01/02/2006
Introduction à la notion d'aide
Billet précédent de la série
"En vain, nous appelons mille gens à notre aide" La Fontaine, Fables, XI, 1 (Le lion).
Dans la bataille qu’oppose au lion le Sultan Léopard pour sauver ses bêtes, celui-ci sait d’emblée que sonner le tocsin ne peut servir qu’à agiter le lion encore plus, mais que point d’aide il n’en obtiendra. Pour paraphraser ici La Fontaine, s’il y a une chose que l’on peut retenir de l’observation quotidienne de ses contemporains, c’est cet état de solitude fondamentale dans laquelle ils nous laissent toujours, et dans laquelle nous-même les laissons. L’individualisme et l’égoïsme, qui est son corollaire le plus proche, nourrissent l’essentiel de nos comportements courants. Il n’y a rien qui nous concerne plus et à quoi nous portions plus d’attention que nous-même. Et l’intrusion de l’autre dans notre vie est un trouble souvent insupportable de notre quiétude, une agression contre notre tranquille innocence, comme le disait Finkielkraut dans La sagesse de l’amour.
Cette tendance égoïste « naturelle » que nous avons tous, est je crois renforcée par certaines valeurs mises en avant dans nos sociétés modernes. Le besoin de reconnaissance que nous exprimons se trouve en effet légitimé par la valeur de réussite, professionnelle et sociale, qui me semble fonder une grande partie des mécanismes sociologiques occidentaux. L’une des principales gratifications que recherchent les hommes est le pouvoir et la domination nous disait Laborit. Dès lors, qu’on lui dise à cet homme, en enrobant cela sous le terme plus neutre de réussite, que tout cela est bel et bon, transformant ainsi une inclination naturelle en vertu, et il n’en peut rester que moins de son souci des autres et de son altruisme.
C’est très probablement ce constat, fait par beaucoup, de notre propre égoïsme et des dégâts qu’il génère qui est à la source de l’intérêt, qui m’apparaît grandissant, pour les actions d’aide, dont les associations caritatives sont les vitrines les plus nettes. L’aide est une action par laquelle on peut parvenir à transcender notre nature, défier nos propres défauts pour devenir vraiment humain. Elle participe, entre autres choses, à la démarche que je désignais à la fin de mon billet critique sur la vision si pessimiste que Finkielkraut faisait des relations humaines dans son livre cité plus haut.
Mais, j’émets pour ma part un bémol aux emballements peu mûris lorsqu’il s’agit de se lancer dans une action d’aide. Il s’en faut je crois souvent de beaucoup que de simples beaux sentiments, ou prétendus tels, puissent apporter des remèdes sérieux aux maux des autres. En y réfléchissant un peu, on s’aperçoit vite que l’aide présente ce paradoxe subtil qu’elle figure parmi ces notions qu’on pense saisir d’emblée, sans avoir besoin de grandes explications, alors que pour devenir véritablement aide elle peut nécessiter une mise en œuvre de moyens et de compétences élaborés, complexes, bref difficiles à déterminer et à fournir. Elle ne devient d’ailleurs aide que lorsqu’elle est vraiment efficace, ce n’est qu’à la conclusion de son processus qu’on peut dire qu’elle a existé ou non. Et plus encore que cela, elle renferme en elle-même de nombreux paradoxes.
C’est en partant de l’analyse de ces paradoxes que je voudrais proposer ma réflexion sur la notion d’aide. Ceci de façon chronologique, au fur et à mesure qu’ils se présentent dans la relation que l’aide crée. La démarche de cette analyse étant de parvenir à dégager, pour ceux qui souhaitent trouver un moyen efficace d’aider, quelques grands points sur lesquels s’appuyer pour définir leur démarche (le projet est donc assez ambitieux, peut-être même un peu prétentieux, mais j’ai tout de même envie d’essayer). C’est ainsi que mes prochains billets dans cette série porteront successivement sur :
1. La rencontre de l’aidant et de l’aidé.
Premier paradoxe fort dans la démarche de l’aide où l’on va devoir décortiquer deux difficultés qui se posent avant même que l’aide ne soit engagée : l’orgueil de celui qui a besoin d’être aidé, et qui se rend ainsi susceptible de refuser toute assistance, et l’égoïsme de celui qui pourrait aider, mais qui par son manque d’altruisme se rend absent, indifférent, et ne peut donc pas aider. La rencontre de l’aidant et de l’aidé semble déjà presque « contre nature ».
2. La relation d’aide.
Deuxième paradoxe, sans doute le plus fort, qui naît dans la relation de dépendance entre l’aidant et l’aidé. Car d’une dépendance univoque, de l’aidé envers l’aidant, on arrive presque immanquablement à une relation de dépendance equivoque où chacun, aidé et aidant, devient dépendant de l’autre. Il faut ici découvrir en quoi cette relation de dépendance et donc même d’interdépendance est nécessaire, et quelles sont ses limites, c’est-à-dire quelles sont les entraves qu’elle peut engendrer dans la démarche d’aide.
3. L’arrêt de l’aide, sa conclusion.
C’est le moment de vérité, celui où l’on sait enfin si la démarche entreprise a constitué une aide ou pas. Du fait de la relation de dépendance, qu’on aura décrite auparavant, nouée dans la relation d’aide, il n’est pas toujours aisé de définir à quel moment celle-ci doit prendre fin. C’est pourtant ce moment bien souvent qui constitue le véritable test de l’efficacité de la démarche, celui où l’on pourra enfin redonner à l’aidé son autonomie. Se posera alors la question intéressante de l’épilogue que l’on peut donner à la relation d’aide : peut-on poursuivre la relation, avec le risque éventuel de maintenir la dépendance née auparavant, ou faut-il au contraire abandonner, enfin?, l’aidé en pensant que fondamentalement, son chemin personnel, comme le nôtre, restera toujours en grande partie solitaire ?
Billet suivant de la série
15:15 Publié dans Un peu d'observations | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook |
Commentaires
Prometteur tout ça! Faire quelque chose pour autrui est (de manière à la fois simple et paradoxale) l'une des voies que David Servan-Schreiber préconise pour "Guérir le stress, l'anxiété et la dépression" sans Freud ni Prozac...
Écrit par : François Brutsch | 02/02/2006
L'occasion était trop belle pour pouvoir me priver de ces quelques lignes que PIKIPOKI et QUISTI deraient comprendre :
Je devais être l'aidant,
IL devait être l'aidé,
Il n'était pas dépendant
Je n'étais pas un géant
Je souhaitais pourtant
qu'il puisse aller de l'avant
sans être demain coincé
et de son avenir conscient
Mais je n'ai pu l'aider
Il n'avait pas d'chéquier !
Bon d'accord c'est facile, mais franchement pouvais laisser passer l'occasion ? One again !
Écrit par : langui | 02/02/2006
rooh... ;o))
Écrit par : pikipoki | 02/02/2006
Les commentaires sont fermés.