prendre : agressivité, fuite, ou inhibition de l’action. On comprend je le suppose que l’agressivité dont il est question dans cette liste est l’agressivité défensive, puisqu’elle intervient en réaction à une agression extérieure intervenant précédemment. Elle ne s’exprime pas d’elle-même ex nihilo si l’on peut dire.

L’agressivité défensive est mise en œuvre par l’individu afin de détruire l’agent agresseur qu’il subit. A bien y réfléchir, cette stratégie est, au moins à court terme, la plus efficace pour assurer la conservation de la stabilité de l’individu. En effet, fuir ne garantit pas dans l’absolu que l’agent agresseur ne refasse surface et nous oblige à nouveau à fuir. Alors qu’une fois détruit, il ne saurait à l’évidence plus nous créer aucun dommage. Mais évidemment, cela ne prend pas en compte les représailles qui peuvent parfois survenir par la suite.

Laborit indique que cette agressivité défensive est d’abord un comportement inné, puisqu’il met en jeu ce que l’on appelle le « periventricular system » ou PVS qui met en jeu une batterie de voies cérébrales faisant appel à l’acétylcholine comme médiateur chimique (on dit que le PVS est « cholinergique »). Elle ne devient une agressivité relevant d’un comportement appris que si son résultat a été bénéfique à l’individu qui aura alors mémorisé l’expérience positive vécue suite à cette l’utilisation de cette agressivité défensive. L’activité de sa mémoire pourra alors lui permettre d’effectuer du réenforcement, en faisant appel à la même stratégie pour obtenir le même résultat positif.

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Aparté : j’ai hésité à mentionner dans le court paragraphe qui précède le PVS et son fonctionnement cholinergique, car je ne pense pas que ce point puisse réellement être bien compris, et qu’il apporte quelque chose à la discussion. Finalement, je l’inclus pour expliquer un point comportemental auquel je tiens :

Si je le laissais tel quel, sans cet aparté, il ferait très bel effet dans mon billet, et lui donnerait un caractère savant qui en augmenterait très probablement la crédibilité aux yeux des lecteurs, et partant mon aura auprès de vous. Mais je trouve en fait ce procédé parfaitement factice et trompeur.

Que se passe-t-il à la lecture de ce passage ? Et bien en quelque sorte je donne des gages de ma crédibilité sur cette question, je balise le terrain en intimidant en partie le lecteur, ce qui inhibe la propension qu’il aura à répondre et notamment à s’opposer. En revanche, puisque je suscite son admiration par l’étalage d’un prétendu savoir, j’augmente les chances qu’il s’aligne sur mon discours, utilisant ici à plein le processus de miroir des valeurs qui existe chez chacun de nous : approuver le discours d’une personne savante et reconnue pour ses qualités, et augmenter ainsi sa propre valeur aux yeux des autres (du moins c’est ce qu’on espère). Vous comprenez qu’on est là en plein processus de manipulation. La difficulté est que celle-ci est particulièrement subtile, puisque cachée derrière un discours qui est peut-être réellement savant, et surtout qu’elle est quasiment une auto-manipulation, issue du besoin de reconnaissance que nous avons tous.

Mais ce processus me semble relativement répandu. On le voit notamment dans la propension de certains à constamment citer de grands noms pour exprimer des idées somme toute pas bien compliquées (franchement, citer Voltaire pour dire que quelqu’un qui n’a pas notre avis a tout de même le droit de s’exprimer, j’ai toujours trouvé ça étrange), parce que ces grands noms apportent une grandeur et un caractère inattaquable au discours tenu (« quoi, tu oses t’opposer à Voltaire ? tu te prends pour qui ? »).

Tout ce que je dis ici ne signifie pas que je pense qu’il faut se méfier des discours savants. Ce dont il faut se méfier c’est de nous-mêmes et de notre besoin de reconnaissance qui se traduit parfois par des prises de position à l’aveugle, uniquement faite sur l’aura, sur l’apparence du discours ou du comportement que nous observons. C’est là que le risque d’être trompé se situe. Et il est d’autant plus redoutable que puisque nous nous serons trompés nous-mêmes, il nous sera plus difficile de revenir dessus et de changer d’attitude.

Par exemple, pour ce qui concerne ce billet, je n’ai fait que recopier presque mot pour mot quelques lignes de la Colombeassassinée, déjà abondamment citée ici. Ne vous sentez donc pas en situation d’infériorité de savoir, vous auriez tranquillement pu en faire autant que moi.

Fin de l’aparté

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Cependant, plusieurs expériences montrent qu’en réalité c’est encore la place de l’acquis qui est la plus importante dans l’expression de l’agressivité défensive. Un bébé naissant dans un milieu apaisé montre rarement un comportement agressif. Ce n’est que par l’apprentissage et la mémorisation du succès de ses colères qu’il développera un comportement réellement agressif envers son entourage. Mais on retombe là dans les explications fournies par Xavier chez lui et que j’ai déjà évoquées.

La difficulté d’analyser l’agressivité défensive vient en fait de sa très grande proximité avec l’agressivité de compétition. En effet, il est bien peu aisé de distinguer entre eux les cas d’agressivité défensive, et ceux d’agressivité de compétition. Lorsque le peuple se soulève pour renverser ses maîtres dictateurs, on peut analyser cela comme l’expression d’une agressivité de défense en réponse au joug autoritaire subit, mais également comme l’expression d’une volonté de devenir soi-même dominant, ce qui revient alors à une agressivité de compétition. Pour soutenir ce deuxième angle de vue, je rappelle que ces braves gens mis en capacité à devenir eux-mêmes tyrans à la place des tyrans seraient bien peu nombreux à s’en priver.

C’est toute l’ambigüité du « jeu social » qui s’exprime dans la difficulté à établir cette séparation. Et une partie non négligeable de l’enjeu des réponses que l’on peut donner à l’agressivité des révoltes. Car si celle-ci est une agressivité défensive, l’analyse qui la déculpabilise détient alors une part de vérité qu’on aurait tort de négliger, tandis que dans le cas contraire, il apparaît plus difficile de défendre ces comportements, l’agressivité de compétition pouvant s’exprimer autrement que par des destructions physiques. Mais je compte revenir de façon plus spécifique sur ce point dans mon prochain billet sur l’agressivité d’angoisse et d’irritabilité, celle faisant suite notamment aux situations d’inhibition de l’action. Il me semble qu’une grande partie de l’enjeu social d’unité d’un peuple se trouve là.

 

 

P.S: il y a un article intéressant, ici, qui revient en détail sur le fonctionnement biologique du cerveau dans le cadre d'une réponse au stress et à l'agressivité.

 

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Commentaires

Un article qui devrait t'interesser :

http://neweconomist.blogs.com/new_economist/2007/04/sonja_lyubomirs.html

"""
The April issue of Scientific American has an article about Sonja Lyubomirsky, professor of psychology at UC Riverside. The conclusion of her research, as reported in the SciAm article, The Science of Lasting Happiness, is that it is possible to lastingly increase your happiness, but this takes work. Through consistent application of intentional activities, such as “random acts of kindness”, we can become happier and stay that way.
"""

Il me semble que certains de tes premiers articles etaient sur le même sujet :).

Écrit par : Laurent GUERBY | 16/04/2007

Alors là merci Laurent. L'apport des actes gratuits en faveur des autres et pour moi une très intime conviction. C'est un truc que je sens. Trouver une étude qui le démontre de façon un peu sérieuse ne m'étonne pas. Merci pour le lien en tout cas, que je vais sans doute exploiter pour revenir sur cette question.

Écrit par : pikipoki | 16/04/2007

Cette série de billets sur l'agressivité est un vrai régal, sans compter le petit aparté sur la manipulation qui, de surcroit, porte sur exemple précis de ton discours et prends tout son sens au moment de la lecture car on se prends à dire "hé, mais ouais!".

C'est génial.... :)


Et, du coup, je me suis demandé, en poussant un peu le vice, si on peut considérer que (si on exclu le fait que l'on a quand même une grande confiance en notre hôte et qu'on ne remettra pas en cause la sincérité de ton discours :)) le fait de donner à un interlocuteur le clés pour dénicher les possibles "pièges" dans notre discours, pourrait constituer une forme de manipulation encore plus subtile... (bon, j'admet, à raisonner comme ça, c'est sans fin et c'est des coups à devenir parano.... mais, justement j'ai envie de dire, ça pose presque le problème, très délicat, de savoir où commence les échanges sincères et désinteressés et où s'arrête les discours manipulateurs....)

Écrit par : Narshen | 18/04/2007

D'une certaine façon, nous nous influençons tous en étant en contact les uns avec les autres. On ne peut sans doute pas dire pour autant qu'il s'agit là exactement de manipulation.

Écrit par : pikipoki | 19/04/2007

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