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12/04/2007

Prédisposition et déterminisme : court retour sur les propos de Nicolas Sarkozy

medium_chromosome.gifJe voudrais revenir rapidement sur les propos tenus par Nicolas Sarkozy sur la question de la place de l'inné dans nos destins personnels. Non pas pour profiter de la polémique et l'alimenter encore, mais pour clarifier un point qui ne me semble pas l'être vraiment.
 
Qu'a-t-il dit sur cette question ?
 
"J’inclinerais pour ma part à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie-là. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que génétiquement ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense"
 
J'ai lu des interprétations de ces propos qui m'ont particulièrement étonné, tant ils semblaient tomber en plein déni de ce que ceux de Sarkozy signifiaient. Chez Koz, mais aussi chez Xavier (dont j'ai lu le billet grâce à koz). Le billet le plus intéressant je trouve, est celui de Xavier, dont je partage complètement toute la démonstration sur la différence entre prédisposition et déterminisme génétique absolu. Effectivement, qu'il existe chez certaines personnes une prédisposition à tel ou tel caractère comportemental, ne signifie en rien que ce caractère va réellement se développer chez la personne, et encore moins qu'il va se développer obligatoirement du fait de son déterminisme biologique. En d'autres termes, pour reprendre une expression que j'ai déjà utilisée ici, prédisposition n'est pas disposition, et si l'individu n'est pas élevé dans un cadre qui "permet" que s'expriment ses prédisposition, jamais ses comportements n'en seront marqués.
 
Mais Xavier me semble conclure son billet étrangement, en disant que Sarkozy n'a parlé que de prédisposition et non de déterminisme biologique. Je suis d'accord avec lui, et avec koz, sur le fait que Sarkozy n'a pas fait valoir un déterminisme biologique absolu. Cependant, ce n'est pas de prédisposition dont il a parlé, mais bien de disposition. En effet, lorsqu'il dit : "on naît pédophile", il envisage déjà le caractère pédophile en acte, et non comme une possibilité. Ce qu'il dit, c'est en substance: "on naît, étant pédophile", et non pas "on naît, pouvant être pédophile". Ce n'est donc nullement de prédisposition dont il est question ici, mais bien de déterminisme.
 
La suite de son commentaire porte sans doute à confusion, car effectivement il avance la notion de guérison, et montre que selon lui ce déterminisme n'est pas absolu. Mais il rappelle encore :
 
 
"1200 ou 1300 jeunes [..] se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce leurs parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que génétiquement ils avaient une fragilité"
 
Là encore, je ne vois pas la place laissée à l'apprentissage, à l'acquis, à l'expérience personnelle. Je ne vois pas la nuance dans ce propos. Et accessoirement, avancer la question du suicide pour faire une démonstration sur l'inné est sans doute ce qu'il y a de plus totalement à côté de la plaque. On naît suicidaire ? Mais alors le gène du suicide défini aussi à quelle date doit se passer la chose ?
 
 
Donc oui, les propos de Nicolas Sarkozy me semblent choquants et stupides. Ceci dit, probablement est-il plus important dans ce type de débat de bien comprendre pour soi quelle différence il convient de faire entre déterminisme et prédisposition, et pour cela la lecture de Xavier est excellente. 

La légende des comportements: l'agressivité de compétition

medium_neanderthal.jpgJ’en viens désormais au billet central concernant la notion d’agressivité, qui va aborder l’agressivité de compétition. Bien sûr le lecteur comprendra que dans cette étude je ne fais que reprendre l’essentiel des travaux de Laborit, et notamment les développements qu’il en a fait dans La Colombe assassinée, en reformulant certaines choses, en ajoutant parfois quelques éléments personnels, mais en tâchant surtout de rester fidèle à ses idées. Cette étude donc n’est très probablement pas exhaustive sur le sujet, mais elle me semble s’arrêter sur suffisamment d’éléments de fond pour mériter d’exister.

Ce rappel à la prudence étant fait, venons-en au fond. L’agressivité de compétition est un sujet que j’ai déjà évoqué de façon assez détaillée sur ce blog, dans un billet ancien sur la notion de concurrence dans lequel j’avais pour la première fois abordé la question de la gratification, et des comportements, des stratégies que nous mettons en œuvre afin d’obtenir ces gratifications.

Si le cœur vous en dit, vous pouvez tout simplement aller relire ce billet ancien, et vous contenter de la conclusion de celui-ci. Sinon, voici ce dont il était question.

Nous l’avons déjà abondamment vu précédemment, la première chose à laquelle nos comportements concourent, c’est au maintien de notre équilibre organique, à la perpétuation de la structure vivante que nos différents niveaux d’organisation constituent. C’est ce que Cannon désignait par le terme d’homéostasie, et Freud par l’expression « principe de plaisir ».

Or la recherche de plaisirs passe par la réalisation d’actions gratifiantes, c’est-à-dire par l’obtention de gratifications identifiées dans un espace donné sur lequel nous pouvons agir, et que nous pourrons appeler par la suite le territoire. L’homme lorsqu’il découvre un espace se met d’abord en quête de ce que celui-ci pourra lui apporter pour subvenir à ses besoins et pour répondre à ses désirs. Si le territoire en question ne détient aucune gratification, ou en tout cas que l’homme ne les distingue pas, alors ce territoire ne sera pas défendu, il sera plutôt fuit au profit d’un autre.

Mais lorsque l’homme découvre un territoire contenant les gratifications qu’il souhaite pour lui-même, il élabore par la suite les stratégies nécessaires à la défense du territoire en question, afin de s’assurer l’accès à ces gratifications. Car après avoir fait l’expérience de ce qui le gratifie, sa mémoire engramme dans son cerveau les informations de plaisir et de satisfaction de ses besoins liées à l’obtention de ces gratifications, et il cherche ensuite à reproduire ces expériences gratifiantes, à faire du réenforcement.

La compétition intervient si un autre individu situé sur le même territoire entant s’adjuger les mêmes gratifications que le premier. Lui aussi cherche alors à défendre ce territoire et ces gratifications pour s’en assurer le bénéfice. Dès lors un affrontement va s’engager entre les deux individus, affrontement dont l’objectif est pour chacun d’obtenir une situation de dominance sur l’autre qui lui assurera à lui la part la plus grande et la plus certaine du gâteau. C’est le principe de la compétition.

L’actualité télévisuelle me permet de rebondir sur ce point. Peut-être avez-vous pu regarder hier soir Le sacre de l’homme sur France 2 ? Je n’en ai vu pour ma part qu’une partie, et j’ai été plutôt surpris de voir que le documentaire s’arrêtait longuement sur les jeux de pouvoirs qui étaient nés entre les hommes habitant sur un même territoire, détaillant comment ceux qui avaient pu obtenir les places de dominants mettaient dés lors les autres sous leur joug autoritaire. L’explication se poursuivait jusqu’à la période des premières écritures, montrant comment la connaissance de l’écrit avait pu être utilisée comme une arme de domination, en conservant via les scribes l’exclusivité de ce savoir, qu’ils avaient ordre de ne pas enseigner.

Je ne suis pas paléontologiste, mais cette description me semble effectivement très proche de ce qu’à pu être la réalité du quotidien à ces époques reculées. Tout au plus pourrais-je reprocher au reportage le caractère miraculeux et définitivement rédempteur qu’il semblait associer à la démocratisation du savoir qui aurait suivi l’établissement des premiers régimes autocratiques. On pourrait remarquer que cette démocratisation fut bien lente à s’opérer, et qu’aujourd’hui encore, elle est loin d’avoir aboutit. Mais le documentaire était aussi un exercice de style qui cherchait à retracer quelques grandes lignes, sans être forcé de rentrer dans tous les détails, et il n’est donc sans doute pas très indiqué de lui adresser cette critique.

Revenons à nos moutons. L’homme donc, va chercher à conquérir une position de dominance dans le groupe auquel il appartient, afin de s’assurer l’accès le plus large et le plus sûr possible aux gratifications que contient le territoire. On comprend que cette façon de procéder s’est accompagnée de la sédentarisation de l’homme. En effet, à partir du moment où celui-ci a trouver le moyen de cultiver, de stocker, et donc de trouver sur un territoire donné les gratifications qui satisfaisaient ses besoins et ses désirs dans le temps, il n’eût plus besoin de se déplacer, et ceci d’autant moins que cette sédentarisation facilitait l’obtention de ces gratifications, elle supprimait un facteur de risque et d’incertitude et concourrait ainsi à mieux assurer la survie de l’homme.

En conséquence, Laborit montre que la propriété n’est pas du tout un instinct comme on le dit souvent. Elle est un apprentissage, comme le sont toutes les stratégies et tous les comportements mis au point pour satisfaire nos besoins. La propriété n’est rien d’autre qu’une des tactiques mises au point pour aboutir à ce même résultat.

Il faudrait sans doute quelques développements de plus pour bien faire comprendre l’étendue de l’influence exercée par la notion de compétition sur notre agressivité. J’ai moi-même mis quelques temps pour bien le comprendre. Mais désormais cela me semble quasiment évident : l’essentiel des comportements agressifs vient de la notion de compétition, et s’expriment notamment sous deux formes très nettes : soit un individu en situation de dominé exerce son agressivité afin d’obtenir un statut de dominant qu’il n’a pas soit deux individus de même statut s’affrontent pour décider qui d’entre eux va devenir le dominant. Retournez tous les schémas d’agressivité que vous connaissez, et vous verrez qu’à chaque fois vous tombez dans l’un ou l’autre cas.

Bien sûr, on comprend que cette agressivité de compétition ne s’exerce pas uniquement d’une façon physique, avec un bon pugilat à la mano entre deux ennemis jurés. Elle s’exerce également sous le mode social, plus subtil, dans lequel la mise à mort est parfois plus rude encore que lorsque l’on prend simplement un gnon dans la figure.

medium_medium_combat_des_chefs.jpgDeux exemples permettront d’illustrer ce point. Le premier est celui de la compétition professionnelle, exemple que j’avais d’ailleurs déjà indiqué dans le billet rappelé plus haut. Mettez deux amis d’enfance en situation de compétition professionnelle, c’est-à-dire qui rendent compte au même patron d’un travail similaire, et qui aspirent tous les deux aux mêmes gratifications (reconnaissance du travail effectué, promotion, salaire, etc.). Laissez mijotez quelques mois. Vous retrouverez deux ennemis. J’évoque cet exemple avec d’autant plus de facilité que je vis actuellement cette situation. Je travaille dans la même société qu’un ami de longue date, sur la même mission, avec les mêmes responsables au-dessus de nous. Et bien même avec toute notre bonne éducation et le fait que je sois moi-même particulièrement alerté sur les risques encourus, la situation est loin d’être détendue. Nous ne nous sommes jamais parlé comme des amis le font depuis que nous travaillons sur la même mission, et je pense clairement qu’à ce rythme d’ici quelques semaines il ne restera définitivement plus rien de notre ancienne amitié. Des hommes, ce sont des hommes, et ça n’agit jamais qu’en fonction de sa biologie et de ses apprentissages.

Deuxième exemple, qui va me permettre d’aborder plus particulièrement le cas de l’agressivité spécifiquement masculine : la conquête du partenaire sexuel, et notamment de la femelle. Des expériences scientifiques nombreuses ont montré que les hormones mâles comme la testostérone étaient directement impliquées dans les comportements agressifs. Ainsi, un individu castré soumis à des injections de testostérone se montre beaucoup plus agressif que les autres. De même, une femelle androgénisée puis ovariectomisées, et placées dans un milieu masculin se montre considérablement plus agressive que les autres femelles. Cependant, on remarque que ces éléments hormonaux n’expliquent pas tout, et des expériences ont montré que l’expérience sociale, et notamment l’apprentissage des hiérarchies au sein du groupe avaient plus d’impact sur l’établissement des dominances que les hormones sexuelles.

Je remarque sur ce point qu’historiquement ce sont bien les hommes qui se sont attribués les places de dominants dans la société. Cela vient d’abord, c’est parfaitement évident, de l’héritage de l’établissement des dominances par la force physique, héritage qui n’est sans doute toujours pas dissipé si l’on en croit la violence que les femmes doivent encore subir de notre fait à travers le monde. Celle-ci prend d’ailleurs un nombre de forme qui laisse songeur : violences physiques multiples que l’on constate encore jusque dans les pays les plus développés : violences psychologiques et humiliations dans certains pays musulmans, et d’une façon plus générale, tout le côté très patriarcal de nos sociétés modernes.

Et ces violences ont une particularité importante aujourd’hui : elles s’accompagnent quasiment toutes d’une justification logique, d’un discours expliquant pourquoi il est normal qu’il en soit ainsi : c’est le coran, honteusement détourné par les islamistes ; ce sont les railleries bourgeoises qui fleurissent encore au sujet des femmes au pouvoir ou de leurs compétences politiques. Tout ce langage utilisé désormais dans un but qu’il n’avoue jamais : asseoir une dominance sur l’autre. Je reviendrai sans doute sur son usage lorsque j’aborderai la question de l’agressivité d’angoisse ou d’irritabilité.

 

 

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09/04/2007

La légende des comportements: de l'innéité de l'agressivité et de l'agressivité prédatrice

medium_lion-and-the-lamb.jpgPour entamer l’étude de l’agressivité, il me semble bon de tordre le cou à une idée qui reste trop répandue, et qui malheureusement conduit encore une grande part des réponses que les sociétés entendent donner à l’agressivité de certains de leurs citoyens : l’agressivité humaine n’a que peu à voir avec l’inné. Elle n’a rien de consubstantiel avec notre nature.

J’ai déjà indiqué dans mon introduction un élément qui permet de bien comprendre ce point. Je le reprends car il me semble important de bien l’intégrer : notre organisme est fondamentalement programmé pour sa propre survie, pour la conservation de son homéostasie, ou encore, pour reprendre l’expression chère à Freud, pour répondre autant qu’il le peut au principe de plaisir. Sa principale raison d’être, c’est de poursuivre dans son être, et ce que nous appelons convictions ou valeurs ne sont trop souvent que les modalités sucrées de notre prise de pouvoir sur les autres et sur notre environnement, afin de nous assurer l’accès aux gratifications qui nous permettent de répondre à ces besoins que nous avons.

Il en résulte que nos comportements, c’est-à-dire nos actions, ne sont rien d’autres que les réponses que nous apportons à ces besoins. Ils constituent les stratégies que nous mettons en œuvre pour nous assurer la possession, ou l’accès privilégié à nos gratifications, à nos objets de plaisir, à tout ce qui nous permet - eau, nourriture, partenaire sexuel, etc. – de nous sentir au sens propre du terme, comblés.

L’agressivité n’échappe nullement à cette analyse. Elle n’est pas un comportement à part, née d’elle-même pour aboutir à elle-même. Pas plus que le reste de nos comportements, elle n’est gratuite. Elle aussi est une réponse aux situations conjoncturelles dans lesquelles nous nous trouvons, réponse le plus souvent mise en œuvre « faute de mieux ». Comportement qui n’est qu’une réponse, avant peut-être, mais nous le verrons plus tard, d’être un appel.

Dés lors, on comprend sans mal que l’agressivité de l’homme a bien peu de chance de puiser ses causes dans l’inné. Car les besoins que nous avons, qu’en tout cas nous nous sentons avoir, n’ont eux que très peu de lien avec l’inné. Reprenez pour vous en convaincre la pyramide de Maslow, et demandez-vous dans les besoins qu’il identifie lesquels peuvent être liés à l’inné. Le besoin de reconnaissance ? Le besoin d’accomplissement ? Ceux-là sont très évidemment des besoins appris, hérités de notre environnement culturel, de l’histoire humaine dans laquelle nous nous inscrivons, mais en aucun cas ils ne résultent de quelque innéité que ce soit.

Mais vous avez sans doute le sourcil levé en songeant que la base de la pyramide de Maslow mentionne avant le reste, les besoins naturel, manger, boire, etc. et que ceux-ci sont probablement peu liés à la culture puisqu’ils sont à l’évidence présent chez chaque être vivant, qu’il soit grec, australien, loup, amibe, ou fougère. Vous avez raison sur ce point, ces besoins là, et l’agressivité qui peut en résulter pour y répondre à quelque chose à voir avec l’inné.

Oui mais voilà, cette agressivité, d’une certaine façon, n’en est pas une, ou pour être plus précis, elle n’a rien à voir avec l’agressivité comportementale telle qu’on la comprend généralement, celle qu’une société se donne pour but de juguler.

Il s’agit ici de l’agressivité prédatrice, celle notamment, qui donne au lion son repas de midi, par la mise à mort de la gracile antilope. Cette agressivité, si nous reprenons la définition que j’ai donné précédemment, porte bien son nom : elle détruit l’objet sur lequel elle se porte, et en ceci son action constitue bel et bien une agression. Mais ce qui ici est fondamentalement différent de l’agressivité humaine sur laquelle notre étude se penche, c’est que cette agressivité ne s’accompagne en rien d’affectivité. C’est une agressivité exercée en quelque sorte en tout oubli de l’objet sur lequel elle se porte, et en réponse pure au besoin du lion de se sustenter.

Je me souviens à cet égard d’un reportage télévisé, dont j’ai d’ailleurs déjà dû parer ici je ne sais plus quand, où l’on voyait lions, zèbres, zèbres et gazelles boire autour de la même mare, sans qu’aucun ne semble s’émouvoir de la présence de l’autre. Bien sûr les gazelles et les zèbres restaient sur leurs gardes, prêts à bondir au cas ou leur prédateur aurait retrouvé l’appétit, mais tout de même la scène était marquante, et tout à fait significative de ce que je souhaitais ici relever : l’agressivité de prédation n’est pas accompagnée d’affectivité, et lorsque la lionne abat ses crocs sur la gazelle, ce n’est pas après celle-ci qu’elle en veut réellement, pas plus que la ménagère n’en veut au bœuf lorsqu’elle va quérir chez le boucher ses entrecôtes.

On remarquera d’ailleurs que dans la très grande majorité des cas, cette agressivité est interspécifique, c’est-à-dire qu’un prédateur l’exerce toujours envers un individu d’une autre espèce que la sienne. Il n’attaque pas ses semblables. Il n’y a que pour conquérir une femelle que des animaux peuvent exercer une agressivité intra-spécifique. Hormis ce cas particulier sur lequel je reviendrai, il n’y a que chez l’homme que l’on trouve un exercice aussi répandu d’agressivité intra-spécifique. Ceci est dû en particulier à la façon dont nous construisons nos sociétés, dont nous nous assemblons, à ce besoin que nous manifestons si souvent d’être les individus dominants du groupe, et à l’usage malheureusement encore bien trop inconscient et mensonger que nous faisons du langage. Mais nous verrons tout cela une prochaine fois.

 

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05/04/2007

Nicolas Sarkozy et les singes de Delgado

medium_Singe.jpgJe découvre ce soir via un article du monde, le billet intéressant qu’a rédigé Michel Onfray  suite à sa rencontre avec Nicolas Sarkozy. Onfray indique dans son texte, d’une façon qui me paraît honnête, qu’il savait bien avant d’aller à cette interview que celle-ci pourrait être difficile du fait de l’opposition de ses opinions avec celles de Sarkozy. Il n’a visiblement pas été déçu.

Il y a deux choses qui me semblent intéressante à relever dans son compte-rendu. D’abord, et c’est certainement ce point qui sera principalement repris par la presse, les propos tenus par Nicolas Sarkozy concernant la prédestination génétique des individus.

Je reprends pour en rendre compte de façon synthétique, le même extrait que Le Monde

"J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a mille deux cents ou mille trois cents jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce que leurs parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d'autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense."

Cette vision, contredit une grande partie des recherches tant dans le domaine génétique que dans les disciplines de sciences humaines. Sarkozy peut donc s’attendre ici à recevoir une petite volée de la part du monde scientifique. Je ne compte pas revenir de façon détaillée sur l’impact génétique sur nos comportements. Il me semble avoir déjà démontré à mainte reprise que celui-ci était minime.

Il me suffit de rappeler succinctement, que jamais un bébé laissé à l’abandon sans la moindre possibilité d’expérimenter ce qui fait le monde humain (le rapport avec les autres essentiellement) ne se construira d’une façon que nous jugerions « humaines ». Il ne pourrait au mieux que devenir une sorte de sauvage, totalement inapte à la civilisation, mais les comportements humains de sociétés lui seraient parfaitement étrangers. L’inné encore une fois n’est qu’un potentiel, bien difficile à évaluer d’ailleurs. C’est l’apprentissage qui peut lui donner sa valeur. Il suffit pour s’en convaincre de remarquer qu’un enfant né de bonne famille mais élevé dans une famille pauvre n’aurait que très peu de chance de « réussir » socialement, alors qu’un enfant né d’une famille pauvre mais élevé dés son plus jeune âge dans une famille aisée suivrait exactement le chemin inverse. Mais je ne vais pas réécrire le scenario de La vie est un long fleuve tranquille, n’est-ce pas ?

Cette vision que rapporte Sarkozy, et Michel Onfray le rappelle, constitue l’une des bases de divergence philosophique fondamentale entre la gauche et la droite politique. Impossible ici de faire court sans caricaturer, mais en gros la droite s’accroche volontiers à la notion de l’inné, tandis que la gauche est plus attachée à celle de l’acquis. Parce que l’inné est ce qui permet de poser de façon simple des valeurs sur les personnes, et de les juger à l’aune de principes moraux, de mérite, etc. Et également d’agir de façon pragmatique, c’est-à-dire en faisant « avec ce qu’on a », et non avec ce que l’on peut espérer. Alors que l’acquis suppose une projection dans le temps, une évolution, un changement de l’homme. C’est la base de l’idéalisme où il n’est pas question de ce que l’on est, mais de ce que l’on peut devenir.

Je ne m’attarde pas plus sur ce point. Onfray le développe plus, et bien mieux que moi dans son billet. Et une littérature sans doute riche en rend compte pour ceux qui sont curieux. Ne m’en voulez pas trop si je suis un peu fainéant, mais si je voulais faire quelque chose de convenable à ce sujet, il me faudrait des heures.

Le deuxième point qui m’intéresse, c’est le comportement général de Sarkozy lors de cet entretien : son agressivité. Evidemment, il est tout à fait possible que celle-ci soit plus le résultat d’une mauvaise journée et de circonstances désagréables pour lui que d’autre chose. Mais l’article d’Onfray confirme une impression générale que le personnage Sarkozy véhicule il me semble : celle d’un individu agressif. Sans doute pas physiquement parlant, mais verbalement. Qu’il soit à la télé, ou ailleurs, c’est souvent l’impression qui se dégage de lui. Il me semble que c’est en grande partie ce qui explique la méfiance particulière qu’on entend s’exprimer contre lui.

On aurait très certainement tort de penser que les autres candidats, en tout cas ceux qui peuvent croire à la victoire, n’expriment aucune agressivité dans leur comportement, mais Sarkozy me semble être celui chez qui cette agressivité est la plus forte, en tout cas à tout le moins la plus visible.

Je voudrais à ce titre évoquer ici, de façon un peu provocatrice je le reconnais, une expérience menée par le physiologiste Jose Delgado (eng) sur des singes. Delgado s’est rendu célèbre en posant des implants électroniques dans le cerveau d’animaux et en parvenant, à l’aide de consoles radios, à guider et modifier les comportements de ceux-ci. Son expérience la plus célèbre a eu lieu à Cordoue avec un taureau de corrida, qu’il a pu stopper net alors que l’animal se ruait sur lui.

Delgado a également réalisé des expériences sur des singes, pour étudier leur comportement agressif et trouver les moyens de le modifier. Il a ainsi montré, qu’un groupe de singes ayant appris à stimuler à l’aide d’un appareil électrique, la zone de leur cerveau qui régule leur niveau d’agressivité, utilise cet outil pour jouer à monter et descendre dans l’échelle hiérarchique du groupe. En effet, plus les singes stimulaient leur agressivité grâce à l’engin, plus ils montaient dans l’échelle hiérarchique du groupe. Les singes qui étaient normalement les dominés accédaient au statut de dominant grâce à quelques stimulations. Et ceux qui étaient normalement les dominants, se voyaient alors dépassés dans l'échelle hérarchique du groupe par les autres, pour devenir à leur tour des dominés. Ayant compris le truc, les singes l’ont apparemment abondamment utilisé pour modifier leur rang et leur statut de dominant ou de dominé dans le groupe.

La conclusion de l’expérience de Delgado est simple et claire comme de l’eau de roche : c’est l’individu le plus agressif du groupe qui en devient l’élément dominant. En tout cas c’est le cas chez les singes sur lesquels l’expérience fut conduite.

Bien sûr, il y a une limite à l’analogie de ce type d’étude éthologique avec la nature humaine. Et ceci même si les animaux étudiés sont ceux dont nous sommes les plus proches. Mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a dans cette étude une vérité que l’on peut rapprocher du vade mecum de l‘homo politicus. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’idée est si largement répandue que la politique, ce n’est pas le monde de Candy et des idéalistes évangéliques. Les nombreux cyniques qui officient en tant qu’analystes dans cette discipline, en sont bien pétris.

En l’état je ne vois pas bien comment ce phénomène est évitable. Les hommes politiques n'ont guère de chance d'exister aux yeux du grand public s'ils n'ont pas une forme d'agressivité comportementale qui leur fait vouloir être sur le devant de la scène, vouloir le pouvoir, vouloir être des dominants. D’une certaine façon, ce n’est là que le reflet du schéma de construction de nos sociétés modernes, qui se sont faites en grande partie à partir de l’agressivité de compétition (j’aborderai ce point plus en détail prochainement).

04/04/2007

L'agressivité - définition

Afin de produire un travail clair sur la notion d'agressivité, il me faut d'abord proposer la définition du terme agression sur laquelle je me base pour cette analyse, définition qui est très proche de celle fournie par Laborit dans son oeuvre: est une agression, tout événement qui entraîne l'augmentation du degré d'entropie d'un système vivant, qui tire ce dernier vers sa destruction (N.B: par respect pour une théorie pure on pourrait peut-être dire que les systèmes non vivants peuvent également être détruits, et donc agressés, mais l'étude de ce type de cas ne me semble présenter aucun intérêt, sauf lorsque cette destruction matérielle entraîne un préjudice à un individu,  et on en revient alors au cadre que je décris).
Ainsi, le coup de poing reçu lors d'une bagarre est une agression. Comme l'est également le manque de nourriture ou d'eau, le manque de sommeil aussi. Ou encore l'injure reçue qui touche la personne et fait trembler son édifice psychologique. Bref, tout ce qui attaque l'homéostasie, l'équilibre, la structure de l'individu (homme ou animal).
L'agressivité est l'attitude de l'individu qui exerce ce type d'agression. On aura compris que toutes les agressions ne sont pas nécessairement exercées par des êtres vivants. Elles peuvent aussi être exercées par l'environnement. Mais mon étude ne s'attardera pas sur ce deuxième point.

03/04/2007

Enfin un blog qui schtroumpf sur les élections présidenschtroumpfs !

Trouvé cet après-midi, via je ne sais plus qui, un blog qui me schtroumpf assez. Son auteur propose, entre autres choses, de petites illustrations des candidats dont certaines sont très amusantes, notamment sur cette page (le schtroumpf vendéen et le schtroumpf "n'est-ce pas" sont mes préférés).
 
medium_schtroumpf_n_est_ce_pas.jpg
 
Le schtroumpf "n'est-ce pas" 
 
 
 

02/04/2007

Introduction à la notion d'agressivité

Après plusieurs billets sur les travaux de Laborit, certains abordant les rivages de ses analyses par le détour de sujets assez généraux, d’autres tâchant de décrypter de façon un peu plus précise le fondement de certains de nos comportements, il est temps d’en venir à l’une des questions centrales du travail de Laborit, à savoir la question de l’agressivité.

 

Pour bien traiter ce sujet, je compte écrire plusieurs billets, qui permettent notamment de faire le tri dans les différents types d’agressivité qui peuvent exister, et qui tentent de proposer de façon claire les explications de Laborit quant aux causes fondamentales de l’agressivité, et notamment de l’agressivité sociale, qui est à n’en pas douter un sujet majeur sans cesse débattu sans grande pertinence, ce qui explique très probablement le sur-place que nous faisons dans ce domaine.

 

Mais avant de traiter la question de l’agressivité, et parce que pendant longtemps je n’ai plus rien écrit sur Laborit, je voudrais revenir rapidement sur quelques points majeurs qu’il me semble indispensable de garder à l’esprit et de bien intégrer si l’on veut comprendre la suite.

 

Il y a deux grandes idées qui soutiennent le corpus des travaux de Laborit, et notamment ses analyses sociologiques, dérivées de ses travaux en neurobiologie. La première, c’est que l’être n’a pas d’autre raison d’être que d’être. Tout entier, nous sommes programmer pour notre survie et le maintien de notre être. Cette proposition n’a pas de visée ontologique toutefois, et il ne faut pas la comprendre autrement que dans le sens d’une programmation biologique de notre vivant pour trouver les ressources, internes ou externes, lui permettant de subsister, et de se faire plaisir en établissant les stratégies nécessaires au réenforcement, c’est-à-dire à la répétition d’action gratifiantes. En cela, je ne pense pas que Laborit se trouve réellement en opposition avec Lévinas lorsque ce dernier indique, mais j’espère ne pas trahir sa pensée ici, que la raison d’être de l’homme ne peut se réduire à être, mais qu’il doit plus tendre vers un être avec, vers un être en relation avec l’autre.

 

La deuxième idée majeure de Laborit, et peut-être la plus riche, est la notion de niveaux d’organisation. Laborit montre en effet que le défaut des différentes disciplines scientifiques est notamment leur spécialisation et, si l’on me passe l’expression, leur manque d’œcuménisme. Chacune s’applique à décrire le fonctionnement de l’objet auquel leur analyse a été assignée, et mises ensemble elles finissent ainsi par décrire un squelette certes complet, mais désarticulé, sans lien clair entre ses parties.

 

La notion de niveaux d’organisation rétabli ce lien. Laborit montre, notamment par le biais de la cybernétique, en décrivant le fonctionnement d’un système autorégulé et d’un servomécanisme, comment un niveau d’organisation peut dépendre d’un autre qui l’englobe, ou qu’il englobe, comment la cellule qui remplit sa tâche en maintenant sa polarité autour de sa membrane, travaille également à maintenir intacte la faculté de l’organe à réaliser ce pour quoi il est fait, et au final participe de la conservation de l’organisme et de cet objectif que j’ai rappelé plus tôt : être, et assurer son plaisir par des actions gratifiantes.

 

Ces notions étant rappelées, elles vont nous permettre de comprendre d’emblée que l’agressivité ne peut pas être autre chose qu’une des nombreuses stratégies mises en œuvre par l’individu pour conquérir ou maintenir son homéostasie. Qu’en bref donc, il n’existe pas d’agressivité gratuite. L’agressivité n’est pas une fin en soi mais un outil dont nous usons pour répondre à un besoin, besoin auquel nous ne savons pas répondre autrement, soit faute de moyens externes réels, soit en raison de notre ignorance quant-à la façon d’utiliser ce que nous avons d’autre à disposition.

 

Partant, on comprend aisément qu’il n’y a pas de réponse satisfaisante à l’agressivité s’il n’y a pas d’analyse de ses causes, et de réponse pour réduire ces dernières. Attaquer l’agressivité de front, sans attaquer ses causes, revient à passer la serpillère chez soi quand l’eau coule, en oubliant de fermer les robinets. Ca peut durer longtemps.

 

Pour bien appréhender la question de l’agressivité, il me semble bon de rappeler avec Laborit quels sont les différents visages que celle-ci peut prendre, afin de distinguer avec précision s’il est d’abord nécessaire de répondre à toutes ces formes d’agressivité, et surtout comment répondre à chacune, en prenant en compte leurs spécificités propres.

 

Je n’entame pas toute cette analyse ici, ce sera pour les billets suivants. Tout juste vais-je indiquer, en guise d’introduction à ces prochains billets, quels sont les différents types d’agressivité relevés par Laborit : l’agressivité prédatrice tout d’abord, celle du lion qui pourchasse sa proie par exemple, l’agressivité compétitive, sans doute la forme principale d’agressivité existant chez les hommes, l’agressivité défensive, qui d’un point de vue social se rapproche parfois si près de l’agressivité compétitive qu’elle s’y fond, et enfin l’agressivité d’angoisse. Cette typologie est utilisée par Laborit dans La colombe assassinée, uniquement dans une approche éthologiste, mais je la conserve concernant l’homme car sa clarté me semble particulièrement utile pour comprendre d’où vient notre propre agressivité. Je tâcherai d’indiquer convenablement quelles sont les limites de l’analogie à laquelle je me prête ici afin de ne pas vous embarquer dans une analyse trompeuse.

 

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