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06/11/2006

Le bout de la corde

medium_corde.jpgLe verdict est donc tombé pour Saddam Hussein: il sera pendu. Après un an de procès, le jugement prononcé n'étonne pas tant il était prévisible depuis le début.
 
Comme tout le monde je m'étais évidemment préparé à cette issue. Mais pourtant, je ne peux m'empêcher aujourd'hui d'en ressentir un sentiment de déception. Il n'y a rien à faire, pour moi ce verdict est une très triste défaite et il ne pouvait pas y avoir pire décision que de tuer Saddam, malgré tout ce qu'il a fait. J'ai déjà expliqué en détail mon opinion sur la peine de mort. Je ne vais pas revenir dessus. Mais je veux simplement rappeler que c'est probablement dans ce type de situation qu'il est le plus important de se battre contre cet acte barbare.
 
Evidemment, je mesure à quel point il est comfortable de tenir cette belle parole depuis mon siège de bureau. Les irakiens dont les familles ont été assassinées par leur ancien dictateur ont forcément un sentiment très différent du mien après ce verdict. D'ailleurs si j'apprenais qu'ils allaient manifester pour sauver leur bourreau j'en serais proprement stupéfait.
 
Mais il n'en reste pas moins que terminer un procès qui se voulait exemplaire, qui s'était donné comme objectif de démontrer les bienfaits de la justice et d'en inculquer la culture aux irakiens, par une pendaison, est pour moi un terrible aveu de défaite. Comme Paxa, je trouve évidemment difficile de devoir défendre cette idée face à un tyran d'une telle espèce. Je sais quelle schizophrénie cela impose, entre ce que feraient notre raison bourgeoise et protégée et nos mains baignants dans le sang d'un enfant tué par Saddam.
 
Mais si cette schizophrénie est l'expression entière de mon humanité, dont je ne cherche à renier ni l'un ni l'autre flanc, je sais aujourd'hui que l'Irak a perdu sa bataille la plus symbolique.
 
Add 14h20: je n'avais pas vu, mais Guillaume Barry du Swissroll a écrit un bon billet hier sur le sujet. Son argumentation semblera certainement aller à l'encontre de la mienne pour beaucoup de lecteurs. Je crois pourtant que ce serait une erreur de le penser car je suis très d'accord avec sa colère quant-à la séléctivité des états dans l'objet de leurs indignations. Et dire cela n'enlève, à mon avis, rien au drame que constitue l'application de la peine de mort.

03/11/2006

Un mauvais logo fait un mauvais logos

medium_logo_UE.jpgComme à mon habitude, je découvre en retard le logo qui a été sélectionné à Bruxelles pour illustrer les cérémonies du 50ème anniversaire de la signature du traité de Rome, cérémonies qui auront lieu l'an prochain.

 

Comme M.le maudit je trouve que le choix du vainqueur (logo en haut à gauche) n'est pas formidable. Mais pas vraiment pour les mêmes raisons. Que le terme choisi soit anglais ne me dérange pas, d'ailleurs il y a un petit effort pour intégrer d'autres langues, ce que montre le tréma sur le o, et l'accent sur le e. Le R du registered ne m'interpelle pas non plus beaucoup, et pour ma part je trouve le since 1957 plutôt rigolo.

 

Mais ce que je reproche le plus à ce logo, c'est qu'il est en fait parfait pour illustrer les meilleures fondements de l'euroscepticisme. Il est d'abord à peu près illisible. J'ai mis plusieurs secondes à comprendre de quoi il s'agissait, le logo poussant il me semble plus à le regarder lettre à lettre qu'à le lire réellement. De là à dire qu'il illustre bien l'opacité tant du projet que des méthodes européennes, il n'y a qu'un pas, que certains ne s'empêcheront pas de franchir.

 

Et puis surtout, comme le fait remarquer un commentateur chez M.le maudit, ce logo est trop hétérogène. Il n'a aucune uniformité, aucune unité. Ce qui pour un regroupement qui s'appelle Union Européenne pose tout de même un petit problème. Ce logo rend trop une impression de fouilli, d'agrégation d'éléments qui ne vont pas entre eux (ils sont illisibles mis bout à bout) parce qu'ils n'ont pas d'homogénéité.

 

medium_Zane.3.jpgEn regardant la liste des 10 "meilleures" contributions, on trouve quelques exemples qui font mieux passer l'idée d'unité. Pour ma part je ne trouve rien de très emballant dans les autres participations, mais le logo gagnant me semble tout de même le plus mauvais de la liste, car le plus hétérogène. J'aurai peut-être sélectionné celui de Zane Jekabsone, avec ses briques multicolores qui semblent progressivement construire un mur. On aurait eu l'idée d'unité, et aussi de construction et de différences des composants. Peut-être pas formidable, mais mieux en tout cas que ce Tögethér étrange.

05/09/2006

L'empreinte et les orphelins roumains

Dans le billet précédent, j’évoquais l’importance de la mémoire dans nos comportements inconscients. La mémoire émotionnelle cristallise en nous des émotions et des sentiments que nous allons par la suite chercher à répéter, s’ils sont agréables, ou à fuir, s’ils sont désagréables. Il existe encore une autre mémoire qui intervient dans nos comportements inconscients, et de façon d’autant plus forte que celle-ci est indélébile. Il s’agit de l’empreinte.

 

Ici, il est inutile que je brode un texte personnel. Je préfère vous livrer un nouvel extrait de La colombe assassinée de Laborit, dans lequel il est remarquablement précis et concis à la fois :

 

"En effet, à la naissance, le cerveau des mammifères et de l’homme est encore immature. Bien sûr, il a son nombre de neurones et il ne fera plus qu’en perdre au cours de son existence. Mais ces neurones n’ont pas encore établi entre eux tous leurs contacts synaptique. Ces synapses vont se créer pendant les premières semaines, au cours des premiers mois chez l’animal, pendant les premières années chez l’homme, en fonction du nombre et de la variété des stimuli qui proviennent de l’environnement. On comprend que plus ces synapses nouvellement créées sont nombreuses, plus les possibilités d’associativité d’un cerveau sont grandes et l’on comprend d’autre part que ces synapses soient indélébiles. La trace qui va accompagner leur création et la mémoire qui sera liée à cette création seront elles-mêmes indélébiles.

 

C’est ce qu’a bien montré Konrad Lorenz. Ainsi, un jeune chaton enfermé à sa naissance dans une cage avec des barreaux verticaux pendant un mois et demi, ce qui constitue pour lui la période de plasticité de son cerveau, lorsqu’il sera placé dans une cage avec des barreaux horizontaux, butera contre eux pendant tout le restant de son existence parce qu’il ne les verra jamais. Son cerveau n’a pas été habitué dans la première période de sa vie à coder les voies neuronales de telle façon qu’il voie des barreaux horizontaux. Un jeune poulet peut être placé à sa naissance en contact avec un seul objet dans son environnement qui est un leurre, lorsqu’il aura atteint l’âge adulte, on pourra lui présenter les plus belles poules, ce n’est pas avec elles qu’il tentera la copulation mais avec son leurre. De jeunes rongeurs, à leur naissance, provenant de la même mère, de la même portée, peuvent être placés les uns dans ce qu’on appelle un environnement enrichi et les autres dans un environnement banalisé, appauvri. A l’âge adulte, si pour se nourrir ils ont à résoudre un problème de labyrinthe, les premiers résoudront le problème rapidement, les seconds ne le résoudront jamais.

 

On peut en déduire l’importance du milieu social dans ses premiers mois pour l’animal, dans ses premières années pour l’homme. Pendant ces premières années, en effet, tout s’apprend. L’enfant à sa naissance ne sait même pas qu’il existe dans un environnement différent de lui. Il doit découvrir ces faits par expérience. Quand un enfant touche avec sa main son pied, il éprouve une sensation au bout de ses doigts et au bout de son pied et cela se boucle sur lui-même. Lorsqu’il touche le sein de sa mère, ou son biberon, cette sensation ne se réfléchit plus sur lui mais sur un monde différent de lui. Il faudra donc qu’il sorte progressivement de ce que certains psychiatres appellent son «moi-tout», cet espace dans lequel il est l’univers qui l’entoure et c’est par mémoire et apprentissage qu’il va découvrir la notion d’objet, le premier objet étant lui-même. Il va devoir créer son image corporelle, son schéma corporel. Il va falloir qu’il découvre par expérience qu’il est limité dans l’espace et que l’espace qui l’entoure n’est pas lui. La notion d’objet n’est pas innée et nous ne nous souvenons pas de nos premières années parce que nous ne savions pas qu’un monde nous entourait, qui n’était pas nous."

 

C’est une des raisons pour lesquelles on recommande parfois de faire en sorte que l’enfant en bas âge puisse connaître des environnements variés, qu’il ne dorme pas toujours dans la même pièce par exemple, bref qu’il puisse multiplier les expériences qui vont ainsi lui permettre de se construire une empreinte la plus riche possible. A l’inverse, un enfant qui ne vivra pas ses premières années dans un environnement humain sain et qui lui permette de bien se développer, risque de grandir avec des carences qu’il ne pourra jamais combler.

 

C’est le très triste exemple que l’on voit encore aujourd’hui dans les orphelinats roumains. Après la chute du régime Ceaucescu en 1989, le monde découvrit ces mouroirs où des dizaines de milliers d’enfants abandonnés dés le plus jeune âge, étaient laissés à l’abandon, sans soin et mal nourris. Il en résultechez la plupart des dysfonctionnements comportementaux majeurs. Les images que l’on vit alors étaient horrifiantes. Mais dix ans plus tard, malgré l’effroyable urgence qu’il y avait, la situation semblait être la même.

 

Et encore hier soir, un reportage d’Arte Info montrait les mêmes images qu’en 1990 (je ne parviens pas à le retrouver), ce qui vient confirmer ce que rapportait en mai dernier l’association Mental Disability Rights International  (lire le rapport intégral en pdf; voir les images (à ne pas mettre sous tous les yeux)). Certes, certaines informations laissent à croire que la situation s’est améliorée depuis. Il y avait plus de 100000 enfants qui peuplaient ces enfers en 1990, ils ne seraient "plus que" 30000 aujourd’hui, selon les autorités roumaines. Ils seraient notamment de plus en plus nombreux à être placés en famille d’accueil.

 

Pourtant, on ne peut guère se satisfaire du résultat obtenu. La Roumanie fait actuellement partie des pays candidats à l’entrée dans l’Union Européenne. Parmi les exigences auxquelles elle doit répondre pour valider son adhésion, figurent notamment un chapitre sur la protection de l’enfant. La commission européenne doit se prononcer en octobre prochain pour dire si la date retenue pour l’adhésion de la Roumanie est maintenue au premier janvier 2007, ou est repoussée. Sur ce chapitre pour le moins, on serait en droit d’être surpris qu’elle émette un avis favorable.

 

D’autant, que certains sites montrent que la propagande roumaine n’a rien perdu de sa superbe !

 

On pourra également lire cet article de RFI (mais qui n’est pas daté), et on trouvera des informations intéressantes auprès du site de l’association Valentina.

 

 

 

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31/05/2006

Journée mondiale sans tabac

L’OMS organise aujourd’hui sa journée mondiale sans tabac. C’est l’occasion de revenir sur quelques réalités et sur quelques chiffres importants (les données que j’indique sont principalement extraite du Tobacco Atlas (pdf ) publié en 2002).

 

Nombres de fumeurs

 

Près d’un milliard d’hommes (âgés de 15 ans et plus) fument dans le monde, soit 35% de la population dans les pays industrialisés et 50% dans les pays en développement. La tendance des dernières années est baissière, mais comme le rappelle très bien l’OMC, le rythme de cette baisse reste assez lent, surtout comparée au nombre de morts du tabac. La Chine se distingue en particulier puisqu’elle compte à elle seule 300 000 fumeurs masculins, soit près d’un tiers du total mondial (mais avec un pourcentage de la population totale qui n’est pas le plus élevé).

 

Dans les pays développés, on notera que le Royaume-Uni, le Canada et les Etats-Unis comptent parmi les états dont le pourcentage de fumeurs est le plus faible (alors que les Etats-Unis sont de loin le premier producteur mondial de produits liés au tabac). La France semble dans la moyenne européenne (entre 30% et 40% de fumeurs), l’Espagne étant le mauvais élève, avec un taux compris entre 40% et 50% de fumeurs, comme la Pologne, la Hongrie, et les pays baltes (d’une manière générale les pays de langue russe ou proche du russe ont de très importants contingents de fumeurs – le tabac serait-il une ancienne valeur communiste ?).

 

En revanche, « seulement » 250 millions de femmes (âgées de 15 ans et plus) fument, soit 22% des femmes des pays développés et 9% dans les pays en développement. Fumer reste donc principalement un comportement masculin (y attache-t-on une image de virilité ? Si c’est le cas, c’est tout à fait stupide car les études sont nombreuses à montrer que le tabac entraîne des troubles sexuels), en tout cas à l’échelle mondiale. En France par exemple, la proportion d’hommes et de femmes qui fument est quasiment à parité.

 

A noter que la très grande majorité des fumeurs ont commencé à fumer avant d’atteindre l’âge adulte, et que 40% des jeunes dans le monde sont soumis au tabagisme passif chez eux (!).

 

L’impact du tabac sur la santé

 

On comptabilise aujourd’hui dans le monde près de 14000 décès dus au tabac par jour, soit 5 millions par an. Pour donner une petite idée de ce que ça représente, ça correspond à peu près à la disparition totale de pays comme la Finlande, le Danemark ou encore l’Irlande. En France, on compte 65 000 morts du tabac par an, et 12% des morts de maladie le sont du fait du tabac (chiffres 2000). L’OMS prévoit qu’on risque d’atteindre 10 millions de morts au niveau mondial d’ici 2020, du fait de l’augmentation de la population qui ira plus vite que la baisse du pourcentage de fumeurs.

 

Par ailleurs, 95% des cancers du poumon sont dus au tabac, ainsi que 75% des bronchites chroniques et des emphysèmes, et 25% des insuffisances cardiaques.

 

Pour terminer ce paragraphe, à l’échelle mondiale, on constate que le fait de fumer entraîne une diminution de l’espérance de vie… de moitié ! En moyenne, on compte qu’une cigarette fumer raccourci l’espérance de vie de 7 minutes ! En France, l’espérance de vie des fumeurs est de 16 ans inférieure à celle des non fumeurs (chiffre 2000).

 

L’impact économique du tabac

 

Au-delà de l’impact sur le portefeuille des fumeurs, le tabac a également un coût pour l’économie mondiale, du fait de son impact sur la santé. En effet, il représente une part très importante des coûts de santé : 6% aux USA en 1999, soit 157 milliards de dollars, dont 82 milliards dus à la perte de productivité liée à la mortalité, et 75 milliards dus à l’augmentation des dépenses médicales. En Chine, en 1998, plus de 500 000 personnes sont mortes du tabac, ce qui représente une perte de productivité d’environ 1,146 millions d’années-personnes.

 

Par ailleurs, la culture du tabac participe d’une façon significative à la déforestation, notamment dans certains pays pauvres, entraînant de vraies catastrophes écologiques, du fait de l’utilisation du bois pour effectuer le séchage du tabac. On pourrait ajouter à cela les feux de forêt engendrés par la cigarette, mais ce doit être plus anecdotique.

 

Pour lire des éléments complémentaires et plus précis, je recommande fortement la lecture de l’article de l’OMS sur le sujet, publié en 2004, très complet, et d’où j’extrait les données de ce paragraphe.

 

En guise de conclusion, je note que la prise de conscience du problème créé par le tabac grandit. 124 pays ont ratifié le traité international destiné à réduire la consommation de tabac qui est entré en vigueur l’an dernier. En Europe notamment (on est passé de 33% de fumeurs à 27% en trois ans), mais aussi aux USA ou au Japon, le nombre de fumeurs à diminué de façon significative (passant respectivement de 52% à 26% et de 81% à 54% de 1965 à 1999 pour les USA et de 1960 à 2000 pour le Japon). D’autre part, une grande majorité de la population des pays européens se déclare favorable à l’interdiction de fumer dans les lieux publics (voir notamment cet article du Nouvel Obs).

 

Il faut profiter de ces opinions favorables pour avancer encore dans la lutte anti-tabac, et faire en sorte que sa consommation devienne un jour un phénomène marginal.

17/05/2006

Enquête du CEVIPOF - quelques points importants

Regardant hier soir une partie de l'émission France Europe Express, mon attention a été fortement retenue par l'annonce des résultats de l'enquête du CEVIPOF, ou devrais-je dire, du Baromètre Politique Français (2006-2007) CEVIPOF-Ministère de l'Intérieur. Cette enquête est disponible sur Internet, vous la trouverez ici, et Vérel y a déjà consacré avant moi un billet.

 

Je reviens tout de même dessus, pour complèter certaines informations bien relevées par Vérel. Pour ce faire, je prends les principaux résultats de l'enquête dans l'ordre où ils apparaissent, et y ajoute mes commentaires personnels (je ne reprends pas tout, sinon vous verrez trop que ce billet n''est qu'un plagiat facile, ça ferait désordre).

 

Les préoccupations des français

Sans aucune surprise, c'est la question du l'emploi qui arrive en tête, et largement devant le reste, avec 38% de sondés qui déclarent que c'est leur principale préoccupation. Notons que sur cette question, le sujet de l'insécurité n'est retenu comme primordial que par 6% des sondés, et celui de l'immigration par 5% uniquement.

 

La situation personnelle

Une courte majorité déclare s'en sortir difficilement avec ses revenus. Je note sur cette question qu'un pourcentage identique de 42% de sondés dit s'en sortir difficilement et facilement (les réponses possibles étant: trés difficilement, difficilement, facilement, très difficilement). Je ne suis pas sûr que l'on puisse extraire grand chose de cette parité. En revanche les réponses glanées aux extrêmes (très difficilement et très facilement) sont intéressantes. Ils sont 12% à estimer qu'ils s'en sortent très difficilement contre 4% qui disent s'en sortir très facilement. Il serait intéressant sur ce point de connaître l'évolution de ce sentiment, par exemple depuis 5 ans. Je trouve tout de même que 12% de foyers à s'en sortir très difficilement avec leurs revenus est une marque élevée.

 

Sur la question des chances de réussite des jeunes par rapport à leurs parents, le résultat est sans appel. 76% estiment que les jeunes d'aujourd'hui sont moins bien lottis que leurs parents. Ce résultat me semble très important, du fait de l'ampleur du pessimisme qu'il démontre, sur une question qui en dit long sur la vision que l'on a de son pays et sur l'évolution qu'on lui prédit.

 

Les valeurs

On trouve quelques résultats très intéressants dans cette rubrique, dont certains sembleront peut-être un peu contradictoires . Tout d'abord 65% des sondés se déclarent favorables au droit de vote des étrangers résidants en France lors des élections municipales (je me serais attendu à moins). Mais 53% estiment qu'il y a trop d'immigrés en France. Je vois clairement là le résultat de la communication politique de certains sur le sujet du droit de vote des étrangers. Mais on peut se demander si le 65% n'est pas inspiré par de simples déclarations d'intention qui ne seraient guères suivies dans les actes le jour d'un référendum sur la question. Je note enfin que "seulement" 40% des sondés indiquent qu'"on ne se sent en sécurité nulle part". Mais quelle curieuse formulation pour évoquer la question de l'insécurité. Elle me semble exclure un grand nombre de réponses qui feraient état d'un sentiment d'insécurité, qui n'apparaissent pas ici, parce que tout de même, dire qu'on n'est plus en sécurité nulle part est pour le moins extrême (mon seulement est donc un peu ironique).

Sur les questions à orientation plus économiques, on note une tendance vers plus de libéralisme, puisque 63% déclarent que les entreprises devraient avoir plus de libertés, et 58% pensent que les chômeurs pourraient trouver du travail s'ils le voulaient, une idée qu'on trouve plutôt dans la bouche des libéraux. Pour moi ces points montrent avant tout que la politique française est sans doute moins prise en otage par les idées d'extrême gauche que ce que l'on nous dit souvent. On peut rapprocher ces résultats de celui glané dans la rubrique Déclin, ouverture, modèle où l'on voit que 54% des sondés pensent que le chômage pourrait être réduit par une plus grande flexibilité du marché du travail.

Un dernier point concernant l'opinion sur la peine de mort. Heureusement, une large majorité (62%) s'y déclare défavorable. Mais je remarque tout de même qu'il reste 19% de la population à estimer qu'il serati tout à fait bon de la rétablir. C'est 19% de trop.

 

L'implication dans le débat public

Deux résultats intéressants dans cette rubrique: d'abord le degré d'intérêt exprimé pour la politique. Les résultats sont partagés, avec une petite majorité qui expriment plutôt un désintérêt (56%). Nous ne serions que 12% à nous y intéresser beaucoup, ce qui me semble très faible. Pour tout dire, ce résultat me semble franchement inquiétant. Et il présage de futurs taux d'abstention qui sont des signes forts d'affaiblissement démocratiques. Sur ce point, pour une réflexion sur la question Faut-il s'intéresser à la politique, je me permets de vous renvoyer à un de mes premiers billets sur ce blog.

Le deuxième résulat qui concerne la participation aux élections, est un peu surprenant, ainsi que le note très bien Vérel. En effet, 87% des sondés déclarent avoir voté à toutes ou presque toutes les élections depuis qu'ils ont le droit de vote. Quand on sait que le taux d'abstention est très régulièrement supérieur à 20% (même au deuxième tour de 2002, alors que la participation était record), on est en droit de lever le sourcil quant à la crédibilité de ces réponses.

Enfin dernière chose, la confiance accordée aux différents médias d'information. A ma grande surprise, c'est la télévision qui remporte la palme, loin devant tous les autres, avec 44% de sondés qui déclarent lui accorder leur confiance. La presse écrite remporte, seulement, 20% des suffrages, et Internet est quasiment dernier, avec seulement 4% de sondés qui préfèrent ce média aux autres. Evidemment, voilà qui est de nature à remettre en cause de façon forte l'idée répandue dans la blogosphère (hors skyblog s'entend), que les blogs pourraient progressivement supplanter la presse. En tout cas, ça me semble indiquer assez clairement que le buzz sur ce sujet n'est que l'affaire d'un microcosme.

 

L'action politique et la confiance

On y constate que l'opinion sur l'action du gouvernement actuel lui est largement défavorable, comme on pouvait s'y attendre, mais toutefois pas autant que ce que la dégringolade de la côte de Villepin aurait pu faire anticiper. "Seulement" 64% des sondés ont une opinion négative de l'action du gouvernement. Si on m'avait demandé un pronostic, j'aurais plutôt dit entre 70% et 80%.

Concernant l'évolution perçue du chômage, il est très intéressant de constater que la balance penche nettement du côté de ceux qui estiment que le chômage a augmenté, allant en cela à l'inverse des courbes indiquées chaque mois par le gouvernement (exception faite de janvier). Malheureusement pour celui-ci, ses efforts ne sont donc pas reconnus, et on peut y voir un indice de plus de son incapacité à communiquer efficacement sur son action. Le problème pour lui, c'est que le noeud de la tactique politique est là.

Viennent ensuite deux résultats, qui sont à mon sens les plus importants et les plus frappants de l'étude. En effet, 74% des sondés expriment un avis pessimiste sur l'évolution économique du pays, chiffre absolument énorme, à mettre en parallèle avec les 76% qui exprimaient une opinion sombre sur les chances des jeunes comparées à celles de leurs parents. Et 69% indiquent qu'ils ne feraient confiance ni à la droite ni à la gauche pour gouverner le pays, chiffre encore considérable, qui marque très nettement le divorce des citoyens avec la politique, et qui constitue à mon sens le plus gros défi à relever dans les années à venir, si nous ne voulons pas que la démocratie dans notre pays ne soit plus qu'un titre sans substance. On peut rapprocher de ce résultat, celui obtenu par l'enquête dans sa dernière rubrique (L'orientation politique) où le plus grand nombre de sondés (37%) déclarent n'être ni à gauche, ni à droite.

 

Déclin, ouverture, modèle

On retrouve ici, sans surprise, une majorité de personnes qui estiment que la France est aujourd'hui en déclin. Toutefois, je suis surpris que la proportion exprimant cet avis (52%) ne soit pas plus proche de celle qui évoque son pessimisme quant à l'évolution économique du pays. Cela voudrait-il dire que certains éléments non économiques contre-balancent de façon importante la marasme sur l'économie ? Si l'on en croit le résultat détaillé, qui suit, il est permi d'en douter. Quasiment tous les points présentés sont dans le rouge selon, les sondés: pouvoir d'achat, école, système de santé, compétitivité, solidarité dans la société et influence de la France dans le monde. Seul la recherche et l'innovation (???) et le rayonnement culturel (???) apparaissent aux sondés comme étant en progrès.

La suite continue d'étonner. En effet, 43% des sondés estiment que la France devrait s'ouvrir d'avantage au monde d'aujourd'hui. On se souvient pourtant qu'ils étaient 53% à penser qu'il y avait trop d'immigrés. Et on découvre plus loin qu'ils sont 46% à estimer que la mondialisation est un danger pour la France, parce qu'elle menace ses entreprises et son modèle social, contre seulement 24% qui pensent que c'est une chance. On voit même de façon plus détaillée dans le tableau qui suit que la mobilité croissante des travailleurs au sein de l'UE est perçue comme un danger, ainsi que celle des individus en général. On peut raisonnablement se demander s'il reste vraiment une possiblité d'ouverture à notre pays, s'il doit rejeter les étrangers et la mondialisation.

Là encore, les réponses données me semblent très clairement indiquer qu'on en reste à de pures (et présumées nobles) déclarations d'intention, mais que dès qu'il s'agit de les mettre en oeuvre tout le monde disparaît. C'est encore un peu plus clair au travers de la réponse donnée à l'opinion concernant le mélange des cultures, où 35% des sondés répondent que c'est une chance contre 30% qui répondent que c'est un danger. On voit bien que dès qu'on sort les mots nobles, les réponses deviennent plus favorables. Mais le paradoxe soulevé par ces réponses contradictoires est bien que dès qu'il s'agit concrètement d'agir pour donner corps aux belles idées, il ne reste malheureusement plus grand monde.

Dernier point sur l'UE. La construction européenne apparaît encore comme un danger pour la France, pour 41% des sondés, alors que seulement 27% estiment qu'elle représente une chance. On voit là le prolongement du vote du 29 mai 2005. Il apparaît très ancré, et le travail à réaliser pour inverser la tendance est sans doute considérable.

 

L'image des personnalités politiques

Où l'on découvre enfin une évaluation du potentiel des différents candidats potentiel lors du premier tour de l'élection présidentielle. Sans surprise, Sarkozy et Royal sont devant, avec respectivement 46% et 45% de sondés qui déclarent probable qu'ils votent pour eux (attention, le total excède largement les 100%, les sondés ayant dû indiquer pour chaque candidat s'il existait une probabilité qu'ils votent pour lui). Fabius est clairement out (il est même le dernier dans le classement du côté socialiste), Villepin, avec 25%, obtient un score en relation avec sa côte de popularité actuelle, et (agréable) surprise, Le Pen est plutôt loin, avec un score de seulement 17%, et surtout 76% qui déclarent qu'il n'est pas probable du tout qu'ils votent pour lui, le plus mauvais score de tous les candidats présentés. Notons d'ailleurs, qu'à la question "quelle est la personnalité à qui l'on fait le plus confiance pour protéger la France du mond d'aujourd'hui, Sarkozy a battu tout le monde à plate couture, avec 34%, loin devant Ségolène Royal qui n'obtient là que 12%. Ce résultat, mis en relation avec le score timide de Le Pen relevé ci-dessus, me semble montrer assez clairement que la stratégie de Sarkozy d'aller chercher les électeurs FN fonctionne bel et bien. Enfin, pour en terminer avec Le Pen, les résulats de la question qui évoque les traits d'image qu'on lui associent me semblent également éloquents. Les deux principaux traits relevés sont qu'il inquiète et qu'il met en colère (respectivement à 65% et à 56%, moi ça me semble encore trop faible...), et 70% estiment qu'il n'est pas honnête, et 79% qu'il n'est pas sympathique. A lire cette enquête, Le Pen semble bien plus faible que ce que les péripéties actuelles des hommes en place pourrait laisser craindre.

 

Une dernière chose sur les traits de caractère étudiés. A mon sens, le principal, celui qui joue le plus lors de l'élection présidentielle, est celui de la stature de la personne, ce qui en fait à nos yeux, un candidat qui a véritablement les épaules d'un chef d'état. En France, je crois que nous cherchons avant tout un homme (voire un surfer d'argent), plus qu'un programme, lors des élections présidentielles. C'est ce qui fausse une grande partie des sondages qu'on nous rabat à longueur de temps. Or sur ce critère, C'est Sarkozy qui arrive en tête, avec un score de 55%, devant Ségolène Royal, qui obtient ici 50%. Le plus mauvais est Le Pen, qui ne totalise que 14% de réponses favorables sur ce point.

 

Quelques conclusions personnelles

Pour moi le résultat le plus marquant et qui devrait le plus retenir l'attention des politiques et des analystes est celui qui marque le divorce des français avec la politique. Plus des deux tiers qui estiment que ni la gauche ni la droite ne peut répondre à leurs attentes, le plus grand parti de France restant probablement celui des dégoutés. Ce résultat est clairement à mettre en relation avec le pessimisme exprimé quant à l'évolution du pays.

Une deuxième chose, sur la propension des sondés, que je crois largement représentative d'une certaine réalité de notre pays, à se positionner de façon favorable dès que l'on évoque quelques grandes valeurs nobles (la culture, l'ouverture), mais à refermer aussitôt la coquille lorsque sont évoquées certaines des méthodes concrètes qui peuvent traduire ces valeurs dans les faits. Je pense en fait que sur ce point, il y a un manque de courage politique pour expliquer sans faux-semblant quels sont les conséquences et les implications de certains choix, afin que les opinions exprimées le soient plus en connaissance de cause.

 

Les données du BPF 2006-2007 ont été produites par le CEVIPOF avec le soutien du Ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire. Le  BPF 2006-2007 se déroule en 4 vagues de mars 2006 à janvier 2007 réalisées par l'IFOP. Les données seront également déposées et disponibles auprès du Centre de données socio-politiques de Sciences-Po au printemps 2007.

09/05/2006

Une année encore utile ?

Utile : adj. des deux genres. Qui est profitable, avantageux, qui sert à quelque chose (définition du dictionnaire N°8 de l’académie française).

 

Il nous a été dit, de façon insistante et répétée, par des personnages qui, à priori, exercent ce qu’on appelle le pouvoir, ou tout du moins une partie de celui-ci (mais de mauvaises langues chuchotent que le pouvoir, en ayant assez de ne pas savoir qui le détient vraiment, envisagerait un exil en Terre de feu), que l’année 2006 ne serait pas sacrifiée et transformée en campagne présidentielle avant l’heure, mais qu’elle serait au contraire une « année utile ». Bref, que ce serait une année profitable, avantageuse, qui servirait à quelque chose.

 

Aujourd’hui, 4 mois de cette année 2006 ont déjà passé (trop vite d’ailleurs à mon goût), et un je-ne-sais-quoi de mal défini me titille les orteils, et me fait lever le sourcil soupçonneux du béotien taraudé par le doute. Est-on parvenu à laisser la campagne présidentielle de côté, là où elle devrait rester tant que les candidats ne sont pas déclarés ? Ces 4 mois passés ont-ils été profitables et avantageux ?

 

Sur la première question, il semble bien évident qu’on a déjà largement entamé les préliminaires. Quasiment tout y contribue. Les candidats, clairement déclarés ou seulement candidats à la candidature, qui rivalisent de mots assassins, de postures, et d’opérations de communications ; les médias, toujours plus pressés de nous sortir le dernier sondage « Sarko-Ségo au second tour, vous votez pour qui ? » (alors que le seul sondage vaguement intéressant est bien entendu celui de premier tour, incluant l’extrême droite et l’extrême gauche)  et d’interpréter les gestes des uns et des autres en termes présidentiels, que de fournir des analyses de fond sur les sujets en cours ; jusqu’à nous dont l’impatience va croissante au fur et à mesure que notre cher Président enterre ce qu’il nous reste de projets politiques et d’institutions pour les porter.

 

Concernant les médias, je trouve vraiment qu’ils jouent une partition très critiquable. Leur propension à tout interpréter en terme de campagne présidentielle et de jeu de pouvoir participe très largement à l’appauvrissement du débat, car elle occulte le fond des sujets pour ne plus s’intéresser qu’à la forme. Bien sûr qu’il y a des jeux de pouvoirs, des rivalités, des coups que les uns veulent porter aux autres. Mais ce n’est pas le rôle premier des médias que de s’intéresser à ces micro-évènements. L’information, ce n’est pas ça. Et en agissant ainsi ils contribuent largement à enfermer les diverses personnalités politiques dans ces comportements, qui ne peuvent que s’empresser de confirmer ou d’infirmer tel ou tel article, telle ou telle impression laissée à la télé, etc.

 

On établit toujours plus ou moins son comportement en fonction de ce que l’autre nous renvoit de nous-même. Il y a un côté mécanique à cela qui est inévitable. En se situant systématiquement sur le terrain de la campagne présidentielle, les médias forcent en partie les politiques à faire de même, alors que ceux-ci restent officiellement dans une position qui les oblige en même temps à ne rien laisser paraître. Et ainsi on assiste à des jeux de dupes atterrants entre journalistes et politiques, où les premiers posant systématiquement leurs questions en terme de jeu de pouvoir, les seconds se trouvent obligés de nous servir des réponses emberlificotées à base de langue de bois. Les médias ne se privent pourtant pas ensuite de critiquer le comportement des politiques. Mais qu’ils nettoient devant chez eux et réalisent à quel point il participe du processus qu’ils critiquent !

 

Ensuite, sur l’impatience qui est probablement celle de beaucoup d’entre nous. Je crois en fait qu’elle est la principale conséquence du 21 avril 2001 2002 (andouille que je suis!). Le quinquennat qui s’achève en est resté marqué parce que la politique qui a été menée durant ces 5 années, personne n’avait votée pour elle, ou en tout cas il est impossible de dire qui et dans quelle proportion. On s’est retrouvé dans une situation « bâtarde » si je peux oser le terme, mal définie. On avait barré la route à l’extrême droite, l’indispensable était fait, mais l’essentiel restait à réaliser, et on ne savait pas par quel bout le prendre. Les élections de 2007 ont donc ce rôle de définitivement clore la page de l’indétermination qui a prévalu pendant le quinquennat, et en quelque sorte de nous « laver » définitivement de ce qui est arrivé en 2001. Etant donnée l’incapacité de Chirac à fixer un vrai cap et à utiliser les énergies qui étaient réelles au soir de sa réélection, il n’est pas illégitime que l’impatience à tourner la page soit grande.

 

Sur le fait que ces 4 mois aient été profitables et avantageux, la réponse est courte je crois : non. La crise du CPE a réuni à peu près tous les défauts imaginables : mesurette sans vrai projet, incapacité à communiquer convenablement, pantalonnade abracadabrantesque en guise de sortie. Franchement, autant de talents révélés en une seule opération, ça relève du grand art. Et l’affaire Clearstream ne fait qu’enfoncer un peu plus un gouvernement à l’agonie, qui enchaîne les ratés comme on enfile des perles, et qui un peu plus chaque jour, éloigne les citoyens de la politique, alors que la toute première mission qui incombait à Chirac après sa réélection était au contraire de les en réconcilier.

 

Sur ce dernier point d’ailleurs, je ne partage pas du tout la conclusion faite par Paxatagore dans son billet sur l’emballement médiatique autour d’une éventuelle démissions de Villepin. Paxa écrit : « Le véritable problème ne me semble pas être que Dominique de Villepin ait cherché à déstabiliser Nicolas Sarkozy. C'est le propre du combat politique. Ceux qui font mine de le découvrir sont d'angéliques nouveaux nés. » Le cynisme semble faire ici office d’intelligence pour rabattre les propos scandalisés émis par certains devant cette barbouzerie. Certes il est souvent de bon ton de montrer qu’on n’est pas un naïf devant les évènements du monde, mais dans le cas de l’espèce, je ne vois pas bien sous quel prétexte il faudrait trouver qu’une tentative de manipulation est une chose normale et excusable. Qu’un type de comportement ait court de façon récurrente ne signifie évidemment pas qu’il est acceptable. La corruption aussi à court dans beaucoup de pays. Estime-t-on pour autant qu’il faut laisser faire parce que c’est comme ça depuis que le monde est monde et qu’on serait trop naïf de faire mine de s’en apercevoir maintenant ? Non.

 

Evidemment, il faut laisser la justice faire son travail et déterminer qui est responsable de quoi dans ce mic-mac. Mais tout de même, ça commence à faire pas mal de gros couacs, en l’espace d’assez peu de temps. Et il n’est pas tout à fait déraisonnable de se demander comment Villepin peut maintenant faire pour mener une action politique efficace, profitable, avantageuse, qui serve à quelque chose… utile quoi.

 

P.S: (Si vous êtes sympas, je posterai cette semaine un autre billet, que j’espère plus intéressant que ce café du commerce, sur le sujet des rites et des rituels. On y découvrira notamment un peu le travail de Mircéa Eliade.)

02/04/2006

La logique du pire

Ce billet a failli s’intituler « Le CPE est mort, et pourtant la lutte continue ! », pour rendre compte de la double impression étrange que j’ai ressenti  vendredi soir en entendant la déclaration de Chirac. Sans doute l’écho que rendait le son élyséen dans les premières minutes de l’allocution de notre président était-il le présage de cette confusion émotionnelle, confusion qui n’a fait que se renforcer lorsque l’on entendit les premières réactions syndicales et que l’on vit la défilé des jeunes commencer dans les rues parisiennes.

 

Car, comme Koz hier, il me semble vraiment qu’on a assisté vendredi soir à la mort du CPE. En entendant Chirac évoquer les modifications qu’il souhaitait voir porter à l’article 8 de la loi sur l’égalité des chances, la durée de consolidation ramenée à 1 an, et le motif du licenciement indiqué à l’employé, j’ai d’abord fais un bond de joie chez moi et esquisser un large sourire. Ca y était, Chirac donnait le dernier coup de canif dans un texte qui, à la lecture de la décision du conseil constitutionnel rendue la veille, m’avait déjà semblé affaiblit.

 

En effet, le CC indiquait clairement dans son considérant n° 25 que dans le cas éventuel d’un contentieux il appartiendrait à l’employeur de présenter les motifs du licenciement opéré. Il écrivait sur ce point :

« il appartiendra à l'employeur, en cas de recours, d'indiquer les motifs de cette rupture afin de permettre au juge de vérifier qu'ils sont licites et de sanctionner un éventuel abus de droit ; qu'il appartiendra notamment au juge de vérifier que le motif de la rupture n'est pas discriminatoire et qu'il ne porte pas atteinte à la protection prévue par le code du travail pour les femmes enceintes, les accidentés du travail et les salariés protégés »

 

A la lecture, il m’avait semblé qu’on avait là un point qui clarifiait très sûrement ce que plusieurs commentateurs juridiques avaient déjà soulevé sur leurs blogs respectifs, et qui affaiblissait considérablement l’un des intérêts que les défenseurs du CPE mettaient en avant.

 

La déclaration de Chirac qui enfonçait le clou en demandant que l’explication du motif soit donnée lors de la procédure de licenciement à l’employé, et qui réduisait la durée de consolidation, tout cela assorti en plus d’une période de suspension, m’apparaissait donc clairement être un enterrement, même si celui-ci ne disait pas son nom.

 

Mais rapidement j’ai déchanté. Je me suis demandé quelle allait être la réaction des différents syndicats et des jeunes qui manifestaient depuis des semaines. Allaient-ils saisir le coup porté au texte qu’ils honnissent ? Dans les premières secondes je les imaginais sabrer le champagne place de la Bastille. Mais j’ai vite pressenti que l’on serait loin du compte. Non, ils n’allaient pas être satisfaits. Ce serait même tout le contraire. Et les premières déclarations que j’ai entendues ont confirmé ce mauvais pressentiment.

 

Bruno Julliard, président de l’UNEF, puis Bernard Thibaut, secrétaire général de la CGT, déclaraient tour à tour leur indignation face à la déclaration de Chirac et leur intention de reconduire leur mouvement de protestation tant que le CPE ne sera pas purement abrogé. Je n’ai pas écouté la suite. La cause était entendue, et les jeux faits. En dépit du coup porté au texte, rien n’avait vraiment changé dans l’esprit des anti-CPE, et le conflit allait perdurer.

 

C’est à ce moment là que j’ai vraiment mesuré toute l’étendue de l’incompréhension qu’il y a entre le gouvernement actuel, et les protestataires. Leur dialogue de sourds en arrive à un point d’une redoutable absurdité, où la raison semble avoir définitivement quitté les protagonistes, et ici il faut le reconnaître, plus les anti-CPE que les autres.

 

Je crois en effet que ces derniers se sont piégés à cause de leur réaction initiale. Celle-ci était largement inspirée par le mépris affiché au début de cette affaire par de Villepin pour le débat avec les partenaires sociaux. Puisqu’il méprisait, il fallait pensait-on opposer un positionnement absolument intransigeant, qui établisse un rapport de force du même niveau que le mépris dénoncé. Et pour ce faire, il fallait un slogan simple, marquant, assorti à une intransigeance forte quant à la satisfaction de la revendication qu’il exprimait. Ce slogan ce fut : « retrait du CPE », et l’intransigeance c’était que rien ne serait possible sans ce retrait, et que cette fois-ci il n’y aurait pas de recul sur cette requête.

 

Dès que ce slogan était exprimé avec cette intransigeance quant à sa satisfaction, le piège était refermé, et il n’était plus possible de sortir de l’ornière. Parce qu’il était évident que le gouvernement n’allait pas faire marche arrière au point de supprimer totalement une mesure phare de son dispositif pour l’emploi. C’aurait été un reniement trop fort de son action, une humiliation insupportable, qui eût probablement été assimilée à un suicide politique.

 

Chaque camp s’est ainsi retrouvé dans l’impossibilité, qu’il avait construite lui-même !, de faire un pas véritablement constructif pour faire avancer le débat. Le gouvernement ne pouvait pas retirer son texte, les manifestants ne pouvaient plus faire marche arrière sur leur revendication : eux aussi se seraient reniés et décrédibilisés de façon bien trop forte pour que ça leur soit supportable.

 

On est très clairement ici dans un exemple remarquable d’orgueil poussé à la limite de la logique du déni. Impossible de faire marche arrière car ce serait un bouleversement trop important de l’équilibre psychologique que l’on a créé. Si le gouvernement recule et abroge son texte il reconnaît son incompétence et met sa maison en danger à l’approche d’échéances capitales. Si les protestataires acceptent de négocier ils prouvent que leur démarche jusqu’ici était mauvaise. Et ils en ont tant fait qu’ils auraient bien trop à se faire pardonner ! Cette situation serait insupportable psychologiquement, et la seule solution qui leur reste est donc de poursuivre, en montrant par une certaine logique du pire que puisqu’ils continuent, c’est bien qu’ils avaient raison avant.

 

C’est pour cela qu’il leur en fallait en fait très peu pour que l’on assiste à cela. Quoi qu’eût dit Chirac vendredi soir, à partir du moment où il annonçait une promulgation de la loi, la réaction des anti-CPE était jouée d’avance. Parce qu’ils s’étaient inscrits dans une logique qui les empêchaient de faire autrement.

 

Pourtant aujourd’hui, il va bien falloir en sortir de cette crise, parvenir à renouer le fil d’un dialogue qui, s’il n’est pas évident à établir avec un premier ministre autiste, n’en reste pas moins indispensable. Alors qu’elles sont les solutions pour en sortir ? Et bien franchement sur ce point je ne suis guère optimiste, et je crois que les prochains jours ne montreront pas d’amélioration, mais plutôt une dégradation.

 

Car pour sortir d’un processus de piège d’orgueil, ce qui fonctionne le plus souvent c’est l’excès de trop. C’est ce que l’on voit dans l’expérience de Stanley Milgram que j’ai déjà rapportée : à la fin du processus au cours duquel l’individu testé inflige des décharges de plus en plus fortes à un inconnu, ce qui fait qu’il cesse enfin cette torture stupide est la douleur excessive de l’acteur-supplicié, douleur dont le spectacle devient enfin plus insupportable au testé que la reconnaissance de sa faute.

 

J’espère me tromper, mais j’ai peur que l’on soit dans la même mécanique ici. Les syndicats ont déjà indiqué qu’ils ne voulaient pas négocier tant que le CPE ne serait pas retiré. Et le gouvernement ne s’est pas vu donné la mission de le faire. S’il n’y a pas de dialogue instauré, j’ai peur qu’un seul un excès de trop, un dérapage malheureux, ne soit l’alibi du nécessaire assouplissement du mouvement actuel. Et l’on constatera une nouvelle fois, trop tard et tristement, que l’orgueil est bien le pire et le plus sûr ennemi de la raison.

30/03/2006

La France moins attractive que le Royaume-Uni ?

Une fois n'est pas coutume, ce billet sera vraiment court, et son contenu essentiellement composé de deux liens pour permettre à ceux que cela intéresse de poursuivre le débat qui a lieu sous mon récent billet sur la "sociologie française", au sujet de l'attractivité respective de la France et du Royaume-Uni.

 

Je ne cherche pas ici à fournir des éléments exhaustifs, mais simplement quelques points de réflexions que j'ai trouvé pertinents. Vous pourrez donc lire à profit:

 

  • Ils partirent cinq cent de Ceteris Paribus qui critique un chiffre donné récemment par le Figaro concernant le nombre de jeunes français partis travailler à l'étranger.
  • Ici Londres, d'Olivier Bouba-Olga, trouvé via Laurent Guerby, et qui propose également un regard critique sur les données croisées des migrations francaises et britanniques vers le pays de leurs meilleurs ennemis (l'étude sur laquelle se base Olivier Bouba-Olga est bien sûr également intéressante à lire).

 

Ces deux billets sont plutôt critiques vis-à-vis de l'attraction qu'exercerait la perfide Albion, qui reste en effet assez souvent rappelée comme un leitmotiv. Qu'ils n'empêchent pas pour autant de réfléchir et de débattre sur les difficultés qui existent chez nous. Mais sur mon blog hein, sinon je boude.

28/03/2006

Des trucs bizarres sur le CPE

Un vrai billet où que je change de ton sur le CPE, juste parce que.

 

Franchement, je sais pas vous, mais moi je trouve de plus en plus que de chaque côté des barbelés on dit et on fait des choses étranges, voire bizarres.

 

D’abord du côté pro-CPE, y’a deux arguments qui me gratouillent :

 

Le premier c’est celui qui dit que certes, sur le CPE y’a marqué que l’employeur n’avait pas à indiquer un motif lorsqu’il licencie, mais pourtant si, il faut qu’il en ait un sinon c’est lui qui va perdre aux prud’hommes. Quand je lis ça, c’est plus fort que moi, je me demande si on n’est pas en train de me faire un truc à l’insu de mon plein gré.

 

Mais bon, en fait c’est parfois vachement bien argumenté, surtout et . Alors quid, commodo, quando ? En fait c’est pas si compliqué que ça : l’employeur n’a pas l’obligation d’indiquer au salarié le motif de son licenciement, comme il devait le faire notamment pour le CDI, mais cela ne signifie pas qu’il puisse faire ce qu’il veut. L’employé conserve la faculté de dénoncer un licenciement abusif et il faudra alors bien que l’employeur donne une explication à sa décision.

 

Mais alors puisque l’employeur au final peut bien être contraint de justifier le licenciement, pourquoi diable avoir écrit un texte qui l’en exonère en premier chef vis-à-vis de l’employé? Ben si j’ai bien tout compris, en fait il ne s’agit que de simplifier la paperasse de la procédure de licenciement. Et en fait (à nouveau) c’est en arrivant à ce point là que le truc continue de me gratouiller. Parce que si on compte sur une réduction de paperasse pour créer des emplois, c’est pas un peu faible comme mesure ?(oui je sais, là c’est partiel, y’a pas que ça, mais bon on présente souvent ce point comme l’un des grands avantages du CPE, alors quand même).

 

Le deuxième argument qui me chiffonne, c’est celui de la flexibilité. Là, j’ai tilté notamment en lisant le chouette compte-rendu de débat publié récemment par Dimitri Houtcieff (et qui a déjà fait l'objet d'une grande campagne publicitaire), et au milieu de ce débat, c’est une remarque de Yannick L’Horty qui montrait en substance que le CPE créerait en fait une situation moins flexible qu’actuellement qui m’a fait réagir.

 

Effectivement, une des premières parades des pro-CPE aux critiques formulées par les lanceurs de pavés fut que la situation actuelle est déjà une situation de grande précarité, et la nier sous prétexte qu’elle n’est pas écrite sur le papier est ridicule (là je dis oui). En fait, si l’on regarde la situation actuelle, entre les CDD et les interims, les jeunes, si l’on en croit M.L’Horty, sont aujourd’hui soumis à une instabilité, et donc une flexibilité, très grande, plus grande même qu’aux Etats-Unis (eolas-like – murmures dans l’assemblée).

 

Ben oui mais donc, puisqu’il est démontré que le CPE est un outil susceptible de combattre la vilaine flexibilité, pourquoi nous dit-on en même temps que le CPE il est beau parce qu’il est un pas vers plus de flexibilité, chemin qu’emprunteraient joyeusement tous les pays qui ont compris comment marche l’économie mondiale ? Vous faites comme vous voulez, mais moi j’ai un sourcil interrogateur qui monte.

 

Passons maintenant du côté des pro-barricades, mais là je vais probablement pas passer en revue tous les trucs bizarres, parce que sinon ça fait trop et déjà souvent je fais des billets longs, alors bon.

 

Le premier truc que il faudrait quand même qu’on me l’explique pour que je comprenne mieux, c’est la justification des blocages d’écoles et d’universités. En quoi bloquer une fac serait-il un moyen pertinent pour protester contre un projet qui ne concerne pas l’éducation mais l’emploi ? Par quel détour de réflexion peut-on en venir à adopter des méthodes aussi absurdes et donc contre-productrives à des combats qui par ailleurs peuvent mériter la mobilisation ?

 

Je ne parle évidemment même pas des dégradations scandaleuses qui ont eut lieu dans plusieurs écoles et facs, qui je l’espère ne sont que le fait de casseurs sans lien avec les manifestants, mais déjà le principe du blocage me semble tout à fait abscons. Evidemment, je vois bien d’où son idée vient : de l’éternelle logique du rapport de force, par laquelle on s’imagine que si l’on ne montre pas les crocs on n’a aucune chance d’être écouté. Mouais, pas sûr.

 

Et puis surtout, la dérive inadmissible de ce comportement, c’est le totalitarisme qu’il finit par mettre en œuvre. Qu’est-ce que c’est que ces AG non démocratiques où le moindre contradicteur est hué ou accusé de fascisme ? Qu’est-ce que c’est que cette université dont le où un proviseur doyen-recteur-directeur-un truc en eur mais pas proviseur président-, qui avait tenté de calmer les esprits et d'éviter des dérapages en proposant que le vote se fasse dans des urnes improvisées et de façon anonyme (un peu comme de vrais votes démocratiques quoi...), a dû faire marche arrière face aux comportements menaçants des étudiants pro-blocage ? Qui sont les fascistes là ?

 

Bref, on marche un peu sur la tête dans toute cette histoire, et je crois bien que c’est parce que trop peu de choses sont claires dans l’esprit des gens qu’on en est arrivé à une telle situation. Tristes conséquences d’idées confuses...

 

P.S: j'ai corrigé après coup quelques coquilles.

24/03/2006

Sociologie française et CPE

C’est un article très intéressant de The Observer découvert dans le Courrier International de la semaine dernière qui me ramène sur les rivages troublés du CPE. Dans cet article, Jason Burke, correspondant en France du journal anglais, aborde la question des manifestations actuelles contre le nouveau contrat proposé par le gouvernement d’un point de vue proche de la sociologie. Car désormais c’est assez clair, les manifestations qui ont lieu dépassent le seul cadre du CPE.

 

Il observe avec étonnement, et aussi un certain amusement, comment les jeunes qui défilaient sous sa fenêtre le samedi 12 mars semblaient loin des réactions qu’il aurait pu observer dans son propre pays dans le cadre d’une réforme similaire. Le faible impact prévisible de la réforme en cours ne devrait-il pas soulever que de maigres réactions au lieu de cette incroyable levée de boucliers où l’on sent se réveiller un parfum de mai 68 ?

 

D’où vient cet écart, si grand, entre les mouvements sociaux, si fréquents et si forts, constatés en France et ce qui se passerait dans tout autre pays d’Europe ? La France semble-t-il, devient de plus en plus difficile à comprendre pour les pays étrangers. Tant et si bien que Jason Burke égrène au fil de son article le lexique de base nécessaire à assimiler pour cerner notre réflexion politique et sociale.

 

L’analyse qu’il propose ensuite, a sans doute souvent été avancée, mais elle me semble néanmoins mériter d’être reprise pour comprendre la situation actuelle et mieux l’évaluer. L’essentiel écrit Burke, vient de ce que la France reste toujours plus ou moins en marge du mouvement de mondialisation qui gagne les autres pays.

 

« France is defiantly not part of the consumerist, capitalist, US-led economic and cultural wave that is engulfing the world. France is different.”

 

Or, cette différence, que je crois effectivement assez fortement revendiquée dans notre pays, notamment au travers de cette “exception culturelle” que nous affirmons souvent avec fierté, ne peut survivre aux forces de pression s’exerçant constamment par l’extérieur sur notre coque nationale que si un projet géopolitique mondial lui donne un appui solide qui en fasse autre chose qu’une revendication utopique. Ce projet, c’est le fameux monde multipolaire si cher à Chirac, et dont l’idée à probablement gagné la plupart des gens.

 

Et dans ce projet, la place que nous souhaitons pour la France n’est évidemment pas celle d’un simple participant à un pôle concurrent à celui des Etats-Unis. Il s’agit clairement d’en prendre le leadership afin que notre présumée différence puisse s’exprimer pleinement. Ainsi Burke note-t-il :

 

"[In their view] the leaders of the pole opposed to the Anglo-Saxons’ would be the French."

 

Il poursuit en décrivant ce que ce terme “Anglo-Saxon” recouvre en France et quelles en sont les connotations:

 

"Anglo-Saxon […] means anglophone, economically liberal, rampantly capitalist. It means the brutish British with their powerful economy and low taxes, their lower levels of unemployment but higher levels of poverty. It means the unsophisticated, insular, ignorant, crassly self-confident Americans […]”

 

L’analyse peut paraître simpliste, trop souvent rabâchée, mais elle contient un gros fond de vérité qu’on ne peut vraiment pas nier. Je crois comme Burke que LA grande peur française se situe bien là : dans le risque de voir notre identité disparaître, emportée par la vague culturelle américaine, et dans le risque qu’en suivant les autres pays dans la voie expresse de la mondialisation, sans avoir pu vraiment au préalable anticiper ce vers quoi elle nous menait réellement, on se retrouve à plus ou moins long terme dans une impasse sociale d’où on ne pourra plus sortir.

 

Cette crainte est probablement alimentée par une intuition collective : celle que le libéralisme sur lequel repose la mondialisation n’est que la traduction en idéologie économique de la tendance préoccupante de nos sociétés modernes vers l’individualisme. Le libéralisme économique fonctionne sur le principe de la concurrence libre, ce qui signifie au final que dans ce système c’est le meilleur qui gagne, avec le corollaire naturel et très fréquent du « chacun pour soi ».  Ce sont les excès de cette logique libérale, dont je crois nous avons peur en France, car, pensons-nous, ils peuvent toucher aussi bien nos emplois que notre mode de vie. Ne plus créer qu’une société jungle dans laquelle plus aucun projet collectif n’est envisageable.

 

« All is thus insecure, threatened, precarious, wether jobs or a way of life. » Ecrit encore Jason Burke.

 

Philosophiquement, cette crainte ne m’apparaît pas illégitime. J’ai déjà indiqué au détour d’une note se fondant sur la théorie de Laborit quel pouvait être le piège de la concurrence. Celle-ci institue une logique d’affrontement, même si celui-ci n’est qu’économique. Dans cet affrontement, les adversaires ont tous le même objectif, ils veulent tous obtenir la même gratification. Mais celle-ci n’est pas partageable en autant de part qu’il y a de concurrents, et certains vont donc nécessairement disparaître dans la bataille.

 

Avec la notion de propriété et l’émergence du besoin de gratification est née une tension naturelle qui nous pousse à nous affronter les uns les autres. Le principe de la concurrence participe pleinement à ce schéma, et c’est pourquoi je comprends qu’on puisse s’inquiéter de ce que ce principe s’étende de façon aussi généralisée à la planète. Je ne vais pas réécrire tout mon précédent billet sur le sujet, et vous y renvoie donc, surtout ceux qui jugeraient que ce n’est là que l’idée d’un nostalgique benêt du communisme (je ne suis pas communiste et j’espère ne pas être un benêt).

 

Maintenant qu’en est-il de la réalité de cette crainte française sur les plans économiques et sociaux ? Est-elle un pur fantasme ou s’appuie-t-elle sur quelques éléments tangibles ? Je ne vais pas m’engager ici dans une analyse très détaillée de la question à la manière de Ceteris Paribus, ne serait-ce que pour ne pas me couvrir de ridicule par rapport à ce qu’il serait capable de produire. Mais je voudrais tout de même relever quelques indicateurs qui m’apparaissent comme étant les plus pertinents pour juger la performance d’un système économique et social : le taux de croissance, le taux de chômage, le taux de pauvreté, l’espérance de vie, et le taux de mortalité infantile, les deux premiers indicateurs servant essentiellement à la mesure du système économique, et les trois suivants étant plus orientés vers la performance du système social. Basique, sans doute simpliste, mais ces chiffres sont à mon sens ceux qui parlent le plus, c’est pourquoi je n’ai retenu qu’eux.

 

Ces chiffres sont extraits de données de l’OCDE. Je ne présente volontairement que quelques pays afin d’éclaircir les tableaux et d’en rendre la lecture plus aisée. Pour voir l’intégralité des informations, suivre les liens.

Tout d’abord, voyons les chiffres de la croissance et du chômage pour les années 2004 et 2005. N.B : les taux de chômage du R-U, de la Norvège et de la Suède ne figuraient pas dans les données 2005 que j'ai récupérées. (j'espère que les tableaux sont lisibles ainsi car ils ne s'agrandissent pas quand on clique dessus...) :

medium_taux_de_croissance_ocde.jpgmedium_taux_de_chomage_ocde.jpg

 

Pas besoin de grandes explication : la France a affiché ces deux dernières années l’un des taux croissance les plus faibles des pays de l’OCDE, et inversement l’un des taux de chômage les plus élevé. Petite incise ici concernant le cas du Royaume-Uni où je renvoie à une ancienne note de Krysztoff qui avait montré que les chiffres du chômage anglais ne reflétaient pas la réalité. Sur ce point je n’ai encore rien lu qui vienne contredire son analyse de façon probante. Mais on comprend en lisant ces chiffres que les économistes soient nombreux à réprouver la voie suivie par la France et qu’ils conseillent plutôt de s’en remettre aux recettes libérales appliquées avec succès dans les pays Anglo-saxons. Les Etats-Unis pour ne citer qu’eux, présentent des taux de croissance supérieurs à la France depuis maintenant presque 15 ans ! Pourquoi n’applique-t-on donc pas leurs recettes ?

 

En fait, le défaut que je trouve dans les articles économiques que lis ici ou là, est qu’ils se restreignent trop souvent à leur seule discipline pour juger de questions qui nécessitent des enquêtes plus globales. L’analyse économique ne suffit pas à embrasser les enjeux de la croissance et du chômage, et je note qu’on semble souvent oublier que cette discipline n’est en aucun cas une fin en soi, pas plus que la performance économique d’un pays n’est une fin en soi.

 

L’économie n’est qu’un moyen, un outil, pour accéder à plus de bien-être, à une vie sociale plus harmonieuse. L’élevée au rang d’étalon suprême à l’aune de laquelle devrait être prise toute décision serait une grave erreur à mon sens, car elle ne peut pas prendre en compte tous les éléments qui contribuent à cet objectif final que j’ai indiqué.

 

Il faut donc évaluer aussi la performance sociale d’un pays pour bien évaluer son modèle. Voici les chiffres trouvés sur le site de l’OCDE en matière de pauvreté, d’espérance de vie et de mortalité infantile, indicateurs qui me semblent être parmi les plus pertinents pour évaluer ce qui nous intéresse ici (le graphique sur la pauvreté que je présente croise les taux de pauvreté avec les dépenses publiques, seul l'indication du taux de pauvreté m'intéresse ici -si vous trouvez plus clair, n'hésitez pas à me l'indiquer).

medium_graphique_pauvrete.2.jpg

medium_esperance_de_vie_ocde.4.jpgmedium_taux_de_mortalite_infantile_ocde.3.jpg

 

 

On constate à la lecture de ces tableaux que si la France semble bien en retrait sur le plan de la performance économique, elle reste toutefois plutôt en avance par rapport au Royaume-Uni et aux Etats-Unis concernant sa performance sociale. Le taux de pauvreté du Royaume-Uni est proche de 8%, celui des Etats-Unis culmine à près de 14%, tandis que celui de la France est parmi les plus faibles, s’établissant à près de 6% seulement. Ces éléments, et surtout le taux de pauvreté, sont souvent ceux qui sont mis en avant par les contempteurs du modèle anglo-saxon. Et je dois dire que sur ce point je m’associe à eux pour dire qu’à leur lecture, il s’en faut de loin que la performance économique soit un objectif prioritaire, et que la prudence est bien de mise quant à suivre les recettes anglaises et américaines.

 

Trois choses maintenant pour conclure ce billet.
La première c’est que finalement je ne fais ici que soulever des questions et que j’apporte peu de réponse. D’une manière générale je dois dire que je comprends l’inquiétude qu’ont certains face à la voie de la mondialisation libérale qu’on nous assène de plus en plus comme étant obligatoire, alors même que les résultats que l’on constate dans certains pays sont loin d’être probants. On avance un peu dans l’inconnu, et si la méfiance serait sans doute excessive, du moins la prudence me semble de mise quant à juger des effets à long terme des modèles économiques proposés.

 

La deuxième c’est que cette rébellion française à un intérêt, peut-être même à une échelle supérieure que celle de notre seul pays. Car elle crée une forme de dialectique, un débat qu’il me semble naturel et bon d’avoir sur des éléments aussi difficiles à évaluer, tant sur de longues durées qu’à l’échelle d’une planète entière. Cela évite d’avancer tout schuss avec un seul bâton en main pour se guider, et permet donc que des réajustements puissent se faire. A l’échelle mondiale bien sûr cela paraît inaccessible tant notre influence est devenue dérisoire, mais au moins dans notre pays, et peut-être encore un peu à l’échelle européenne cette dialectique n’est-elle pas inutile.

 

La dernière enfin, c’est que malgré tout cela, fonctionner sur la peur de l’avenir ne me paraît évidemment pas sain. Elle génère des réflexes défensifs stériles de repli sur soi, de recroquevillement. Elle pousse à ne réagir que par précaution et non par proposition, ce qui, au final, assèche le pays, et accroît notre sentiment de frustration. Rien de vraiment bon ne peut sortir de cette peur si on ne sait pas la transformer en une critique constructive qui nous sorte de l’immobilisme. Mais pour cela il faut des changements d’orientation politique importants, et beaucoup, beaucoup de communication, d’écoute, d’explications avec une population qui semble décidemment ne plus avoir confiance en grand-chose, et en ses représentants peut-être moins qu’en tout le reste.