31/05/2007
Un "Looking Glass Self" actif !
De prétendues « sagesses populaires » évoquent souvent l’image que l’on a de soi, ou celle qu’ont nos proches de nous comme les fondements de notre construction intime, et partant, comme les leviers sur lesquels il nous est possible d’agir pour nous porter mieux (améliorer l’image de soi par exemple, souffle comme un mantra sans cesse répété ici et là). Ces idées ne sont pas fondamentalement fausses, mais elles manquent de précision dans leur analyse, et de ce fait, elles ne permettent sans doute pas de répondre d’une façon tout à fait adéquate aux difficultés que nous pouvons avoir. Celle proposée par Cooley me semble plus intéressante.
On peut y retenir deux éléments importants :
1. L’image que l’on a de soi ne peut se construire sans l’intervention du regard d’autrui. Elle ne se fait pas « de nous, par nous et vers nous » si l’on m’accorde l’expression, mais bien en passant par l’intermédiaire de l’autre qui joue ici le rôle de miroir personnel.
2. La place que nous avons dans cette construction issue du regard des autres est grande. Puisque ce n’est pas le regard des autres qui nous fonde, mais bien la représentation que nous nous faisons du regard des autres. Cela signifie que nous avons donc un levier directement à notre portée sur lequel nous pouvons agir pour modifier notre rapport à nous-mêmes.
On perçoit bien l’aller-retour dans ce schéma :
1. L’individu interroge autrui sur le regard qu’il porte sur lui
2. Autrui répond
3. L’individu interprète la réponse d’autrui et construit ainsi son regard sur lui-même.
Du coup je ne comprends pas très bien un des points indiqué par Diane comme faisant partie de la critique adressée à Cooley : celui du rôle passif que sa théorie donnerait à l’individu dans la construction de sa propre image. Il me semble au contraire que dans la troisième phase que l’on repère à travers le « Looking Glass Self » l’individu est actif et non passif. C’est lui qui est « en charge » de l’interprétation du regard des autres pour construire sa propre image. Il lui appartient pleinement d’intégrer ce regard à sa façon dans son schéma personnel. Bien sûr, il ne contrôle pas tout dans ce processus, et il serait bien étrange celui qui transformerait en point positif un regard désapprobateur. Mais cela ne le rend pas passif pour autant.
Un point important notamment, qui me semble toujours rester à l’entière discrétion de chacun de nous, est de déterminer quelle degré d’importance nous sommes prêts à accorder au regard des autres. Car s’il me semble parfaitement illusoire de prétendre n’en accorder aucune, ce qui signifierait que nous ne sommes pas des individus sociaux et serait donc contradictoire avec notre nature, nous n’en pouvons pas moins maîtriser l’influence qu’aura ce regard sur nous.
La philosophie stoïcienne en propose une vision extrême en suggérant avant tout de s’inquiéter de ce sur quoi nous pouvons agir, et non de ce qui nous est extérieur, comme le regard des autres. On le comprendra étant donné ce que je viens d’écrire sur l’illusion d’une vie construite en dehors du regard d’autrui, je ne suis pas d’accord avec l’absolutisme de cette logique. Mais je lui reconnais l’intérêt de montrer que nous pouvons agir et modifier l’impact de ces éléments extérieurs sur nous–mêmes.
Je me souviens à ce titre d’une petite histoire que j’avais lue ou que l’on m’avait racontée, je ne me souviens plus bien. Un vieux moine bouddhiste, assis à même le sol et ayant entamé sa méditation, fut rejoint par un touriste qui se mit au défi de faire sortir le sage de ses gons. L’individu commença alors à harceler le moine de remarques désobligeantes. Celui-ci ne montrant aucune réaction, le touriste haussa encore le ton et en vint purement aux insultes, qu’il déversa ainsi sans s’arrêter durant de longues minutes. Mais le moine resta imperturbable. Agacé et à bout de souffle, le touriste finit par demander au moine comment il faisait, et pourquoi il ne réagissait pas. Le moine lui répondit alors : « Tu te tournes vers moi et m’envoie des présents. Pour l’instant, je choisis de ne pas les prendre. »
Il est sans doute bien difficile pour la plupart d’entre nous d’agir avec un tel détachement. Cependant cette remise en perspective du regard des autres me semble importante à bien intégrer. C’est la base du recentrage sur soi dont on parle parfois en gestion du stress, par laquelle on se rappelle à ce que nous sommes et non à ce que les autres nous renvoient de nous. C’est ce travail de recentrage personnel qui peut permettre de rétorquer à celui qui nous insulte qu’il ne sait pas ce que nous sommes, et qu’il ne lui est pas permis de tenir de tels propos.
L’image que nous construisons du regard que portent les autres sur nous ne doit donc pas nous laisser passif. Il est inévitable, et sans doute nécessaire, d’intégrer ce regard dans notre construction personnelle. Mais nous pouvons aussi rester vigilants sur ce qui nous est renvoyé, sur ce que nous acceptons de recevoir et sur notre façon de l’intérioriser pour construire notre image de nous-mêmes.
10:43 Publié dans Un peu de développement personnel | Lien permanent | Commentaires (8) | Facebook |
29/05/2007
La proximité: introduction
Comme prévu, j’entame une série de billets sur la notion de la proximité. Pour tout dire, je ne sais pas encore combien de billets je vais y consacrer, ni exactement dans quels détours elle m’emmènera. Il est possible qu’elle soit longue mais ce n’est pas certain.
Mon intention ici est d’aborder un sujet qui m’intéresse beaucoup et qui me semble absolument majeur, et ceci pour toute société, en croisant les points de vue et les approches; en passant notamment par la philosophie et l’analyse comportementale. Mais je compte également évoquer ce thème d’une façon très pratique et concrète, en proposant, comme j’ai essayé de le faire dans ma série sur l’agressivité, quelques exemples de la vie de tous les jours, afin que ce travail ne reste pas qu’un papier théorique lointain, et qu’il puisse avoir une utilité directe pour vous. Vous aurez même dans quelques billets des propositions d’exercices personnels à réaliser si l’idée vous plaît.
C’est ainsi que dans cette série, outre les quelques idées qui ne me viennent pas encore en tête, nous parlerons des moyens, notamment des sens, que nous mettons en œuvre pour entrer en contact avec les autres, des raisons pour lesquelles nous en favorisons certains plutôt que d’autres, de ceux que nous pouvons redécouvrir, de notre manière de gérer la bulle personnelle dont nous nous entourons et qui forme les limites de notre espace intime, de notre relation avec l’urbanisme, de la philosophie de la relation à l’autre formulée entre autres par Emmanuel Lévinas et Gabriel Marcel, de la notion de servomécanisme revue sous l’angle de l’attention au monde qui nous entoure, etc.
Je ne propose pas cette liste d’une façon trop organisée, car elle ne l’est pas encore dans mon esprit, et il est d’ailleurs très probable que je la démarre simplement par la première idée que j’ai envie d’aborder, par goût, plus que d’une façon raisonnée. L’organisation de tout cela viendra sans doute avec le temps, mais j’espère que cette série constituera au final une base un peu sérieuse et fiable pour construire certaines choses, au moins d’un point de vue personnel, pour ceux qui la liront.
14:20 Publié dans Un peu d'observations | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |
26/05/2007
Prix Big Blogger du commentaire le plus sympa
Et voilà, c'est fait ! On m'a enfin décerné un prix après bientôt deux ans à tenir ce blog contre vents et marées (ce qu'on fait de bien dans la vie se fait toujours contre vents et marées, c'est marrant - tiens j'ai hésité sur le nombre de r).
Big Blogger m'a donc très chouettement décerné le prix du commentaire le plus sympa sur son blog, après que je me sois suis plains de ne toujours pas être disponible pour me rendre à la République des blogs, alors que lui a pu découvrir sa dernière édition. Tout enthousiasmé qu'il fut par ma remarque, il m'a même préparé un petit logo que je peux afficher fièrement sur cette page (en bas à droite à gauche après mes liens).
Je voudrais donc remercier ma maman, mon ordinateur, ma flemmardise, et la chouette salade que j'ai mangé ce midi, en espérant que je n'oublie personne. Hum, non j'crois pas.
Aaah la belle chose... volupté...
Bon c'est pas tout ça, j'ai des courses à faire maintenant.
15:25 Publié dans Un peu du nombril des blogs | Lien permanent | Commentaires (6) | Facebook |
23/05/2007
Etrange fierté
Pour réveiller un peu mon blog, je voudrais aborder rapidement la notion de fierté, sur laquelle je lis des choses que je trouve un peu étranges, notamment chez koz. Il semble effectivement accorder une importance particulière à la fierté qu’un individu peut ressentir vis-à-vis de son pays. Ou plutôt, à celle qui viendrait de la seule appartenance à un pays dont il admirerait l’histoire.
Il y a quelques temps déjà, j’avais émis chez lui une interrogation personnelle sur la valeur de cette fierté, sur ce qu’elle signifie. Pour moi la fierté est quelque chose d’un peu étrange, enfin surtout l’usage que je vois les gens en faire. Car très souvent il me semble qu’elle est brandie pour des éléments qui sont tout à fait indépendants des personnes qui l’évoquent.
C’est bien évidemment le cas de cette fierté qui devrait rejaillir sur nous du fait de l’appartenance, que nous n’avons bien sûr pas choisie, à tel ou tel pays. Vraiment ce n’est pas de la mauvaise foi de ma part, et j’écris cela sans le moindre sarcasme malgré ce qu’on pourrait peut-être penser, mais je ne parviens pas à reconstituer le puzzle qui fait que d’autres ressentent de la fierté à appartenir, là aussi un verbe passif, à un pays, sous prétexte que celui-ci a quelques siècles d’existence et qu’on y trouve, oh surprise, quelques événements supposés dignes de louanges.
Fier d’être français ça veut dire quoi ? Content d’être français, d’avoir la chance de vivre dans un pays en paix, où la qualité de vie est plutôt bonne par rapport à tant d’autres pays, dont la culture est intéressante, la nourriture savoureuse, etc. pourquoi pas ? Mais fier ? Comment peut-on être fier de trucs qu’on n’a pas faits ? D’un passé ? D’une histoire ? On est fier par contumace ?
D’une certaine façon ma logique ici rejoint un peu la logique stoïcienne : se soucier et se préoccuper uniquement des éléments sur lesquels nous avons la possibilité d’agir et qui ne sont pas dépendants de circonstances ou d’agents extérieurs à nous. Je ne comprends pas quelle cohérence il y a à s’enorgueillir d’actes dont nous ne sommes pas responsables.
Plus j’y pense plus j’ai le sentiment qu’il s’agit là encore d’une valeur que l’on détourne pour son propre intérêt, en la dépouillant de ce qui pourrait légitimement la constituer. Car être fier de soi, de ce que l’on a accompli, voire même être fier de ce qu’accomplissent ses proches, parce qu’on se sent une proximité de vie avec eux, une forme d’implication commune, pourquoi pas. Hum, tiens, en écrivant cette dernière phrase, je me demande si ce n’est pas ça. Ceux qui sont fiers d’appartenir à leur pays seraient fiers de leurs illustres aînés, et sentiraient en eux une forme de communauté de vie, même avec des personnes disparues ?
Si c’est de cela qu’il s’agit, mon doute persiste à bien y réfléchir (il y a du temps entre mes paragraphes vous savez). Parce que tout de même, un pays et une histoire présentent deux défauts importants pour que naisse une empathie sincère avec ces illustres représentants et leurs exploits que l’on aime tant brandir : un pays n’est pas une personne, et l’identification, qui est la source de l’empathie, n’est alors pas permise, ou alors d’une façon très dégradée, très floue ; cet éloignement est encore plus net concernant l’histoire, qui si elle peut être marquante, ne génère en fait qu’un sentiment pour la personne elle-même, une forme d’autosatisfaction si vous préférez, qui me semble bien difficile à tourner vers les autres.
Pour dire les choses autrement, et peut-être serais-je moins confus ainsi, le processus qui peut amener une personne à être fière de son pays, ou de tout élément qui lui est aussi singulièrement extérieur, est exactement celui de la valeur qu’on s’auto-attribue par ce jeu de miroir dont je dénonce ici depuis longtemps les travers. S’imaginer soi-même être un grand homme, digne de valeur et de respect, parce que l’on se déclare proche par la pensée et par l’émotion de telle ou telle figure historique qui inspire le respect dans l’imaginaire collectif. Se trouver un champion, ou plusieurs pourquoi pas, qui ont porté haut les étendards dont on voudrait se draper à moindre frais. Se trouver un surfer d’argent quoi (mince, une fièvre d'autopromo maintenant). Quelque chose qui nous rassure sur nous-mêmes sans que l’on ait vraiment besoin de rendre des comptes sur soi.
On perçoit peut-être qu’en fait, même à titre personnel la fierté n’est pas une valeur qui me sied beaucoup. Je la trouve dans le fond trop facile, trop creuse. Je ne vois pas clairement ce qu’elle m’apporte de sain et de constructif à titre personnel. C’est probablement dû à ma façon de l’interpréter, et je ne prétends donc pas ici que cela doive être la vision de chacun. M’enfin pour moi, ça ne vaut pas plus que ça quoi. Je préfère dire éventuellement que je suis content, de ce que je fais, ou de ce que j’essaie d’être (pas trop de ce que je suis, ça je m’en méfie plutôt, je trouve que ça a un côté mort), mais que je suis fier, bof.
P.S: hé vous z'avez vu Sangoku, comment il a trop la classe.
00:21 Publié dans Un peu d'observations | Lien permanent | Commentaires (19) | Facebook |
14/05/2007
Petite pause
16:55 Publié dans Un peu du nombril des blogs | Lien permanent | Commentaires (4) | Facebook |
06/05/2007
Une victoire et demie !
21:20 Publié dans Un peu d'actualité et de politique | Lien permanent | Commentaires (16) | Facebook |
05/05/2007
Le bonheur est dans le groupe
Il rapporte notamment de façon consolidée les résultats de plusieurs études sur la « life satisfaction », qui en gros fournissent une réponse statistique sur le sentiment de satisfaction qu’ont les personnes interrogées sur leur vie, et qui indiquent quels sont les éléments en corrélations avec leur bien-être.
On y découvre que des éléments comme le niveau d’éducation, ou encore le climat, ne présentent aucune corrélation avec la satisfaction des personnes. Concernant le climat, cela va sans doute à l’encontre d’une idée reçue qui veut que l’on soit plus heureux sous le soleil. La question du niveau d’éducation est un peu plus subtile puisque celui-ci a des conséquences sur plusieurs aspects de la vie, comme notamment la faculté à trouver un travail. Or, on remarque chez les chômeurs un niveau de bien-être inférieur à celui des autres. On pourrait donc s’attendre à une certaine corrélation entre niveau d’éducation et satisfaction de vie. Il semble que non.
D’autres éléments, comme le niveau de richesse ou la religion montrent eux une certaine corrélation avec le bonheur, mais celle-ci est faible. Concernant la richesse toutefois, et cela ne surprendra guère, la corrélation est plus importante chez les populations qui ne parviennent pas ou mal à répondre à leurs besoins de base. Mais globalement, les études indiquent que l’augmentation de niveau de vie se corrèle assez peu à l’augmentation du bien-être.
Ce point notamment a semble-t-il fait l’objet de plusieurs analyses économiques, qui ont montré que l’augmentation du niveau de vie d’un pays est très peu corrélé au bonheur de sa population. En effet, alors que le niveau de vie et de richesse des pays dits développés est aujourd’hui très largement supérieur à ce qu’il était il y a 50 ans, le niveau de bien-être des personnes ne suit pas. C’est ce qu’on appelle le paradoxe d’Easterlin, du nom d’un économiste américain qui étudia notamment le cas du Japon de 1958 à 1987 et qui a constaté qu’alors que le taux d’équipement des ménage augmentait de façon très forte, le bien-être subjectif ne bougeait pas.
Le dossier rapporte un intéressant débat d’économistes sur ce point, les uns évoquant ce qu’ils appellent un « hedonic threadmill » c’est-à-dire pour faire vite que les personnes s’adaptent à leur nouvelle situation et, après un événement très heureux ou très malheureux, retrouvent par ce comportement d’adaptation à leur nouvelle condition un état de neutralité. Les autres critiquent cette vision de neutralité et parlent plus de « set point » ou point de réglage, propre à chaque individu, et qui n’annule pas le gain ou la perte enregistrée précédemment.
Mais le plus intéressant évidemment, est de découvrir quels éléments sont eux corrélés de façon importante avec le bonheur. Et là, le diagnostic est aussi limpide qu’attendu pour ma part : les personnes les plus heureuses sont celles qui ont une vie sociale riche, des liens nombreux et forts avec les autres. L’article le dit mieux que moi :
« Parmi tous les facteurs qui contribuent au bien-être, le plus déterminant est celui de la richesse de la vie sociale. Dans toutes les enquêtes sur le bien-être, ce sont les personnes ou les sociétés qui privilégient les relations sociales plutôt que les biens matériels qui ont les meilleurs scores de satisfaction de vie. »
L’article relève également une enquête lors de laquelle on demande aux personnes de produire un relevé des étapes de leur quotidien et d’indiquer pour chacune si elle est satisfaisante ou pas. On y observe que ce sont tous les événements liés à la vie sociale qui reçoivent les plus hauts score de satisfaction.
Cela fait déjà longtemps que je rappelle ce point sur ce blog: l’importance du lien social dans notre construction personnelle. Les gens qui vivent dans des familles nombreuses unies savent bien le bonheur qu’elles ont aux retrouvailles familiales, et les jeunes lorsqu’ils évoquent leurs meilleurs moments évoquent toujours les vacances passées avec leurs amis, les fêtes qu’ils ont organisées ensemble, etc.
Le lien social, le lien social. Encore et toujours. Une société heureuse est une société qui favorise le lien social. Tout ce qui contribue à le détériorer est à éviter, autant que possible. Plus que de savoir si son pays est premier, dixième ou trentième de je ne sais quel classement économique, il faut se demander d’abord ce qu'il met en place pour construire et renforcer ce lien social.
Dossier paru dans le n° 171 du magasine Sciences Humaines, en mai 2006
19:37 Publié dans Un peu de développement personnel | Lien permanent | Commentaires (5) | Facebook |