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14/12/2005

Aux sources du racisme et de l'antisémitisme (tentative de conclusion)

Billet précédent de la série

 

Je termine presque ma lecture de La sagesse de l’amour de Finkielkraut. J'ai conscience que l'étude que je mène ici est un peu en déphasage avec l'actualité de l'auteur. Mais d'autres (et notamment eux) parlent déjà de façon intéressante de cette actualité, et peut-être l'étude dépassionnée d'un texte de fond de l'auteur pourra-t-elle aussi apporter son grain à ces discussions animées.

 

Aujourd’hui je voudrais compléter la réflexion que j’avais entamée dans mon billet précédent sur les sources du racisme et de l’antisémitisme. A nouveau je vais procéder en traitant séparément racisme et antisémitisme, afin que mon propos soit le plus clair et le plus ordonné possible. J’avais avancé que le racisme « classique » naissait notamment de ce que la couleur de l’autre stigmatisait sa différence et interdisait ma tentative d’échapper à celle-ci. Lorsque le visage de l’autre m’assigne la responsabilité de le considérer, mon premier réflexe est de chercher une échappatoire, une issue qui me permette de retrouver ma quiétude initiale, mon innocence tranquille. Mais si je peux espérer y parvenir en face d’un visage qui me ressemble (et tous les critères peuvent intervenir pour établir cette ressemblance, la couleur de peau bien sûr, mais aussi l’origine culturelle, les critères sociaux, etc.), cette tentative est d’emblée réduite à néant face à un visage qui exprime aussi violemment sa différence que par sa couleur de peau. Impossible d’y échapper.

 

Mais un aspect important du racisme m’a échappé dans ma première analyse. Et qui intervient autant dans l’antisémitisme. C’est la vision hiérarchique des hommes qui prévaut dans ces idéologies. Que dirent les premiers conquérants européens lorsqu’ils découvrirent ces peuples « barbares » d’Amérique ou d’Afrique ? Ces gens-là ne sont pas des hommes. Ce sont des sauvages qui ne nous sont nullement comparables. Ils n’ont pas la même valeur que nous, il y a une hiérarchie dans la valeur que l’on peut accorder aux êtres vivants et ceux-là nous sont inférieurs. Comment cette hiérarchie est-elle établie ? Et bien justement par la différence visible que l’autre m’offre. Sa seule différence me permet de dire qu’il existe une hiérarchie. Elle me donne l’opportunité de dire : « puisque nous sommes différents, nous ne pouvons pas avoir la même valeur ». C’est là presque uniquement une question de logique. En effet, si deux éléments sont différents, c’est qu’ils n’ont pas les mêmes caractéristiques, et partant, ils ne peuvent pas avoir les mêmes vertus. Désormais le plus important est fait. Il existe une hiérarchie dans la valeur des hommes, et sa seule réalité va suffire à justifier toutes les discriminations possibles.

 

Car à partir du moment où c’est moi qui établis l’existence de cette hiérarchie il m’est facile et « naturel » de me situer tout en haut de cette échelle. C’est ma culture, mon niveau de maîtrise technologique, l’ancienneté de mon histoire qui vont m’apporter les arguments justificatifs de ma supériorité. Voire encore plus simplement la démonstration de ma supériorité en force : je suis le conquérant, c’est donc bien moi le dominant, l’être supérieur. Voilà l’alibi suprême que se donne le racisme contre l’homme de couleur. Il n’y a pas à le traiter avec autant d’égard que j’attends moi-même d’être traité car il n’a pas la même valeur que moi. Il apparaît dès lors logique que j’étalonne mon comportement vis-à-vis de lui en fonction de sa « vraie valeur ».

 

Cette erreur reste très argumentée et c’est la raison pour laquelle on a encore souvent bien du mal à s’en dépatouiller et à la déconstruire. Mais pourtant elle est énorme. Parce qu’elle assimile les personnes à leurs caractéristiques. Dans le fond ce qu’elle dit ce n’est rien d’autre que : « tu es les caractéristiques dont je te qualifie », « tu es ce que je vois en toi », « ma carte est la vérité de ton territoire ». Elle clame de façon définitive que l’autre est bien cet assemblage de qualificatifs qu’on a fait de lui, et rien d’autre que cela. Il est son masque, ce que j’affirme être son « vrai visage ». Son visage nu n’existe pas. On oublie par là que l’homme n’est pas ce qu’il a ni ce qu’il fait (à ce sujet, c’est un sentiment assez particulier de voir certaines notions sur lesquelles je réfléchis de façon particulière depuis l’ouverture de mon blog se recouper et parfois se renforcer, se préciser les unes les autres). Mais je reviendrai là-dessus dans ma conclusion.

 

Passons maintenant à l’antisémitisme. Le point particulier de la haine du juif me semblait être essentiellement que celui-ci, alors même que par l’apparition de son visage me donnait la responsabilité de le considérer, m’indiquait par son comportement, par sa « force » qu’il n’avait pas besoin de ma sollicitude. Il m’oblige et simultanément me dit qu’il n’a pas besoin de moi, que je lui suis inutile, il m’interdit le passage. Et je lis dans les dernières pages du livre de Finkielkraut un passage qui me semble valider l’idée que j’avais ainsi formulée.

 

« Le grief le plus ancien dirigé contre les juifs vise […] leur fidélité tenace à un mode de vie rigoureux, leur fermeture au monde et les barrières qu’ils dressent, comme à plaisir, entre eux et le reste de l’humanité. »

 

Mais Finkielkraut avance un autre élément, qui n’intervient que dans l’antisémitisme, et vient s’ajouter à la partition du rejet. C’est l’insaisissabilité de la différence du juif, son caractère vaporeux, presque fantomatique. On ne parvient pas à l’identifier clairement et à la catégoriser. Elle est impalpable et ne se laisse pas enfermer aussi simplement qu’une « bonne vieille couleur de peau noire » (mon expression).

 

« La différence juive n’est inquiétante que parce qu’elle est inassignable. »

 

On leur reproche d’être une société invisible, serpentaire, qui complote dans son intérêt et contre celui des autres. Le juif n’offre donc pas la simplicité de la différence visible et clairement identifiable. Et c’est là sa plus grande « trahison ontologique » dit Finkielkraut. De ne pas dévoiler sa différence de façon à ce que je puisse m’en saisir facilement. Et en réfléchissant bien c’est très probablement ce défaut de différence visible qui a poussé les nazis à réclamer le port de l’étoile de David en brassard. Ainsi ils disposaient d’un signe extérieur distinctif qui leur permettait de reconnaître le juif parmi les autres. La société secrète était enfin dévoilée au grand jour.

 

Je voudrais terminer cette analyse par un point précis évoqué par Finkielkraut dans sa description des mécanismes qui ont rendu la solution finale possible. Il montre, notamment à travers le témoignage recueilli à l’époque d’un chef de camp, le rôle de l’indifférence dans le geste terminal qui a envoyé des millions d’individu dans les fours crématoires. Lorsqu’on lui demande comment il a pu agir ainsi, ce chef de camp indique qu’il ne voyait pas en eux des hommes. Ils n’étaient qu’un magma informe de chair grouillante et gesticulante. C’est notamment la raison pour laquelle ils faisaient enlevé aux déportés leurs vêtements avant de les gazer. Pour ne plus avoir à affronter leur réalité, leur visage, celui-ci se faisant, presque littéralement, recouvrir par leurs corps dénudés. Les visages n’étaient alors plus visages mais seulement peau uniforme, extrémités d’un bloc uni et non identifiable comme être humain. C’est bien l’indifférence qui a permis de dépasser tous les stades de l’horreur. Mais Finkielkraut semble hésiter sur le rôle de l’indifférence et il la mélange à l’expression de la haine.

 

« Avec le nazisme, ce principe d’indifférence littéralement déchaîné, se répand partout, jusque dans le domaine qui lui paraît le plus irréductible : la haine de l’autre homme. »

 

Je crois précisément que si les nazis avaient « seulement » haït les juifs, ils n’auraient pas pu se livrer à une destruction aussi systématique. C’est parce qu’ils ont élevé l’indifférence à son plus haut degré, qu’ils ont pu adopter une démarche aussi dépassionnée de tuerie méthodique, organisée, industrielle. On voit là clairement pourquoi, comme je le disais dans un billet plus ancien, l’indifférence c’est la mort, la négation le plus aboutie de l’autre.

D’ailleurs plus loin, Finkielkraut semble rejoindre cette idée (c’est bien pourquoi il me semble un peu confus sur ce point précis du rôle de l’indifférence) lorsqu'il écrit :

 

« Parce qu’était neutralisé le visage de ses victimes, tout lui était possible. Tout, c’est-à-dire le dépassement des limites dans lesquelles le Mal reste maintenu lorsqu’il fonctionne à la rage et n’obéit qu’aux impulsions de la bestialité. »

 

J’aurais peut-être quant à moi ajouter « et de la haine » pour finir sa phrase.

 

Il est temps maintenant de conclure sur les sources du racisme et de l’antisémitisme. Fondamentalement ces deux comportements  se fondent sur le rejet de l’autre en tant qu’homme. C’est parce qu’on trouve une façon de nier à l’autre sa qualité d’homme qu’on peut se permettre de le haïr et de le rejeter. Si l’on ne trouvait pas de moyen pour supposer cette non humanité de l’autre, la tâche de son rejet serait insurmontable. J’ai toujours pensé qu’un des moteurs principaux de nos actions et de nos choix est de maintenir toujours et en toute circonstance notre innocence initiale. Nous ne tolérons pas d’être accusables de quelque chose, et cherchons sans cesse à nous disculper, voire à nous trouver de bons sentiments pour cacher nos penchants égoïstes ou destructeurs des autres (je fais très très court là). Le racisme et l’antisémitisme doivent eux aussi résoudre ce dilemme. Il leur faut un alibi, une justification, et la plus argumentée possible pour qu’elle offre un minimum d’angles d’attaque, pour pouvoir « s’épanouir » complètement, pour être absout de la faute qu’ils commettent.

 

Comment faire en sorte de préserver, au moins pour soi, l’image de l’innocence, de la bonne vertu morale ? Et bien en annihilant l’inhumanité de notre action par la déshumanisation de notre victime. On ne fait pas de mal à proprement parler à un masque, à un morceau de chair. Et dès que la barrière morale a sauté, tout est permis, on peut se déchaîner. Parce que je ne vois qu’un tas de chair informe dépourvue de visage et d’humanité s’avancer vers les chambres à gaz, je peux tolérer la tuerie systématique à laquelle je me prête. Effrayant aveuglement que celui de la négation de l’humanité de l’autre, que cette indifférence programmée pour absoudre des fautes commises.

 

« Techniquement » si j'ose dire, cette déshumanisation de l’autre passe par la stigmatisation de sa différence : la couleur de peau, le brassard avec l’étoile de David. Une fois que l’autre est différent et reconnu comme tel, je peux envisager par un raisonnement « logique » qu’il existe une hiérarchie dans la valeur des hommes. Et puisque c’est moi qui établit cette hiérarchie cela me place naturellement en haut de celle-ci. Je suis le décidant, celui qui défini pour les autres quelle place leur revient. Puisque l’autre m’est inférieur, alors je peux, en toute logique, le traiter comme tel, et donc avoir moins d’égard pour lui que j’attends d’en recevoir.

 

En fait dans ce processus de rejet on s’aperçoit que systématiquement on fait parler en l’autre son milieu, son histoire et son passé. Ce n’est pas l’autre qui me fait face mais ce à quoi je le rattache culturellement et en quoi je crois percevoir la réalité de son être. Il est possédé par son environnement, et n’existe pas en tant que tel. On oublie ici la complexité de l’individu qui, si elle se nourrit de son environnement, de ses expériences, de ses lectures, etc. n’en est pas pour autant réductible à ces seuls éléments extérieurs. Je ne suis pas La sagesse de l’amour, je ne suis pas la gestion du stress, je ne suis pas mes haïkus. Bien sûr ils désignent certains de mes caractères, mais ils ne suffisent pas à m’identifier, à me donner mon identité.

 

Et surtout, j’en reviens à ce que j’indiquais dans cet ancien billet : fondamentalement, j’ai la même valeur que tout autre homme que moi, quelques soient les actions de celui-ci, quel que soit son passé ou même que ses intentions. Cela ne veut pas dire qu’on doit nier les différences qui peuvent tout de même exister entre les individus. Mais il faut les remettre à leur place. Ce qui est différent, ce sont nos attributs, nos goûts, bref les signes extérieurs qui soulignent nos choix et nos orientations, mais seulement cela. Ce sont éventuellement nos passés et nos intentions qui n’ont pas les mêmes valeurs, et que l’on peut juger et condamner, mais moi, en tant qu’homme, je ne puis établir de hiérarchie entre moi et l’autre. L’autre me vaut, et je le vaux. Il est mon semblable, et dans l’interaction qui se joue dans l’échange de nos regards (interaction que Finkielkraut oublie d’ailleurs complètement dans son livre et sur laquelle j’espère revenir dans un prochain billet) je me reconnais en lui, je comprends que répondre à son assignation, c’est répondre simultanément, et pour moi-même, à celle que je lui soumets. Parce que c’est en traitant l’autre en homme que je manifeste, que j’affirme en même temps ma nature d’homme.

 

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Commentaires

J'ai toujours du mal avec cette volonte d'intellectualisation des phenomenes.
L'homme est par nature violent et considere l'etranger, celui de l'autre groupe comme une menace. Le tuer n'est pas du tout culpabilisant (Voir Collapse de J. Diamonds ou The Company of Strangers). C'est la societe qui cree le tabou du meurtre, mais si elle ne le condamne plus et l'orchestre il y a pas de question a se poser. A noter que le massacre de population n'a rien de contemporain, l'homme a toujours ete un tres bon meurtrier.

Bon je sais pas si c'est claire, mais je suis tres sceptique quand aux explications purement intellectuelles elles peuvent tout justifier ...

Écrit par : Arnaud | 14/12/2005

Je comprends votre objection Arnaud, mais je crois que vous vous trompez. Parce que vous ne percevez pas le côté très concret de ces mots et de cette "intellectualisation". Je peux vous dire qu'avant décrire ce type de texte je recherche d'une façon très personnelle ce qui se passe en moi vis-à-vis de ces questions, ce que je ressens, l'état émotionnel dans lequel je pourrais me trouver, etc.

Pour moi vraiment c'est extrêmement concret, même si les mots employés peuvent donner à penser qu'il ne s'agit que d'élucubrations uniquement théoriques. Très cincèrement je pense que si la philosophie n'est qu'étalage d'argumentations sans lien avec le réel, alors elle ne vaut rien.

D'ailleurs je ne verrais vraiment aucun intérêt à produire un texte exclusivement théorique puisqu'il n'apporterait aucune solution.

Si je peux me permettre une suggestion, je vous invite à essayer de dépasser le côté rébarbatif de ces mots et de "sentir" ce qui se passe à travers les descriptions que je fais. Vous devriez alors voir ce type de texte différemment.

Écrit par : pikipoki | 14/12/2005

Pour ma part, je rejoins Arnaud en partie, et même si je ne peux lire vos études qu'en diagonale ( et n'en voit surement que ce que je veux voir), je suis très heurtée. Les phénomènes racistes sont inexplicables, innaceptables, intolérables et liés exclusivement à la bêtise (pour rester polie) pas d'intellectualisation nécessaire. L"inconnu c'est la peur, la peur entraine la négation du phénomène la générant, POINT. La Jalousie est liée.
La peur et la jalousie sont les éléments créateurs du racisme, et je déteste l'intégrisme raciste réligieux ou sous tout forme qu'il soit !
Pour lutter contre, au lieu de refuser les signes extérieurs en particulier de réligion, je propose à tous de porter, une croix de David, une main de Fatma, la croix protestante le celle catholique, ce seraient-ce pas de meilleurs signes extérieurs de tolérance ???

Écrit par : langui | 15/12/2005

Hum, Langui j'ai peur qu'il y ait un malentendu et que vous ayez lu trop en diagonale.
Nulle part je ne préconise l'abolition des signes extérieurs religieux. Mon billet ne traite pas de cette question. Lorsque j'évoque l'utilisation faite par les nazis du brassard juif ce n'est pas pour dire qu'il ne faut pas porter ces brassards parce qu'ils sont des signes extérieurs religieux. Ils ne le sont d'ailleurs pas ! Ces brassards n'étaient pas des signes d'appartenance religieuse, mais d'exclusion par stigmatisation! C'est une logique très très différente.
Ce n'était pas un signe choisi par une communautée pour affirmer son appartenance, mais une tâche imposée par d'autres pour exclure.

Concernant le rejet d'une "intellectualisation" je reprends ce que je disais à Arnaud. Pour ma part j'ai peur qu'avec des raisonnements de ce type on finisse par simplifier les explications que l'on donne aux phénomènes et qu'on s'empêchent ainsi de vraiment bien les analyser. C'est pourtant nécessaire si on veut apporter des solutions efficaces. Un exemple: posez la question à vos collègues: "d'où vient le racisme" et compter le nombre de réponses différentes que vous obtiendrez. Avec tout ça qu'est-ce qu'on peut bien faire? Quelles solutions peut-on vraiment apporter? Je crois vraiment que si on ne fait pas l'effort de bien comprendre ces phénomènes, qui me paraissent bien plus difficiles que ce que vous pensez, alors on prend le risque de ne jamais vraiment pouvoir y apporter de réponse satisfaisante.

Maintenant cela ne signifie pas que j'ai moi-même trouvé ici les réponses les plus justes. Mais la démarche d'y réfléchir ne me semble pas inutile.

Écrit par : pikipoki | 15/12/2005

@ langui

Euh, moi je suis athée, je porte quoi?

Par ailleurs, où avez-vous vu que l'on interdisait les signes religieux en général? Ils sont interdits en des lieux très précis, à l'école publique LAIQUE, dans la fonction publique LAIQUE, à l'hôpital public LAIQUE, pour des raisons philosophiques qui vont au-delà de la simple tolérance.

Écrit par : Krysztoff | 15/12/2005

@ Krystoff

Portez les même signes .... ce serait la plus belle démonstration philosophique de l'athéïsme. non ? ;o)

Écrit par : langui | 16/12/2005

D'accord avec Pikipoki,

Il me semble dangereux d'expliquer le racisme en une seule ou deux phrases. Une simplification se voulant seule explication est en soi une forme de rejet ou de méconnaissance de l'idée des autres et de ce qu'ils peuvent avoir à dire de différent.
Comme l'usage des mots est important, le choix de ceux ci fait sens aussi, et la complexité à laquelle il renvoit rend compte de la réalité complexe de l'humanité, de sa richesse culturelle et langagière.
On peut ranger dans la notion de racisme des tas d'explications extraites de situations différentes il me semble. Et comme on peut aussi extraire du sens par des formulations et des réflexions de ces situations précises, on peut aussi y trouver la source d'explications qui ne se résumeraient pas toujours au seul racisme.

La haine ou le rejet sont des sentiments qui peuvent faire peur aussi à ceux qui les observent, l'essentiel étant de veiller à ne pas oublier qu'une personne peut évoluer dans ses sentiments et ne pas être enfermée dans une catégorie commode et ineluctablement condamnable.
Exemple: rien n'empêche une personne d'éprouver , pour des raisons propres un rejet précis envers une autre, sous des justifications que l'on pourraient nommer "racistes" et changer d'avis après une expérience différente.
Laisser aux autres le droit de se tromper, c'est pas mal aussi, avant de les enfermer dans des catégories, non?
C'est trop facile et dangereux de qualifier simplement ce qu'est le racisme chez les autres. C'est mon point de vue

Écrit par : dg | 16/12/2005

Pikipoki,

Je me permets d'apporter de l'eau à votre moulin. J'espère que je serai claire.
Pour ajouter à votre réflexion .



L"indifférence" explicite d'après moi, partiellement, "la solution finale" pratiquée par les nazis, à travers la capacité qu'ont eu certains individus d'exterminer sans aucune émotion, d'autres hommes.
Benoît Massin, dans "Anthropologie raciale et national socialisme", analysait le fait que sous le 3ème Reich, l'idéologie nazie reposait sur le discours d'une science de la biologie raciale. JP Faye et A.M de Vilaine("la déraison antisémite et son langage") avancent: " la mutation de l'ancien judaïsme confessionnel en antisémitisme moderne, c'est justement un déplacement de langue énorme qui transforme l'antagonisme. Ce n'est plus parce qu'ils sont de religion juive mais en raison de caractères anthropologiques et économiques que l'on retrouve leur présence. Telle est la mutation du langage qui se nomme elle même antisémite. L'antisémitisme devient en quelque sorte scientifique"

De ce postulat sur le discours scientiste antisémite , Jean Pierre Lebrun , auteur que je vous citais dans votre billet "totalitarisme et humanisme" pose , en tant que psychiatre et psychanalyste, que c'est à travers un discours nazi à visée scientifique que s'élude , s'efface l'énonciateur, c'est à dire le sujet et son enonciation, au seul profit de l'énoncé.

Propos d'Hitler pour illustrer ce postulat : "Mon devoir essentiel est de ne jamais entrer en contradiction avec mon parti. Si je suis d'avis opposé au sien , il me faut ou modifier ma façon de voir, ou la sienne"
Arendt disait : " quoi que fasse le chef, dans l'organisation totalitaire, il le fait de l'intérieur et non de l'extérieur"

Et là on voit bien qu'il n'est pas question d'entrer en relation à l'autre en défendant une place de sujet propre extérieure, mais de chercher à faire "un", en s'éludant soi même ou l'autre.
Les subalternes nazis ne deviennnent alors que des porte parole, portant, véhiculant le discours nazi et la science sur laquelle il prétend reposer. Lebrun précise "l'Un sait l'Autre(ce qui rejoint ce que vous dites de tenter de le définir) il le dit à sa place, il est complètement au fait de son désir et à ce titre exige d'ailleurs que tout devienne public"(...)
"Le parti pénètre chaque domaine de l'existence pour y diffuser ses consignes. "

C'est ainsi que je comprends qu'un système totalitaire s'oppose à un système tyranique.
"Pour Aristote: La tyranie est " une monarchie dont le pouvoir sur la communauté politique est de type despotique; elle vise l'avantage du monarque et pas l'avantage commun""
Après la Révolution française, le monarque est destitué, la place du roi , père et réprésentant du père tout puissant(dieu), est laissée vide pour la démocratie. "Nul n'a de prédestination à occuper la place du pouvoir"

Un tyran, "figure du père abusif" serait celui qui de sa place voudrait , du fait de son autorité,mener les choses comme il l'entend. Un tyran a des opposants.
Un système totalitaire serait à l'opposé du "faire de l'un sans l'autre" du système tyranique, mais du "faire de l'un avec l'autre", d'où l'idée d'"englober".
Cela ne peut s'opérer vraisemblablement que parce qu'il n'y a plus de sujets en opposition qui seraient reconnus comme tels ( comme des opposants à un tyran) mais comme des objets devant animer l'"Un". La figure de l'autre n'existe plus. Si elle n'existe plus, et c'est le postulat de Lebrun, , c'est que la place du père n'est plus symboliquement représentée pour constituer le sujet, et que le totalitarisme serait l'aboutissement de cet effacement au profit de l'englobement propre à la relation maternelle.
Une relation maternelle qui ne laisserait pas la place extérieure et symbolique du père, qui est cet autre , cet étranger à la relation fusionnelle que vit une mère à son enfant, dans le ventre et dans les premiers mois de sa vie, rend difficile , voire peut empêcher la structuration de la parole du sujet quand le père , cet autre, ne peut s'adresser à lui, parce qu'on ne lui en laisserait pas la possibilité. La place du père définit l'altérité dans la triagulation familliale. Il est toujours à l'extérieur.
De cette relation maternelle fusionnelle, peut naître le devancement de tous les désirs de l'enfant sans lui en reconnaître de propres, idem pour les sentiments. Ce ne serait pas l'attention aux sentiments propres de l'enfant, mais ceux que la mère lui impose qui effacerait ainsi la possibilité à être reconnu sujet. Le sujet serait englobé et non plus extériorisé.

Ainsi, il me semble que l'indifférence dont vous parlez, qui aurait permis l'extermination sans émotion et sans haine de millions de personnes, se rapprocherait à mon sens d'une incapacité à être sujet , ainsi qu'à reconnaître les autres en tant que tel. Pour beaucoup de nazis, il s'agissait d'exécuter des ordres . Lors du procés Eichmann, Servatius son avocat, également celui de Brandt médecin nazi, a soutenu au juge que la mise à mort par gaz était un "procédé médical".
"C'était un procédé médical puisque des médecins l'avaient mis au point" .

Des sujets n'auraient pu simplement obéir à ce système sans devenir fous, de mon point de vue. Il ne peut y avoir d'altérité sans constitution du sujet. Se représenter qu'aux autres on donne ce que l'on se prête, parce qu'on l'a reçu, l'humanité du sujet. Il me semble donc important d'observer que des énoncés de toutes sortes, se doivent de s'inscrire dans la limite de celui qui énonce et doivent toujours être reconnus en tant que tel.
Il y a donc des différences entre les hommes et c'est là que je vous rejoins. Ces différences doivent être reconnues.

Écrit par : dg | 17/12/2005

DG
Commentaire vraiment intéressant. Merci.

Écrit par : pikipoki | 18/12/2005

"la haine du juif" est vécue douloureusement quand on est soi-même juif mais quand on agrandit notre regard à la société toute entière, on s'apperçoit que "la haine du juif" est noyée dans les haines diverses envers notre voisin : haine religieuse, haine culturelle, haine sociale, etc......
Le communautarisme de plus en plus sub-divisé est le signe de la méga-division sociale qui cache fatalement "la haine des autres".

A bientôt et bon courage pour votre blog

Écrit par : jo | 03/01/2006

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