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09/11/2005

L'affirmation de soi à travers Finkielkraut et Lévinas

Je redémarre actuellement la lecture d'un livre qui m'avait beaucoup intéressé. Certaines des idées que j'y ai découvertes continuent de me trotter un peu en tête, mais de façon plutôt vague car je n'avais pas pris de note lors de ma première lecture. Cette fois-ci j'ai décidé de le suivre tranquillement, page à page, crayon à la main et cahier sous ledit crayon. Ce livre c'est La sagesse de l'amour d'Alain Finkielkraut. Il y a beaucoup d'éléments qui m'intéressent dans ce livre, et certains que j'aimerais aborder ici, ne serait-ce que pour me forcer à mettre au clair ce que j'en ressors.

 

En premier lieu, et en suivant l'ordre du livre, c'est la question de l'affirmation de soi que je voudrais aborder dans ce billet, vue sous l'angle du livre de Finkielkraut (je précise que l'objet de son livre n'est pas du tout d'analyser la question de l'affirmation de soi, mais sa réflexion me donne matière à réfléchir sur mon sujet, et c'est pour cela que je me permets de la détourner de son but premier). Avant d'avoir lu le livre, voilà, de façon très résumée, la vision que j'ai de cette notion. S'affirmer selon moi, c'est prendre sa place parmi les autres. C'est-à-dire qu'il s'agit à la fois de prendre possession de son territoire propre, sans laisser les autres empiéter dessus, et de respecter celui des autres. C'est un peu "prendre sa place, toute sa place, rien que sa place".

 

La lecture du livre de Finkielkraut me permet de développer mon idée initiale. L'affirmation de soi est un processus dans lequel on doit agir sur deux "relations": soi avec les autres, et soi avec soi. Commençons par la seconde, en déroulant le fil de la démonstration de Finkielkraut. Finkielkraut pour démontrer son propos, se base en grande partie sur l'oeuvre d'Emmanuel Levinas.

 

Il part du drame d'Oblomov, un personnage célèbre de la littérature russe. Oblomov est affecté par une grande paresse. Une paresse qui n'est pas de celle que l'on traîne quotidiennement comme chacun de nos médiocres défauts, comme un trait de caractère commun, partagé par tant d'autres. Non. Sa paresse est hors norme, absolument énorme, démesurée, accablante. Qu'Oblomov délègue la gestion de ses terres ne suffit pas au repos qu'il recherche. Qu'il décide ensuite de ne plus ouvrir son courrier est encore insuffisant. Et quand il décide de rester toutes ses journées cloîtré dans sa chambre, sans même y laisser passer les rayons du soleil pour que ceux-ci n'engendrent pas de désordre, il reste toujours insatisfait dans sa quête d'inactivité et de quiétude absolue. Même dans cette situation, il reste encore trop "de tumulte dans son inaction", "trop d'être dans l'air". Quoiqu'il abandonne des activités humaines habituelles, et mêmes des plus primaires, il reste infailliblement enchaîné à sa propre vie. Il n'a aucun moyen de s'en "débarrasser", de s'en délier. Finkielkraut écrit :"Derrière le "il faut faire qui le submerge chaque matin de ses fastidieuses recommandations, Oblomov perçoit un "il faut être" plus inexorable et plus décourageant encore." Il est attaché à son fardeau, il sent chaque jour la charge de ce "il faut être", et aucune évasion n'est possible.

 

Je crois qu'on peut notamment percevoir l'impact de cette "charge" lorsqu'au contraire on en est délesté: lorsqu'on se sent inexplicablement léger, comme surplombant la foule, ignoré par elle comme un fantôme. C'est un peu le sentiment que j'ai eu dans mon voyage solitaire aux Etats-Unis et avant au Canada: la solitude m'apportait un sentiment de liberté difficile à décrire, très profond, très "primaire" en quelque sorte. J'avais l'impression de vivre une expérience particulière de par cette seule solitude, à l'autre bout du monde, dans un pays que je ne connaissais pas et où d'une certaine façon je n'existais pas.

 

Poursuivons. La rencontre de l'autre change la donne. Finkielkraut rapporte ici une analyse de Sartre (dans L'être et le néant), qui dépeint le tableau presque naïf d'un homme assis seul dans un parc, presque contemplatif. Dans cette description qu'il rapporte je retrouve un peu ce que je viens d'évoquer dans le précédent paragraphe. La félicité de l'évanescence, de se sentir impalpable et soustrait à l'emprise du monde qui nous entoure. L'irruption soudaine d'un nouvel individu dans le parc est alors un choc, et ceci à double titre. D'abord parce qu'il m'enlève de ce doux abandon, il me rappelle à moi, me ré enchaîne à mon être, à mon existence, à mon identité. Il fait retomber sur moi tout le poids de ma vie. Mais il me fait également violence en ce que son regard porté sur moi, à peine m'a-t-il réassigné la charge de mon existence, qu'il tire à lui cette existence pour la façonner selon ses yeux. Il me retire mon être pour en faire ce qu'il perçoit. Il me fait être tel qu'il me voit, et seulement tel qu'il me voit. Ainsi non seulement la charge de mon existence m'est retombée dessus, mais en plus elle ne m'appartient plus en propre, je n'ai plus prise dessus, j'en suis dessaisit. Finkielkraut cite alors Sartre en disant: "Je deviens alors projet de récupération de mon être".

 

L'affirmation de soi est là. C'est la mesure, le dosage complexe entre l'acceptation du regard de l'autre, de sa prise sur moi, du fait qu'il se rend au moins partiellement possesseur de mon être dans la relation que j'ai avec lui, que je m'abandonne donc à ses desseins. Et dans ce vacarme des images et représentations multiples que les autres font coexister de moi, il me faut également savoir affirmer ma propre version de ce qu'est mon être, me ressaisir de moi-même, en un mot: me recentrer. C'est une expression qu'on utilise souvent en gestion du stress. Se recentrer sur soi-même c'est ré-essentialiser ce que l'on est, c'est rappeler le fondement de notre être. C'est ce que l'on fait lorsqu'on entend son enfant se faire dire qu'il est maladroit et qu'on rétorque: "non il s'appelle Damien". On recentre son identité en effaçant les portraits biaisés que les autres ont voulus en faire. Il nous faut alors savoir dessaisir l'autre de notre être, s'en rendre à nouveau possesseur pour rappeler à l'autre notre identité fondamentale, et en passant, se la rappeler à nous-même.

 

J'espère que ce billet ne paraît pas trop fumeux. Je l'ai écris un peu rapidement, sur la base des notes que j'ai prises jusque là. Un autre billet suivra sur un autre sujet que cette lecture soulève, très lié à ce que l'on vient de voir ici.

 

Billet suivant de la série

04/11/2005

Réponse à Elisa et petit "contest"

Elisa a laissé un commentaire que je trouve intéressant sur mon dernier billet consacré à la question du don.  Je voudrais y faire une (assez courte) réponse dans ce billet. Elisa écrit: " Ne faut-il pas également considérer l'importance de la personne a qui l'on fait ce don?" Je préciserais sa remarque en écrivant plutôt : ne faut-il pas considérer l'importance pour nous de la personne à qui l'on fait ce don? Sa remarque est intéressante car elle met en avant un élément essentiel dans ce type de démarche: la sensibilité. En effet il me semble important de savoir mesurer la relation que l'on entretient avec cet autre auquel on adresse son don, pour bien positionner son geste. Et cela nécessite une sensibilité très affûtée.

 

Je trouve assez difficile toutefois de décrire ceci par des mots. Parce qu'on entre ici dans une démarche des plus subtiles et des plus complexes. Si l'on est un(e) amoureux(se) transi(e) par exemple, et que la personne le sait, offrir le livre comme je l'ai fait peut être très difficile car la personne nous reçoit avec un a priori, elle charge notre geste d'un message supplémentaire qui peut être parasite (si son a priori est négatif, on est à mon avis mal barré, il y a du boulot pour enlever le pathos dans notre comportement). A bien y réfléchir, on retrouvera même ceci dans chaque situation où l'on connaîtra l'autre. Ce n'est que le degré, la force de ce message a priori qui va changer, selon la force du lien entretenu avec l'autre.

 

Donc oui, on n’agira pas de la même façon dans ces différents cas. Pour autant, le fondement de notre geste reste le même : l’intention du bien-être de l’autre, l’attention la plus grande, offerte gratuitement. Que l’on s’adresse à quelqu’un de connu ou pas, la démarche part de la même intention, même si on y met sans doute un sentiment plus fort dans un cas que dans l’autre.

 

Par exemple, pour donner un exemple de démarche envers un inconnu, une idée rigolote qui m’a trottée en tête il fut un temps, mais que je n’ai jamais mise en application, est de poster des courriers chez de parfaits inconnus avec des mots sympathiques, des recettes de cuisine agrémentées avec humour, une idée de sortie pour le week-end, bref n’importe quoi qui nous passe par la tête et qu’on trouverait agréable, amusant, bienfaisant pour nous même. Franchement, ce serait assez délire de recevoir quelque chose de ce genre dans notre courrier, non ?

 

J’ai une idée tiens. Je propose un « anonyme mail contest » pour ce week-end ! Libre à chacun d’écrire soit à quelqu’un de connu (proche ou simplement voisin) ou d’inconnu, d’envoyer une recette de cuisine, un bouquin, enfin ce que vous voulez mais toujours de façon sympathique et anonymement, et lundi on se retrouve sur mon blog pour que chacun indique dans un commentaire ce qu’il a fait. Ca vous tenterait ?

 

Add de 17h00: hem bon mon idée ne soulève pas l'enthousiasme des foules. Je sais pas pourquoi je me sens vaguement idiot là... Bon tant pis, à la place je lessiverai mes murs, c'est sympa aussi. ;o)

03/11/2005

Le don

On peut comprendre le sens du mot don de deux façons principales. Il y a d’abord le don comme chose (palpable ou impalpable) que l’on donne à l’autre, par générosité, et également le don comme capacité ou qualité exceptionnelle dont la providence nous a ou non pourvu. Déjà un petit aparté pour signaler cette jolie idée entendue ou lue un jour : cette deuxième catégorie du don ne devient réelle que si elle s’accompagne de la première. En d’autre terme le don de tout génie qu’il soit scientifique ou artistique ne saurait être entier si celui-ci n’est pas utilisé de façon généreuse, s’il n’est pas offert aux autres (quel peintre génial peut-être reconnu comme tel s’il garde ses œuvres dans son garage ?). Ce n’est donc que dans la mesure où il est offert aux autres que ce don là devient UN DON à part entière.

 

Ce qui m’intéresse aujourd’hui, et qui réveille, enfin un peu, mon blog de sa léthargie, c’est la première catégorie de don évoquée plus haut, et encore pas cette catégorie toute entière car à elle seule elle nécessiterait une analyse qui me semble très complexe et longue. Je souhaite surtout m’attarder sur la démarche personnelle que suppose le don, et sur les sentiments que cette démarche nécessitent et provoque à la fois, en souhaitant t’interpeller, oui toi lecteur, pas la peine de regarder derrière ton épaule ;o), sur l’opportunité que tu aurais d’essayer un de ces jours de faire ainsi un don.

 

Je ne vais donc pas du tout me livrer à une réflexion intellectuelle sur le sujet, mais plus à une description de ce qui se passe lorsqu’on fait un don à quelqu’un. Dans ma vision des choses un don est un acte directement et totalement orienté vers un autre, cet autre pouvant être proche ou lointain, connu ou inconnu. Il y a un seul critère à remplir pour que cet acte soit vraiment un don : qu’il soit dirigé vers l’autre (ou les autres) de façon exclusive, à 100%. C’est-à-dire qu’il ne s’accompagne d’aucune intention parasite. Ni d’intérêt personnel pour celui qui donne, ni même d’une attente de retour après le don. Celui qui le reçoit doit ressentir le fait que l’acte accompli l’est pour lui, de façon totale, et qu’il lui est offert de ne pas y répondre, sans que cela ne porte à la moindre rancune, au moindre jugement d’ingratitude. Qu’il ressente en fait que la seule chose qui lui est demandée, c’est d’accepter le geste fait.

 

Pour illustrer un peu mon idée voici deux exemples concrets, vécus ou entendus.

 

Le premier, entendu, est celui d’un professeur qui raconta cette anecdote un jour à ses élèves dans le cadre d’un cours sur la résolution des  conflits. Un de ses amis proches venait de perdre un parent à qui il tenait énormément. Que faire dans pareille situation ? On se sent souvent désarmé, attristé par la douleur de notre ami, et incapable de faire quoi que ce soit qui puisse atténuer sa peine, l’aider à accepter la perte, redémarrer dans sa propre vie. Un peu désemparé, le professeur décida d’écrire un poème à son ami. Il a décrit la scène de l’écriture de ce texte : il s’était vidé, avait mis dans son texte tout ce qu’il pouvait donner d’amour et d’affection à son ami. Le sujet n’en était pas nécessairement la mort ou la vie, l’important n’était pas dans le sujet du poème. L’important était dans la démarche. Son ami avait reçu ce geste comme un trésor. Car il avait senti en le recevant quelle avait été la démarche qui en guidait l’écriture. C’est ça qui lui donnait une valeur si forte.

 

Deuxième exemple, vécu. J’ai eu l’occasion une fois de faire un geste de ce type, pour quelqu’un à qui je tenais beaucoup. Ca ne répondait à aucune occasion, cette personne n’avait pas eu de décès dans sa famille ni dans ses amis, ce n’était pas son anniversaire, ni sa fête. J’avais simplement eu envie de faire quelque chose. Je lui ai donc offert un livre, un simple livre. Petit (un peu plus de 100 pages je crois), pas cher (j’avais eu le choix entre deux éditions aux prix très différents, et j’avais volontairement choisi la moins chère pour que mon geste ne soit pas embarrassé d’un objet dont on percevrait une valeur pécuniaire importante, ce qui je pense aurait été susceptible de « brouiller » le message que je voulais faire passer, et aussi parce que l’image de couverture me plaisait bien), que j’avais emballé dans une feuille de papier Canson et sur la première page duquel j’avais ajouter un petit mot lui souhaitant une vie heureuse, sans pathos. Je le gardais dans mon sac et un jour où je l’ai croisée, j’ai pu le lui donner. Ce fut simple, assez rapide. Juste un : « tiens je voulais t’offrir ça. Ce n’est pas grand chose, juste un petit livre. Voilà » Et hop ! Je suis rentré chez moi. Cette expérience m’a marqué. Ca reste un souvenir très important pour moi, un petit moment à part, un peu magique, un de ceux qui me fondent.

 

Ce que j’aimerais parvenir à faire passer ici, c’est que l’important c’est essentiellement la qualité de la démarche suivie qui fait que le geste se transforme en don. L’objet (si c’en est un d’ailleurs) que l’on offre importe peu.  Ca peut être un livre, un dessin, jouer un morceau de musique, peu importe. Ce qui compte c’est ce que l’on met de soi-même dans sa réalisation. Et à mon sens le geste peut tout à fait rester anonyme, il n’en perd pas sa valeur. Il peut même au contraire en prendre de cette façon. Si l’on se sent heureux de le faire, si on donne de soi-même par cet acte, de façon gratuite, sans espérer autre chose que le bien être de l’autre, alors ce qu’on offre n’en a qu’une plus grande valeur.

 

P.S 1 : j’inscris ce billet dans la catégorie gestion du stress bien que cela soit fort restrictif. La question du don dépasse largement ce cadre.

P.S 2 : le livre que j’offris est Geai de Christian Bobin. J’en conseille la lecture surtout pour les gens un peu fatigués voire neurasthéniques. Il agit comme un petit vent frais et chaleureux à la fois. L’autoportrait au radiateur est très bien aussi.

P.S 3 : si j’ai recours parfois à des exemples personnels, ce n’est nullement dans l’intention de faire de mon blog un espace d’épanchements où je dévoilerais mon intimité. Ce n'est clairement pas mon objectif, et ce n’est clairement pas ce que je recherche dans les blogs. Je ne le fais que dans la stricte limite où certains messages me semblent plus compréhensibles lorsqu’ils sont incarnés de cette façon. Cela humanise un peu les choses, et ça me permet également d’être plus précis dans mes descriptions. Rien d’autre.

02/11/2005

Echardes

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             Rêves gamins

                              frêles et timides

 

                         réveillés

                                    par les ironies à échardes

                                               toujours à échardes

 

 

Ciel bleu, Kandinsky, 1940