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17/03/2006

CPE/CNE et conditions de travail

Puisque je participe à un groupe de brillants tyrosémiophiles, et que le CPE est désormais LE sujet dont tout le monde parle, il faut bien que je l’aborde un peu sur mon blog.

 

Je ne vais pas faire un billet très long, notamment parce que mes autres camarades (à lire avec le poing levé) ont déjà tout dit ou presque sur le sujet, et mieux que je ne l’aurais fait. En fait je voudrais aborder cette question en faisant à nouveau un détour par celle du stress.

 

Il y a quelques temps déjà j’avais évoqué l’impact que le stress pouvait avoir sur l’efficacité des gens au travail. Perte de motivation, fatigue, etc. sont des facteurs qui entraînent une diminution de productivité, et donc représente un coût pour l’entreprise. Il me semblait donc, et c’est toujours le cas, qu’une réflexion approfondie sur la question du stress en entreprise, et d’une façon plus générale, sur les conditions de travail, serait une voie intéressante à suivre dans le débat de l’emploi.

 

En faisant quelques recherches ces derniers jours, j’ai d’ailleurs trouvé plusieurs rapports très intéressants qui analysent le sujet de façon détaillée. Vous pourrez notamment lire cet article de Studyrama qui rapporte les résultats d’une étude faite en 2005, et dont la principale conclusion est que 25% des salariés seraient trop stressés. Je signale également cette étude très riche de l’INRS, dont la dernière mise à jour date de novembre 2005.

 

J’en reprends notamment un tableau qui synthétise bien certains points importants :

 

Intensification du travail

Proportion de salariés qui déclarent ...

En 1991

En 1998

 

devoir fréquemment interrompre une tâche qu'ils sont en train de faire pour en effectuer une autre non prévue

48

56

 

devoir souvent ou toujours se dépêcher

-

52

 

ne pas avoir de collaborateurs en nombre suffisant

27

30

 

manquer de temps pour effectuer correctement leur travail

23

25

 

 

On voit bien l'augmentation sur chacun des points passés en revue. Ces symptômes me semblent clairement désigner des manques organisationnel dans les entreprises, celles-ci travaillant de plus en plus dans l’urgence et moins dans une vision stratégique à long terme, ce qui est à mon avis préjudiciable.

 

Pour en revenir sur la question du CNE et du CPE, je crains qu’ils ne fassent que renforcer cette tendance vers des conditions de travail qui se dégradent, générant ainsi un mauvais stress plus fort encore, avec la perte de productivité que cela suppose. On oublie que la période d’essai, pour la majorité des salariés, est une période de stress important, où l’on compte peu ses heures parce qu’il faut convaincre et se donner les garanties d’être confirmé à son poste au terme de celle-ci. On me rétorquera qu’elle est aussi une opportunité pour le salarié de prendre congé rapidement, pour profiter d’offres plus avantageuses. Certes. Mais cette logique ne me paraît vraie que pour une frange réduite des jeunes : ceux qui ont un bagage de diplômes et une formation qui leur permettent d’être en position de force. Et ceux-là sont minoritaires sur le marché. Les autres ont beaucoup moins cette possibilité. Alors bien sûr, il est difficile de chiffrer les coûts qu’engendre le stress, mais ils sont pourtant très réels, et surtout, ils représentent un vrai risque à long terme.

 

En gros c’est ça ma critique contre ces contrats : ils semblent s’inscrire dans une logique de court terme, et pas dans une vraie stratégie structurelle pour favoriser l’emploi. Juste pour l’anecdote, une intervention de Gilles de Robien attrapée au vol hier soir entre deux coups de zapette, m’a donné confirmation de l’orientation court-termiste de ces contrats. Il a dit à un moment (je cite en gros) : « Dans quelques mois, je retrouverais les partenaires sociaux assis ici à côté de moi et nous pourrons faire les comptes. Nous verrons alors si le CPE a créé des emplois, et nous saurons qui avait raison. » Mais si l’on se place dans le cas positif de créations d’emploi d’ici à quelques mois, cela ne serait pas moins ridicule de prétendre alors que donc le CPE était une bonne mesure.

 

Parce qu’il ne suffit pas pour créer une vraie dynamique que quelques milliers d’emplois soient créés d’ici à 6 mois. Encore faut-il que cela dessine une vraie tendance, et surtout, que ces emplois ne se trouvent pas détruits un an plus tard ! Il me semble que de Robien, qui a offert son plus beau sourire après cet appel au rendez-vous dans quelques mois, a en fait signé la logique à courte vue du projet soutenu par le gouvernement. L’objectif n’apparaît être que de pouvoir présenter dans quelques temps des chiffres satisfaisants sans se demander ce qui va se passer à long terme. Si c’est bien le cas, c’est une démarche tout à fait stérile, et même destructrice puisqu’elle fait perdre du temps au détriment de mesures plus solides.

16/03/2006

Changement de référentiel et débat parlementaire

Une des méthodes dont on parle parfois pour contrer une agression est le changement de référentiel. En quoi cela consiste? Il s'agit de rompre la logique comportementale qui soutien la démarche de l'agresseur. En entrant dans son jeu, mais en décalant son propre comportement sur une autre base que celle qu'il a adoptée. Cette modification déboussole l'agresseur, lui enlève ses repères pour lui faire adopter les nôtres. Du coup il abandonne son comportement agressif et se "cale" sur le comportement qu'on lui propose par notre attitude.

 

L'exemple type est celui de l'agression armée. Un type s'approche de vous et vous dit: "Ton portefeuille, ou je te bute!" Réponse en procédant au changement de référentiel: "Vas-y, frappe" sur un ton serein, comme si on était dans un cadre relationnel normal. L'agresseur qui s'attendait à créer un rapport de force et à obtenir une réaction qui y soit directement liée se trouve décontenancé. Le rapport de force est immédiatement brisé, du coup lui-même se trouve mis en dehors d'un rapport de force, et même il est en quelque sorte "laissé dans le vide" sans appui pour poursuivre sa démarche. Dans ce cadre nouveau, son comportement n'a plus lieu d'être et donc il laisse tomber son arme.

 

Evidemment cette description reste très générale, et il convient de rester très prudent quant à la réussite potentielle de ce type d'outil. Dans l'exemple évoqué ici il vaut bien mieux soit donner satisfaction à l'agresseur soit prendre ses jambes à son cou si on en a la possibilité, afin de sauver sa vie. Il faut parfois savoir faire l'éloge de la fuite. Mais il est très intéressant de noter que cette méthode en revanche peut donner de très bons résultats dans le cadre d'une agression qui n'est pas physique.

 

En effet, si l'on se trouve en face d'une personne qui montre une agressivité verbale forte couplée à une incapacité à écouter ce qu'on lui dit, entrer dans son jeu est la pire des choses. D'abord parce qu'il n'y a souvent aucun espoir à fonder sur notre capacité à lui faire entendre raison, et ensuite parce que ce faisant on y perd son énergie. En n'entrant pas dans le rapport de force que son comportement établi, non seulement on s'évite de s'épuiser en vain, mais on se donne plus de chance de ramener la personne à la raison. Et donc de traiter enfin le sujet qui nous oppose au lieu de rester sur une opposition de principe où chacun joue à celui qui lâchera le dernier.

 

Revenons maintenant dans un cadre moins violent, même s'il garde souvent un caractère agressif: celui du débat polémique. Ce qui me chagrine la plupart du temps dans les débats enflammés c'est que dans le fond personne n'écoute personne, aucune des parties en présence n'essaie vraiment de faire progresser le sujet du débat, mais que très rapidement il n'est plus question que de sauver sa position devant celle de l'autre, parfois au prix d'insultes et de phrases méprisantes ou moqueuses. Bref, le sujet du débat est oublié, non traité, et on ne se démène que pour ne pas être mis en position d'infériorité par rapport à son contradicteur.

 

En matière politique, cette logique du rapport de force est une constante. Quand un groupe cherche à faire valoir ses idées, l'outil de pression qu'il utilise le plus souvent est le rapport de force. On entend même souvent les commentateurs ne plus faire référence qu'à la capacité des différents groupes à créer ce rapport de force pour analyser la crédibilité de leur démarche. C'est le cas notamment de certains commentaires sur le conflit israélo-palestinien, où j'ai lu à plusieurs reprises que la démarche des terroristes palestiniens était obligatoire, parce qu'ils pouvaient ainsi établir un rapport de force et donc obliger le camp adverse à les écouter.

 

Je ne nie pas que, stratégiquement, il y a une pertinence dans cette position. Mais elle reste à mon avis tout à fait stérile et destructrice si la démarche adoptée est exclusivement celle d'un rapport de force, précisément parce qu'elle tombe dans le piège devenir automatique et de ne plus vraiment traiter le sujet auquel elle prétendait initialement porter attention. En d'autres termes, on prend le risque de ne plus se battre pour des idées, mais seulement pour se battre. L'absurdité de ce schéma n'échappera à personne.

 

C’est un peu la critique que je voudrais formuler contre le débat parlementaire qui a lieu ces temps-ci sur la question du CPE, et même de celui que l'on voit trop souvent se dessiner sur les grands sujets politiques. Grom indiquait hier dans un billet d'une approche que je partage plutôt, que les institutions sont aujourd'hui ainsi faite que les comportements mécaniques de l'opposition dans l'affaire du CPE ne peuvent guère être reproché qu'au fonctionnement de nos institutions qui ne leur donne pas de moyen de réaction et de protestation vraiment efficace. Et de signaler que ce reproche aujourd'hui fait à la gauche, doit aussi s'adresser à la droite lorsque celle-ci est dans l'opposition, ce qui me semble évidemment juste.

 

Pour autant, si je ne saurais critiquer Grom sur son analyse des mécanismes institutionnels qui organisent le jeu du débat politique, je reste pour ma part déçu des comportements que je constate. J'entends bien les gens qui voient le jeu des rapports de force systématiques comme quelque chose d'inévitable et qu'on serait bien naïf d'attendre autre chose et que donc seule une analyse cynique de la situation est véritablement intelligente (je précise qu'à mon avis Grom ne fait pas partie ce ceux-ci). Mais si on doit en rester là autant rester couchés et ne plus faire de politique.

 

Je crois que malgré les limites institutionnelles dans lesquelles le débat démocratique se trouve enfermé, il reste tout de même une place pour autre chose que des positions de robots lobotomisés aux seuls échos du :"tu dois établir un rapport de force pour parvenir à te faire écouter et pour te faire bien voir de tes électeurs." Ou alors le débat politique, et c'est ce que je crains en fait, sert de moins en moins de véritables projets, mais n'a plus lieu que pour savoir qui va remporter la prochaine élection. Et ce faisant il signe son propre échec.

 

Je crois donc qu'il serait plus que souhaitable que le débat parlementaire se concentre enfin en priorité sur les sujets politiques qui sont à traiter, et non plus sur les luttes de pouvoir, qui si elles sont compréhensibles, ne sont pour autant pas des fins en soi. Je note d'ailleurs sur ce point que la propension de nombreux journalistes à toujours réduire les actions ou paroles des politiques en tactique électorale n'aident vraiment pas à recadrer le débat là où il devrait avoir lieu et à l'assainir.

 

Pour conclure et aider la gauche dans cette démarche, qu'elle essaie un peu de changer de référentiel dans ses débats, qu'elle montre qu'elle peut faire autre chose que de proposer des réactions prévisibles et dans lesquelles elle s'enferme et enferme les discussions. Ce n'est pas qu'une question d'institutions, c'est aussi une question de comportement humain. Quand on a un comportement par lequel on montre qu'on est au dessus de la mêlée, on est écouté, parfois même respecté.

14/03/2006

Un vrai billet de néophyte sur l’économie mondiale

Avertissement : tout est dans le titre!

 

En suivant un peu l’actualité économique ces derniers temps, je me disais qu’on voyait beaucoup d’entreprises affichant des profits très importants: France Telecom, Total, Arcelor, BNP, etc. Les grandes entreprises françaises annoncent à la file les unes des autres des bénéfices record pour l’année 2005. Même la SNCF s’y met aujourd’hui !

 

Du coup, moi qui malgré mes études supérieures en commerce n’y connais pas grand-chose en économie (oui c’est un peu la honte, mais j’ai tellement peu aimé ces études…), je me demandais comme il était possible, si nos plus grandes entreprises faisaient de tels résultats, que notre croissance au niveau national reste si décevante (pdf). Et pourquoi, si les entreprises dégageaient autant de bénéfices, elles n’en faisaient pas plus profiter leurs salariés.

 

Heureusement, depuis que je blogue je suis moins bête qu’avant, ou en tout cas je compense avec ce que je lis chez les autres. Et parmi les blogs économiques que je lis, il y a celui d’Eric Izraelewicz, que je trouve souvent très bon et très intéressant. Hier, j’y lisais un article qu’il a posté vendredi dernier, et qui répond exactement à ma question.

 

Pourquoi les résultats de ces entreprises ne se traduisent pas dans la croissance globale de notre pays ? Pour deux raisons principales indique-t-il :

  • D’abord parce que ces entreprises sont les (grands) arbres qui cachent la forêt. Derrière ces champions qui enchaînent les bons résultats, il y a tout un tas de PME et de TPE qui dégagent des rentabilités beaucoup plus minces, et qui parfois même sont en train de diminuer. Eric Izraelewicz constate ainsi qu’il y a une fracture sociétale entre les grandes entreprises qui ont de très bons résultats et les petites qui ont plus de mal.
  • Ensuite, parce que cette fracture s’explique en très grande partie du fait que les grandes entreprises réalisent désormais l’essentiel de leurs profits à  l’étranger ce qui est beaucoup moins le cas des petites. Et puisque leurs résultats sont surtout bons à l’étranger, c’est en toute logique là-bas, et pas chez nous, que se portent leurs investissements. Ainsi, les fruits des bénéfices de ces entreprises partent pour une très grande partie ailleurs pour faire des petits, créer des emplois et générer de la croissance. Et pendant ce temps, notre investissement restant en berne au niveau national, notre croissance et notre emploi restent timides.

 

Pour appuyer ce point, je voudrais citer un autre article que j’ai trouvé excellent, découvert hier soir en feuilletant le Courrier International de la semaine dernière,  et extrait de The Economist (je vous indique le lien de l’article original, en anglais donc, celui du CI étant un lien payant).

 

Dans cet article, le journaliste note la déconnection grandissante entre résultats des entreprises et santé de l’économie des pays où elles sont nées. Pour la même raison que celle avancée par Eric Izraelewicz : le fait qu’elle sont désormais très internationalisées et liées à l’économie mondiale, et que l’essentiel de leurs bénéfices se fait à l’étranger.

« Firms in Europe are delivering handsome profits that are more in line with the performance of the robust global economy than with that of their sclerotic homelands”

 

Plus loin il note que les 40 plus grandes multinationales du monde emploient 55% de leur personnel à l’étranger et que 59% de leurs bénéfices se font en dehors de leurs bases nationales. Mais ce qui est inquiétant note-t-il, c’est justement que cette internationalisation pousse les entreprises à investir presque l’essentiel de leurs bénéfices à l’étranger, handicapant ainsi la croissance de leur pays, mais aussi limitant les gains que pourraient enregistrer les travailleurs qui y sont.

 

J’ai trouvé cet article très intéressant, parce qu’en le lisant je me suis dit que c’était exactement l'un des reproches principaux fait par une large partie de la gauche en France, surtout par la gauche de la gauche, à la mondialisation. Les entreprises, tentées par des coûts plus faibles à l’étranger et par les bénéfices qu’elles parviennent à y dégager, y investissent plus d’argent que dans leurs pays d’origine, ce qui porte un coup important à la croissance de ceux-ci, et se répercute ensuite sur le portefeuille des particuliers qui diminue.

 

Pourtant, si on y réfléchit bien, il me semble qu’il y a un grand « mais » à cette critique. C’est qu’on voit bien ici le jeu de vases communicants qui s’opère entre les économies mondiales. Les grandes entreprises basées aux USA, en France, au Japon, en Allemagne, etc. font de grands bénéfices, mais elles investissent hors de leurs bases, à l’étranger, là où elles ont de meilleures perspectives du fait sans doute en grande partie de coûts plus bas. Bref, dans des pays en voie de développement. Alors est-on bien sûr que c’est là quelque chose de fondamentalement mauvais et injuste ? Ce jeu de vases communicants n’est-il pas la vertu de la mondialisation qui permet ainsi à ces pays d’effectuer un rattrapage économique par rapport à nous ?

 

En fait ce que je veux indiquer ici, sans doute de façon trop simpliste je le reconnais, c’est que la critique anti-mondialisation qui nous viendrait naturellement à la vue de profits records des entreprises, qui ne se traduisent pas par des hausses de revenus correspondantes chez nous, est en fait une courte vue parce qu’on arrête trop tôt sa réflexion sans se demander si ce qui apparaît comme une injustice au niveau local n’est pas en réalité un bienfait à plus grande échelle. On ne peut pas à la fois pester contre ce type de mécanisme de la mondialisation et déclarer vouloir le bien de l’humanité en agissant pour les pays défavorisés en même temps, sans risquer de tomber dans l’incohérence.

 

Pour autant, il faut bien admettre que ce premier réflexe, et bien nous sommes certainement très nombreux à l’avoir, et qu’il reste dans le fond très « humain ». Et donc qu’il est bien nécessaire d’essayer de lui apporter une réponse. Tout d’abord, je note ce que relève Eric Izraelewicz dans son billet : le partage de la valeur ajoutée dégagée par les entreprises françaises n’a guère changé. Depuis 2002, dit-il, chiffres de l’INSEE à l’appui, les salariés récupèrent environ 2/3 de la valeur ajoutée produite, et les entreprises en gardent 1/3. Il semble donc que la France soit mieux lotie que d’autres pays dans ce domaine, puisque l’article de The Economist se montrait plus inquiet sur ce point, notamment sur le cas allemand où les salaires réels auraient baissé durant les deux dernières années.

 

Mais aussi, parce qu’il existe des moyens pour faire en sorte que les salariés restent gagnant avec leur entreprise : les rémunérations complémentaires du type intéressement. Avec ce type de rémunération chaque employé profiterait des gains de son entreprise. Mais, l’article de The Economist propose une autre idée, plus pertinente selon lui : que les entreprises répercutent les diminutions de coûts dont elles profitent sur leurs prix de vente afin d’en faire profiter les consommateurs (qui sont aussi les salariés). Sur ce point je dois dire que mes limites en économie me gênent pour bien l’évaluer. Je ne suis pas sûr qu’un système généralisé de baisse des prix soit forcément bon pour une économie, et je sais même qu’il existe un grand nombre de théories montrant les méfaits d’une telle forme de déflation (je suis obligé de mettre le lien en anglais, à cause de l'accent sur le é). Mais je laisse à ceux de mes lecteurs qui s’y connaissent le soin d’apporter plus d’éléments critiques là-dessus.

 

J'espère n'avoir pas déçu la promesse faite en titre ! (hem)

16/02/2006

De Villiers et la démocratie européenne pour les nuls

Intérrogé aujourd'hui par un journaliste du Figaro, Philippe de Villiers, qui décidemment me semble souvent partant pour dire une ânerie, nous livre cette perle:

 

"Nous sommes devant un mensonge, car on voudrait nous faire croire que la directive est vidée de sa substance. Rien n'est plus faux : le texte applique toujours le principe de la liberté totale des prestations de service. C'est aussi un scandale, car les promoteurs du oui au référendum avaient répété pendant la campagne du printemps dernier : «La directive Bolkestein est morte et enterrée». Or, aujourd'hui, cette directive, sortie par la grande porte du suffrage universel, revient par la fenêtre du Parlement européen. C'est un déni de démocratie."

 

Outre sa remarque considérant que la directive Bolkestein serait restée intacte, ce qui est contestable, il nous apprend donc que le retour de celle-ci par "la fenêtre du Parlement européen" serait un déni de démocratie.

 

D'abord, je ne me souviens pas que le suffrage universel ait sorti cette directive par la grande porte. C'est sur le TECE que nous nous sommes prononcés le 29 mai dernier, par sur cette directive. Il est assez certain que nombreux sont ceux parmis les nonistes qui ont voté notamment pour manifester leur désaccord face à cette directive, mais enfin même chez eux cela n'a pas dû être le seul élément qu'ils ont pris en compte. Chez les autres, l'argument fait évidemment flop. Sans parler des autres pays où ceux qui ont été appelés à voter ne l'ont pas fait nécessairement sur les mêmes fondements que nous.

 

Ensuite, de Villiers, qui est député européen, est vraiment malhonnête en faisant semblant d'avoir cru aux paroles de Chirac lorsque celui-ci déclarait l'enterrement de la directive Bolkestein. Il sait évidemment très bien que cette déclaration était vide de sens et qu'elle ne visait rien d'autre pour Chirac qu'à jouer aux défenseurs de la patrie à peu de frais (si ce n'est aux frais de sa crédibilité, enfin du peu qu'il en restait sur la question européenne après sa campagne calamiteuse sur le TECE).

 

Mais ce que je trouve le plus formidable vraiment c'est cette conclusion: la directive revient par le Parlement et c'est donc là un déni de démocratie. S'il y a bien une institution qui bénéficie de légitimité démocratique dans l'organisation européenne, c'est le Parlement, puisque c'est le seul organe élu. Que la directive Bolkestein se représente devant lui est une chose normale et évidemment souhaitable pour toute personne qui prétend défendre la démocratie à l'échelle européenne. Déclarer que ce retour devant le Parlement est un déni de démocratie, c'est vraiment mettre les choses cul par dessus tête. Ou prendre les gens pour des cons.

 

P.S: tiens à la relecture je m'aperçois que c'est la première fois que je publie un billet sur le ton du spécialiste de la politique. Ce que je ne suis pas. C'est dire si de Villiers est à côté de la plaque.

07/02/2006

Dernier round sur Mahomet

Je terminais mon dernier billet sur une note bien amère, pour ne pas dire franchement pessimiste quant à l’issue qu’aura le débat soulevé par l’affaire des caricatures de Mahomet. J’ai encore passé du temps à lire les avis des uns et des autres, de chaque côté, pour tenter de mieux comprendre les oppositions, leurs sources, leurs enjeux. Et chaque fois que je lis un billet bien argumenté, et il y en a pas mal sur les blogs que je visite, je me dis « ah ben oui c’est vrai, il a raison », ceci en alternant pourtant des argumentaires qui s’opposent.

 

Alors je le dis clairement : « j’en ai marre de la schizophrénie dans laquelle me plongent ce débat ! ». Il est temps maintenant de démêler un peu tout ça et de trouver sur quel terrain les parties pourraient s’entendre. Et je vais le faire thème par thème, pour simplifier un peu tout ça, parce que sinon moi non plus je ne m’y retrouve plus.

 

D’abord, identifions les adversaires en présence !

A ma gauche, la liberté d’expression, principe démocratique fondamental, appartenant au triptyque fondateur de la république française : « Liberté, Egalité, Fraternité ».

A ma droite, les principes de responsabilité et du respect dû à autrui, et la croyance religieuse.

Deux adversaires dépassant chacun allègrement les 88,451 kgs, ce qui les situe résolument dans un débat catégorie poids lourds. Comme dans tout débat où les positions s’opposent aussi fortement le soupçon est fort que chaque partie ait au moins en partie raison. Et on risque d’avoir besoin de plusieurs rounds pour les départager. Mais allons-y.

 

Round 1 :

La publication de ces caricatures n’a pas été faite dans l’intention de provoquer mais en réaction à l’autocensure qui semblait frapper les artistes contactés pour réaliser des dessins du prophète dans un livre pour enfants (cf lien fourni par François). Cette autocensure n’est pas tolérable. Dénoncer ce qui en est la cause est donc une bonne chose. La liberté d’expression envoie un crochet au foie à son adversaire. Mais publier les caricatures telles quel, sans autre message qu’elles-mêmes, était-il la meilleure façon de fonctionner ? En général une caricature n’est pas publiée seule, juste pour elle-même : elle est plutôt un support à un message humoristique. Ici l’utilisation de la caricature la sort de son rôle habituel. Elle n’est plus un outil humoristique mais uniquement un message politique. Elle est détournée de l’usage qu’on en fait habituellement. C’est en cela que l’intention qui la soutient n’est pas innocente, et que ces caricatures-ci ne peuvent pas être banalisées comme les autres. Clairement l’intention était de mettre au défi, de provoquer une réaction, sans doute pas de l’ampleur qu’on constate, mais une réaction quand même. Le journal danois disait en substance aux islamistes : « chiche ! ». Les défenseurs de Mahomet esquivent donc le crochet au foie, mais pas complètement à mon avis. J’accorde un demi point à la liberté d’expression parce que c’est quand même un peu les autres qui ont commencé en mettant la pression.

 

Round 2 :

Mahomet Riposte. Enfin il tarde tout de même. Il n’a pas l’air pressé, et il laisse son adversaire tranquille de son côté pendant plusieurs semaines. L’arbitre s’impatiente, le public aussi. Alors quand Mahomet remet les gants pour lancer son uppercut, ce dernier crie au combat truqué. Et je me joins à lui. Y’a un truc qui colle pas. Tu reçois un crochet au foie et tu ne ripostes pas tout de suite toi ? Tu attends tranquille pendant plusieurs semaines avant de te dire que finalement, si, c’était inadmissible, ils vont voir ce qu’ils vont voir, et quand y’en a marre y’a Allah Akhbar ? Mouais… tu ferais pas de la politique toi ? Vraiment je crois que la manipulation politique du côté des pays arabes est plus qu’importante dans les évènements qui ont lieu actuellement. Je l’ai déjà dit, je trouve particulièrement troublant que le rappel de l’ambassadeur saoudien au Danemark et le déferlement qui lui a succédé aient suivi d’aussi près l’élection triomphale du Hamas en Palestine. Je vois clairement là une utilisation de l’affaire des caricatures pour que chaque groupe islamique affirme à nouveau son poids politique en établissant un rapport de force avec l’ennemi occidental.

 

Dans ce round, on ne peut pas ignorer l’impact qu’ont les gouvernances respectives de nombreux pays islamiques. L’égoïsme et l’autocratie de leurs dirigeants sont directement en cause, et je me joins ici aux récents commentaires de LaVitaNuda pour l’affirmer. Cela les disqualifie tout à fait dans un combat où les coups sous la ceinture sont rigoureusement interdits. Et je crois qu’il n’est pas utile de dire que les excès qui ont eu lieu depuis, les menaces corporelles, les attaques contre des ambassades, les intimidations, les tués même (voir article de Ludovic Monnerat) sont inadmissibles. C’est véritablement du terrorisme intellectuel. Il ne peut pas être accepté.

 

Mahomet marque contre son camp en méprisant les règles du combat. Il reçoit un carton rouge et se file lui-même son uppercut dans le menton à cause de sa maladresse.

 

Round 3 :

Les philosophes entrent sur le ring. L’arbitre laisse tomber et va siffler une bière devant le Superbowl. La question à résoudre est en substance : jusqu’où va la liberté d’expression ? Bien sûr on est tenté de dire que moins elle peut aller loin moins il s’agit d’une liberté. Tout élément qui vient la contraindre, la limiter, la remet en cause, au moins pour partie. Mais je crois pour ma part que c’est bien mal raisonner que de dire qu’elle ne doit être sujette à aucun contrôle, notamment du point de vue moral. Kant aurait dit que la liberté ce n’est pas pouvoir faire ce qu’on veut, c’est choisir de se comporter de façon morale. Je crois aussi qu’on oublie trop vite, et ceci m’est revenu à l’esprit à la lecture d’un commentaire sur un billet du Bigbangblog une autre valeur, qui n’est pas moins importante que la liberté : la fraternité. Elle figure elle aussi dans notre triptyque fondateur. Qu’a-t-on fait de la fraternité nous autres occidentaux dans cette histoire ? N’a-t-on pas poussé la volonté d’usage de la liberté d’expression jusqu’au point où cet usage vient réduire la fraternité ?

 

Le problème peut-être ici, c’est que si la liberté est encadrée par des lois, auxquelles ont peut faire appel lorsqu’elle est foulée au pied, je ne crois pas, et j’en appelle ici aux juristes pour qu’ils m’apportent plus de précisions sur ce point, que la fraternité bénéficie du même support. Je ne vois d’ailleurs pas bien comment ce serait possible. C’est sans doute ici la faiblesse de cette valeur devant la liberté d’expression, et ce qui fait qu’on y porte moins d’attention. En a-t-elle pour autant une valeur intrinsèque inférieure ? Vraiment pas sûr. Je crois donc qu’on peut dire sans pour autant s’acoquiner avec les pires tyrans que la liberté d’expression rencontre forcément des limites, et que sans doute dans cette affaire la méthode utilisée ne lui a pas vraiment rendu service. Mettre au défi est s’y prendre bien mal pour démontrer la justesse d’une position. Cela ne signifie pas qu’il faille laisser passer sans rien dire. Surtout pas même, ce serait un aveu de faiblesse, une porte ouverte à des actions d’autant plus fortes et destructrices qu’elles ne rencontreraient que peu d’opposition.

 

Pour terminer sur ce round, je crois comme je l’ai affirmé dans mon billet précédent qu’il y a aussi un conflit de valeurs qui trouble toute cette histoire. Parce que de chaque côté il donne des armes de légitimité des actions entreprises. C’est ce conflit qui est le plus difficile à dénouer, le plus ardu à résoudre. Mais il m’apparaît pourtant essentiel d’y parvenir si l’on veut pouvoir discuter en connaissance claire des enjeux en cause. Je ne m’étends pas sur ce point, puisque je l’ai déjà fais, et d’ailleurs je note que je ne suis pas parvenu à respecter mon intention de départ de faire court.

 

Pour conclure tout de même, la mise au défi était une mauvaise idée, et les réactions plus qu’extrêmes qu’on a vu sont absolument inacceptables. Il va être à mon avis indispensable d’abord de traduire en justice les fauteurs de trouble, là où ils sont identifiés, pour rappeler que leur colère ne peut s’exprimer par la violence. Mais le combat ne s’arrêtera pas là. Le débat devra même continuer pour qu’on n’en reste pas à des antagonismes susceptibles de resurgir à la moindre occasion. Et rappelons-nous que dans un débat, on ne laisse aucune chance au dialogue si l'on admet pas ses erreurs, fussent-elles plus petites que celles de l'adversaire. Et aussi qu'en général, c’est le plus serein qui l’emporte.

 

[Edit: certains le verront peut-être, j'ai changé le titre initial que je trouvais très mauvais.]

06/02/2006

Encore deux choses sur les caricatures de Mahomet

Deux éléments que je n’ai pas évoqués avant et qui me semblent utiles à avoir clairement à l’esprit pour bien comprendre ce qui se passe en ce moment à propos des caricatures de Mahomet.

 

Tout d’abord on aurait tort dans cette affaire de nier le véritable choc des cultures qu’elle démontre. Il est caricatural, excessif, sans doute, mais il est bien là, et si on l’ignore on n’apportera aucune bonne réponse à la situation actuelle. A ce sujet, les meilleurs articles que j’ai lu sont chez Ludovic Monnerat, ici, et encore . Pour ma part, étant de culture occidentale, et ayant été élevé dans les valeurs de la tolérance et de la démocratie, je me situe plutôt clairement dans le camps des défenseurs de la liberté d’expression.

 

Mais je voudrais ici tenir quelques instants le rôle de l’avocat du diable. Monnerat le dit très bien, alors que nous mettons en avant des valeurs laïques pour gouverner nos comportements, les pays musulmans mettent eux en avant, question de culture, des valeurs religieuses. En d’autres termes, oui leurs priorités, avant toute autre considération, sont orientées en fonction de leur religion qui, estiment-ils, doit être absolument respectée. Et oui, ce ne sont pas là nos valeurs, et elles les contredisent, au moins en partie. Mais il faut bien comprendre que dans ces conditions, leur demander de modifier leur échelle de valeurs, leurs références comportementales, en adoptant notre grille de lecture laïque n’est presque rien d’autre que de leur demander de renoncer à leur religion. Je force un peu le trait, et si j’ai des lecteurs musulmans ils pourront peut-être me trouver léger dans les fondements que j’attribue à leurs comportements, mais j’ai tout de même le sentiment qu’on n’est pas loin de ça.

 

Dès lors on comprend qu’il y a un vice majeur, évident, dans la démarche adoptée aujourd’hui par les défenseurs de la liberté d’expression. Car dans notre empressement à défendre ce principe essentiel, vital même pour une démocratie, qu’est la liberté d’expression, on oublie tout bonnement quel objectif doit être donné à notre (ré)action. S’il ne s’agit que de donner son opinion et de tourner ensuite ses idées de la meilleure manière possible pour parvenir à démontrer qu’on a raison (avoir raison, voilà un « concept » dont il faudra un jour que je dise le mal que j’en pense), on ne doit pas s’étonner de ne soulever que colère et mépris. Si véritablement on est attaché à ce principe, il est beaucoup plus raisonnable de chercher à convaincre de sa justesse. Mais convaincre et vouloir avoir raison sont deux choses (très) différentes.

 

Et si j’approuve la liberté qu’avaient les journaux danois de publier les caricatures de Mahomet, je suis par ailleurs certain qu’ils n’avaient absolument aucune chance de convaincre aucun musulman réellement croyant que cette liberté se situait au dessus du respect dû au prophète. Je trouve pour ma part important de bien mesurer les conséquences de ses actes. Oui, ces journaux avait le droit le plus absolu de publier ces dessins. Mais qu’ont-ils fait d’autre qu’établir dès le départ un rapport de force en le faisant ? Qui d’autres que des convaincus pouvaient-ils prétendre persuader de l’importance de la liberté d’expression en agissant ainsi ?

 

Si l’on croit en un principe, et qu’on veut le défendre, il faut alors s’en donner les moyens les plus pertinents, ceux qui ont le plus de chance d’aboutir à un résultat efficace. Sinon on ne fait rien d’autres que bomber le torse. Ce qui est terrible ici, c’est que dans la très grande majorité des cas, on agit ainsi sans même s’en apercevoir. Les défenseurs du droit d’expression ne réfléchissent pas à ce qu’il faudrait faire pour persuader leurs détracteurs du bien fondé de leurs idées. Ils ne pensent qu’à chercher les arguments, les plus massues possibles, qui vont boucler le bec de leurs adversaires.

 

Et pourquoi agit-on naturellement ainsi ? A cause de lui, de l’orgueil. Parce que sur des sujets aussi sensibles on a vite fait de se mettre soi-même dans la balance du débat, alors que ne devrait s’y voir affronter que des idées. Dès lors on ne tente plus vraiment de défendre ces idées, il s’agit de se sauver soi-même au regard des autres. Si l’on parvenait à ne mettre dans la balance que nos idées sur ces sujets on s’apercevrait plus vite de l’inanité d’une démarche qui ne fait que placarder son opinion avec le plus de force possible, mais sans vrai souci de convaincre en étant pédagogue.

 

Et dans un conflit culturel aussi important que celui qui est maintenant à jour, si l’on n’essaie pas d’être un minimum pédagogue, on a perdu d’avance. On empêche le dialogue avant même d’avoir commencé.

 

Il y a un deuxième élément qui me semble important, et qui explique, au moins en partie, que l’embrasement soit aussi important : la combinaison entre la soif de pouvoir, et l’inhibition de l’action dans laquelle se sentent probablement nombre de pays musulmans vis-à-vis de l’occident.

 

La soif de pouvoir d’abord, qui est déjà naturellement bien développée chez chacun d’entre nous, ne pensez pas que vous y échappez du fait de votre bonne éducation, est en plus ici renforcée par plusieurs éléments. D’abord un élément de circonstance : l’élection du Hamas du 25 janvier (pas le 26 Koz, le 25, le délai me semble donc suffisant pour que ce soit un élément déclencheur) qui a légitimé d’un coup un groupe terroriste et ses méthodes aux yeux de beaucoup de musulmans de cette région.

 

Souvenez-vous (voir fin du billet), le peuple a parlé, de façon démocratique, donc ce qu’il dit est juste et bon (sic). L’idolâtrie du peuple peut mener, contre lui, à sa perte. Je crois toutefois qu’il faut le comprendre, et même l’accepter : aujourd’hui aux yeux de la majorité des palestiniens, le Hamas EST légitime. Pas du fait de son passé, de ses idées, de ses projets. Non, il est légitime parce que les palestiniens l’ont élu. Et cette légitimité fait sauter la chape morale qui pouvait avant exister dans certains esprits concernant ses actions. Là le risque est grand de voir les dérives et les manifestations de force se succéder. A partir du moment où l’on a trouvé un fondement moralement difficile à attaquer de l’usage de la force, on peut craindre des évolutions inquiétantes. Et dans ce contexte, les caricatures danoises sont venues encore renforcer ce point. Elles ont donné un alibi de plus, dont la légitimité, la justesse n’a même pas besoin d’être expliquée pour la majorité des musulmans de ces pays. On désinhibe le désir de manifester sa force, on donne des raisons qu’eux jugent probablement presque morales, de réagir avec violence.

 

L’inhibition de l’action lorsqu’elle est libérée, est dangereuse. Elle est nourrit de la frustration ressentie pendant tout le temps où l’on a été inhibé. Et plus cette frustration est longue et forte, plus sa libération risque de se faire de façon violente. Aujourd’hui cette inhibition existe je crois de façon évidente dans les pays musulmans vis-à-vis de l’occident. Ils sont tous les jours confrontés à notre mode de vie, à notre hégémonie culturelle, et cela ne fait que croître. Nous ne nous cachons parfois même pas de notre intention de leur « faire profiter » de ce que nous avons. Mais pour nombre d’entre eux, il y a fort à parier que ce soit ressenti comme une agression contre leur propre mode de vie, comme une remise en question des valeurs qui soutiennent leurs sociétés. L’inhibition grandit avec ceci, elle se renforce, elle se radicalise.

 

Le cocktail d’une inhibition forte, libérée par des évènements qui supprime les interdits moraux qui pouvaient retenir les pulsions violentes, qui même selon leurs valeurs peuvent justifier pas seulement de contester mais de combattre, me semble explosif. L’embrasement actuel en est la démonstration. Ce qui m’inquiète particulièrement ici, c’est que cet évènement désormais fera date. C’est un nouveau poinçon dans les rapports Moyen-Orient-Occident. On n’oubliera pas. Ni d’un côté, ni de l’autre. Et chacun, guidé par la certitude de détenir la vérité et aveuglé par son besoin de justifier sa position et donc lui-même, va rester sourd aux appels de la raison de rouvrir un vrai dialogue sur ce sujet. On n’arrivera plus à démêler la pelote, ce qui serait pourtant la seule chose saine à faire. On laissera le temps recouvrir tout ça, et ça resurgira à une autre occasion. C’est presque imparable.

02/02/2006

Dilemme caricatural

Le Moyen-orient n'en finit plus de faire la une de l'actualité internationale. Après la récente victoire du Hamas lors des élections législatives palestiniennes, c'est le débat sur la publication par le journal danois Jylland-Posten de caricatures du prophète Mohammed qui les propulse de façon spectaculaire sur le devant de la scène (sans compter l'affaire du nucléaire iranien, les attentats en Irak, et autres troubles en Israël).

 

Dans le débat qui est soulevé par cette publication, deux visions principales s'affrontent, dont Phersu et Koz me semblent assez représentatifs. Tous les deux apportent des arguments très construits et auxquels on peut volontiers se rallier. Phersu rappelle à juste titre que l'interdit de représentation du prophète ne frappe guère que les adeptes de l'Islam, et que dans cette mesure la liberté d'expression des autres ne saurait souffrir d'aucune réduction à ce propos, et Koz insiste sur le fait que cette liberté ne s'accompagne pas moins du devoir de tout un chacun de respecter les autres, en particulier dans leur expression religieuse, et que les provocation de ce type ne grandissent guère leurs auteurs.

 

Je dois dire que je suis aussi sensible à l'une qu'à l'autre de ces deux argumentations. Mais je suis conscient aussi qu'à y regarder de près, elles ne traitent pas vraiment des mêmes choses: Phersu fait une analyse qui porte sur un principe, Koz lui observe un comportement concret, pratique si l'on peut dire. Et les deux me semblent devoir être effectivement pris en compte, à mesure égale. Difficile de prendre une position tranchée donc, dans un débat qui traite d'éléments ne se situant pas vraiment au même niveau.

 

Je voudrais toutefois apporter deux éléments complémentaires à ces réflexions, chacun allant plus ou moins à l'encontre de l'une de ces visions. Le premier c'est qu'à mon sens, mais peut-être était-ce déjà ce que Koz cherchait à dire avec d'autres mots, le journal danois a clairement cherché à provoquer. Il disait vouloir "tester la liberté d'expression au Danemark", franchement, on peut émettre les plus grands doutes sur l'innocence d'une telle démarche étant données les tensions actuelles qui secouent les communautés juives et musulmanes. Dès lors qu'ils cherchaient à provoquer, il n'est guère sérieux de pousser maintenant les grands cris pour s'offusquer que cette réaction voulue soit bien arrivée. Argument toutefois à mesurer à l'aune des réactions pour le moins excessives que cette affaire a suscitées. Qu'on puisse s'offusquer soit, qu'on soulève un continent en battant le rappel des ambassadeurs me semble démesuré.

 

Mais surtout, et je m'étonne d'ailleurs un peu que Phersu ne l'ai pas relevé dans sa note, il y a une chronologie troublante dans le déroulement de ces évènements, chronologie que Phersu lui-même a reproduite. On constate ainsi d'abord que la publication de ces caricatures a déjà 4 mois. Les premières réactions se sont visiblement faites attendre, puisque ce n'est que 3 semaines plus tard que des ambassadeurs de pays musulmans ont fait appel au premier ministre danois sur ce sujet. Ensuite, la réaction de la Ligue arabe intervient plus de deux mois plus tard, et pendant le mois suivant, à nouveau rien, jusqu'au déchaînement actuel.

 

En fait je me demande dans quelle mesure il ne manque pas un évènement essentiel dans la chronologie de Phersu: ces fameuses élections législatives palestiniennes du 25 janvier. Car c'est exactement depuis le 26 janvier, et le rappel de l'ambassadeur lybien saoudien (le lybien c'est 3 jours plus tard) par son pays que les choses se sont envenimées. De là à penser que la victoire du Hamas a réveillé les différents groupes musulmans radicaux qui ont vu dans la victoire du Hamas une forme de danger pour leurs propres formations dont la légitimité se verrait amoindrie par celle augmentée du Hamas, le pas est petit à effectuer. [Edit du 03.02: cette formulation est bien maladroite, et même trompeuse puisque les réactions sont au moins autant venues des modérés. Il vaudrait mieux écrire que d'une manière générale l'élection du Hamas a modifié les rapports de force entre les différents groupes ou partis, au pouvoir ou non d'ailleurs, et a poussé ceux-ci à réaffirmer leur poids à travers cette affaire des caricatures. Voilà ce que c'est que d'écrire de façon trop précipitée.]

 

Autrement dit, il me semble bien que cette affaire des caricatures picturales en révèle une autre, aux enjeux plus lourds de conséquences: la caricatures des jeux de pouvoir où chacun tente de se montrer le plus fort, quitte à déséquilibrer des pays entiers.

 

[Edit de vendredi matin - après la précédente: on me signale que les commentaires n'ont apparemment pas fonctionné pendant plusieurs heures, depuis hier soir. C'est un bug qui est déjà survenu ici et pour lequel je ne vois pas bien quoi faire. Je vous présente mes excuses donc pour cet inconvénient, qui me semble désormais réparé, en souhaitant qu'il ne se reproduise pas.]

27/01/2006

Montée de l'islamisme et démocratie

Hier donc, l’organisation terroriste du Hamas a remporté haut la main les élections législatives palestiniennes, remettant du même coup en cause les espoirs qu’on pouvait conserver quant au processus de paix au Moyen-Orient.

 

La dernière livraison du Courrier International a semble-t-il un peu anticipé ce résultat puisqu’elle titre, avant les résultats palestiniens : Islamisme, pourquoi il triomphe partout. L’article (payant) extrait du journal Al-Hayat notamment, est très intéressant. Il montre quels sont les différents moteurs de la poussée islamiste, ainsi que la limite des systèmes démocratiques en place dans plusieurs pays de cette région du monde.

 

Réduire la montée islamiste à la seule occupation israélienne est réducteur selon Al-Hayat. En effet, elle ne peut à elle seule expliquer l’élection d’Ahmadinejad en Iran, la poussée des frères musulmans en Egypte, ou encore celle des islamistes radicaux en Syrie ou en Irak (tant sunnites que chiites). Cette lame de fond qui semble traverser tout le Moyen-Orient trouve aussi ses origines, dit Al-Hayat, dans la pauvreté, l’incapacité à se moderniser, à participer à la mondialisation de l’économie, dans l’égoïsme des gouvernants arabes, et enfin dans ce sentiment fort de dépendance vis-à-vis de l’occident, dépendance qui, pour la Palestine, se matérialise notamment avec l’apport financier de l’UE.

 

Petite réflexion à deux sous avant de venir à la question de la démocratie dans ces pays. Il me semble qu’une des raisons du succès de l’islamisme, et en particulier de l’islamisme radical, tient à sa capacité à apporter des solutions simples et même simplistes aux questions que se posent ses adeptes. Notamment sur les questions de la modernité et de la dépendance à l’occident. Leur situation de retard de développement et de dépendance, vécue donc comme une soumission, entraîne, et c’est très humain, un sentiment de frustration, d’inhibition pour en revenir aux termes de Laborit déjà souvent évoqués ici.

 

Et comment se sort-on d’une frustration ? Soit en se donnant les moyens (si tant est qu’on soit seul à pouvoir se les donner) de la dépasser, et d’obtenir une autonomie satisfaisante, soit en s’attaquant à ceux qui exerce ce pouvoir d’inhibition sur soi. Et la deuxième possibilité, si elle ne résout aucun problème de fond, est en revanche bien plus facile si j’ose dire à adopter. Parce qu’elle est beaucoup moins exigeante pour soi. Dès lors il n’y a plus qu’à trouver une source forte de dénégation de la légitimité du système qui inhibe (et donc de légitimation de sa réaction par l’attaque) pour emporter l’adhésion des gens. C’est je crois de cette façon que les islamistes radicaux utilise leur religion. On le voit bien notamment dans l’expression de rejet que subisse les américains dans cette région du monde. Ils ne sont pas de simples occupants. Ils sont « le grand satan », et puisqu’ils sont tels, la légitimité perçue de les combattre est totale.

 

Revenons-en maintenant à la question de la démocratie. Al-Hayat soulève un point très intéressant, qui mérite je crois une vraie réflexion, et pas seulement d’ailleurs pour les pays comme la Palestine, l’Iran ou l’Irak. L’élection palestinienne s’est déroulée démocratiquement. C’est le peuple qui, massivement (plus de 70% de participation), a élu les représentants du Hamas comme force gouvernante principale. Leur retirer la légitimité de leur choix paraîtrait donc bien bancal. Et comme le dit Paxatagore, on se retrouve désormais piégés.

 

Pourtant on peut formuler une critique sérieuse contre cette « démocratie ». Le résultat de cette élection montre que pour qu’un régime puisse véritablement prétendre être une démocratie, il ne suffit pas qu’il en ait les apparences et qu’il se soit doté de ses aspects de vitrine. C’est sans doute encore plus net dans certains pays d’Afrique qui continuent d’élire leurs gouvernants sur des scores Staliniens. La démocratie ne peut être véritable que lorsqu’elle est éclairée et que non seulement elle dispose des institutions qui la garantissent, mais aussi, et peut-être même surtout, qu’elle a développé une vraie culture de leur fonctionnement libre.

 

Bien sûr, je me suis comme d’autres réjouis lors des récentes élections en Irak, du taux de participation, là aussi très important. Mais cette démocratie aussi restera lettre morte si elle ne s’accompagne pas d’efforts soutenus pour développer la culture de la citoyenneté, et pour réduire au maximum les formes de pression et d’intimidation dont peuvent encore faire l’objet les personnes.

 

A ce titre, je crois important de ne pas trop se comporter de façon paternelle et supérieure vis-à-vis de ces pays. D’abord parce que ce comportement, relevé d’ailleurs par Al-Hayat au sujet des cris de victoires répétés des USA en Irak est, je l’ai déjà indiqué, un stimuli dont profite les extrémistes. Mais aussi parce que nous-même, en France, risquons fort de vivre une humiliation qu’on évoque encore bien peu à l’aube des élections présidentielles de 2007. Je crois même qu’on n’a aucune chance d’y échapper. Car au-delà des candidats qui pourront être présents au second tour de cette élection, au-delà de la peur qu’ont certains de voire Le Pen nous refaire le coup de 2002, le seul fait que nous passerons immanquablement par le débat du vote utile est en soi un camouflet pour notre démocratie.

 

Que veut dire la question du vote utile ? Qu’est-ce qu’elle sous-entend ? Que si on ne vote pas utile, on fait prendre un risque à la démocratie. Mais le seul fait qu’on se pose cette question montre que d’une façon ou d’une autre on est dans une situation d’otage, et donc que la démocratie est déjà remise en cause. La pression exercée n’est certes pas physique, nous ne risquerons pas notre peau en allant voter pour l’un ou pour l’autre. Mais elle n’en est pas moins forte. Il faut le dire clairement : dans un pays dont la démocratie est saine, aucun citoyen ne devrait avoir peur de voter pour un petit parti si celui-ci se trouve représenter le plus justement ses opinions, quand bien même les chances de celui-ci de l’emporter seraient minces sur le papier. Et pour ma part, si au premier tour du vote de 2007 je me sens coincé par l’obligation de voter utile, sans avoir été vraiment convaincu, je crois bien que j’aurai honte pour mon pays.

24/01/2006

(re) Frein d'Europe ?

En lisant un peu les informations ce matin, il me semblait qu'aujourd'hui les murs de l'assemblée nationale vibreraient particulièrement aux récriminations de l'Abbé Pierre contre les amendements UMP visant à contourner certaines contraintes de la loi SRU en matière de constructions de logements sociaux.

 

Mais il semblerait que ce soit d'autres cris, déjà entendus en d'autres temps, et dont les échos pourraient bien ne pas s'éteindre avant longtemps tant ils se répètent à l'envie, qui ont retenti dans l'enceinte du Palais Bourbon. En effet, les députés, et visiblement en particulier les députés socialistes, ont vigoureusement pris à parti Jose Manuel Barroso pour sa gestion de "comptable" de la Commission Européenne. Ils lui reprochent notamment le fait que la directive Bolkestein soit toujours dans le circuit des débats.

 

Si je me souviens bien de mes cours de politique européenne suivis en accéléré sur Publius, il n'est pas vraiment du ressort de la Commission de retirer ainsi de façon unilatérale un projet de directive. Les eurosceptiques auraient d'ailleurs à cette occasion beau jeu de dire que cela démontre la faiblesse du Parlement. Mais je trouve que la réaction de Barroso porte également à confusion lorsqu'il rétorque que c'est la commission qui l'a précédé qui a proposé cette directive. Est-ce bien là la question? Pourquoi ne rappelle-t-il pas plus directement à des hommes politiques nationaux de premier plan quels sont les rouages des institutions européennes auxquelles ils participent?

 

Il faut tout de même avouer que, pour les personnes qui ne se penchent pas régulièrement sur les affaires européennes, tout cela contribue à une grande confusion. Comment peut-on ensuite reprocher à des gens que l'on informe mal et auxquels on envoit des signaux contradictoires de prendre des décisions sur la base de mauvais arguments?

20/10/2005

Unilatéralisme vs Multilatéralisme

Chez Damien, il y a un débat très intéressant sur le rôle des Etats-Unis dans les processus de démocratisation des pays d’Europe de l’est (récemment l’Ukraine, la Kirghizie également, et d’autres avant). Ce débat naît notamment du récent documentaire diffusé sur Canal+ à ce sujet, réalisé par Manon Loizeau. Il y a à mon sens deux questions principales qui sont soulevées chez Damien, la seconde étant plus une réflexion sur une organisation géopolitique envisageable à l’échelle de la planète :

1. Que penser de l’action de « sponsoring » américaine dans ces processus de démocratisation?
2. Le multilatéralisme est-il préférable à l’unilatéralisme ?

 

Sur la deuxième question Damien finit son dernier commentaire ainsi : « Difficile question, je trouve, vraiment ». Il nous met ainsi en garde contre les simplifications auxquelles on pourrait être amenés, mais je l’interprète également comme un appel à la prudence pour ceux qui voudraient développer une argumentation prétendument savante alors que leurs compétences en matière géopolitique seraient bien faibles. Il a raison de me le rappeler, et c’est l’occasion pour moi d’une petite mise au point concernant ma démarche sur ce blog.

 

Je ne suis pas un grand connaisseur de la vie politique, ni d’ailleurs des sujets économiques et juridiques qui occupent une très grande part des blogs « sérieux » dans lesquels il m’arrive de débattre. Je n’ai à peu près aucune compétence pour les aborder en véritable connaissance de cause. Je ne réagis donc qu’en tant que simple personne, intéressée par les sujets qui sont soulevés par ces domaines, tentant de mieux comprendre certains enjeux qui me paraissent important pour le présent et le futur, conscient surtout que si je ne suis pas un expert dans ces disciplines, elles n’ont pas moins un impact important sur ma vie de tous les jours, en l’orientant, en lui donnant ses règles, en lui laissant son espace de liberté aussi. J’espère ne pas avoir suscité de confusion là-dessus. Je pense toutefois que les maîtres de ces blogs auront déjà remarqué cet état de fait me concernant, ma dernière inquiétude étant d’avoir peut-être parfois diminué le niveau du débat qui avait lieu ici ou là.

 

Je reviens maintenant sur le sujet de fond de ce billet, me permettant donc, vous l’aurez remarqué, de tenter une analyse des éléments du débat posé. Et en réfléchissant aux questions soulevées par Damien, il me semble qu’on peut proposer une réflexion intéressante en reprenant certaines des idées de Laborit que j’avais soulevées précédemment.

 

Doit-on craindre l’action américaine dans certains récents processus de démocratisation ?
Il y a à mon sens plusieurs raisons qui expliquent la réaction de défiance exprimée, notamment dans les médias français (voir la revue de presse d’Alain Hertoghe concernant l’action américaine dans les pays de l’est européen).
D’abord, une part indéniable d’anti-américanisme tout ce qu’il y a de primaire. Alain Hertoghe rapporte l’objectif premier du documentaire de la journaliste, en la citant : « [je pensais] faire un film sur le complot américain ». C’est assez édifiant sur le parti pris qui animait son intention de départ. Je crois qu’aujourd’hui, au-delà d’une simple jalousie, l’anti-américanisme se nourrit de deux choses.

 

D’abord de la peur vis-à-vis des actions souterraines ou perçues comme telles. Parce que, par définition, on ne peut pas comprendre comment elles se déroulent et ce qui s’y « trame ». On a besoin de voir et de savoir pour se sentir rassuré. Tout ce sur quoi on n’a pas de maîtrise est sujet au doute, et à l’inquiétude. Sur ce point, ce qui est frappant, et Damien le relève très pertinemment dans son billet c’est que précisément les acteurs américains soutenant les processus de démocratisations étudiés ne cherchent nullement à se cacher. Ils restent au grand jour et ne montrent pas de réticences à être filmés, interviewés, etc. Si comme je le pense, le mythe de l’action souterraine est un des piliers de l’anti-américanisme, dès lors que ce pilier s’effondre, les préjugés s’en trouvent affaiblis. Et c’est bien pour cela que la journaliste se met à douter, et qu’elle évolue au fur et à mesure de son reportage.

 

Deuxième élément, et qui va m’amener vers la seconde question du débat, la peur de la soumission. Je crois qu’en France nous avons peur de devenir un jour tout à fait soumis aux Etats-Unis, tant politiquement, économiquement que culturellement. C’est pour cela que chaque manifestation de la puissance des USA est une occasion chez nous de voir s’exprimer des critiques qui paraissent de plus en plus déplacées. Pour en revenir à Laborit, il n’est pas impossible qu’il y ait là une crainte de se retrouver un beau jour en inhibition de l’action. Souvenez-vous, l’inhibition de l’action est la situation, imposée par l’environnement (au sens large) qui empêche une personne de se faire plaisir, de s’offrir ses gratifications. A un certain terme, cette situation peut mener la personne à la maladie, parce qu’elle accumule un trop grand stress sans avoir de moyen pour l’évacuer ou l’éviter.

 

Dans un monde où un pays tient une place de plus en plus grande, sur l’essentiel des plans où s’exercent l’activité humaine, on peut s’inquiéter (je veux seulement dire ici que ça arrive) que les règles que ce pays s’est donné à lui-même pour son fonctionnement finissent par s’imposer ailleurs que chez lui, là où il exerce son influence. Plus cette influence augmente, plus on risque de s’en sentir prisonnier, et d’avoir de moins en moins de moyen d’y répondre. Par ce processus on devient progressivement moins libre de ses choix, et cela génère une frustration d’autant plus grande que les contraintes viennent de l’extérieur, ce ne sont pas des choses qu’on a choisit soi-même. C’est exactement le processus de l’inhibition de l’action. L’inquiétude ici ne vient plus de ce que les règles en question soient justes ou pas, mais de ce qu’elles soient modifiables par soi ou pas et par nous ou pas. A bien y réfléchir, je pense que les mouvements grandissants de contestations sociales se nourrissent en très grande partie de cela : on a l’impression d’être de moins en moins maître de sa vie, et on ne le tolère pas.

 

Unilatéralisme vs Multilatéralisme

 

Je crois que c’est en partie pour cela que l’unilatéralisme est dénoncé. Mais pour ma part j’y vois un autre défaut. Je vois un risque majeur dans l’unilatéralisme. C’est que si aujourd’hui on peut considérer, avec  tout de même une certaine raison, que les Etats-Unis sont un pays démocratique, et dont l’action n’est pas profondément inspirée par le grand Satan, rien, absolument rien ne peut garantir qu’il en sera toujours ainsi. Abdiquer à un pays, quel qu’il soit, et qu’elles que soient ses bonnes intentions aujourd’hui, la toute-puissance pour résoudre les problèmes de la planète est en cela extrêmement dangereux. C’est le même processus qui fait naître les tyrans. C’est en partie ce que je dénonçais dans mon billet sur le surfeur d’argent de Moebius. Le surfeur d’argent le disait lui-même (je cite en gros) : « Ils me célèbrent comme un héros et veulent me donner tous les pouvoirs pour que je sois leur guide éclairé. Ils ne se rendent pas compte qu’ils réclament au fond un nouveau tyran. » C’est à mon sens exactement le risque que fait encourir l’unilatéralisme.

 

Et la solution logique qui se présente si l’on rejette l’unilatéralisme est évidemment le multilatéralisme. C’est une idée chère à Chirac, l’une des seules peut-être que j’ai trouvé vraiment intelligente venant de lui depuis qu’il est président. Construire un monde où plusieurs pôles viendraient se réguler les uns les autres, comme le mécanisme des pouvoirs et des contre-pouvoirs d’un état permet d’éviter les dérives des uns et des autres. Mais Damien a une réplique très intéressante à cette vision. Il souligne qu’un monde multipolaire, fondamentalement, est un monde où les pôles, pour se réguler, peuvent être amenés à s’affronter. Ainsi il dit : « la concurrence pourrait bien être un facteur de rivalités guerrières ». Incroyable ! Damien doit donc lire mon blog plus que je ne l’imagine ;o) ! Car c’est dans le fond exactement ce que je relevais il n’y a pas si longtemps. Il pourrait bien être un grand adepte de Laborit, peut-être même sans le savoir. Mais sa remarque est extrêmement intéressante et soulève un point très juste : la concurrence entre états n’est effectivement en rien garante d’équilibre et de paix. Loin s’en faut.

 

Je m’aperçois donc que brandir le multilatéralisme comme remède mondial est au mieux simpliste, au pire idiot. On remarquera d’ailleurs qu’il est pour le moins paradoxal si nos dirigeants craignent comme nous la toute puissance américaine qu’ils n’agissent pourtant en rien (ou si peu) pour donner à leurs états une plus grande part dans les grands évènements. Et cet étonnement est d’autant plus grand lorsqu’il s’agirait par ces actions de promouvoir la démocratie. Pour terminer sur la seconde question, plus que d’un multilatéralisme, ce qui est sans doute nécessaire c’est de développer les initiatives de coopérations (OTAN, ONU, UE) par lesquelles les intérêts de chaque participant est lié à ceux des autres (je n’invente ici vraiment rien).