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05/03/2007

Le libre arbitre et l'ignorance

medium_point-d-interrogation.jpgLe 5ème billet prévu dans ma série sur le libre arbitre doit aborder la question de la connaissance. Pour être franc, ayant maintenant un peu de recul sur ce que j’ai produit sur le sujet du libre arbitre, je ne suis pas sûr que ce que je voulais dire sur ce point spécifique de la connaissance soit franchement déterminant et mérite plus qu’un court détour. Mais je vais tout de même me tenir au programme que je me suis fixé, et vous entretenir durant quelques courts paragraphes de cette question.

 

Mon idée sur ce point est que nos actions sont souvent bien plus le reflet de notre ignorance que de notre volonté. Dit autrement, si nous en savions plus sur les événements dans lesquels nous nous trouvons, sur les causes qui les provoquent, sur celles qui peuvent conduire aux effets que nous souhaitons, et bien nous agirions souvent d’une façon toute autre que celle que nous mettons en œuvre.

 

Dit encore d’une autre façon, il me semble que si l’on y réfléchit bien, en supposant que chaque homme ait une connaissance parfaite en toute chose, je ne vois pas de raison pour que ceux-ci, plongés dans des situations identiques, agissent de façons différentes. Car je prends pour acquis que fondamentalement nous aspirons tous à la même chose : le bonheur. Si donc, nous avions tous acquis une connaissance parfaite des moyens d’y parvenir, des comportements qui y donnent accès, je ne vois pas de bonne raison qui pourrait expliquer la si grande diversité de nos comportements d’un individu à l’autre.

 

On m’objectera probablement que cette vision des choses ignore totalement la notion de caractère. Et que Jean n’ayant pas le même caractère que Sophie, il est incorrect de prétendre que, tous deux placés dans une situation identique, agiraient de la même façon. Car notre comportement est bien la résultante de la façon dont nous (en fonction de notre caractère) interprétons et interagissons avec notre environnement. Et que leurs causes ne peuvent donc être réduites aux influences des circonstances, ce que mon paragraphe précédent pourrait laisser croire.

 

Mais même sur ce point, mon idée me semble valide. Car une connaissance parfaite des choses, par définition, ne peut être qu’une. C’est-à-dire qu’il ne peut en exister plusieurs. C’est l’essence de la notion de perfection que d’interdire la diversité. Puisque tout écart, tout changement vis-à-vis de cette perfection, quand bien même celle-ci ne serait qu’une hypothèse d’école, ne peut qu’être une dégradation, une corruption de cette perfection. Ou alors c’est que l’élément dont on s’est écarté n’était pas la perfection.

 

La diversité de nos caractères n’indique donc que leur imperfection. Ce qui signifie in fine, qu’ayant une connaissance parfaite des choses, on doit probablement supposer que nos caractères eux-mêmes seraient identiques, bien qu’on les perçoit toujours comme étant en nous comme des noyaux identitaires intouchables. D’ailleurs pour enfoncer le clou, nos caractères ne sont en réalité que la résultante de notre éducation, de ce que notre environnement à mis en nous. Or ces éducations, si elles étaient imprégnées d’une connaissance parfaite de ce qui vaut le mieux pour nous, n’auraient pas de raison d’être différentes. Et partant, elles formeraient probablement en nous les mêmes caractères.

 

Qu’on ne se trompe pas sur mon compte toutefois. Cette analyse n’est bien évidemment qu’un cas d’école, qu’un point de vue théorique pour montrer en quoi notre ignorance entre en jeu dans nos comportements. Je ne cherche ici qu’à montrer en quelque sorte que c’est plus la question de la connaissance que celle de la volonté, qui permet d’expliquer et de rendre compte de nos actions. Rien d’autre. Et en aucun cas je ne prétends qu’il serait souhaitable que nous ayons tous une connaissance parfaite des choses, et que nous ayons tous les mêmes comportements dans une situation donnée. Tout d’abord je ne crois pas une seconde qu’une connaissance parfaite de toute chose, et même d’une seule, soit un jour possible à quiconque, et l’éventualité que nous nous mettions à tous agir de la même façon dans des situations identiques ne m’enthousiasme guère.

 

Je vais revenir rapidement sur cette question de la connaissance, en refaisant un petit tour par l’ouvrage de Schopenhauer que j’ai indiqué dans mon billet précédent, en partant d’un angle très différent, qui critique une des positions qu’il tient dans son livre.

 

 

Billet précédent de la série 

01/03/2007

L'âne de Buridan et le dilemme du choix

medium_buridan1.jpgCe qu’il y a de terrible avec les séries, c’est qu’on les lance guilleret, en songeant à tout ce qu’on pourra y écrire d’intéressant et d’indispensable à la vie des gens, mais qu’une fois qu’elles sont entamées, on n’en voit pas la fin. C’est un peu le cas actuellement de ma série sur le libre arbitre, qui devait pourtant initialement être « courte ». D’aucun penseront sans doute que c’est le signe que je suis à court d’argument. Mais en fait, durant les précédentes semaines j’ai surtout été à court de temps, et, je dois bien l’avouer, à court d’envie d’écrire sur ce blog.

 

Mais mes lectures me relancent un peu sur le sujet, et j’en profite donc.

 

Aujourd’hui, le point que je voudrais donc aborder est celui du choix. La thèse centrale des tenants de l’existence du libre arbitre est que dans le fond, nous sommes capables d’exercer notre volonté librement, ce qui est selon eux prouvé par notre aptitude à effectuer des choix aléatoire, dénués de liens d’intérêt. On résume cela par une formule simple : la liberté d’indifférence, à savoir la faculté de rester indifférent à tout motif censé influencer nos actes, et de n’effectuer nos choix que mus par une volonté purement libre.

 

Cela présuppose donc la possibilité d’exercer notre volonté sans que celle-ci ne dépende de rien. Comme si elle était en quelque sorte sa propre cause. Un billet n’est pas très approprié pour rentrer dans tous les détails de cette question, mais il me semble relativement clair que cette supposition d’une volonté cause d’elle-même est pour le moins douteuse.

 

Dans le fond, l’argument qui fonde cette idée est que dans toute situation nous sommes aptes à choisir de multiples voies, différentes les unes des autres, et ce seul fait montre bien que nous sommes libre de nos actions. Lorsque le soir je quitte le travail, je peux très bien rentrer directement chez moi, ou partir me promener, ou aller boire un verre avec des amis, ou même encore partir pour l’aéroport et un faire voyage impromptu, entamer une traversée de la France à pied, ou en faisant des roulades tout le long du trajet. Bref, tout cela, je le peux.

 

Mais on voit bien, et j’ai pris exprès des exemples improbables pour que l’on s’en aperçoive clairement, qu’il y a là un petit problème dans l’usage que nous faisons de ce mot : pouvoir. Car le fait qu’un scenario entre dans le champ des possibilités qui me sont ouvertes à un instant t ne dit absolument rien sur la capacité qu’à ma volonté à s’extraire des motifs extérieurs qui m’influencent lorsque j’établis mes choix. Autrement dit, oui, je peux faire tout cela, mais pourtant, dans la très grande majorité des cas, je vais « choisir » de rentrer directement chez moi car je suis fourbu.

 

Et là encore, le fait que je ne sois parfois pas capable de distinguer clairement quels sont les motifs qui interviennent dans l’influence de ma volonté ne dit rien non plus quant-à l’indépendance de celle-ci vis-à-vis de ces motifs.

 

Schopenhauer a écrit un petit livre très instructif sur cette question, l'Essai sur le libre arbitre, d’où je tire la conclusion qui me paraît la meilleure quand à cette question du choix : dans une situation donnée, le choix que nous faisons est le strict reflet de l’importance des motifs qui interviennent en nous. Le plus fort l’emportant globalement sur les autres (mais lisez le reste, là c’est vraiment très, très partiel comme compte-rendu).

 

La question à résoudre est donc plutôt de comprendre d’où proviennent nos choix. De quoi sont-ils le fruit ?

 

Pour répondre à cette question, et comme je me l’étais proposé en introduction de cette série, je propose de séparer l’analyse en deux cas distincts : les choix portant sur des alternatives sans importance, et celui portant sur des alternatives importantes.

 

Le premier cas est le moins clair puisque c’est celui où l’on ne saura pas identifier les motifs de nos actions. Mais dans le fond la réponse n’est pas très complexe pour autant et elle est même quasiment déjà contenue dans la première phrase du ce paragraphe : c’est l’inconscient qui intervient principalement à ce niveau. Sinon, nous saurions identifier ces motifs qui interviennent. Ce sont donc nos mécanismes inconscients, nos habitudes comportementales ancrées en nous, qui font que nous allons par exemple démarrer la journée en posant le pied droit plutôt que le gauche. D’ailleurs, j’ai déjà remarqué sur ces pages que si nous parvenions à prendre un peu de recul sur ce moment d’absence que nous avons presque tous au lever, nous nous apercevrions que nous posons toujours le même pied en premier par terre.

 

Le deuxième cas n’est pas très compliqué à résoudre non plus. Lorsque les alternatives nous paraissent d’importances différentes, il est bien évident que c’est l’alternative la plus lourde de conséquence, que ce soit en plaisir ou en déplaisir, qui est prise en compte en priorité. En fait le seul vrai cas qui pose problème est celui du type du dilemme de l’âne de Buridan.

 

La petite histoire de ce dilemme est que l’âne de Buridan, se trouvant à égale distance d’un picotin d’avoine et d’une écuelle d’eau, attribuant la même valeur à l’un et à l’autre, ne sait vers lequel se diriger en premier. Et ainsi perdu dans les méandres d’une alternative insoluble, il finit par mourir entre les deux, en n’ayant pas pu esquisser le moindre pas. La thèse du libre arbitre dit ici que l’homme se distingue en ceci de l’âne du Buridan qu’il est lui bien capable d’effectuer un choix, au hasard entre le picotin et l’écuelle, ce qui va lui permettre au final de goûter aux deux et dons de ne  pas mourir.

 

Mais il y a deux erreurs dans ce raisonnement. La première c’est qu’un cas où deux alternatives seraient de très exacte importance à nos yeux ne restera jamais qu’un cas d’école, qu’une expérience théorique, et que la réalité ne nous proposera jamais rien de tel. Si nous estimons à tel ou tel moment que c’est le cas, c’est là encore uniquement le signe que nous sommes aveugles quant-à l’impact des motifs qui nous influencent. Le seul fait que deux choses soient différentes suffit pour que leurs caractères nous soient eux aussi différents. Peut-être n’est-ce pas toujours très marqué, mais cette différence suffit à rendre inopérante l’analyse par l’âne de Buridan.

 

La deuxième erreur que l’on commet ici est que l’on transforme une anecdote pour l’esprit en expérience réelle, en supposant qu’il existe bien un âne incapable de déterminer un mode d’action lui permettant d’accéder à la fois au picotin et à son eau. En fait, on évoque trompe le cours du raisonnement en positionnant une conclusion (l’âne de sait pas choisir) en hypothèse. Et comme par enchantement, on conclut par l’idée même qui nous a servi de point de départ. Quelle surprise. On voit bien là dans quels pièges nous sommes parfois susceptibles de nous emmener nous-mêmes si nous ne prenons garde à l’usage que nous faisons des mots. L’anecdote de l’âne de Buridan, donc, n’est dans le fond qu’une imposture, une manipulation de l’esprit (mais probablement une manipulation sincère, car faite en toute inconscience de ce qu’elle est).

 

Pour conclure, je dirai en quelques mots que ce qui guide nos actions, c’est, comme le disait Schopenhauer dans le petit livre indiqué plus haut, la combinaison des motifs extérieurs qui existent au moment où nous avons à choisir (l’espace dans lequel nous nous trouvons, le temps, etc.), et de nos motifs intérieurs (notre éducation, nos habitudes, nos goûts, etc.). Mais à aucun moment notre volonté ne peut agir en étant dégagée de ces motifs. Il n’est donc pas interdit de se demander s’il s’agit bien là d’une volonté. En quelque sorte, il ne pourrait y avoir de volonté que celle qui consisterait à vouloir vouloir.

 

Je ne m’aventure pas plus loin sur cette question, bien que je sois conscient que ce billet porte sans doute plus de questions que de réponses. Je renvoie toutefois encore au petit bouquin de Schopenhauer qui est à la fois clair et bien écrit. Il y a toutefois un point sur lequel je ne suis pas d’accord avec lui. Celui qui veut que nos motifs intérieurs, nos déterminismes propres, ne changent jamais et ne peuvent produire, à toute époque, que les mêmes résultats. Cela me semble ignorer complètement le rôle de l’apprentissage et de la mémoire dans notre construction personnelle. J’y reviendrai peut-être plus tard.

 

 

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