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14/10/2005

Un vote oui, mais national?

Certains auront peut-être noté que mon blog a été en carafe pendant une grande partie de la journée, suite à une attaque subie par mon hébergeur. Les fonctionnalités d'édition restent d'ailleurs réduites à l'heure qu'il est (j'ai un joli écran sans plus aucune icône d'option, juste des petites croix rouges, et impossible de faire des liens) et je ne suis donc absolument pas sûr que cette note sera éditée. mais tentons.

 

Ce tombe presque bien car ma note d'aujourd'hui allait être courte. Je voulais revenir rapidement sur le résultats des élections allemandes. Après moults tractations, c'est finalement bien Angela Merkel qui sera chancelière, malgré un score plus qu'étriqué. Etriqué oui, mais meilleur que les autres, quoi qu'on en dise. L'attitude de Schröder m'avait beaucoup étonné au lendemain des résultats. Au mépris du vote des électeurs, et envers la tradition du pays qui veut, très logiquement, que ce soit le leader du parti remportant le plus de suffrages qui devienne chancelier, celui-ci avait annoncé qu'il devait rester à la chancellerie. J'ai lu dans le Courrier International de cette semaine que cette attitude a visiblement beaucoup agacé les citoyens allemands, même jusque dans les rangs de son propre parti. Finalement, et contrairement à certains pronostics, il ne sera même pas vice-chancelier. Les choses reviennent là un peu à la normale (en tout cas pour le fait qu'il ne reste pas chancelier - ce point est à tempérer puisque c'est Muntefering qui prend la place de vice-chancelier, et visiblement il y aura une inclination forte vers une "schröderisation" du nouveau gouvernement).

 

Mais il me reste tout de même un sentiment d'incongruité après tous ces évènements concernant le système électoral allemand. Je trouve que le fait que les coalitions ne se décident qu'a posteriori a quelque chose de contradictoire avec le caractère éminemment national de ces élections. On le voit bien dans le cas présent. En votant les allemands ne savent pas nécessairement quel gouvernement ils peuvent faire émerger, et ici ils ne s'attendaient certainement pas à une nouvelle grande coalition. Du coup je trouve que ce processus réduit la portée de leur vote. Ou plus exactement la portée de l'intention de leur vote, puisqu'en élisant leurs représentants locaux ils n'ont pas d'assurance quant au gouvernement que celui-ci peut contribuer à faire émerger. Par ce processus ils agissent donc un peu en aveugles.

 

Je rejoins donc tout à fait Anthony Hamelle dans son dernier billet sur ce sujet, et trouve qu'au moins sur ce point, le système français est plus transparent, et donc préférable.

30/09/2005

La Turquie dans l'Europe? Ou l'identité vs l'ouverture

Lundi prochain, 3 octobre 2005, vont démarrer les négociations pour l’entrée de la Turquie dans l’UE. Je suis conscient que ce billet sera une redite de choses déjà dites ailleurs, notamment sur Publius lors de la campagne référendaire, mais je souhaite tout de même tenter quelque chose de complet ne serait-ce que pour éclaircir mes propres idées sur le sujet.

 

Petit rappel chronologique pompé (en partie) sur Wikipedia :

 

1959 : Demande de la Turquie pour devenir membre associé de la CEE.

1963 : Signature d’un accord d’association avec la CEE.

1987 : Demande d’adhésion à l’UE.

Décembre 1989 : La commission européenne déclare la Turquie éligible à une candidature. Mais elle diffère l’examen du dossier.

1er janvier 1996 : l’union douanière entre la Turquie et l’UE entre en vigueur.

Décembre 1999 : L’Union Européenne accepte officiellement la candidature de la Turquie lors du sommet de Helsinki et souligne la « vocation européenne » de la Turquie, mais elle fixe des conditions à son entrée, que la Turquie accepte.

Octobre 2001 : La Turquie modifie sa constitution en profondeur afin de répondre aux critères exigés par l’Union Européenne.

Août 2002 : abolition de la peine de mort sauf en cas de guerre (cette restriction est levée depuis 2004).

29 Octobre 2004 : signature du protocole d’accord par lequel la Turquie reconnaît le TECE et s’engage en tant que candidat à respecter ses dispositions.

16 Décembre 2004 : le conseil européen décide l’ouverture des négociations d’adhésion.

2005 : Adoption d’un nouveau code pénal, accordant plus de libertés individuelles et plus conformes aux exigences européennes.

3 Octobre 2005 : ouverture des négociations d’adhésion.

 

Le débat sur l’entrée de la Turquie dans l’UE soulève énormément de polémiques, et j’imagine pas qu’en France. J’avoue pour ma part avoir un avis un peu partagé, en tout cas en démarrant ce billet. Mais je souhaiterais analyser un peu précisément les raisons qui pourraient me pousser à un rejet de la Turquie dans l’UE.

 

Lors du débat sur le TECE, j’avais indiqué qu’un des points qui ont sans doute le plus fait de mal à l’UE était que les peuples européens (au pluriel car je ne crois pas qu’UN peuple européen ait encore émergé) ne savaient pas ou plus identifier clairement quelle était l’identité de l’Europe : qui elle est et qui elle entend devenir. Le travail politique permettant de clarifier cette question me semble absolument indispensable si l’on souhaite réconcilier (en France ce terme me paraît très approprié) les gens avec l’Europe. On a notamment beaucoup dit que l’adhésion des 10 derniers membres dans l’UE en 2004 avait renforcé le sentiment de flou sur l’identité européenne.

 

Je crois pour ma part qu’il est très important que l’on donne désormais un cap clair à l’UE. Sinon les échecs tels que celui connu avec le TECE se répèteront. Pour moi l’UE doit répondre aujourd’hui à deux questions pour éclaircir son objectif : quel est son projet politique, économique et social, et quels pays pourront à terme être membres de l’UE. C’est la réponse à ces deux questions qui indiquera quelle identité l’Europe compte se donner.

 

Et la question de l’adhésion de la Turquie renvoie très clairement à la notion d’identité de l’Europe. La Turquie est perçue par nombres de gens comme un pays trop différent des autres pays européens par sa culture pour pouvoir intégrer l’UE sans que cela soit un risque de dilution de l’identité de celle-ci. Et dans la mesure où je trouve important que l’Europe se dote d’une identité claire, je serais, à ce point de ma réflexion, assez réservé sur son adhésion.

 

Oui mais. Il y a une limite très importante au raisonnement en terme d’identité. C’est ce point qui m’intéresse en particulier sur ce sujet. En effet, plus l’identité d’un groupe, quel qu’il soit, gagne en précision, moins ce groupe peut être ouvert à l’accueil de nouveaux membres qui aient cette même identité. Si je veux m’inscrire dans un club de football masculin près de chez moi, pas de problème. En revanche si ce club n’accepte que les hommes de plus de 30 ans déjà j’ai un souci. Et tous les éléments qui viendront compléter ces exigences réduiront d’autant mes chances de pouvoir prétendre m’y inscrire. Donc les notions d’identité et d’ouverture ont en quelque sorte une tendance intrinsèque à tirer l’une et l’autre dans des sens opposés. Plus on va vouloir ajouter de critères constituants l’identité de l’UE, moins celle-ci pourra être ouverte à l’adhésion de nouveaux pays. Et plus l’ouverture à d’autres pays sera grande, plus son identité se diluera.

 

Il faut dès lors indiquer les aspects que l’on entend prendre en compte pour établir l’identité de l’Europe. Le premier qui vient à l’esprit est la culture. Je ne vais pas m’étendre ici sur la définition de ce qu’est la culture (on pourrait y passer des heures) mais je crois que dans le cas de la Turquie on peut raisonnablement cerner le sujet en se portant sur son histoire et sur la religion qui y est pratiquée.

 

Je commence par la question de la religion. La Turquie est essentiellement de confession musulmane. Certes l’essentiel des pays actuellement membres de l’UE sont catholiques  chrétiens (y en a-t-il qui ne le soient pas ? Je ne crois pas mais n’en serais pas absolument certain). Et alors ? Vraiment ce point me semble plus que fragile pour dire que la Turquie a une identité trop différente de la nôtre pour intégrer l’UE. Nous avons bien chez nous une part important de musulmans. Est-ce un problème pour notre présence dans l’UE ? Leur présence chez nous remettrait-elle en cause la légitimité de notre présence dans le club européen ? Evidemment non. Et je ne vois pas pourquoi si demain les catholiques devaient devenir minoritaires chez nous cela poserait le moindre problème. Ce point est donc pour moi absolument non pertinent.

 

La question de l’histoire plaide elle très clairement pour la Turquie, notamment de par les liens qu’elle a avec la Grèce et son influence sur les Balkans. Il ne reste donc pas grand-chose sur l’argument de l’identité pour rejeter la Turquie.

 

Ou plutôt à mon sens, le seul critère d’identité qui pourrait encore permettre de rejeter la Turquie raisonnablement, c’est le critère géographique. Et je me demande si ce critère ne devrait pas être en fait le seul à prendre en compte pour déterminer si une candidature (pas encore une adhésion) peut être acceptée. Il me semble absolument indispensable de le prendre en compte, car si l’on acceptait des pays qui géographiquement n’auraient rien à voir avec le continent européen, alors il serait tout à fait absurde de continuer à appeler ce groupe Union Européenne. Non pas que je condamnerais par principe la formation d’un groupe d’états plus étendus que l’UE. Mais alors il ne faudrait pas l’appeler UE. Les mots ont quand même un sens et si on ne respecte pas ça, alors on ne peut pas se plaindre que les gens aient parfois l’esprit confus.

 

Donc la question principale que je me pose au final c’est : la Turquie est-elle un pays d’Europe ? Et là je fais très simple, j’ouvre mon encyclopédie à Turquie. Et je lis : « pays d’Europe et d’Asie mineure ». Petite moue dubitative. Pas sympa mon encyclopédie. Elle aurait pu trancher plus clairement. Wikipédia écrit : « situé en majeure partie en Asie ». Tu ne m’aides pas Wikipedia là. Mais enfin tout de même j’ai bien lu : « pays d’Europe ». Et je reviens maintenant sur le processus engagé déjà de puis de nombreuses années avec l’Europe. L’UE a reconnut à plusieurs reprises la validité de la demande d’adhésion turque, jusque à reconnaître même la « vocation européenne de la Turquie ». Alors j’aurais de plus en plus tendance à penser que sur le principe oui, la Turquie à sa place, toute sa place dans l’UE. Et pour finir, je note une dernière remarque : si l’UE devait finir par la rejeter de son club, après l’avoir tant fait mariner à ses portes, cela montrerait une maladresse politique assez énorme.

 

P.S : si des spécialistes passent par ici, qu’ils n’hésitent pas à corriger les imprécisions ou insuffisances de mon texte.

17/07/2005

Pourquoi j'étais indécis sur le TECE

Voici le texte que j'ai rédigé concernant le TECE et qui a été publié (à ma grande surprise!) par publius deux jours avant le référendum du 29 mai. J'y ajoute un tout petit peu de chair sur ce que le TECE apporte à mon sens (fin du texte).

Note: les personnes auxquelles je fais parfois référence dans ma note sont des participants de Publius.

Bonne lecture et bon courage ! (le texte est long)

Après deux mois complets passés à débattre de la Constitution européenne, sur le blog de Publius ou ailleurs, je voudrais tenter une petite synthèse personnelle pour faire le tri dans mes idées et enfin prendre position sur ce référendum.

Pour que ma position soit bien claire, je précise (au risque d’en faire hurler certains et de m’aliéner la lecture de la plupart, mais je ne prétends pas être un spécialiste publiien, ce travail étant surtout à but personnel ! ;o) ) que je n’ai pas lu entièrement le traité établissant une constitution pour l’Europe (que je vais désormais appeler TCE) ! J’en ai lu les première et deuxième parties et j’ai parcouru la troisième, notamment à travers certaines notes explicatives (Damien a fait un travail de titan), ainsi que parcouru la partie IV et certaines des remarques du praesidium et des déclarations qu’on trouve tout à la fin du texte.

Pour moi, il va s’agir de répondre à deux questions :

1. D’un point de vue démocratique, le TCE présente-t-il un point inacceptable (un seul me suffit, car je ne veux pas perdre ma démocratie) ? Si je réponds oui, alors je dois voter non.

2. Si je réponds non, je continue et me demande : le projet d’Europe qu’il contribue à forger me convient-il ? Y retrouvé-je la concrétisation des espoirs que j’ai pour l’Europe à laquelle je participe ? Si oui, je vote oui, sinon, je vote non.

Je commence rapidement par un point qu’il me semble obligatoire de préciser avant d’aller plus loin. Le TCE est-il un simple traité ou une vraie et belle Constitution ?

Plusieurs éléments montrent qu’il s’agit bien d’une Constitution, mais pas si belle qu’on pourrait le vouloir :

a. Le titre du texte: Traité établissant une constitution pour l'Europe. Ca signifie qu'une fois le traité ratifié, la constitution est établie. Donc l'Europe se dote bien là d'une Constitution, en tout cas elle le prétend.

b. De très nombreux éléments du TCE sont par nature constitutionnels. C'est bien un texte qui organise les pouvoirs (exécutif et législatif) et définit les relations entre eux. C'est le propre d'une Constitution.

c. Juridiquement le TCE a la valeur d'un simple traité (ni plus, ni moins). Mais il a aussi, et à mon avis surtout, une valeur politique. Depuis quelques temps je m'aperçois de la nécessité de garder cet aspect en tête. Le TCE se lit avec deux grilles de lecture: la grille juridique et la grille politique. La lecture juridique sert à mon sens à bien préciser le sens brut du texte. Travail peu évident et qui donne déjà lieu à des interprétations différentes de part et d’autre. Mais au combien utile car il est la base sur laquelle doit s’appuyer par la suite la lecture politique qui vient donner son sens profond au texte. Car au-delà de la définition de droits pour les citoyens européens, le TCE présente également un projet de société, avec ses valeurs humaines et même des principes de politiques économiques et sociales. En cela il est un texte éminemment politique. Et de ce point de vue politique, c’est bien à une Constitution que nous avons affaire. Nous nous retrouvons donc avec un texte qui a deux valeurs différentes selon le point de vue où l’on se place. Il a un statut hybride, et c’est je crois ce qui lui fait grand tort.

Cette remarque posée, j’en viens à mon premier point. Le TCE met-il en place une Europe démocratique? C’est pour moi la question essentielle à laquelle il faut répondre. Si le TCE s’avère non démocratique, qu’on y découvre ne serait-ce même qu’un seul point, oui un seul point, qui le rend de ce point de vue inacceptable, alors il faut le rejeter. Ou alors on est fou.

J’ai commencé à me familiariser avec le débat sur le TCE en découvrant via les actualités de yahoo.fr le site du désormais célèbre Etienne Chouard. Et bien sûr, pour moi qui avais encore l’encéphale tendre de celui qui débarque dans la bataille, ce fut un choc. Le péril pour la démocratie était là, limpide, écrit noir sur blanc, articles du TCE à l’appui, et accompagnés de commentaires et d’analyses claires. Et ce qui appuyait d’autant plus le propos c’était la démarche visiblement honnête de Chouard qui cherchait visiblement ouvertement à débattre et à comprendre le texte qui nous est soumis (honnêteté à laquelle je crois toujours, et j’ai d’ailleurs trouvé sur ce point que certaines critiques de son texte utilisaient des méthodes de discrédit très déplacées). Les questions soulevées par Chouard me paraissant très importantes, voilà où j’en suis à leur sujet.

1 Le TCE est illisible, trop long (incroyable le coup que nous ont fait certains hommes politiques à nous brandir des versions miniaturisées, ou encore la version journal qui est forcément plus courte qu’en version livre – la version papier normale fait 200 pages ce qui doit être une première pour une Constitution), difficile d’accès avec ses renvois multiples (pour comprendre le sens de certains articles il faut parfois en lire plusieurs autres) et écrit dans un vocabulaire évidemment pas toujours compréhensible par le commun des mortels. Et Chouard d’enchaîner : « si je ne comprends pas, je ne signe pas. » L’argument est très fort car il renvoie à une notion de sagesse populaire évidente : qui serait d’accord pour signer un contrat qui engage des pans importants de son avenir s’il ne peut lire ce contrat et l’accepter en connaissance de cause ?

Toutefois je vois plusieurs limites à cet argument aujourd’hui. D’abord, un texte réunissant sous un même toit les droits à fixer pour 25 (maintenant 27) Etats, chacun d’entre eux ayant des spécificités complexes (et la France n’est pas dernière dans ce domaine) qu’ils souhaitent voir prises en compte est forcément au final à l’image de cette complexité. Comment pourrait-il en être autrement ?

Mais attention, ce contre-argument remet-il en cause le caractère inintelligible du TCE ? (En d’autres termes le fait qu’on ne puisse, éventuellement, pas faire autrement ne signifie pas pour autant qu’on doit accepter cet état de fait comme contraignant, surtout si on estime que la démocratie est en cause). Mon contre-argument le plus important est que le TCE a fait l’objet de beaucoup d’explications et de débat dans la campagne : beaucoup de livres ont été publiés sur le sujet, avec des avis des deux camps, il y a de nombreux blogs qui ont vu le jour sur le sujet de la Constitution, des initiatives de débats dans les communes, etc.

Donc s’il est vrai qu’il ne serait pas raisonnable de signer un contrat qu’on ne comprend pas, il ne nous revient pas moins, en tant que citoyen responsable, et justement parce lorsqu’on prétend se battre pour la démocratie, de faire les efforts nécessaires pour défricher les tenants et les aboutissants de la question qui nous est soumise. On ne peut pas pester contre l’illisibilité d’un texte si on ne fait pas un minimum d’effort pour le comprendre. Car c’est l’intérêt que porte le peuple aux sujets politiques qui lui sont soumis qui fait toute la vitalité d’une démocratie.

On peut tout de même (pardon pour ces revirements, il va y en avoir d’autres dans la suite du texte d’ailleurs, mais ils traduisent à mon sens la complexité du sujet) objecter que s’il revient aux gens de s’intéresser et de se renseigner sur le texte qui leur est soumis, il revient aussi aux dirigeants de mettre en place les conditions pour que naisse cet intérêt. Or, de ce point de vue la déficience est à mon avis importante. Il y a eu très peu, trop peu d’explications, de démonstrations, de présentations claires de ce que l’Europe construisait, disons depuis 13 ans et le traité de Maastricht. La construction a manqué de transparence et a éloigné les peuples de l’Europe. Ce déficit joue aujourd’hui contre elle et contribue de surcroît à faire le lit du populisme qui n’est jamais aussi fort que lorsque les gens sont mal informés. Mais donc, en ce qui me concerne, (puisque très égoïstement je cherche à établir mon choix, pas celui des autres !), m’étant beaucoup intéressé au TCE et en ayant, je l’espère, compris l’essentiel, ce premier argument de Chouard me touche moins au final. Je ne choisirai pas en aveugle.

Mais pour retourner toutefois un peu dans son sens, je terminerai sur ce point par deux remarques (qui vont être longues !).

D’abord, une des raisons qui rend le TCE si long et difficile à comprendre est la présence de la fameuse partie III, sujette à tant de polémiques. Pour bien comprendre les raisons de sa présence dans la constitution, je renvoie au billet récent d’Emmanuel sur la déclaration de Laeken qui a lancé les travaux de la Convention Giscard. Pour faire court, on y découvre que la partie III ne devait initialement pas être intégrée au TCE et qu’elle le fut suite aux pressions exercées par la gauche européenne qui voulait pouvoir faire des modifications importantes sur les questions sociales, de l’environnement, sur la défense européenne, etc.

En passant, on découvre aussi avec intérêt que la Convention n’a jamais reçu mandat de rédiger une Constitution, elle n’était sensée que réfléchir à son opportunité. Ce qui n’est pas la même chose. Concernant la partie III c’était une erreur de l’intégrer au TCE. Au moins une erreur de stratégie, car les politiques auraient dû appréhender plus finement la charge symbolique que le terme de Constitution allait porter avec lui. On ne parle pas d’une Constitution comme on parle d’un simple traité. Certains (notamment les juristes) pourront trouver cet a priori déplacé, mais il est bien ancré dans la population, et il est à mon avis justifié car les deux termes renvoient à des textes qui n’ont pas la même valeur politique.

Revenons donc à ce qu’est une Constitution : c’est un texte de loi fondamental qui institue des pouvoirs (exécutifs et législatifs) et régit leurs rapports entre eux. Mais en aucun cas une Constitution n’a à traiter de choix politiques, ce que fait pourtant le TCE (et pas seulement dans la partie III – c’est un peu une caricature de la brandir toute seule). Ces choix, ces orientations doivent rester décris dans un texte à part (traité, ou autre, je ne suis pas spécialiste de la question). Le TCE confond les genres et traite de trop de choses en même temps. C’est donc un peu un retour de bâton normal qu’il reçoit là.

Paxatagore a cependant montré de façon intéressante que le fait que les choix politiques eussent été mis à part et sortis de la Constitution n’aurait rien changé à leur valeur juridique. Soit. Mais il oublie là que le TCE n’est pas uniquement un texte de droit. C’est avant tout un texte politique, le fait de le ratifier est avant tout un acte politique (juridique aussi puisque nous allons agir comme législateur directs lors du référendum). Et cette lecture de la valeur politique du TCE lui donne une valeur autre qu’un simple texte de droit, et c’est à mon sens cette lecture qui est la plus adaptée.

Deuxième remarque : je crois (mais là ce n’est qu’un sentiment personnel qu’on peut contester) que peu de gens auront vraiment lu et compris le TCE avant de voter le 29 mai. Et donc oui, beaucoup d’entre eux vont faire un choix qui ne sera pas en connaissance de cause. Mais pas seulement ceux qui vont voter oui, ceux qui vont voter non aussi.

2. Le TCE est un texte partisan alors qu’une Constitution doit être neutre.

Ce point est plus rapide à traiter. Dans la mesure où une Constitution reste écrite par des hommes, influencés par leur temps et l’histoire dans laquelle ils se trouvent, leurs idées sont nécessairement orientées et donc partisanes. Elles sont le reflet d’une intention politique… oui mais seulement d’ordre général. Il semble évident que la remarque de Chouard vise principalement la présence de choix politiques précis en matière économique et sociale et qu’il estime lui aussi qu’ils n’ont pas leur place dans une Constitution. Ce en quoi je le rejoins tout à fait, cf. point ci-dessus. Mais je ne juge pas que ce soit un point bloquant, certes non satisfaisant, mais pas bloquant, je m’en expliquerai plus loin.

3. Une Constitution doit être révisable, le TCE est verrouillé par l’exigence de double unanimité pour le modifier.

Voilà un problème qui mène loin. Oui, il faut une double unanimité pour réviser cette Constitution : celle des gouvernements qui doivent se mettre d’accord sur un projet de révision, puis celle des peuples/parlements pour ratifier cette révision. La première ne me semble pas inaccessible. Après tout ce fut bien le travail (difficile probablement) de nos hommes politiques de faire tourner l’Europe jusqu’à maintenant en ayant à affronter cette difficulté d’unanimité pour proposer un projet commun (ça a bien été le cas pour tous les traités qui ont été signés jusqu’à présent). La deuxième est déjà plus dure à obtenir, et on le voit d’ailleurs bien à l’occasion de la ratification de ce TCE qui ne rencontre pour le moins pas l’unanimité des peuples parmi ceux qui l’ont soumis au référendum (en passant, le fait que les parlements l’approuvent sans aucune difficulté avec des pourcentages de oui très forts alors que les peuples consultés par référendum montrent une réserve beaucoup plus forte témoigne bien de l’écart entre les élus et le peuple – j’y reviendrai là aussi plus loin).

Il y a deux éléments qui concourent ici au blocage : la règle de l’unanimité, et le nombre de membres de l’UE qui va croissant.

La règle de l’unanimité : que veut-elle dire ? Simplement que les Etats veulent conserver leur souveraineté sur un sujet aussi sensible que la modification ultérieure éventuelle du TCE. Cette règle est là pour dire : « vous gardez la main sur les éléments institutionnels primordiaux ». J’ai mis du temps à bien comprendre le sens politique de l’unanimité et de la majorité en matière européenne. L’unanimité est gardienne de la souveraineté des états, la majorité est d’essence fédéraliste. Si on décide à la majorité sur un point c’est qu’on accepte que le jeu démocratique à l’échelle européenne puisse l’emporter sur celui qui à lieu à l’échelle nationale. Au début de ce débat j’entrais en me souvenant de quelques cours d’histoire que j’écoutais d’une oreille pas toujours très intéressée au collège (ou était-ce au lycée ?) sur la construction européenne. On me disait alors que deux visions de l’Europe s’affrontait : celle d’une Europe fédérale (on pensait clairement en disant cela à un modèle d’Etats-Unis d’Europe), et celle d’une Europe des nations. Et il paraissait clair à tout le monde dans la classe qu’il fallait s’en tenir à la deuxième solution qui préservait l’originalité de chaque état et évitait que la fusion avec les autres ne résulte en une perte identitaire et culturelle.

Depuis l’Europe a avancé, peut-être sans trop regarder précisément où elle se dirigeait, plutôt en répondant à certains besoins pratiques qui se faisaient ressentir au fur et à mesure du rapprochement des états et de la construction. Mais en prenant du recul aujourd’hui, je me demande tout à coup dans quelle mesure on peut ne plus aller vers le modèle fédéral. On veut plus de démocratie dans le modèle européen ? Alors pas d’autre choix que d’étendre la règle de la majorité, progressivement bien sûr, mais à toutes les décisions. Il m’apparaît de plus en plus évident que l’unanimité en tant qu’on se situe au niveau européen, est un rempart démocratique. Je terminerai sur cette question avec le point 4.

Le nombre de membres, en gros l’élargissement. Je me trouve aujourd’hui divisé sur cette question. L’élargissement renvoie à mon sens très directement aux valeurs humaines que l’Europe veut promouvoir, notamment celles de tolérance et de solidarité. C’est un des aspects humains les plus positifs de la construction européenne. Dans cette optique je suis pour ma part partisan d’une Europe qui à terme inclurait tous les états géographiquement européens (pas d’autres en revanche sinon on vide le concept d’Europe de son sens – on pourrait, pourquoi pas, envisager un regroupement à un niveau international encore plus étendu, mais alors il ne faut pas l’appeler Union Européenne, ou alors on ne pourra pas s’étonner que les gens ne comprennent pas où l’on va – ça renvoie d’ailleurs aussi à la question identitaire). Quand j’envisage l’Europe et l’élargissement sous cet angle, je suis emballé.

Oui mais. Pas besoin d’être agrégé en politique pour comprendre que plus on est nombreux, plus il est difficile de se mettre d’accord, et cette difficulté est forcément accentuée par la règle d’unanimité qui s’impose encore sur de nombreux sujets. Le rêve d’élargissement se casse un peu les dents sur les contraintes pratiques des décisions à prendre. Et si on se retrouve, tous les pays européens autour de la table de négociation, heureux de se retrouver pour un projet commun, mais qu’on est incapable de faire vivre ce projet, alors on sera bien obligé, par la force des choses, de le remettre en cause. Ca ne sert à rien d’être ensemble si on ne peu plus rien faire, même si on trouve ça beau. Je ne dis pas qu’il faut tout de suite arrêter d’intégrer de nouveaux pays parce que ça ne marchera plus demain, mais je crois qu’il y a une réflexion très sérieuse à mener sur ce sujet parce qu’on ne pourra pas bien évoluer si toutes les décisions importantes souffrent de longueurs excessives (en économie, on a souvent besoin d’être réactif pour être efficace) ou pire de blocages irrévocables. Je n’ai pas de solution simple sur ce point. Ce problème se trouverait probablement lui aussi résolu par l’extension de la règle de la majorité dans les décisions européennes. Toujours au détriment de la souveraineté nationale. Le débat peut être long sur ce point.

Je ne reviens pas sur les conditions techniques de révision du TCE. Elles sont un peu plus simples que celles des précédents traités. Soit. Mais elles sont loin de suffire à garantir une révision en regard des éléments que je viens d’évoquer. Et les précédents traités n’avaient pas eux à être modifiés par 27 états comme maintenant. La situation est bien différente.
Toutefois, maintenant et bien que j’ai vu la grande difficulté qu’il y aura à apporter une modification à cette Constitution, je crois toute de même que ce sera possible (là ce n’est que mon avis qui, j’en suis conscient, peut tout à fait être contredit). Avec du temps, peut-être parfois beaucoup de temps, mais possible quand même. C’est la force de la volonté politique que de rendre ces futures modifications possibles. Je rejoins en cela l’article de la presse allemande évoqué par Emmanuel dans un billet récent qui dit : « Cette Constitution ne doit pas être la dernière ». J’espère que non ! Mais il me semble que les modifications les plus nécessaires devraient s’imposer aux yeux de chaque état membre avec une force particulière qui les rendraient plus faisables.

Cependant, je ne me voile pas la face. Cela appelle encore de nombreux compromis. J’introduis ici une petite parenthèse avec pour seul objet d’ouvrir une réflexion, sans que ce soit là une remise en cause de la voie du compromis qui s’impose de fait dans toute union. La notion de compromis, sans que je la confonde avec la compromission, porte en elle une faiblesse intrinsèque en ce qu’elle se résume, je crois, souvent en une logique du juste milieu que j’opposerais à la notion de juste mesure. Le juste milieu est une solution un peu bâtarde, entre les rives de deux opinions plus ou moins opposées, alors que la juste mesure, est la solution apportée avec justesse à un problème, et qui va permettre de le résoudre précisément sans rien laisser de côté. Bon, ça demande une analyse plus approfondie et une discussion qui nous mène un peu hors sujet (quoi qu’analyser les ressorts d’un compromis permettrait sans doute de cerner ce qu’on peut attendre d’une union et ce qu’on doit accepter d’y abandonner- à voir donc).

Je referme ma parenthèse pour évoquer un dernier point. A mon sens une des priorités, si le TCE est finalement adopté (pas seulement en France bien sûr mais en Europe), sera justement d’en retirer toutes les orientations de politique. Et sur ce point, je pense que ça sera difficile. Car c’est une partie énorme du TCE, et qui a des ramifications un peu partout dans le texte, pas seulement dans la partie III. La refonte à opérer est de taille. Il faut être réaliste, elle ne se ferait certainement pas avant longtemps, peut-être 10 ans, peut-être plus encore.

Alors ce point est-il inacceptable ? Dans la mesure où je crois les modifications possibles même si difficiles, je réponds non. Mais un peu du bout des lèvres je dois dire, parce que la difficulté extrême qu’il y aura à retirer toutes ces orientations politiques m’apparaît très clairement. Et là je fronce le sourcil. Le problème n’est pas que je sois d’accord ou pas avec ces éléments, mais simplement qu’il est nécessaire qu’ils soient modifiables. Je garde donc ce point en tête en me disant qu’il va falloir que le projet européen que me présente le TCE soit vraiment être à la hauteur pour que je m’engage à prendre ce risque.

4. La séparation et le contrôle des pouvoirs ne seraient pas correctement assurés par le TCE.

Voilà un point très fort dans l’argumentaire de Chouard. Pour résumer, le Parlement aurait trop peu de pouvoir alors qu’il est le seul détenteur de la légitimité populaire, et la Commission ainsi que le Conseil des ministres (aussi appelé Conseil) n’auraient de compte à rendre à personne, c’est-à-dire qu’ils ne seraient responsables devant personne.

Je commence par la Commission et le Conseil, qui seraient irresponsables. Pour la Commission, c’est faux. Elle peut être révoquée par le Parlement, en tant que collège. Je trouve ça assez normal car si chaque commissaire pouvait être révoqué seul, je crois qu’on prendrait le risque de déstabiliser la Commission dans son action ce qui n’est pas souhaitable. La démocratie doit aussi savoir ne pas handicaper l’efficacité.

Concernant le Conseil c’est déjà plus complexe. En effet le Conseil ne rend de comptes à personne. Et je ne suis pas bien d’accord pour le comparer avec le Sénat français car ce dernier est élu, certes au suffrage indirect, mais il est élu, alors que le Conseil ne l’est pas. La différence est de taille en démocratie. Pourquoi le Conseil a-t-il cette place alors ? Et bien parce qu’à nouveau, les Etats ont voulu pouvoir garder la main, au moins en partie, sur les lois votées au niveau européen et sur leur application. Est-ce dommageable ? La question est loin d’être évidente à résoudre, je trouve. Dans la mesure où je ne me sens pas encore bien prêt pour le modèle fédéral, je suis assez content que mes représentants politiques puissent avoir cette place dans les décisions européennes. Et je note aussi au passage que justement, ce sont des élus de mon pays.

On me répondra avec raison qu’ils n’ont jamais reçu de mandat électoral pour agir au niveau européen. C’est vrai et c’est là toute la limite de leur légitimité, je ne l’oublie pas, mais ça n’en fait pas des dictateurs pour autant. Et je rejoins aussi un peu la remarque de Versac qui indique que c’est un raisonnement un peu caricatural de vouloir plaquer le modèle de séparation et de contrôle des pouvoirs que nous connaissons, à une Union (il utilise le mot fédération, un lapsus qui indique déjà quel projet européen il a en tête, ainsi que d’autres publiiens ;o)) d’Etats comme l’UE.

Concernant le Parlement, le TCE est un progrès. La règle générale de la codécision lui donne enfin un vrai rôle législatif. Ce rôle n'est toutefois pas encore suffisant. A terme, il faut d'abord s'assurer que le Parlement vote toutes les lois, sans restrictions (je pense ici aux cas où le Conseil pourrait adopter une loi avec un seul rôle consultatif réservé au Parlement - art.I34 paragraphe 2-, et peut-être aussi aux actes non législatifs et aux décisions -art.I33 et I34- qui restent pour moi assez flous). Mais, là encore, si on y réfléchit bien, tout accroissement du pouvoir du Parlement au détriment du Conseil est un pas dans une logique fédéraliste. Ca ne veut peut-être pas dire qu'on finira à une fédération complète avec un véritable Etat européen, son président, son gouvernement, etc mais ça va dans cette logique. Il faut simplement en être conscient.

Je termine avec un dernier point qui m’apparaît comme un défaut. La nomination des Commissaires de la Commission reste assez floue (art. I26 paragraphe 4), pareil pour les juges de la CJUE, qui peuvent de plus être reconduits dans leurs fonctions, ce que je ne trouve pas bon.

Sur ce point je ne trouve donc pas qu’il est inacceptable, mais je note : « peut mieux faire ».

5. Une Constitution doit être rédigée par une assemblée constituante, désignée par le peuple pour ce mandat précis.

Ce point est intéressant car il soulève une question fondamentale. Celle de l’identité européenne. Je m’explique. La logique de Chouard est juste si l’on est dans la situation où il existe un peuple européen, qui se reconnaisse comme tel, et qui peut donc décider de se donner une Constitution. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui et c’est pourquoi il me semble assez douteux que l’on demande à cet hypothétique peuple européen de désigner une constituante.

Oui mais. ( ;o) ) . J’ai rappelé plus haut que la déclaration de Laeken n’avait aucunement donné mandat à la Convention VGE de rédiger une Constitution. La Convention en a toutefois décidé autrement, et je me demande si elle n’a pas, en allant au-delà de la mission qui lui avait été confiée, mis un peu la charrue avant les bœufs. Car tout le problème de l’Europe (je ne me situe pas au niveau national mais bien européen ici) est justement la question identitaire. Les peuples (du moins c’est mon impression) ne savent pas ou plus ce que l’Europe signifie. On ne sait plus ni exactement quel est le projet, ni avec qui on entend à terme le porter. L’opportunité de créer dans les esprits un sentiment d’identité européenne disparaît avec ce flou ou en tout cas se trouve fortement réduite. On le voit très clairement dans le débat français où la campagne officielle, et dans les deux camps, aura essentiellement porté des arguments franco-français. La place de la France d’un côté, les emplois français de l’autre.

Mais dès lors que ce sentiment d’identité européenne n’existe pas ou reste à un état si embryonnaire, fallait-il rédiger une Constitution ? N’était-ce pas un peu prématuré ? A mon sens si. Le travail de la Convention aurait grandement gagné en pertinence si elle s’était limitée à son mandat. Et le traité final qu’ils nous auraient soumis m’aurait plus convenu. Je crois qu’il était trop tôt pour proposer une Constitution, et c’est un peu dommage qu’elle soit proposée dans ces conditions car le terrain ne lui est pas favorable. Il y a un travail important de rapprochement des peuples à réaliser auparavant, cette fois-ci sur les plans culturels et identitaires.

Le fait qu’on n’ait pas nommé d’assemblée constituante ne me semble donc pas non plus inacceptable. Mais je regrette pour ma part qu’on ait ainsi précipité la rédaction d’une Constitution. Ceci pourtant ne me paraît pas suffisant pour la rejeter.

Au final donc, je ne rejette pas le TCE pour l’organisation démocratique qu’il propose. Mais je garde en tête de nombreux points qui sont limites et qui demanderaient des modifications si le TCE devait être adopté.

Avec ces points négatifs en tête, je pars sur ma deuxième question avec une exigence assez forte. Il va falloir contrebalancer ces inconvénients importants de façon forte pour que je vote oui.
Pour moi l’argument principal qui me ferait voter oui, c’est le projet que je vois dans la construction européenne : établir un pôle concurrent aux Etats-Unis et, éventuellement à la Chine dont tout le monde semble avoir peur (opinion que je ne partage pas vraiment). Beaucoup on dû sursauter en lisant cela. Mon rêve européen ne serait-il donc qu’u
n rêve de gloire et de domination sur le monde ? Pas du tout. Il est une réponse à une nécessité qui me semble s’imposer de plus en plus : construire un monde multipolaire. Où la force de l’un est contrebalancée par celle de l’autre. C’est à mon sens le grand défi géopolitique du futur dans un monde qui se mondialise. On voit bien, sans faire d’anti-américanisme primaire, les défauts d’une situation où un pays domine sans partage tous les autres dans tous les domaines : économiques, militaires, diplomatiques. Cette situation n’est bonne pour personne. Tout pouvoir nécessite un contre-pouvoir pour être modéré et qu’il n’y ait pas de risque qu’il dérape.

L’Europe a la capacité d’être un pôle fort, entendu sur la scène internationale (aujourd’hui c’est un peu la cacophonie, on l’a vu lors de la crise iraquienne), notamment avec son ministre des affaires étrangères. J’ai compris récemment que les positions que celui-ci prendrait ne seraient toutefois pas contraignantes pour les états membres. Chacun restera maître de son positionnement. Toutefois je pense que politiquement ce sera un peu (j’insiste sur cet adjectif) plus difficile que maintenant. C’est une avancée que je ne néglige pas et qui va dans le bon sens. D'une manière générale, je crois assez à l’idée qu’avec ce texte l’Europe sera plus unie dans sa démarche. Le TECE fait clairement le pas politique que nous sommes beaucoup à attendre depuis longtemps. C’est un point très important pour moi.

Et bien sûr, dans cette logique, je trouverais bon que d’autres pôles se constituent, notamment en Asie puisqu’on en parle tant, avec la Chine, le Japon et aussi l’Inde comme pilliers, ce qui en passant serait aussi la voie d’une vraie réconciliation entre les deux premiers dont on a vu récemment qu’ils n’avaient pas tout à fait pansé les plaies de leur histoire.

Je reconnais aussi les avancées faites sur les institutions : le Parlement a plus de pouvoir (même si ça reste insuffisant – et ces insuffisances sont absolument à corriger), le Conseil délibère en public ce qui devrait le rendre beaucoup plus responsable face à ses décisions : un ministre ne devrait plus pouvoir dire blanc au Conseil puis noir, ni même gris clair en revenant chez lui. C’est un point important susceptible d’éviter les parties de cache-cache derrière l’Europe. Le TECE rend l'Europe plus efficace dans son fonctionnement, et d'ailleurs aussi plus proche des citoyens (même si ce n'est probablement pas encore suffisant) de par la simplification qu'il représente par rapport aux traités antérieurs, c'est aussi un point très important.

Pour faire le bilan, je suis plutôt satisfait des avancées que propose le TCE, et certaines me donnent très envie de signer. Parti du texte de Chouard, et aussi avec un premier a priori pas forcément favorable parce que je savais que jusque là l’Europe n’était que très peu démocratique dans son fonctionnement, je me suis d’abord assez clairement situé dans le camp du non. Mais aujourd’hui pour la première fois j’envisage la possibilité de peut-être voter oui ( ;o) ).

Toutefois, en j’en terminerai là avec cette note qui est déjà très longue (toutes mes excuses), si je vote finalement oui le 29 mai ce sera avec plusieurs réserves.

Tout d’abord celles que j’ai indiquées plus haut. Il va falloir désormais si le TCE est adopté, que je constate clairement une intention de ne pas se satisfaire de ce texte et de continuer à travailler dessus pour le rendre meilleur, lui enlever ses orientations de politiques économiques et sociales qui ne devraient pas y être, donner au Parlement un pouvoir législatif complet, rendre plus transparentes les nominations des commissaires de la Commission et de la CJUE, et surtout, il est plus que temps de définir clairement où cette Europe va à terme, où elle compte s’arrêter, et pour réaliser quoi, avec qui.

La définition de ce projet me semble être à la base de l’identité de l’Europe, et elle devra être complétée par le rapprochement des cultures, plus d’échanges, et également plus d’implications directes des citoyens dans la vie politique européenne. Pour qu’ils puissent enfin se l’approprier. Sur ce point, j’ai été très d’accord avec ce qu’a dit Cohn-Bendit jeudi soir. On a manqué une occasion de lancer un débat à l’échelle européenne, et pas seulement à celle des états qui ratifient par référendum. Il aurait été bon de faire un référendum européen, qui ait lieu le même jour dans chaque état et qui rende de fait plus pertinent et donc plus possible un dialogue entre les citoyens des Etats membres. Dommage.

Je trouve d’ailleurs pour ma part que les Etats qui n’ont pas soumis le TCE au référendum alors que leur droit le leur permettait (est-ce le cas pour tous les Etats membres ?) ont fait un choix pour le moins douteux. Certes ce choix n’est pas un vrai déni de démocratie puisque nous sommes en démocratie représentative, mais sur une question aussi fondamentale que celle d’une Constitution, je trouve normal, et pour être plus clair sain, que le peuple soit interrogé directement. Je crois que ce choix de ratifications par voie parlementaire montre une certaine dérive en Europe. Il y a chez certains hommes politiques (pas tous) une vision oligarchique du pouvoir qui leur fait dénigrer la voix du peuple qui risquerait comme dirait Krysztoff, de ne pas être conforme.

Marie-France Garaud a rapporté dans la récente émission Ripostes sur France 5 une discussion qu’elle avait eue avec Giscard. Grosso modo, elle lui aurait demandé s’il était prêt en quelque sorte à forcer la main au peuple pour le mener presque contre son gré à faire un choix que lui, Giscard, estimait bon. Et Giscard aurait répondu : « absolument ». C’est à proprement parler un comportement d’oligarque. Et je crois que les gens ont senti cela. Et ce sentiment est, je crois, un des moteurs profonds pour ceux qui vont voter non. D’autant qu’il s’accompagne et se nourrit du sentiment d’abandon et de déconnexion des politiques avec leurs besoins concrets.

Pour ma part j’ai eu un sentiment assez fort que nos dirigeants politiques voulaient nous faire accepter ce TCE contre notre gré, à la façon d’oligarques qui ont oublié qu’ils représentent le peuple, et de façon éphémère. Et ce sentiment à beaucoup influencé mon non de départ. Je voulais pouvoir dire que je n’acceptais pas cette méthode et cette suffisance. Mais je crois aujourd’hui que le message est passé grâce au débat dont l’ampleur a surpris tout le monde et surtout nos hommes politiques. Ils se sont rendus compte à mon avis que nous n’étions pas prêts à choisir comme des moutons de Panurge, et qu’ils ne pouvaient pas nous traiter comme quantité négligeable. Donc, sur ce point, je ne pense plus que le vote non apporte quoi que ce soit.

Un dernier point. Sur la campagne officielle en France. Ca me paraît peu de dire qu’elle a été mauvaise. Nos hommes politiques m’ont semblé souvent totalement dépassés par l’évènement. Et les deux camps se sont livrés à des manipulations odieuses. Que ce soit le plombier polonais brandit par une certaine frange de l’extrême gauche ou le « vous votez avec Le Pen » récité par les partis sensés être modérés et qui se veulent plus respectables, nous aurons vraiment été servis en salmigondis. Je passe sur les arguments les plus ridicules qu’on a entendu du côté du oui, entre la peur simulée de ne pas avoir les jeux olympiques, les quarante jours de pluie, la récession économique, le plan B qui n’est pas possible, ah mais si pardon, ah non je m’a trompé, nos représentants qui se veulent les plus sérieux auront été en dessous de tout. Quant au « yes qui needs the no to win … against the no », celui-là restera pour moi un souvenir impérissable.