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13/03/2007

Nos dénis courants

medium_im_contradiction_202.jpgDeuxième petit billet inspiré par ce qu’a écrit Matthieu récemment, cette fois-ci sur ce que j’appellerais nos dénis courants. Je ne vais pas à cette occasion revenir en détail sur la notion de déni, puisque j’ai déjà abordé cette question au détour d’un billet ancien. Pour faire court simplement, le déni est une réponse comportementale que l’on utilise lorsque la vérité est trop dure à reconnaître et qu’elle implique un déséquilibre intérieur trop fort. Pour ne donner qu’un seul exemple on peut évoquer la personne alcoolique, qui culpabilisant à l’extrême de son attitude, jure qu’elle n’a jamais bu, même lorsqu’on la prend sur le fait. La reconnaissance de la réalité de son attitude étant une douleur trop forte, la personne est amenée à nier jusqu’à l’évidence la plus crue, et cela dans des proportions qui peuvent étonner.

 

Revenons-en à la question de Matthieu dans son billet sur l’attachement de certains à la religion. Matthieu indiquait dans son billet qu’une amie à lui, de formation scientifique et ayant la tête parfaitement sur les épaules, lui avait un jour indiqué que selon elle la théorie créationniste était tout à fait crédible. On comprend que cela puisse surprendre. Je ne compte pas répondre précisément sur ce qui peut amener cette personne à cette croyance, mais plutôt esquissé une petite piste de compréhension.

 

Celle-ci tient en quelques mots : nos comportements sont bourrés de petits dénis, de paradoxes si vous préférez, de contradictions. Celles-ci sont parfois évidentes vues de l’extérieur, c’est le cas de l’exemple de l’amie de Matthieu il me semble, mais le plus souvent, ils restent plutôt bien camouflés. Tentons quelques exemples pour illustrer cela :

 

Le plus simple de tous est celui de notre attitude en voiture, lorsque nous conduisons. Lorsque nous conduisons vite, nous râlons contre les lambins qui nous freinent ou empêchent certaines de nos manœuvres par leurs hésitations (peut-être cherchent-ils leur chemin). Mais lorsque nous conduisons lentement, nous nous mettons souvent à ironiser sur ceux qui filent à vive allure, raillant les deux minutes en plus qu’ils auront gagnées devant leur télé, ou pestant contre leur klaxon alors que nous n’avons pris que 2 secondes pour trouver le point de rendez-vous que l’on cherchait. Et dans les ceux cas, nous terminons par un ferme et définitif : « vraiment, les gens ne savent pas conduire ! ».

 

Il ne va de même pour un grand nombre de comportements liés à l’urbanisme, où l’on se retrouve en prise directe avec une foule. Par exemple, pris dans le flot des fans qui s’arrachent les tickets au dernier concert de leur idole, tous jouent des coudes, en pestant contre leurs voisins qui les imitent, alors qu’ils se porteraient probablement mieux en se tenant calmement, et je parie même que les probabilités de chacun d’acquérir le précieux sésame ne s’en trouverait guère changées.

 

Le fond de cette illustration, c’est un peu celui que j’indiquais récemment ici. Essayez de porter votre attention sur vos comportements quotidiens, et de détecter vos petits dénis courants, vos paradoxes internes. Avec une démarche un peu honnête, vous devriez en trouver rapidement plusieurs.

 

Mais comment dans le fond peut-on expliquer cela ? Comment se fait-il que parfois même les cerveaux les mieux composés (vous dirais-je à quel célèbre blogueur je pense à l’instant même ?), qui savent argumenter brillamment pour expliquer leurs attitudes et leurs choix tombent eux aussi, et finalement autant que les autres, dans ces travers invisibles ? L’affaire est à mon avis toute simple à résoudre : fondamentalement, nos comportements ne sont pas issus de nos convictions, mais de nos intérêts et des moyens que nous avons découverts au fil de nos expériences pour les satisfaire. Ce n’est qu’à posteriori que nous avons construit notre schéma intellectuel de justification de nos penchants, de nos biais, et que nous avons appelé tout ce magma nos convictions.

 

Vous en doutez ? Combien êtes-vous à déclarer à vos proches que votre métier ne vous passionne pas, que dans le fond vous savez bien que tout cela ne sert à rien, qu’il faudrait rompre avec ce système aliénant. Et combien, une fois au travail, à répondre oui avec le sourire à votre patron que vous vilipendiez la veille, à justifier tel ou tel choix de la direction, histoire de vous montrer « corporate » comme on dit ? Dans mon métier, je le vois tous les jours, je peux vous l’assurer. Et je ne suis même pas le dernier à pratiquer tout cela. Car sinon, ce ne serait tout simplement pas tenable. La divergence entre ces belles opinions affichées et le vécu auquel nous pensons devoir nous soumettre est telle que psychologiquement, nous avons besoin de ces petits dénis pour conserver notre équilibre intérieur. C’est toute l’essence du déni.

 

Pour répondre à Matthieu donc, mais c’est utilisable aussi par les autres, si vous vous trouvez à nouveau devant ce type de paradoxe, ne vous demandez pas quelles sont les convictions de la personne que vous avez en face de vous et qui manifeste ces contradictions, mais cherchez plutôt quelles expériences personnelles peuvent expliquer cette orientation intime. Vous y trouverez probablement pas mal de pistes.

Commentaires

tres bon billet, tres amusant l'exemple de la conduite. Il faudra que je le relise en détail - mais pour ce qui est de l'expérience personnelle, tu as parfaitement raison. Dans le cas des personnes lisant les textes religieuses de facon litterales ET ayant par ailleurs un bon esprit scientifique, je m'interrogeais plus spécifiquement sur la facon dont elles rationalisent leur déni (enfin, mon billet a un peu dévié, mais c'était mon poitn de départ).

Écrit par : Matthieu | 14/03/2007

Matthieu
Merci pour tes remarques. Sur ta question, je dirais pour faire rapide qu'elles ne le rationalisent pas réellement, mais qu'elles trouvent des arguments, qu'elles construisent plus ou moins bien, pour justifier leurs positions. Et sur des questions où rien n'est prouvé (comme la religion), ce n'est dans le fond pas bien compliqué à faire.

Sinon ça fait un peu dialogue notre truc depuis quelques temps. Je me demande parfois si le silence des autres est un signe d'approbation ou n'est pas plus qu'un silence poli.

Écrit par : pikipoki | 14/03/2007

"Il ne va de même pour un grand nombre de comportements liés à l’urbanisme, où l’on se retrouve en prise directe avec une foule. Par exemple, pris dans le flot des fans qui s’arrachent les tickets au dernier concert de leur idole, tous jouent des coudes, en pestant contre leurs voisins qui les imitent, alors qu’ils se porteraient probablement mieux en se tenant calmement, et je parie même que les probabilités de chacun d’acquérir le précieux sésame ne s’en trouverait guère changées."

Ici il s'agit du très classique dilemme du prisonnier, pas d'un déni.

Écrit par : ? | 14/03/2007

?

Vous avez raison vu sous un certain angle. Mais essayez de relire ce que j'ai écris et vous trouverez peut-être que dans l'attitude simultanée de frénésie et de répréhension de frénésie, il y a ce déni dont je parle. Ce qui m'intéresse ici ce n'est pas la stratégie à mettre en oeuvre (et là on parlerait du dilemme du prisonnier), mais le paradoxe comportemental (et là le dilemme du prisonnier n'apporte pas grand chose à mon avis)

Sinon, c'est curieux comme pseudo, le ?

Écrit par : pikipoki | 14/03/2007

J'ai relu, et c'est vrai qu'il peut y avoir du deni, mais il me semble que le cas est moins simple qu'il n'en a l'air.

La situation est complexifiée par le dilemme, et que l'on ne peut pas l'occulter:on se plaint pas des autres mais des "traîtres"car leur comportement apporte un résultat non optimal. On ne nie pas la réalité, on en préférait juste une autre. Il n'y a déni que si l'on "trahit" en premier et que l'on se plaint en suite. Il y a donc (à mon avis) trois cas:
- la personne brise la confiance réciproque, en tire bénéfice et s'en réjouit: pas de déni
- le fan voit des tricheurs, ce qu'il regrette car il est perdant, mais il doit les imiter pour limiter ses pertes: pas de déni.
- le "traitre" provoque la bousculade et s'en plaint: déni.
Le cas numéro deux n'a pas voulu cette frénésie, elle lui est imposée. Ainsi, il ne se plaint pas de la frénésie des autres, mais de celle des traîtres.
"l'attitude simultanée de frénésie et de répréhension de frénésie"
Ce ne sont donc pas les même frénésies, l'une est la cause de la frénésie, l'autre la conséquence. Et quand on se plaint d'une chose, il est logique de se plaindre de sa cause.

Écrit par : ? | 14/03/2007

?

Merci pour ce commentaire précis. Dans le fond, c'est assez vrai que cet exemple n'est pas terrible. Pour tout vous dire j'ai un peu galéré pour en trouver qui me conviennent vraiment...

Écrit par : pikipoki | 15/03/2007

"selon elle la théorie créationniste était tout à fait crédible."

"si vous vous trouvez à nouveau devant ce type de paradoxe"


Article intéressant.

Je me permettrai juste de rebondir sur le mauvais exemple (encore un...) du créationnisme, en disant qu'il faut savoir de quel créationnisme dont on parle, et qui sont extrêmement différents, suivant que l'on dise "Dieu est à l'origine du Big Bang" ou "la terre a été crée de toutes pièces il y a x milliers d'années, le big bang et l'évolution ne sont que des inventions."

Car, que je sache, la théorie de l'évolution n'est en rien incompatible avec l'idée de Dieu, qui n'est d'ailleurs pas incompatible avec la science.

Car le créationnisme, c'est AUSSI dire "Dieu est à l'origine du monde".

Qu'y a-t-il d'anti-scientifique dans cette phrase?

Donc le comportement de l'amie de votre ami, peut aussi s'expliquer par d'autres ressorts que le déni.

Tout simplement.

Écrit par : Polydamas | 15/03/2007

Je comprends votre argument, mais en lisant le billet de Matthieu il me semblait que son amie était plutôt dans une vision Adam et Eve. Donc ...

Écrit par : pikipoki | 15/03/2007

Polydamas : comme dit Pikipoki, nous sommes engages depuis quelques temps dans un dialogue, il est possible que quelques references soient obscures :-D

Écrit par : Matthieu | 16/03/2007

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