28/11/2005
J'ai viré dingo
Non non j'ai pas viré le pote à Mickey de Disneyland, non j'ai viré dingo, moi je veux dire, je suis devenu malade du dessus du cou, accidenté des cellules grises, dérangé du spongieux. Bon j'vous esspique:
La semaine dernière j'étais en déplacement professionnel dans le sud ouest entre Bordeaux et Angoulême. J'avais pris une voiture de location pour effectuer mes trajets hôtel-agence ainsi que pour faire la liaison entre les deux villes. Et à Angoulême, vendredi matin, surprise, plus de voiture! La veille j'avais pas mal tourné en rond dans le centre ville pour trouver une place de parking parce que l'hôtel n'en a pas. J'ai tourné, tourné, et j'ai fini par me garer dans une rue, en contrebas donc. Et le matin en y retournant, plus de voiture, redonc.
Ma première réaction fut de me dire: "merde, j'aurais dû noter l'adresse exacte de l'endroit où je me suis garé". Oui je fonctionne toujours comme ça, je ne note pas l'adresse mais je repère les lieux visuellement, et en général ça me suffit. Mais là, comme j'avais pas pris l'adresse et que c'était la première fois que je venais à Angoulême, ben j'ai commencé à me dire que c'était moi qui ne me souvenais plus de l'endroit où je m'étais garé. Finaud quoi. Alors je commence, avec mes bagages et un sympathique mal de dos, à tourner dans les rues adjacentes pour vérifier si la voiture ne s'est pas déplacée toute seule pour me faire une blague. Au bout de quelques minutes je m'agace, surtout avec mes bagages qui me fatiguent, et puis je décide que bon, ça va bien, je vais reposer mes bagages à l'hôtel et continuer à chercher. Je redescends de l'hôtel vers l'endroit supposé où je me suis garé, et je m'aventure un peu plus loin que précédemment pour vraiment bien vérifier.
Mais rien à faire, pas de voiture. Super. Bon alors coup de téléphone au directeur de l'agence: "oui bonjour, je vais être en retard car ma voiture de location a été volée. - Ah mince. Bon je viens vous chercher, et on ira au commissariat faire le dépôt de plainte ensemble. -Bon à tout de suite". Entre le commissariat qui n'a pas les papiers nécessaires, l'agence, re le commissariat, l'attente et tout, ma matinée est entièrement bouffée. Mais enfin l'affaire se termine pas trop mal: véhicule volé "ça arrive souvent" me dit le sous-brigadier qui enregistre ma plainte avant de me raconter qu'il est quelqu'un hors du commun et qu'il va d'ailleurs bientôt écrire un livre à nul autre pareil pour raconter sa vie (je suis impatient de voir ça à la Fnac). Je me sens donc un peu rassuré et me dis que bon, je me suis pas planté, j'étais bien garé là où je pensais et tout rentre dans l'ordre.
Sauf que depuis la voiture à été retrouvée intacte, porte fermée, sur les remparts de la ville, donc EN HAUT par rapport à l'hôtel. "Hin, quoi?" que je fais à l'agent de police préposé aux appels aux handicapés. "Ben oui votre voiture on l'a retrouvée de l'autre côté du centre ville, sur les remparts, pas très loin remarquez. - Mais c'est impossible je l'ai garé en bas, même qu'il y avait un petit parking en épis sur le côté, où je me suis pas arrêté au premier coup, je suis descendu un peu j'ai vu qu'il y avait quelques places mais comme je voulais pas me garer trop loin je suis remonté vers le parking aux épis, mais comme il était plein finalement je me suis garé encore un peu plus bas. - Ben oui mais là elle est sur les remparts la voiture. - Bon.... ben merci."
Bon, j'ai peut-etre une explication. Vous savez il y a l'histoire de la loi du chaos là en sciences hin. Et puis des trucs où qu'on y comprend pas tout, comme l'autre fois où mon pote (qui est vachement calé en sciences, je fais quand même attention à mes sources) m'a expliquer qu'en théorie il est possible qu'on joue au passe-muraille sans se cogner parce que les atomes ils peuvent ne pas vouloir se rencontrer, surtout si ils peuvent pas se blairer (le problème donc me suis-je alors dit, c'est que les atomes humains et les atomes muraux ils s'aiment bien). Et puis je me souviens aussi du film JFK, quand Kevin explique à l'assistance médusée qu'en physique théorique on peut démontrer qu'un éléphant peut rester suspendu au dessus d'un ravin la queue accrochée à une pâquerette. Alors si le coup du mur et celui de l'éléphant ils sont vrais je me dis qu'il est aussi possible d'imaginer que le sol se déplace, sans nous entraîner avec lui. Du coup, ce qui a pu se passer c'est que durant la nuit, la ville d'Angoulême s'est mise à tourner sur elle-même, autour d'un axe qui passe par mon hôtel, SANS ENTRAINER MA VOITURE DE LOCATION MAIS EN PRENANT TOUT LE RESTE, puis elle a refait un tour un peu plus tard, après qu'elle se soit bien amusée, pour quand même pas que ce soit trop le bordel pour les gens le matin, CETTE FOIS-CI EN PRENANT MA VOITURE AVEC LE RESTE. Du coup ma voiture ne s'est pas retrouvée au même endroit. C'est un peu comme un manège mais avec un moment de flottement où un des canassons ne suit pas le mouvement du reste vous voyez?
J'ai rendez-vous chez le docteur cet après-midi. Je crois que je devine sa prescription...
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26/11/2005
Totalitarisme, humanisme et révoltes urbaines
Billet précédent de la série
Je découvre à mon retour chez moi les différents sujets qui ont agité la blogosphère pendant ma courte absence. Et c’est avec un peu de surprise que je vois que Finkielkraut est en première ligne suite à sa récente interview dans Haaretz reprise partiellement par Le Monde. Je ne compte pas revenir sur cette interview qui a déjà été analysée notamment chez Jules, mais en continuant ma note de lecture de La sagesse de l’amour de Finkielkraut je trouve matière à apporter des éléments intéressants au débat, et également à proposer, enfin ?, mon commentaire sur les récents évènements en banlieue (puisque Diner’s room m’a très sympathiquement classé dans les commentateurs de l’actualité politique).
Tout d’abord revenons un peu à la description que j’ai déjà faite des sources du totalitarisme ici ou là. En réfutant le visage de l’autre, en lui faisant porter le masque de ma propre interprétation de ce qu’est sa personne, je néglige la responsabilité qu’il me donne de prendre soin de lui. Mais surtout, je réfute sa qualité d’humain, je ne le réduis plus qu’aux qualificatifs dont je l’ai paré. Il n’est plus homme mais représentation que je fais d’un visage, il devient une image figée, une icône représentative de ce que je veux bien qu’elle soit représentative. Je l’ai réduit à des idées reçues, j’ai transformé son territoire pour le remplacer par ma carte et je lui interdis désormais d’être autre chose que cette carte. Car s’il réaffirme la réalité du territoire qu’il représente il m’oblige à lui, ce que je refuse.
Dès lors le totalitarisme peut prendre place, « sereinement » si je puis dire. Car l’autre n’étant plus homme, il n’y a plus aucune notion morale qui saurait constituer la moindre base de jugement de ce que je vais lui faire subir. Je peux à loisir « le mutiler, l’endommager ou le tuer » sans avoir à ressentir de culpabilité pour cela. Car ce n’est pas un homme que je torture, c’est une icône, un masque de papier. Finkielkraut développe cette idée à travers une analyse de l’histoire de Germana Stefanini, retenue prisonnière par les Brigades Rouges.
Germana Stefanini est jugée par les Brigades Rouge en tant que gardienne de la prison de Rebbibia, en tant que rouage du système contre lequel les Brigades Rouges prétendent se révolter. Et lors de ce procès devant leur tribunal de la Révolution, il apparaît immédiatement que ce n’est pas Germana Stefanini qui est jugée, mais seulement le système dont ils l’ont rendue représentative. Finkielkraut rapporte une partie des minutes du procès qui montrent bien combien sa personne n’est à aucun moment prise en compte. Sa réalité, son « vrai visage » est tout entier inscrit dans l’histoire qui l’englobe. Elle n’est pas Germana Stefanini, elle n’est plus que la gardienne de la prison symbole du régime politique qu’ils combattent. C’est le ‘système’ auquel elle appartient qui parle en elle. Ses mots ne sont plus analysés que comme aveux de son appartenance à son milieu. Quoi qu’elle dise elle ne dit rien d’autre que « je suis la gardienne de la prison de Rebbibia » dans les oreilles de ses ravisseurs. Et il suffit qu’elle prenne la parole pour qu’on la lui retire simultanément, la privant de son altérité, la privant de son visage. Elle est réduite (à un point tout à fait extrême) à sa fonction et n’est plus personne. La tuer devient alors « logique », car cela participera de la grande lutte contre un régime honnis, pour un plus grand bien collectif.
Le totalitarisme c’est donc faire parler en l’autre, contre sa volonté, son origine, son passé, son environnement. C’est réduire la signification de ses paroles aux éléments externes qui ont pu influencer son parcours, et ainsi lui enlever la parole, le priver littéralement de « ses » mots. Le discours n’est plus qu’agitation de la langue et des lèvres, il est privé du logos, réduit aux éléments extérieurs qui participent de sa construction, d’une part de son déterminisme. L’individu, une fois cerné par l’interprétation faite de son « milieu », peut donc toujours pleurer et protester, rien n’y fera. Il n’est plus homme, il n’est qu’une façade de plus dans le paysage d’un système qu’il faut détruire. Ainsi, Finkielkraut écrit que la maxime du totalitarisme peut se résumer à cette phrase : « c’est la société en toi qui est coupable, tu dois donc disparaître. »
Mais Finkielkraut va encore plus loin en trouvant dans le mouvement humaniste moderne des fondements similaires à ceux du totalitarisme. Et voici où j’en viens au débat actuel sur les récents évènements de nos banlieues. Finkielkraut montre que l’humanisme moderne, et on l’a vu dans certains commentaires de responsables politiques sur les problèmes des banlieues, disculpe les fauteurs de trouble, les innocente, en faisant également parler en eux la société, leur milieu. Les jeunes qui jettent des pierres sur les casques des pompiers ne sont plus perçus comme agissant à leur compte, mais comme vecteurs d’un mouvement guidé par leur environnement. Ils ne sont plus coupables mais victimes. L’humanisme leur dit : « C’est la société en toi qui parle, donc tu es innocent. » Si la conclusion de l’humanisme est indubitablement moins destructrice que celle du totalitarisme, du moins elle se fonde sur un processus tout aussi trompeur qui fait autant oublier à ceux qui la prononcent la qualité d’homme des individus pris en compte. Et il leur enlève toute responsabilité quant à leurs actes. « Les hommes ne sont plus responsables, ils sont possédés » écrit Finkielkraut.
On doit bien admettre il me semble qu’il y a une vérité très forte dans cet argument. Disculper des individus qui cassent, brûlent, sous le seul prétexte des errements de la société dans laquelle ils sont est pour le moins léger. Cette tendance à la déresponsabilisation est un risque très grand que l’on fait prendre à un pays. Et j’ai bien peur qu’on en voit encore des avatars tant elle semble fortement ancrée dans la bouche de certains.
Mais pourtant, je crois qu’on peut formuler une critique de l’argument de Finkielkraut. A mon sens il pousse trop loin sa critique de « l’humanisme » moderne. Car il semble tenter de déraciner totalement l’homme de son milieu afin que l’on entende plus en lui que la voix qui lui est propre et que les échos, même les plus ténus, de son histoire individuelle s’effacent. Il procède ainsi à une désincarnation complète de l’individu. Celui-ci n’est plus lui au milieu des autres et du monde, et ne reste que lui-même, et c’est tout. Certes ce qu’il nous rappelle de la nature de l’altérité devrait être réintégré dans notre vision moderne des rapports humains, mais le visage n’est pas qu’une entité abstraite, une sorte d’Idée platonicienne de mon vis-à-vis. Et si celui-ci ne saurait être réduit à ses épithètes, il ne peut pour autant être déraciné de son environnement si l’on désire le comprendre (c’est-à-dire le saisir, en « faire le tour » en quelque sorte). Ainsi si son déterminisme doit être déconstruit et sa place dans l’identité de l’individu démystifiée, on ne peut pour autant nier la réalité des expériences que celui-ci a vécu, et qui ont contribué à faire de lui ce qu’il est. Certes il n’est pas ce qu’il fait, mais il reste tout de même le résultat complexe d’une construction, d’une éducation, à laquelle son environnement, son histoire participent à 100%. Et l’en extraire ainsi serait à mon avis exercer sur lui une autre forme de violence dont Finkielkraut ne parle pas dans son livre, mais qui me semble tout aussi aigue.
Je me souviens d’une phrase lue chez Albert Jacquard dans son petit livre Petite philosophie pour les non philosophes qui disait : « je suis les liens que je tisse avec les autres ». Je trouve cette idée très intéressante. A mon sens il y a en quelque sorte deux moi qui cohabitent chez un homme : le moi individuel, le moi « ontologique », et le moi collectif, le moi avec les autres. C’est à ce deuxième moi que Finkielkraut pourrait faire violence s’il déracine trop l’individu de ce qui le construit.
Et pour incarner un peu plus ce sujet, il me semble qu’il y a une notion fondamentale qui doit être analysée pour bien comprendre le phénomène des révoltes urbaines : l’espoir. J’ai vu récemment un reportage que j’ai trouvé intéressant et qui illustre cette idée. Des associations intéressantes ont vu le jour dans certaines banlieues. Elles offrent notamment leurs services pour aider les habitants de ces quartiers à trouver un travail, une activité. La jeune fille interviewé expliquait ainsi (je cite en gros) : « quand on réussit à faire évoluer positivement le parcours d’un jeune, et qu’on peut l’accompagner jusqu’à ce qu’il trouve un travail et qu’il puisse vivre une vie normale, on sait que c’est très important : parce que les autres voient que c’est possible, alors ils peuvent commencer à espérer. » Je crois pour ma part que si on ignore cet axe de réflexion et d’action on ne peut pas proposer de solution à long terme.
Pour faire (très) court je dirais qu’il faut responsabiliser (c’est-à-dire entre autres choses faire appliquer la loi) et donner espoir. Les deux sont aussi indispensables l'un que l'autre.
Edit du 30 novembre: je conseille la lecture du dernier billet de Damien qui revient de façon intéressante sur la notion d'antiracisme chez Finkielkraut.
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20/11/2005
Aube trompeuse (dyptique, seconde partie)
Encore, le matin frêle se lèvera.
Et rapportera les doutes que les rêves n'auront pas effacés.
Blog en pause jusqu'à vendredi au soir.
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Nuit d'hiver (dyptique, première partie)
Ciel nocturne,
grisant, empressé.
Gorge les silences de sa froide douceur.
Puis, le rêve chaud
et enveloppant.
Photo de Bernard Plossu
00:15 Publié dans Un peu de poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
17/11/2005
Blog et cosmétique
J'ai effectué quelques modifications de forme sur ce blog. D'abord le titre et le sous-titre. Ce dernier était particulièrement vaseux, et si le nouveau n'a rien d'extraordinaire, il me semble tout de même plus clair.
Mais surtout les catégories qui étaient franchement en pagaille et qu'il était temps de réordonner. J'en ai supprimées quelques unes, en conservant les billets qui y étaient pour les introduire soit dans des catégories déjà existantes soit dans de nouvelles catégories. Ainsi Divertissons-nous et Détournements ont été intégrées à la catégorie C'est pour de rire, les catégories Haïkus et Poésie ont fusionné pour devenir Haïkus et poèmes (c'est fou ces changements), et enfin la catégorie Général a disparu au profit de la Bloguitude. J'en ai également profité pour modifier certains billets de place. Les catégories Comme ça (je tiens à ce titre, même s'il ne veut sans doute pas dire grand chose pour vous) et Général notamment faisaient vraiment fourre-tout.
Voilà. C'était vraiment très intéressant.
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Aux sources du racisme et de l'antisémitisme (première tentative)
Billet précédent de la série
Bravant les problèmes techniques et même les adjonctions Languitiennes (mais elle sait que je la poutoune quand même ;o)), je vous propose, comme je l’avais initialement prévu, un billet qui prend encore son inspiration dans ma lecture d’Alain Finkielkraut. Finalement, c’est un peu une grande note de lecture cette série, mais franchement faire plus court aurait été pour le moins « léger ».
Mon intention ici est en fait de livrer mon décryptage des questions du racisme et de l’antisémitisme avant d’avoir lu les paragraphes particuliers dans lesquels Finkielkraut les aborde de façon directe, mais non sans me trouver déjà armé des réflexions que sa lecture, même si elle reste partielle, m’a ouvertes.
On a vu dans le billet précédent que l’autre en apparaissant à ma vue, m’a assigné mission de le considérer, de prendre soin de lui, de me soucier de lui. Dans la mesure où je vois son visage, où je le reconnais comme étant un visage et donc comme étant un homme, je me vois devenir responsable de son devenir. En ne m’étant plus inconnu, il m’oblige à lui. Mais bien qu’il ne me soit plus inconnu, le visage me reste en quelque sorte étranger. Il est autre, et ne se laisse pas saisir. L’altérité du visage qui me fait face est insoluble, quelques soient mes efforts, je ne parviendrais pas à le cerner, à le connaître. A chaque mouvement de ma part pour m’en approcher, pour le scruter, il se dérobe et fuit par toutes les issues. Dans cette intrigue la tentation est forte de barricader l’image de l’autre, de lui désigner enfin une place fixe à laquelle on entend le retrouver, qui nous évite en réalité d’avoir à supporter cette danse incessante du visage qui s’absente. Et pour ce faire on va qualifier l’autre. On va l’entourer de qualificatifs, on va le définir pour le cerner, pour le « saisir » enfin. Et par la même opération on échappe à l’assignation qu’il nous avait donné de s’occuper de lui, de se soucier de lui. L’obligation a disparue lorsque l’on a remplacé son visage par un masque que nous avons nous-même dessiné.
Dès lors, on fait perdre à l’autre sa qualité d’humain. Il n’a plus de visage, et rien à nos yeux ne saurait désormais le reconnaître comme homme. Il n’est plus qu’une image figée, une icône de ce que nous avons finalement voulu voir en lui. C’est bien pour cela que la tendance à coller des étiquettes sur les fronts est si répandue. Cela nous évite d’avoir à véritablement regarder l’autre, nous esquivons sa présence en lui enlevant son caractère vivant puisque nous l’avons figé presque comme une statue. On comprend bien que toutes les formes d’intolérance, de discrimination, jusqu’aux plus grands totalitarismes, peuvent facilement prendre leur source dans une telle forme de définition, de qualification de l’autre. Car l’autre n’est plus, il ne reste que ses descriptifs qui ont annihiler son existence, sa présence. Dès lors il m’est loisible de « le mutiler, de l’endommager ou de le tuer » puisqu’il n’est plus homme. Je ne tue plus personne lorsque je tue une icône ou une caricature.
C’est donc ici que viennent prendre place le racisme et l’antisémitisme. A ce niveau, j’avance dans ma réflexion avec prudence, conscient qu’il me manque certainement quelques outils théoriques pour être plus précis. Il me semble tout d’abord qu’il faut distinguer le racisme et l’antisémitisme. Certes ils ont une souche identique, mais je crois tout de même utile de leur réserver une analyse différenciée. Chaque chose en son temps donc. Commençons par le racisme. Il est je crois une forme accentuée du rejet du visage de l’autre. Parce qu’il me semble que Finkielkraut oublie d’indiquer un détail dans son analyse (punaise, je critique une analyse philosophique de Finkielkraut maintenant… on aura tout vu ici) : c’est que face à la responsabilité que l’autre m’assigne, ma première réaction va être de chercher tout moyens pour me dérober à sa requête. Et si son visage, tout en étant autre, m’apparaît très semblable, alors je peux feindre, et utiliser sa similarité pour prétendre ignorer sa différence. Ou tout du moins je peux me sentir moins en porte-à-faux d’agir ainsi face à un visage dont les traits et la couleur me seront proches.
Et ce seul ressenti, qui atténue l’impression de responsabilité, est déjà beaucoup. Mais plus la différence de l’autre est difficile à nier plus la force de la responsabilité qu’il m’assigne se fait éclatante et pesante. Le racisme envers le noir (pour un blanc, ou du blanc pour un noir) se loge là je crois. La couleur de sa peau stigmatise sa différence, il m’est absolument impossible de la nier, je n’ai aucune échappatoire pour l’esquiver. Quoi que je tente, sa couleur éclabousse son visage et me rappelle à lui à chaque tentative que je fais de l’ignorer. Cette différence est donc encore plus violente contre moi que celle du simple autre individu. Doublement violente même car sa différence remet en cause la légitimité de l’identité que je me suis forgé. Il est autre, très différent de moi, et il ose vivre comme si de rien n’était, comme si son chemin était en fait le bon. Il me dit alors qu’il est possible que je me trompe, que mon chemin soit bien loin de l’absolu auquel j’aurais voulu croire. Le seul fait qu’il mette ainsi à jour la possibilité de mes errements, et par sa seule existence, est une violence de plus. Pas étonnant que les premiers conquérants ayant découverts les populations indigènes des pays qu’ils ont découverts les ai asservis, et que la plupart du temps ils aient remis en cause la qualité d’êtres humains de ces « indigènes ». Le choc était trop fort. La remise en question trop cassante. C’est je crois en grande partie la raison pour laquelle les asiatiques sont bien mieux acceptés dans les pays occidentaux que les noirs ou les arabes. Parce que leur différence n’est pas stigmatisée de façon trop abrupte, parce qu’ils nous laisse ainsi une opportunité d’échapper à leurs visages.
En complément, je voudrais ajouter un autre point. Il me semble qu’il y a deux formes de racisme :
- Le racisme que j’appellerais « ontologique », c’est-à-dire le racisme véritablement issu de l’individu, qui n’est pas lié à des contingences.
- Le racisme que j’appellerais « social », qui naît lui essentiellement dans une logique d’affrontement, qui est conséquence d’un vécu, d’un quotidien.
Le racisme « ontologique » est celui de l’ignorance. Ce racisme là naît de la non connaissance de l’autre. C’est le racisme des campagne, de la peur de l’autre parce qu’on ne sait pas qui il est, parce qu’on ne l’a jamais rencontré et qu’il est dès lors très difficile de « l’appréhender ». Dans l’ignorance de l’autre, l’appréhension de son visage, de son identité est rendue beaucoup plus ardue. Il est encore plus fuyant, plus insaisissable, parce qu’il est encore plus indéterminé. Il devient monstre parce que ses contours me sont totalement inconnus. Finkielkraut reprend au début de son livre l’analyse que fait Levinas de l’expérience d’un enfant qui s’endort dans le noir. Pourquoi l’enfant a-t-il peur du noir? Parce que dans le noir il ne sait plus donner aux choses un contour clair. Parce que tout devient diffus, indéterminé. Le monstre qui se cache sous le lit peut avoir toutes les formes possibles et imaginables. C’est cette indétermination de l’être inconnu qui engendre la peur. Le racisme des villages est celui d’enfants qui ont peur du noir (et hop un jeu de mot, il faut aussi détendre un peu l’atmosphère de ce billet non ? Enfin je dis ça pour ceux qui sont arrivés jusque là).
Le racisme social naît dans l’adversité, dans l’affrontement qui fait s’opposer des communautés de races différentes. C’est le racisme qu’on rencontre dans certaines villes, certaines banlieues. L’autre est alors qualifié d’étranger après la rencontre qu’est la confrontation.
Je trouve important de bien faire cette distinction car elle permet de voir qu’on ne peut pas prétendre combattre le racisme en suivant une seule méthode. Le racisme ontologique se combat par l’éducation, par l’ouverture à l’autre, alors que le racisme social se combat beaucoup plus à travers des politiques économiques et sociales. Si on ne fait pas cette distinction on ne peut pas être efficace.
Venons en maintenant à l’antisémitisme. Au stade où j’en suis, je perçois deux éléments qui s’ajoutent dans l’antisémitisme. Tout d’abord il faut rappeler que le racisme contre les noirs ou les arabes fut et reste majoritairement tourné vers des populations très majoritairement inférieures aux blancs d’un point de vue social. C’est un rejet contre des défavorisés. La violence qui s’est exercée contre eux pendant tant de décennies vient en grande partie de là. Quand on tape sur un faible on fait beaucoup plus mal que quand on tape sur quelqu’un qui peut se défendre. Pendant longtemps les noirs sont restés perçus comme des sous hommes, comme des animaux même. Dès lors l’acharnement qu’on pouvait avoir contre eux était sans limite : non seulement ils n’étaient pas des hommes (donc il n’y avait aucune limite morale à la barbarie), mais en plus ils étaient faibles et dépourvus.
Le premier élément nouveau concernant les juifs, c’est qu’ils ne sont pas perçus comme une communauté faible. Cette perception engendre alors un paradoxe qui augmente l’insupportable : le visage du juif m’oblige tout autant que les autres mais en même temps il me dit qu’il n’a pas besoin de moi. Parce qu’il n’est pas faible, il s’en sort très bien tout seul. Alors même qu’il me demande de lui porter secours il m’indique combien je lui suis inutile. Qu’on me comprenne bien, cette sensation de la « force » du juif n’est pas à mon sens une réalité, elle n’est qu’un sentiment, une impression qui soutient chez l’antisémite sa réaction face au juif.
Le deuxième élément nouveau dans l’antisémitisme est celui-ci : alors que le visage du juif, parce qu’il est autre me rend responsable de son destin, il bloque a priori l’accès à lui. Avant même que j’ai esquissé l’intention de le comprendre, de le prendre en compte, il ferme la porte et me dit : « tu ne passeras pas ». Je (l’antisémite) perçois chez le juif une intention de ne pas être saisi. (ce point notamment reste faible, j’aurais besoin de le développer plus, j’espère dans un prochain billet).
Ici je me rattache à ce que j’ai appris de Laborit. Ces deux éléments que je viens d’indiquer comme étant spécifiques aux juifs renvoient tout à fait à la notion d’inhibition de l’action. Alors que dans le racisme basique contre le noir, ma haine peut se déchaîner à tout va, le juif lui me met dans une situation d’inhibition de l’action. Je ne peux rien pour lui, du moins est-ce ce qu’il me semble, et pire, il met lui-même à jour l’inutilité de mes tentatives pour l’appréhender. Voilà qui est susceptible d’augmenter encore plus ma rage et ma violence.
Il est tard, je vais arrêter ici ce billet qui est déjà un peu long. Il y a des éléments qui me laissent un peu insatisfaits, et notamment une imprécision sur certains points qu’il faudra que je revoie. Je vous livre tout de même ce texte ainsi, ce qui donnera la possibilité aux courageux qui sont allé jusqu’au bout de m’aider s’ils le souhaitent dans cette démarche.
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16/11/2005
Encore en rade
Hum, aujourd'hui nous avons eu droit au troisième blocage de blogspirit en quelques semaines. Il y en avait eu un vendredi dernier, pour installation technique, mais aujourd'hui, pas encore d'explication sur l'arrêt qui a eu lieu durant quelques heures cet après-midi.
François m'indiquait récemment dans un mail que Blogspirit lui semblait être une des meilleures plate-forme gratuite pour les blogs. Je suis assez d'accord. Mais il ne faudrait pas que ces blocages se répètent trop tout de même. Du coup alors que je comptais rédiger un billet dans la poursuite du précédent, je ne suis pas sûr du tout d'en trouver le temps avant ce soir. Je suis frustré. :o(
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14/11/2005
Le visage et le masque
Billet précédent de la série
Je poursuis ma lecture de La sagesse de l’amour de Finkielkraut. Je vous avais laissé sur la relation avec l’autre. Sur l’intrigue qui se nouait lorsque l’autre surgissait dans le parc où j’étais resté seul. Sur la double violence que cet autre exerçait sur moi par son intrusion : violence de la paix détruite par la rupture de mon isolement, violence de mon être soustrait à moi-même par le regard de l’autre qui le façonne à sa façon. J’ai déjà évoqué dans certains billets cette notion apprise en gestion du stress : la carte n’est pas le territoire. Autrement dit, la représentation que je me fais du monde n’est pas la réalité de ce monde. Elle n’est en quelque sorte que ma réalité de ce qu’il est, elle n’est que la représentation de ma vérité. C’est de là que vient la violence exercée par le regard de l’autre. De ce qu’il assigne à sa représentation valeur d’identité. Je perçois dans son regard qu’il me vole mon territoire pour le remplacer par sa carte. C’est en cela exactement qu’il me dépossède de moi-même.
Mais l’intrusion de l’autre crée une autre intrigue, plus complexe, qui se noue bien plus dans mon propre regard adressé à l’autre (l’autre ne surgit d’ailleurs que lorsque je le vois – il peut toujours être près de moi, tant que je ne l’ai pas vu il n’existe pas et ne fais nulle intrusion,il faut mon regard porté sur lui pour qu’il existe réellement et exerce la pression de sa présence sur moi) que dans celui qu’il porte sur moi. C’est que dès que je l’ai vu, l’autre m’assigne la lourde responsabilité de lui porter attention. Dans l’échange des regards se noue une relation à laquelle je ne peux échapper. Le visage de l’autre m’oblige, il m’assigne la tâche de le considérer. Je l’ai vu et ne peux plus faire marche arrière, je ne peux plus le nier, l’oublier. L’indifférence devient interdite, je suis désormais responsable de son destin. On pourrait à ce titre indiquer que le délit de non assistance à personne en danger se fonde en grande partie sur cette responsabilité dans laquelle la présence de l’autre m’engage.
Le visage de l’autre m’assigne donc une mission. Je dois le considérer, c’est-à-dire le prendre en compte, ne pas le traiter comme quantité négligeable, ne pas l’oublier. Il est là, présent et cette présence s’impose à moi comme une requête. Dès lors que l’on a saisi la réalité de cette assignation, on s’aperçoit d’un nouveau problème à résoudre. Finkielkraut cite un apologue extrait du Talmud où un sage dit à son fils : « Comme ce document est mal rédigé ! » Ce à quoi le fils répond : « Ce n’est pas moi qui ai écrit cet acte, c’est Juda le tailleur. – Pas de calomnie ! » s’exclame alors le sage. Mais plus tard, alors que le même sage dit à son fils : « Comme cet exemplaire est bien écrit ! » son fils répond : « Ce n’est pas moi qui l’ai écrit, c’est Juda le tailleur. – Pas de calomnie ! » rétorque à nouveau le sage. Que faut-il en comprendre ? Le fond de cette petite histoire révèle un élément aussi subtil qu’important à mes yeux. C’est que dès que je qualifie l’autre d’une quelconque façon, je lui fais violence. Parce que, comme je l’ai indiqué au début, je lui assigne la carte que je me fais de lui en lieu et place de son territoire originel. Je le défais de son visage, de sa présence. Et ce faisant, j’esquive tout à coup l’assignation qu’il m’avait donné de le considérer.
C’est un point difficile qui mérite plus de précision. On a vu juste avant, que dès lors que l’existence de l’autre m’est connue, en quelque sorte que sa proximité m’est apparue, je me suis vu assigné la mission de le considérer, je suis devenu responsable de son devenir. Tant que je ne suis pas parvenu à le définir, cette assignation va rester intacte, avec la même force. Parce que l’assignation de l’autre provient de ce que je sais qu’il est là, sans pour autant parvenir à le « saisir », c’est-à-dire que je ne parviens pas à le représenter, à en définir les contours. L’autre existe tant qu’il est visage, tant que je reconnais son existence par son visage. Je me souviens d’une question qu’on avait soulevé en cours de philosophie en terminale : qu’est-ce qu’un homme ? En réfléchissant un peu on s’aperçoit qu’il est très difficile d’apporter une définition satisfaisante, qui permette vraiment d’identifier l’homme d’autres êtres vivants. A cette question, Levinas répond : un homme, c’est un visage. Je trouve cette définition excellente, à la fois très simple et très vraie. Dès qu’on voit un visage, on sait qu’on voit un homme.
Mais ce visage se dérobe. Son altérité (sa qualité d'être autre) s'exprime dans l'incessante fuite qu'il oppose à ma tentative de le cerner. Il est toujours "en partance", c'est cela la nature du visage. S’il se fige alors il disparaît en quelque sorte sous les traits dont je l’aurais affublé dans mon imagination. Il ne sera plus visage mais représentation du visage. En d’autres termes, lorsqu’il est figé, lorsqu’il est défini, qualifié, l’homme cesse quasiment d’être homme dans nos yeux. Il n’est plus que la représentation que l’on s’en fait. En le qualifiant on le soustrait donc à l’assignation première à laquelle il nous a exhorté. En parlant de l’autre on évite d’avoir à en répondre, on se rend sourd à son appel. Ce n’est plus son être qui existe mais seulement une image de lui, une carte décorée de ces qualités que nous lui avons attribué. En le déterminant de biais et d’inclinations on le soustrait à notre vue, et ce faisant on recouvre la liberté dont il nous avait privé.
[J’introduis à ce niveau une petite incise par laquelle je voudrais préciser cette idée de Finkielkraut. Si cette réflexion m’apparaît fondamentalement juste, je crois qu’on peut tout de même l’affiner encore. Dans un ancien billet j’indiquais que si les propos injurieux ou simplement négatifs prétendant définir une personne dans ce qu’elle est, sur la seule base de l’observation de ses actes ou de ses possessions, devaient être rejetés, on ne devait pas pour autant refuser pareillement les paroles positives à notre égard. A la lumière du présent billet, on s’aperçoit qu’on ne peut pas se contenter de cela. Et pourtant l’argumentation de Finkielkraut ne me fait pas vraiment changer de point de vue. Car ce qui compte fondamentalement dans un message de ce deuxième type (jugement positif sur soi), c’est la démarche qui le soutien, qui porte en elle un message autre que le simple qualificatif élogieux prononcé. La démarche, en étant véritablement tournée vers l’autre, envoie en substance un message de considération. Elle dit justement : « je te considère pleinement ». C’est en fait une déclaration d’amour pratique, une invitation à exister en somme. La démarche n'est pas que la porteuse d'un message, elle est message elle-même, et même un message plus fort, plus important que celui dont elle se fait le support, car plus intangible, moins sujet à être corrompu. Dans cette mesure, il me semble tout à fait conciliable de respecter l’idée de Finkielkraut et pour autant d’ « offrir » aux autres nos messages de considération positifs. Je crois que les deux peuvent tout à fait coexister. Ils sont même quasiment une seule et même intention. Je referme là cette parenthèse.]
C’est, je crois, exactement ce qui se passe lorsque l’on réduit les gens à leur fonction. J’ai notamment en tête les discours politiques du type Lutte Ouvrière dans lesquels la stigmatisation des patrons est poussée à son paroxysme. Si je ne nie pas une certaine sympathie pour les inquiétudes qui me paraissent légitimes des salariés les plus fragiles, je conteste en revanche totalement la méthode et le fond du discours tenu par les tenants de cette frange de la gauche « révolutionnaire ». Parce qu’elle ne fait rien d’autre que de réduire ces « patrons » (sans distinction d’ailleurs de qualité et de performance pour ceux-ci) à leur fonction. Arlette oublie qu’avant d’être J6M et patron de Vivendi, Jean-Marie Messier est avant tout Jean-Marie Messier. Un homme lui aussi, avec ses contingences, ses doutes, ses reculs, ses envies, ses ambitions, bref avec son altérité, avec son visage. Elle oublie qu’il a un visage qui le fait être profondément similaire à elle.
C’est une simplification très grande que de réduire les gens à leur fonction : « tu es un patron, donc tu es un tyran assoiffé de pouvoir et d’argent ». Une simplification terrifiante en réalité qui retire aux objets de ces descriptions la qualité d’êtres humains. Dès lors, on ne s’étonne pas que des totalitarismes puissent naître de telles manifestations. Mais en faisant entrer l’autre dans le piège de notre définition, en le cernant ainsi de nos projections de ce qu’il est, on se piège soi-même également. Car au moment même où je fais porter à l’autre le masque en lequel ma vision l’a transformé et par lequel je remplace son visage, son humanité, je mets le mien. J’attribue à l’autre son masque et en même temps, et par le même geste, je mets le mien. C’est identique, simultané. Car si l’autre porte alors le masque du caricaturé, je porte moi celui du caricaturiste. En retirant à l’autre sa part d’humanité, je me retire la mienne. Je me qualifie en me disqualifiant. Et ainsi je m’ôte à moi-même mon propre visage. Cela rejoint tout à fait une idée que j’ai plus ou moins toujours eu : je me fais à moi-même ce que je fais aux autres. Je veux dire par là que ce que je fais aux autres, le geste que je tends vers eux, je le tends également vers moi. Tant que je considère l’autre en tant qu’homme, alors je me considère en tant qu’homme, je me traite en tant qu’homme. C’est exactement ce que j’avais indiqué à la fin de mon billet d’analyse sur la peine de prison à perpétuité et la peine capitale.
Mais il faut poursuivre sur l’analyse des conséquences qu’il y a à retirer à l’autre son visage, à le réduire aux qualificatifs dont on le pare, et en particulier à le réduire à sa fonction. Pourquoi cela peut-il mener au totalitarisme, ou également au racisme et à l’antisémitisme ? Parce qu’une fois que je me suis dégagé de l’assignation que l’autre m’a fait porter par son visage, je me trouve libre de faire de lui ce que je veux. Je ne suis plus responsable de son devenir. Je suis délié, je ne lui suis plus redevable de rien puisqu’il n’est plus homme. Il n’est plus un être mais seulement une image d’un être. Il n’est en quelque sorte plus qu’un étendard, une icône qu’il est loisible de brûler. Kant écrivait : « je ne puis disposer en rien de l’homme en ma personne soit pour le mutiler, soit pour l'endommager, soit pour le tuer » et plus loin «il n’est personne, même le pire scélérat, pourvu qu’il soit habitué à user par ailleurs de la raison, qui, lorsqu’on lui met sous les yeux des exemples de loyauté dans les desseins, de persévérance dans l’observation de bonnes maximes, de sympathie et d’universelle bienveillance, ne souhaite de pouvoir lui aussi être animé des mêmes sentiments » (in Fondements de la métaphysique des mœurs) . Je crois que fondamentalement nous avons tous cette notion en nous. Il est extrêmement difficile de tuer un homme de sang froid, en le regardant dans les yeux. Si un criminologue passe par ici il me contredira peut-être mais je crois que c’est en fait quasiment impossible, en tout cas pour un individu sain d’esprit. Parce qu’on reconnaît l’homme dans le visage qui nous fait face. Mais dès que l’on a effacé ce visage, ne serait-ce que par un travail mental comme celui que j’ai décris plus haut, en le cernant de qualificatif, en le réduisant à une image à une représentation, bref dès qu’on a détruit l’assignation qu’il nous a faite, alors le champ est libre pour l’horreur. La barrière a sauté et tout devient possible. Je ne tue plus un homme, mais un patron, un égoïste, un noir, un juif. Je tue une représentation que j’ai privée de toute réalité humaine.
La question du racisme et de l’antisémitisme est un peu pour moi l’aboutissement de cette lecture de Finkielkraut. C’est pour mieux la cerner et parvenir à en comprendre les sources, les mécanismes que je me suis engagé dans ce travail. Je ne l’ai abordée ici que de façon superficielle mais je compte revenir dessus plus tard, une fois ma lecture aboutie.
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Tour du monde imaginaire
De retour d’un agréable week-end dans le Morvan et en attendant de récupérer ce soir de nouveaux agrandissements de mes photos américaines (j’ai notamment commandé le panorama du parc Yosémite dans la plus grande taille disponible, l’équivalent panoramique du 50/75), je me prends à rêver d’un nouveau voyage, d’un grand projet qui me mènerait aux quatre coins du globe, en conservant la liberté que j’ai eu lors de mes dernières découvertes, et marqué par quelques « temps forts » qui me trottent dans la tête depuis déjà pas mal de temps.
Histoire de partager un peu ce rêve, voici le trajet qui aujourd’hui me tenterait. Le voyage se ferait sur une durée d’un an environ. Evidemment, toutes les occasions d’assister voire de participer à des activités locales particulières seraient bonnes à prendre afin de découvrir autant les gens, leurs modes de vie, que les paysages.
Asie.
Premier grand temps fort.
Mon voyage commencerait en Himalaya, où j’ai d’ailleurs failli aller cette année en lieu et place du voyage que j’ai fait aux Etats-Unis. Après coup je ne regrette rien, mais enfin il s’en est vraiment fallu d’un cheveu que je ne parte découvrir les sommets mythiques (et mystiques pour les autochtones) de la grande chaîne himalayenne. L’envie d’y aller reste donc intacte, d’autant que les possibilités sont innombrables. Entre autres attraits je pourrais envisager : un trekking à la découverte de l’Everest, en allant jusqu’au camp de base d’où partent les expéditions pour son ascension (on grimpe facilement à 6000 mètres d’altitude dans une ballade comme ça, super !), ou tour de l’impressionnant massif des Annapurnas (enfin on n’en fait pas le tour complet sinon on y passe l’année, mais l’idée serait de découvrir la grande variété de paysages que cette chaîne montagneuse peut offrir). 3 grandes semaines.
Ensuite, suivre avec des locaux le trajet extraordinaire qui mène de Katmandou à Lhassa. La traversée de la frontière, la découverte du massif himalayen dans son versant tibétain. Deux semaines.
Quitter le Tibet pour le Bhoutan, pays dont les paysages sont restés extrêmement préservés de l’influence du tourisme et qui garde encore une politique assez restrictive de ce point de vue (les prix sont assez élevés pour s’y rendre). Deux à trois semaines.
Quitter l’Himalaya et par un grand saut vers le nord-est rejoindre la Mongolie et ses immenses plateaux. Découverte de la vie des nomades. 3 semaines.
Nouveau saut vers l’est pour rejoindre le Japon. Dans ce pays, je m’intéresse très peu aux villes, mais plutôt aux villages intérieurs, aux montagnes, au Japon traditionnel et paysan. 3 grande semaines.
Dernières étapes asiatique : le Vietnam qui m’a encore été très chaudement recommandé récemment et où deux amis se sont installés il y a déjà plus d’un an maintenant. La découverte du pays offre là aussi beaucoup de possibilités : des sites historiques aux villages intérieurs, en passant par les côtes. Un mois.
Après l’Asie, hop, direction l’Océanie en commençant par l’Australie. Là je ne sais pas encore ce que je voudrais faire. J’ai deux idées en tête : soit longer la côte est depuis Canberra jusqu’à Brisbane, soit carrément traverser le pays d’ouest en est en partant de Perth pour rejoindre Sidney (en 4x4 ça doit être assez sympa mais je ne sais pas vraiment quelles sont les possibilités matérielles de faire un tel trajet). 3 semaines ou un grand mois.
Après l’Australie, la Nouvelle-Zélande. Je crois que c’est surtout l’île nord qui vaut le détour. Là aussi, la découverte du pays la plus chouette serait essentiellement à pieds, par des trek de plusieurs jours à travers les montagnes, les lacs et les forêts de ce joyau du pacifique sud. Un mois.
Amérique.
La liaison aérienne depuis la Nouvelle-Zélande me mènerait en Amérique du sud, à Santiago du Chili. De là, soit je rejoindrais le sud de l’Argentine et la Patagonie pour un séjour sur place de deux à trois semaines (le Parc del Paine est je crois extraordinaire), soit je remonterais directement le long de la Cordillère des Andes.
Deuxième grand temps fort : à travers le Chili, la Bolivie, et jusqu’au sud du Pérou, découverte de la vallée de la Lune, du désert d’Atacama (le plus aride du monde), des volcans du sud Lipez, du Salar d’Uyuni, avec en point d’orgue l’ascension du Licancabur (6000 mètres d’altitude, ce volcan a une particuliarité étonnante que j’ai apprise dans une émission de Nicolas Hulot : il contient en son sommet au niveau de son cratère et sous une couche de glace, quelques bactéries et autres organismes microscopiques qui sont donc les êtres vivants habitant à l’altitude la plus élevée sur notre planète). Si j’en crois plusieurs témoignages que j’ai déjà entendus ou lus, ce parcours-ci fait découvrir les plus beaux paysages qu’on peut trouver sur Terre. C’était également une des alternatives à laquelle j’avais pensé avant de partir au printemps de cette année. Finir au Pérou par les sites du Machu Pichu et la ville de Cusco. Un mois à un mois et demi.
Remonter ensuite en direction du Mexique pour découvrir notamment les anciennes cités précolombiennes, ou encore le Popocatépetl. Mais aussi Mexico, ou d’autres villes comme Oaxaca. Ca peut durer longtemps dans un pays comme ça. Disons 3 semaines mais il y aurait de sacrées frustrations en repartant.
Aux Etats-Unis, dans la mesure où j’ai déjà vu une grande partie des plus beaux paysages du sud ouest, mon étape serait sans doute courte. Il y a toutefois le site White Sands (dans le Nouveau Mexique) que j’aimerais voir, et passer un ou deux jours à San Francisco me plairait beaucoup. Je pourrais en profiter pour me reposer et profiter à nouveau de cette si belle ville. 10 jours.
Remonter à Vancouver, et là, entreprendre la traversée du Canada d’ouest en est. Deux possibilités pour ça : la méthode pépère, en voiture, à travers les parcs, les villes, en prenant son temps et en profitant un maximum de chaque site. Ou alors mais je ne sais absolument pas quelles sont les possibilités de réaliser ça, faire une traversée « grand nord », en se joignant à des traineaux façon Nicolas Vanier (bon ok, là je rêve sans doute un peu mais peu être est-il tout de même possible de le faire ne serait-ce que sur une petite partie du trajet, je vais me renseigner tiens). Un mois et demi.
Afrique.
Oui je sais, cette transition entre l’Amérique et l’Afrique serait sans doute difficile à supporter. J’aurais dans la configuration évoquée ici déjà 9 mois de voyage « dans les pattes », avec toute la fatigue que cela suppose, et passer alors de l’hémisphère nord à l’hémisphère sud avec une vraie rupture de climat serait pour le moins osé. Mais je ne vois pas bien comment intégrer l’Afrique de façon simple dans ce voyage mais il est absolument immanquable. Et vous avez bien lu « hémisphère sud », car j’arriverai alors au Cap, en Afrique du sud, pour une découverte rapide du pays, avant de remonter jusqu’à la Namibie. Là aussi, d’après mes lectures et quelques témoignages glanés, le pays est fabuleux : ses immenses dunes ocres, sa faune, sa flore, et le grand delta de l’Okavango sont autant de merveilles naturelles immanquables. Un mois.
En option, selon mon état physique du moment, je pourrais alors envisager soit un arrêt au Kenya, pour un traditionnel safari, soit un départ pour Madagascar, une île qui me fait rêver depuis longtemps déjà et que je découvrirai de toute façon un jour ou l’autre. 2 semaines ou 3 grandes semaines selon le choix.
Enfin, dernier temps fort du voyage, qui me tente presque plus que tout le reste : la traversée du Ténéré (Niger), en suivant une caravane sur la route du sel. Trois semaines à un mois dans le désert, à vivre avec les nomades, au rythme du sable et du soleil, des cahotements des dromadaires, être un nomade… Et ce voyage là, je sais qu’il est possible.
En guise d’épilogue, je signale que pour la plupart, ces idées me sont inspirées par le catalogue d’un excellent voyagiste que j’ai découvert en début d’année : Allibert. Je me permets d’en faire la publicité ici, car je trouve ses voyages absolument superbes, parfois un peu effarants même (on trouve des ascensions de sommets de 7000 mètres par exemple…), empruntant toujours des chemins hors des sentiers battus, très proches de la réalité des pays découverts et de leurs habitants.
P.S: ce soir ou au plus tard demain dans la journée, je posterai un nouveau billet en liaison avec ma lecture de Finkielkraut.
17:00 Publié dans Un peu d'évasion | Lien permanent | Commentaires (5) | Facebook |
09/11/2005
L'inquiétude résolue
Les mots trop minces,
trop ténus,
la peur si forte,
si sûre d'elle-même.
23:35 Publié dans Un peu de poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook |