23/03/2009
Mauvaise foi
J'ai découvert comme tout le monde la semaine dernière les propos du pape sur les préservatifs lors de son départ pour l'Afrique. Comme Hugues aujourd'hui ces propos me semblent parfaitement irresponsables. Ils ne sont à mon sens que l'expression d'une théorie déconnectée du réel, du terrain. Qui ne fonctionne que sur la base d'un raisonnement pur dans lequel est absente toute tentative de saisir ce que vivent les gens là-bas. Or il s'agit ici de comportements que l'on analyse, et que l'on souhaite visiblement réformer. Et dans ce domaine des comportements, c'est peu de dire que les raisonnements purs qui en restent à l'état de théories désincarnées sont inefficaces. Ils sont ineptes.
Les propos de Benoît XVI me semblent condamnables en particulier du fait de leur poids considérable sur le continent africain. L'impact de ces paroles est grand, car le pape sur ce continent est écouté, admiré encore par de très nombreux croyants. On aurait tort je crois de considérer qu'ils n'ont qu'un faible impact. Bien sûr je ne pourrai jamais le vérifier précisément mais je pense au contraire qu'ils peuvent avoir une influence néfaste très importante. Ils risquent d'aggraver les comportements à risque, bien plus que ne pourrait le faire la liberté d'usage des préservatifs. Le pape constitue un leader d'opinion pour beaucoup de personnes, et ses propos ont donc un poids considérable.
J'ai lu chez certains blogueurs un peu proches de moi (les derniers que je prends le temps de lire en fait, raison pour laquelle je les mentionne eux plutôt que d'autres) des défenses du pape qui m'ont semblées surprenantes. Surprenantes surtout de mauvaise foi, car elles s'attachent visiblement à trouver dans les propos de Benoît XVI les détails qui, lus à la lettre et sans aucun recul, pourraient permettre en effet de l'absoudre de sa responsabilité, au mépris du sens général de son discours.
Eolas notamment soutient que le pape a seulement dit "On ne peut pas résoudre le problème du sida avec la distribution de préservatifs; au contraire elle aggrave le problème". Et Eolas d'enchaîner que le pape n'a donc pas dit que c'était l'usage du préservatif qui posait problème mais seulement sa distribution. On se demande pourtant bien ce que le pape pouvait avoir en tête lorsqu'il disait que la distribution de préservatifs aggravait le problème. Et il faut avoir une bien singulière vision des choses pour imaginer qu'il n'envisageait pas ainsi l'usage pouvant être fait desdits préservatifs. Car en effet si l'on ne s'en sert ensuite que pour faire des bombes à eau, la distribution de préservatifs n'est pas une solution. D'accord. Cependant, faille dans le raisonnement, pourquoi en revanche aggraverait-elle le problème ? Des bombes à eau ça ne refilent quand même pas des MST ! Les propos du pape signifient à l'évidence que l'usage des préservatifs aggravent le sida, rien d'autre. Il faut ne pas vouloir comprendre pour ne pas comprendre.
J'ai grosso modo la même réaction face aux commentaires qui disent que la presse a déformé et amplifié les propos du pape alors qu'il suivait un raisonnement fin et précis. L'étonnement ici vient de commentateurs comme Koz ou surtout Authueil, qui semblent s'éffarer de ce que la presse agisse comme une loupe grossissante sur le comportement ou les idées tenues par un homme public. Authueil émet souvent des commentaires appelant au pragmatisme, au réalisme face aux événements et à la façon de les interprêter. Le pape est un personnage public, ses paroles, lorsqu'elles sont recueillies par la presse, sont diffusées dans le monde entier. Il ne peut agir en ce domaine comme s'il se trouvait chez lui près de la cheminée en discussion avec des amis en leur disant "non mais attendez, ce que je veux dire plus précisément c'est patati patata". Ou alors il n'a pas compris qu'elle était sa place. C'est là où sa responsabilité est engagée. Parce qu'une fois de plus ses propos ont un impact très particulier, que n'ont pas ceux portés par tant d'autres individus. S'il souhaite développer des opinions plus subtiles, il ne peut le faire de cette façon.
Dans ce domaine, il faut toutefois reconnaître que l'attitude de la presse n'arrange rien. La course au scoop et à la phrase qui choque joue clairement ici un rôle lui aussi particulièrement destructeur. Et qui est lui aussi parfaitement condamnable. Las, il s'inscrit dans un mode de fonctionnement qui aura bien du mal à être modifié, car pris dans le train innarêtable d'une logique économique dont il est difficile de sortir sauf à ce que tous les acteurs du secteur décident ensemble du même coup de modifier soudainement les règles du jeu. La presse est ici dans un dilemme quasi insoluble car il y a trop d'acteurs à mettre d'accord au même moment.
Il y a encore sans doute beaucoup à dire sur ce sujet. Mais il revient de façon régulière et l'occasion se représentera sans doute prochainement. Je voudrais toutefois finir sur deux remarques.
La première vient du billet de Koz, qui avance une idée que je trouve très intéressante. ll rapporte vers la fin de son billet (environ après une centaine de lignes, c'est toujours long un billet de Koz) une citation de Edward C. Green, directeur du Projet de Recherche sur la Prévention du Sida au Centre pour les Etudes de la Population et du développement d’Harvard, qui dit donc : "Il conviendrait de se demander si nous sommes plus soucieux de promouvoir la notion occidentale de liberté sexuelle que de sauver des vies". Il y a là une remarque qui m'apparaît très juste. Dans les réactions contre les propos du pape il y a sans doute une part de volonté de défendre un mode de vie à l'occidentale, incluant donc une certaine notion de la liberté sexuelle.
Peu m'importe qu'il s'agisse de la question de la liberté sexuelle en fait. Ce qu'il y a derrière cela c'est à mes yeux l'idée qu'une frange de la population cherche effectivement derrière ces accusations des propos du pape à sauvegarder leur mode de vie. Je vais être plus clair encore : ce qu'ils cherchent me semble-t-il n'est pas de sauver les africains d'un fléau, mais de sauver leur façon de vivre. Je ne dis pas que ce soit le cas de tous bien sûr, mais je crois qu'il y a tout de même chez de très nombreuses personnes cette volonté, que je juge inconsciente d'ailleurs, de conserver leur mode de vie occidental. Pour résumer, leur conclusion me semble la bonne, à savoir promouvoir l'usage et donc la distribution des préservatifs en Afrique, en revanche il me semble très probable qu'ils le font au moins en partie pour des raisons inconsciente dont celle de conserver leur mode de vie, ce qui n'a donc rien à voir avec le sauvetage de l'Afrique.
Car encore une fois, et c'est ma deuxième remarque, il n'y a rien qui ressemble plus à un homme qu'un autre homme. Et tous les deux, pape et défenseur du préservatif, face à face, souffrent du même défaut dans leurs jugements et leur façon d'aborder les choses, défaut qui fait que l'un aborde le sujet d'une façon apparemment désincarnée, et l'autre pense d'abord à lui-même plutôt qu'à celui qui a besoin de protection : ce défaut c'est le manque de proximité. J'y mets le temps, mais cette idée fait son chemin petit à petit : dans le domaine humain, il n'y a pas de bon raisonnement, de bon comportement sans proximité. Et on comprend qu'il ne s'agit évidemment pas de proximité géographique, mais de proximité d'appartenance, un sentiment de vie commune qui souffle parmi les individus. Ce qui contribue à créer cette proximité est à favoriser, à développer, autant que possible. C'est le vrai grand défi des hommes.
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Une remarque sur la crise
J'ai assisté il y a quelques jours à une conférence intéressante sur la crise économique actuelle. L'interlocuteur principal était l'actuel dirigeant de la société de réassurance SCOR, et à la fin de son discours il a indiqué une idée qui m'a plût parce qu'elle me semblait sortir un peu des sentiers battus et des discours tout faits.
Lorsque l'on évoque aujourd'hui les solutions de sortie de crise, une des idées réflexes que l'on entend souvent exprimées est que nous avons besoin d'un retour de la confiance de la part des acteurs économiques. Confiance des investisseurs dans la viabilité de leurs projets, confiance des entreprises quant-à leur avenir, confiance des ménages pour leur paniers, etc. Mais quand on a dit ça, au final on n'a pas dit grand chose. Car se pose alors la question : et comment fait-on pour rétablir cette confiance ? Ce qui nous fait revenir au point de départ.
Dire qu'il est nécessaire de retrouver confiance en l'économie et ses perspectives n'apporte donc pas grand chose à mon avis. M.Kessler, puisqu'il s'agit de lui, nous a indiqué une autre idée qui donc a retenu mon attention. Ce dont nous avons besoin ce n'est pas réellement d'un retour de la confiance, mais d'un retour de divergence d'anticipation des acteurs économiques.
Il se place ici dans la peau d'un investisseur en bourse. Le marché, d'une façon générale, s'équilibre par l'intervention de ses acteurs qui agissent les uns les autres dans des sens divergents. Les uns anticipent une hausse d'un produit, d'autres anticipent une baisse, et c'est par ce jeu que le prix du produit trouve un niveau d'équilibre. Si tous les acteurs anticipent dans le même sens, alors il n'y a tout simplement pas de prix pour le produit en question puisque personne n'est prêt à acheter, ou à vendre.
En temps de crise, la difficulté est que les anticipations se mettent soudain à converger. Tout le monde prédit la même chose : le désastre. On entre alors dans un schéma qui ne permet plus d'équilibre et le marché s'en trouve bloqué. Il est donc nécessaire de retrouver une divergence d'anticipation de la part des acteurs économiques. Sans cette divergence, il n'y a pas de marché.
En sortant de cette conférence j'étais ravi d'avoir entendu cette intervention et j'avais bien notée cette remarque finale que je trouvais très éclairante. Elle a pourtant un défaut. Voire deux.
Le premier défaut m'a en fait sauté aux yeux assez vite. En effet une fois qu'on a dit qu'il fallait retrouver une divergence d'anticipation que fait-on ? Se pose alors la question : comment retrouver une divergence d'anticipation ? Et patatra, on n'a pas plus avancé que dans le premier cas. Et deuxièmement, il suffit de réfléchir un chouya pour comprendre que retrouver cette divergence d'anticipation ne signifie rien d'autre qu'il est nécessaire que certains acteurs redeviennent haussiers, c'est-à-dire, roulement de tambour, qu'ils retrouvent confiance dans les perspectives économiques ! On en revient donc bien au même point que précédemment.
Il y a tout de même un gagnant dans cette histoire : notre conférencier qui est sorti de là avec l'admiration du public présent, et un commentaire de l'animateur de la réunion sur sa faculté à "penser par lui-même". J'indique cela avec un brin d'ironie exagérée car son intervention était tout de même très intéressante, mais je garde à l'esprit qu'il est très facile de se faire berner ou de se berner soi-même si l'on est pas attentif au fond des arguments.
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04/12/2008
Prud'hommes méconnus
Les élections prudhommales ont connu cette année un très faible intérêt avec un taux d'abstention record à 74,4%. Verel en a proposé 3 billets répartis avant et après les élections, là, là et là. J'ai eu quelques échanges sous son premier billet avec lui et ses commentateurs sur le sujet et je voulais revenir rapidement dessus.
Je remarquai donc qu'autour de moi l'intérêt porté à ses élections semblait a peu près nul. Mes collègues, et en particulier les plus jeunes, se contrefichent de tout ça, je n'ai trouvé personne qui avait sa carte d'électeur avec lui, et ceux qui pensait l'avoir quelque part ne savaient pas où. La personne officiellement en charge de la partie RH dans mon entreprise n'était d'ailleurs dans ce domaine pas un exemple puisque comme les autres elle n'avait pas sa carte et ignorait où elle se trouvait, et elle n'avait aucune idée du lieu où notre vote pourrait être effectué. La petite taille de mon cabinet explique sans doute une partie de ces faits, néanmoins je trouve intéressant de les relever à titre d'exemple.
J'ai fini par pouvoir voter hier, après pas mal de recherches sur l'endroit où cela m'était possible. Mais la journée d'hier a selon moi jeté la lumière de façon assez crue sur une carence forte du monde de l'entreprise en France. Car je crois qu'en amont du désintérêt marqué pour les élections des prud'hommes il y a une culture redoutablement pauvre du droit du travail. Je le constate autour de moi, et pas que chez mes collègues, et j'ai dans l'idée que ce manque a des impacts non négligeables sur notre façon d'aborder les choses. Il est peut-être aussi issu d'une forme de fatalisme ou de passivité vis-à-vis du travail, comme si l'on subissait ce monde là.
Ca ne fait guère plus de 2 centimes tout ça, mais je compte revenir ici pour d'autres choses que j'ai en tête depuis pas mal de temps déjà. Je dois juste me mettre d'accord avec moi-même sur la façon de le présenter.
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06/05/2007
Une victoire et demie !
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23/04/2007
Ségolène Royal pense-t-elle avoir perdu ?
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22/04/2007
Deux victoires, au moins
Les résultats du premier tour présentent pour moi deux victoires. Au moins deux.
La première, c'est la victoire du taux de participation. Entre 83% et 85% en gros. Soit un taux similaire aux élections du début de la Vè république, largement au dessus de celui des dernières présidentielles, et bien sûr bien supérieur à celui de 2002 (pour rappel, un peu plus de 71%). Ce taux de participation est loin, très loin d'être un détail. Il montre une chose importante : les français se sentent concernés par la politique, ils s'y intéressent vraiment. Ce qui me marque là, c'est de faire ce constat, en sachant que parallèlement, plusieurs études montrent qu'environ les 2/3 d'entre eux, euh pardon d'entre nous, ne nous reconnaissons pourtant pas dans la manière dont elle est menée depuis des années. Il y a là le signe d'un essai qui ne demande qu'à être marqué, mais qui ne l'est toujours pas. Peut-on espérer?
La deuxième victoire, c'est le score faible de Le Pen, qui est certainement en partie le reflet du fort taux d'abstention. On sait qu'historiquement des taux de participation bas favorisent l'extrême droite, ce qu'on a vu en 2002. Cette année, le FN est enfoncé à un score très bas par rapport à ce qu'il espérait sans doute. Et voir ce soir le visage de Le Pen, si amer et fermé, et l'entendre dire qu'en gros, les français sont des cons parce qu'ils lui ont mis une claque, était particulièrement jouissif.
Aaah, dommage que je ne sois finalement pas à La république des blogs ce soir. J'aurai aimé partager ce plaisir avec mes camarades.
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12/04/2007
Prédisposition et déterminisme : court retour sur les propos de Nicolas Sarkozy
"J’inclinerais pour ma part à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie-là. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que génétiquement ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense"
"1200 ou 1300 jeunes [..] se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce leurs parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que génétiquement ils avaient une fragilité"
23:45 Publié dans Un peu d'actualité et de politique | Lien permanent | Commentaires (16) | Facebook |
05/04/2007
Nicolas Sarkozy et les singes de Delgado
Il y a deux choses qui me semblent intéressante à relever dans son compte-rendu. D’abord, et c’est certainement ce point qui sera principalement repris par la presse, les propos tenus par Nicolas Sarkozy concernant la prédestination génétique des individus.
Je reprends pour en rendre compte de façon synthétique, le même extrait que Le Monde
"J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a mille deux cents ou mille trois cents jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce que leurs parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d'autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense."
Cette vision, contredit une grande partie des recherches tant dans le domaine génétique que dans les disciplines de sciences humaines. Sarkozy peut donc s’attendre ici à recevoir une petite volée de la part du monde scientifique. Je ne compte pas revenir de façon détaillée sur l’impact génétique sur nos comportements. Il me semble avoir déjà démontré à mainte reprise que celui-ci était minime.
Il me suffit de rappeler succinctement, que jamais un bébé laissé à l’abandon sans la moindre possibilité d’expérimenter ce qui fait le monde humain (le rapport avec les autres essentiellement) ne se construira d’une façon que nous jugerions « humaines ». Il ne pourrait au mieux que devenir une sorte de sauvage, totalement inapte à la civilisation, mais les comportements humains de sociétés lui seraient parfaitement étrangers. L’inné encore une fois n’est qu’un potentiel, bien difficile à évaluer d’ailleurs. C’est l’apprentissage qui peut lui donner sa valeur. Il suffit pour s’en convaincre de remarquer qu’un enfant né de bonne famille mais élevé dans une famille pauvre n’aurait que très peu de chance de « réussir » socialement, alors qu’un enfant né d’une famille pauvre mais élevé dés son plus jeune âge dans une famille aisée suivrait exactement le chemin inverse. Mais je ne vais pas réécrire le scenario de La vie est un long fleuve tranquille, n’est-ce pas ?
Cette vision que rapporte Sarkozy, et Michel Onfray le rappelle, constitue l’une des bases de divergence philosophique fondamentale entre la gauche et la droite politique. Impossible ici de faire court sans caricaturer, mais en gros la droite s’accroche volontiers à la notion de l’inné, tandis que la gauche est plus attachée à celle de l’acquis. Parce que l’inné est ce qui permet de poser de façon simple des valeurs sur les personnes, et de les juger à l’aune de principes moraux, de mérite, etc. Et également d’agir de façon pragmatique, c’est-à-dire en faisant « avec ce qu’on a », et non avec ce que l’on peut espérer. Alors que l’acquis suppose une projection dans le temps, une évolution, un changement de l’homme. C’est la base de l’idéalisme où il n’est pas question de ce que l’on est, mais de ce que l’on peut devenir.
Je ne m’attarde pas plus sur ce point. Onfray le développe plus, et bien mieux que moi dans son billet. Et une littérature sans doute riche en rend compte pour ceux qui sont curieux. Ne m’en voulez pas trop si je suis un peu fainéant, mais si je voulais faire quelque chose de convenable à ce sujet, il me faudrait des heures.
Le deuxième point qui m’intéresse, c’est le comportement général de Sarkozy lors de cet entretien : son agressivité. Evidemment, il est tout à fait possible que celle-ci soit plus le résultat d’une mauvaise journée et de circonstances désagréables pour lui que d’autre chose. Mais l’article d’Onfray confirme une impression générale que le personnage Sarkozy véhicule il me semble : celle d’un individu agressif. Sans doute pas physiquement parlant, mais verbalement. Qu’il soit à la télé, ou ailleurs, c’est souvent l’impression qui se dégage de lui. Il me semble que c’est en grande partie ce qui explique la méfiance particulière qu’on entend s’exprimer contre lui.
On aurait très certainement tort de penser que les autres candidats, en tout cas ceux qui peuvent croire à la victoire, n’expriment aucune agressivité dans leur comportement, mais Sarkozy me semble être celui chez qui cette agressivité est la plus forte, en tout cas à tout le moins la plus visible.
Je voudrais à ce titre évoquer ici, de façon un peu provocatrice je le reconnais, une expérience menée par le physiologiste Jose Delgado (eng) sur des singes. Delgado s’est rendu célèbre en posant des implants électroniques dans le cerveau d’animaux et en parvenant, à l’aide de consoles radios, à guider et modifier les comportements de ceux-ci. Son expérience la plus célèbre a eu lieu à Cordoue avec un taureau de corrida, qu’il a pu stopper net alors que l’animal se ruait sur lui.
Delgado a également réalisé des expériences sur des singes, pour étudier leur comportement agressif et trouver les moyens de le modifier. Il a ainsi montré, qu’un groupe de singes ayant appris à stimuler à l’aide d’un appareil électrique, la zone de leur cerveau qui régule leur niveau d’agressivité, utilise cet outil pour jouer à monter et descendre dans l’échelle hiérarchique du groupe. En effet, plus les singes stimulaient leur agressivité grâce à l’engin, plus ils montaient dans l’échelle hiérarchique du groupe. Les singes qui étaient normalement les dominés accédaient au statut de dominant grâce à quelques stimulations. Et ceux qui étaient normalement les dominants, se voyaient alors dépassés dans l'échelle hérarchique du groupe par les autres, pour devenir à leur tour des dominés. Ayant compris le truc, les singes l’ont apparemment abondamment utilisé pour modifier leur rang et leur statut de dominant ou de dominé dans le groupe.
La conclusion de l’expérience de Delgado est simple et claire comme de l’eau de roche : c’est l’individu le plus agressif du groupe qui en devient l’élément dominant. En tout cas c’est le cas chez les singes sur lesquels l’expérience fut conduite.
Bien sûr, il y a une limite à l’analogie de ce type d’étude éthologique avec la nature humaine. Et ceci même si les animaux étudiés sont ceux dont nous sommes les plus proches. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a dans cette étude une vérité que l’on peut rapprocher du vade mecum de l‘homo politicus. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’idée est si largement répandue que la politique, ce n’est pas le monde de Candy et des idéalistes évangéliques. Les nombreux cyniques qui officient en tant qu’analystes dans cette discipline, en sont bien pétris.
En l’état je ne vois pas bien comment ce phénomène est évitable. Les hommes politiques n'ont guère de chance d'exister aux yeux du grand public s'ils n'ont pas une forme d'agressivité comportementale qui leur fait vouloir être sur le devant de la scène, vouloir le pouvoir, vouloir être des dominants. D’une certaine façon, ce n’est là que le reflet du schéma de construction de nos sociétés modernes, qui se sont faites en grande partie à partir de l’agressivité de compétition (j’aborderai ce point plus en détail prochainement).
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28/03/2007
L'adoption par les couples homosexuels
En commentaire d’une de ses longues brèves, Koz a indiqué quels étaient ses arguments contre l’adoption par des couples homosexuels. En bref, enfin j’espère ne pas trahir sa pensée en écrivant cela, Koz considère qu’il en va de l’équilibre de l’enfant, qui a besoin d’un père autant que d’une mère pour bien se construire, et qu’il n’est pas normal d’exposer dés son plus jeune âge aux risques de quolibets de ses camarades s’il devait avoir deux papas ou deux mamans.
Je dois dire que cette opinion était encore la mienne il ya quelques années, et que je faisais alors exactement la même démonstration que lui pour défendre mon propos. Dans un environnement social où la place de la famille est encore forte, on serait plutôt surpris que les gens pensent autrement. Mais mon opinion a changé, sans doute pas radicalement car je ne me sens pas farouchement opposé à une argumentation comme celle de koz, mais tout de même, je crois qu’elle est erronée.
J’ai changé d’opinion le jour où j’ai discuté de ce sujet avec un de mes cousins qui m’a dit en même temps qu’il était homosexuel. Il a avancé quelques arguments, et un en particulier qui disait que trop souvent, les parents élevaient leurs enfants comme « leur chose », avec donc une forte notion de possessivité vis-à-vis de leur progéniture. Biais qui selon lui était moins susceptible d’intervenir dans le cadre d’une adoption, et en particulier chez un couple homosexuel puisque ceux-ci du fait de leur situation risquaient moins que les autres de reproduire le schéma classique d’un couple hétérosexuel. En s’appropriant moins « leur » enfant que les autres, peut-être laissent-ils celui-ci plus libre de devenir ce qu’il veut. Et évidemment, le fait que ses parents soient homosexuels ne peut en aucun cas faire douter de l’amour qu’il pourra recevoir de ceux-ci.
Mais au–delà de ces quelques arguments, ce que j’ai plus ou moins senti ce jour là c’est qu’il y avait quelque chose d’étrange à envisager le risque que faisait éventuellement courir des parents homosexuels à leur enfant adoptif. Manquer d’un père ou d’une mère est une fragilité ? Affronter les sarcasmes de ses camarades est douloureux ? Ce n’est sans doute pas faux. Mais au risque de paraître provocateur j’ai un peu envie de répondre : et alors ?
Oui et alors ? Qui s’imagine aujourd’hui que les enfants qui grandissent n’ont pas d’épreuves à affronter, d’humiliation à subir et desquelles se relever, de doutes auxquels faire face ? Quels parents songent sérieusement maîtriser le chemin de vie de leurs enfants au point de les préserver de quelques vraies désillusions et de certaines douleurs profondes ? J’en vois une au moins qu’ils prendront tous un jour en pleine poire et dont peut-être on sous-estime l’impact dans la construction personnelle des individus : la déception amoureuse.
Bien sûr on rétorquera sans doute que si tout cela est vrai, il n’y a pas de raison d’en rajouter pour autant. Et que lorsque l’on peut éviter quelques désagréments supplémentaires aux enfants, il est presque coupable de ne pas le faire Mais il me semble que le fond de cette idée vient d’une vision comptable de la vie qui n’a pas beaucoup de sens. On ne peut pas envisager l’éducation d’un enfant en calculant le nombre de moments positifs et le nombre de moments négatifs qui se dresseront sur son parcours personnel. Et on aurait tout à fait tort je crois d’envisager l’éducation offerte par un couple homosexuel comme créant un handicap de base, comme un handicap physique peut l’être.
L’éducation est un processus très complexe, fait d’automatismes culturels reproduis par les parents plus ou moins consciemment, d’apprentissages que ces derniers font pour une part non négligeable en même temps qu’ils les enseignent à leurs enfants, de circonstances et d’événements extérieurs sur lesquels ils n’ont pas d’influence, d’un nombre incalculable de micro-événements qui par touche successives construisent un personnage particulier, qu’un jour les parents, s’ils regardent leurs rejetons avec clairvoyance, s’apercevront qu’ils ne peuvent pas voir complètement, qui garde en lui une part insaisissable, même à eux, même alors qu’il est le premier à hériter de ce qu’ils sont (au fait, je crois que c’est ça aimer : reconnaître et accepter la part fuyante de l’autre).
Ce processus peut tout à fait être mené de façon positive par des parents homosexuels. Peut-être auront-ils quelques difficultés de plus que les autres à affronter, à commencer par ce regard négatif qu’une certaine population continue de porter sur eux. Mais ils n’auront pas moins de faculté que les hétérosexuels pour gérer ces difficultés. C’est de maturité comportementale dont il est vraiment question ici : si celle-ci est forte, des parents homosexuels sauront faire grandir leur enfant sainement, et si elle est faible, et bien ils ne sauront pas, mais il en ira de même pour des parents hétérosexuels.
Enfin cette question ne doit à mon avis pas être présentée comme une vraie question de société. Ou plus exactement, je ne pense pas qu’ouvrir l’adoption à des couples homosexuels puisse avoir un impact sociétal réel. C’est une décision qui changera la vie de certains individus, mais pas le visage de la société dans son ensemble. Simplement parce qu’ils ne seraient sans doute pas si nombreux à y avoir recours (qu’on songe simplement au nombre d’enfant adoptés par rapport au nombre d’enfants naturels, je n’ai pas les chiffres, mais je serais surpris que ce ratio soit très élevé).
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26/03/2007
La veste d'Eric Besson
Petit billet court aujourd’hui, pour répondre à la requête formulée par Verel la semaine dernière suite à la nouvelle salve lancée par Besson contre son ancien camp dans son récent livre repris pour partie dans un article du Monde. Verel semble se demander comment la position de Besson peut être désormais aussi fortement anti-Ségolène alors qu’il était encore il n’y a pas si longtemps l’un des bons ouvriers du PS. La question mérite sans doute d’être posée, et je vais tenter d’y apporter quelques éclairages.
J’émets toutefois une réserve immédiate sur les pistes que je pourrai ouvrir : je ne connais pas le personnage Besson, je subodore que nous ignorons une grande part de ce qui a pu se dire en coulisse du PS avant son éviction de la campagne de Ségolène Royal, et je ne prétends donc nullement que mon explication puisse être prise au pied de la lettre. En fait, ce billet est plus un prétexte pour illustrer à travers l’exemple de Besson quelques idées que j’ai déjà développées ici. Où l’on verra que probablement, le comportement d’Eric Besson n’a en fait rien de très extraordinaire.
D’abord, pour bien comprendre le comportement de l’ex secrétaire national à l’économie du PS après son éviction, il faut comprendre son comportement pendant qu’il était au PS. Je l’ai dit tout récemment, ce que nous appelons par commodité, et non sans quelques trémolos dans la voix et un certain lyrisme, nos convictions, sont en réalité souvent constituées, avec une apparence plus ou moins cohérente selon la maîtrise du langage que nous avons, par un ensemble hétéroclite d’intérêts bien compris, tout à fait personnels et égocentrés (c’est-à-dire qui ne visent rien d’autre que l’intérêt de notre personne, qui visent donc à notre conservation propre, biais naturel auquel nous ne saurions échapper).
Pour réaliser cela, nous avons recours de façon régulière, à de petits dénis courants, de menus rejets de certaines valeurs qu’hier encore nous déclarions importantes à nos yeux, mais dont la mise en œuvre sans entrave nous semble entraîner plus de dommages que d’avantages. Nous optons alors naturellement pour ce qui nous avantage le plus, dans le cas de Besson pour l’appartenance à un parti politique qui est proche de l’idée qu’il se fait de la politique, ou en tout cas le moins éloigné (il faut l’espérer tout de même), et nous acceptons de mettre sous l’éteignoir certaines revendications qu’en d’autres circonstances nous aurions volontiers mises en avant.
Besson, dans son entretien avec Claude Askolovitch, semble faire grand cas des sacrifices intellectuels qu’il a dû concédés dans son travail au parti socialiste. Qu’il se console toutefois, tous ses anciens camarades sont certainement dans la même situation, et il ne peut qu’en aller de même de l’autre côté de l’échiquier politique. Le fond de ce comportement là, c’est tout simplement que ces gens perçoivent que le gain qu’ils font ainsi est plus grand que la perte y attachée. Ils savent bien que s’ils avaient tout le pouvoir pour eux ils procéderaient autrement, mais tant qu’ils ne l’ont pas, ils acceptent de se plier aux règles établies pour bénéficier des avantages que leur donne le groupe qui répond à ces règles. Ce n’est rien d’autre que du conformisme de soumission, dont on s’aperçoit à cette occasion qu’il peut trouver application dans tous les types de population.
Besson donc, a jonglé pendant plusieurs années avec ses propres valeurs et avec les exigences de son parti, il a manipulé ses propres convictions, a adapté son langage pour le faire correspondre à celui du groupe, afin de maintenir la cohérence de celui-ci, cette cohérence ayant été pendant tout ce temps la garantie personnelle dont il avait besoin pour progresser et s’assurer un avenir correspondant à son ambition (sans que je ne mette sous ce terme l’idée d »ambition « a tout prix »).
La rupture, qui pour l’individu se situe en amont de sa manifestation observable par le grand public, étant par essence une affaire intime, qui se déroule uniquement en lui-même, cette rupture donc a fait tomber d’un coup toutes ces exigences de conservation du groupe. Tous les compromis acceptés jusqu’alors n’ayant plus de contrepartie et n’offrant plus aucun avantage en retour, n’ont plus de raison d’être, et ils deviennent même, en s’associant à une expérience douloureuse (une rupture de ce type n’étant jamais facile, cette difficulté étant précisément le nœud gordien du déni), des complices au mal être ressenti. Ils doivent donc être abattus afin que l’individu retrouve pleinement l’équilibre psychologique que la rupture à rompu.
D’ailleurs, il faut parier ici que si la rupture n’était pas complète, le rejet qui s’ensuit ne serait pas aussi radical. Il faudrait à Besson conserver un moyen de revenir dans le jeu, de se réintroduire dans le groupe qu’il a quitté et qui lui offrait ses gratifications. Il me semble probable que sa réaction est aussi absolue que la rupture est définitive. Un intérêt personnel très fort dans un retour au bercail pourrait contrarier cette prédiction, mais celle-ci ne me semble vraiment pas absurde. On peut même peut-être penser que c’est parce que la rupture est déjà totale que l’opinion de Besson atteint une telle extrémité de rejet du projet de Ségolène Royal, alors que je ne vois guère de possibilité qu’il ne soit pas sur quelques points en accord avec ce qu’il a soutenu il fut un temps.
Besson fait mine du contraire, mais j'y vois le signe de la bête blessée, qui a besoin de retrouver une position d’apparence digne pour lui-même, de s’extraire de l’humiliation subie, et qui pour cela dresse un tableau aussi brutal de ses nouveaux adversaires que ceux-ci ont pu l’être avec lui. Cela n’empêche d’ailleurs nullement que ses convictions entrent bel et bien en jeu dans ce rejet, et qu’elles en constituent une part importante. Je ne cherche pas ici à dénier à Besson quelque raison dans son attitude, ni a contredire la profondeur de ses valeurs, mais je ne crois pas que celles-ci soient suffisantes à expliquer la radicalité extrême dont il témoigne désormais. Il est entré dans le rapport de force, et pour que celui-ci ne soit pas trop inégal, alors qu’il est seul contre tous, il a besoin de mettre autre chose dans son discours que des éléments raisonnés et mesurés. Il faut des émotions fortes, de l’agressivité, de la culpabilisation, une critique sur tous les niveaux possibles. Vous fonctionner très différemment vous quand on vous donne la possibilité de vous exprimer après avoir été agressés verbalement ?
11:56 Publié dans Un peu d'actualité et de politique | Lien permanent | Commentaires (3) | Facebook |