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14/03/2006

Un vrai billet de néophyte sur l’économie mondiale

Avertissement : tout est dans le titre!

 

En suivant un peu l’actualité économique ces derniers temps, je me disais qu’on voyait beaucoup d’entreprises affichant des profits très importants: France Telecom, Total, Arcelor, BNP, etc. Les grandes entreprises françaises annoncent à la file les unes des autres des bénéfices record pour l’année 2005. Même la SNCF s’y met aujourd’hui !

 

Du coup, moi qui malgré mes études supérieures en commerce n’y connais pas grand-chose en économie (oui c’est un peu la honte, mais j’ai tellement peu aimé ces études…), je me demandais comme il était possible, si nos plus grandes entreprises faisaient de tels résultats, que notre croissance au niveau national reste si décevante (pdf). Et pourquoi, si les entreprises dégageaient autant de bénéfices, elles n’en faisaient pas plus profiter leurs salariés.

 

Heureusement, depuis que je blogue je suis moins bête qu’avant, ou en tout cas je compense avec ce que je lis chez les autres. Et parmi les blogs économiques que je lis, il y a celui d’Eric Izraelewicz, que je trouve souvent très bon et très intéressant. Hier, j’y lisais un article qu’il a posté vendredi dernier, et qui répond exactement à ma question.

 

Pourquoi les résultats de ces entreprises ne se traduisent pas dans la croissance globale de notre pays ? Pour deux raisons principales indique-t-il :

  • D’abord parce que ces entreprises sont les (grands) arbres qui cachent la forêt. Derrière ces champions qui enchaînent les bons résultats, il y a tout un tas de PME et de TPE qui dégagent des rentabilités beaucoup plus minces, et qui parfois même sont en train de diminuer. Eric Izraelewicz constate ainsi qu’il y a une fracture sociétale entre les grandes entreprises qui ont de très bons résultats et les petites qui ont plus de mal.
  • Ensuite, parce que cette fracture s’explique en très grande partie du fait que les grandes entreprises réalisent désormais l’essentiel de leurs profits à  l’étranger ce qui est beaucoup moins le cas des petites. Et puisque leurs résultats sont surtout bons à l’étranger, c’est en toute logique là-bas, et pas chez nous, que se portent leurs investissements. Ainsi, les fruits des bénéfices de ces entreprises partent pour une très grande partie ailleurs pour faire des petits, créer des emplois et générer de la croissance. Et pendant ce temps, notre investissement restant en berne au niveau national, notre croissance et notre emploi restent timides.

 

Pour appuyer ce point, je voudrais citer un autre article que j’ai trouvé excellent, découvert hier soir en feuilletant le Courrier International de la semaine dernière,  et extrait de The Economist (je vous indique le lien de l’article original, en anglais donc, celui du CI étant un lien payant).

 

Dans cet article, le journaliste note la déconnection grandissante entre résultats des entreprises et santé de l’économie des pays où elles sont nées. Pour la même raison que celle avancée par Eric Izraelewicz : le fait qu’elle sont désormais très internationalisées et liées à l’économie mondiale, et que l’essentiel de leurs bénéfices se fait à l’étranger.

« Firms in Europe are delivering handsome profits that are more in line with the performance of the robust global economy than with that of their sclerotic homelands”

 

Plus loin il note que les 40 plus grandes multinationales du monde emploient 55% de leur personnel à l’étranger et que 59% de leurs bénéfices se font en dehors de leurs bases nationales. Mais ce qui est inquiétant note-t-il, c’est justement que cette internationalisation pousse les entreprises à investir presque l’essentiel de leurs bénéfices à l’étranger, handicapant ainsi la croissance de leur pays, mais aussi limitant les gains que pourraient enregistrer les travailleurs qui y sont.

 

J’ai trouvé cet article très intéressant, parce qu’en le lisant je me suis dit que c’était exactement l'un des reproches principaux fait par une large partie de la gauche en France, surtout par la gauche de la gauche, à la mondialisation. Les entreprises, tentées par des coûts plus faibles à l’étranger et par les bénéfices qu’elles parviennent à y dégager, y investissent plus d’argent que dans leurs pays d’origine, ce qui porte un coup important à la croissance de ceux-ci, et se répercute ensuite sur le portefeuille des particuliers qui diminue.

 

Pourtant, si on y réfléchit bien, il me semble qu’il y a un grand « mais » à cette critique. C’est qu’on voit bien ici le jeu de vases communicants qui s’opère entre les économies mondiales. Les grandes entreprises basées aux USA, en France, au Japon, en Allemagne, etc. font de grands bénéfices, mais elles investissent hors de leurs bases, à l’étranger, là où elles ont de meilleures perspectives du fait sans doute en grande partie de coûts plus bas. Bref, dans des pays en voie de développement. Alors est-on bien sûr que c’est là quelque chose de fondamentalement mauvais et injuste ? Ce jeu de vases communicants n’est-il pas la vertu de la mondialisation qui permet ainsi à ces pays d’effectuer un rattrapage économique par rapport à nous ?

 

En fait ce que je veux indiquer ici, sans doute de façon trop simpliste je le reconnais, c’est que la critique anti-mondialisation qui nous viendrait naturellement à la vue de profits records des entreprises, qui ne se traduisent pas par des hausses de revenus correspondantes chez nous, est en fait une courte vue parce qu’on arrête trop tôt sa réflexion sans se demander si ce qui apparaît comme une injustice au niveau local n’est pas en réalité un bienfait à plus grande échelle. On ne peut pas à la fois pester contre ce type de mécanisme de la mondialisation et déclarer vouloir le bien de l’humanité en agissant pour les pays défavorisés en même temps, sans risquer de tomber dans l’incohérence.

 

Pour autant, il faut bien admettre que ce premier réflexe, et bien nous sommes certainement très nombreux à l’avoir, et qu’il reste dans le fond très « humain ». Et donc qu’il est bien nécessaire d’essayer de lui apporter une réponse. Tout d’abord, je note ce que relève Eric Izraelewicz dans son billet : le partage de la valeur ajoutée dégagée par les entreprises françaises n’a guère changé. Depuis 2002, dit-il, chiffres de l’INSEE à l’appui, les salariés récupèrent environ 2/3 de la valeur ajoutée produite, et les entreprises en gardent 1/3. Il semble donc que la France soit mieux lotie que d’autres pays dans ce domaine, puisque l’article de The Economist se montrait plus inquiet sur ce point, notamment sur le cas allemand où les salaires réels auraient baissé durant les deux dernières années.

 

Mais aussi, parce qu’il existe des moyens pour faire en sorte que les salariés restent gagnant avec leur entreprise : les rémunérations complémentaires du type intéressement. Avec ce type de rémunération chaque employé profiterait des gains de son entreprise. Mais, l’article de The Economist propose une autre idée, plus pertinente selon lui : que les entreprises répercutent les diminutions de coûts dont elles profitent sur leurs prix de vente afin d’en faire profiter les consommateurs (qui sont aussi les salariés). Sur ce point je dois dire que mes limites en économie me gênent pour bien l’évaluer. Je ne suis pas sûr qu’un système généralisé de baisse des prix soit forcément bon pour une économie, et je sais même qu’il existe un grand nombre de théories montrant les méfaits d’une telle forme de déflation (je suis obligé de mettre le lien en anglais, à cause de l'accent sur le é). Mais je laisse à ceux de mes lecteurs qui s’y connaissent le soin d’apporter plus d’éléments critiques là-dessus.

 

J'espère n'avoir pas déçu la promesse faite en titre ! (hem)

13/03/2006

Regarder les étoiles, et sourire

Quand j'étais petit, j'aimais beaucoup l'astronomie. Assez tôt je m'étais mis à observer les étoiles le soir, à regarder ce grand tableau scintillant qui semblait si lointain et si proche en même temps. Cette simple observation me plongeait dans une forme de rêverie, d'absence au monde contingent dans laquelle je me sentais bien. Encore aujourd'hui j'y prends un grand plaisir, et il n'est pas rare que les jours où le ciel est dégagé, lorsque je sors quelque part, je passe quelques minutes le nez en l'air, à regarder l'éternel spectacle des astres au dessus de ma tête.

 

Samedi soir, alors que j'étais en soirée, je me suis approchée d'une baie vitrée pour observer la Lune qui brillait dehors. On la voyait bien, elle était déjà assez développée et sa lumière inondait le petit lac au pied duquel nous étions. Et en la regardant, je me suis souvenu d'un livre que j'avais lu il y a quelques années. Un livre d'Hubert Reeves, intitulé Oiseaux, merveilleux oiseaux, aux éditions du Seuil. Dans la préface de ce livre, Reeves indique les raisons qui l'ont amené à l'écrire et évoque notamment un passage difficile de sa vie où il fut hospitalisé. Je le reproduis:

 

"Au retour d'une expédition au Sahara, où tous les soirs, étendus dans le sable, nous observions la voûte étoilée et la comète Hale Bopp, j'ai connu d'importants problèmes de santé.

  Première hospitalisation à Paris avec piqûres dans la colonne vertébrale (je ne vous le conseille pas...). Seconde hospitalisation en urgence à Auxerre; grave opération d'une péritonite avec complications variées. Au réveil, des tubes de plastique me transpercent de toute part. L'inconfort est total. Je ne suis plus qu'une tuyauterie percée. Les infirmières me "changent" jour et nuit. Une grande lassitude m'envahit. J'ai envie que ça s'arrête. L'idée de ma mort me devient douce.

  Une nuit d'insomnie, je lève les yeux vers la Grande Ourse. Je sens monter en moi une intense émotion et m'entends dire: "Je suis en vie!". Les yeux fixés sur la constellation, ces mots se répètent plusieurs fois dans ma tête. L'idée de la mort ne m'a plus jamais effleuré.[...]

  Ces étoiles si familières me disent: "Tu es toujours avec nous." Mais il me remonte aussi à l'esprit que mon corps souffrant plonge ses racines dans la vaste étendue des espaces et des temps cosmiques. Le scintillement des étoiles aperçu par la fenêtre de ma chambre d'hôpital me rappelle la moisson d'atomes qu'elles élaborent dans leur coeur et qui jouent un rôle si important dans l'évolution de l'univers."

 

Reeves dans tout son livre, s'emploie à décrypter, d'une façon remarquablement claire et agréable pour le néophyte, la longue liste des miracles physiques, chimiques et biologiques qui ont conduit à notre existence. L'explosion initiale du Big Bang, l'organisation et le dosage des forces qui auraient tout modifié s'ils avaient été différents, la disparition des dinosaures qui fut le point de départ de la diversité animale, etc. Reeves note avec émerveillement que la nature use de chaque faille dans l'organisation des choses pour faire naître la vie. Le levain cosmique "fait feu de tout bois". Et ce levain, encore aujourd'hui, et pour toujours, nous le portons en nous. Il est le lien éternel qui nous rattache à la vie dans son ensemble, à l'histoire de la Terre qui nous porte, à celle de nos ancêtres, à celle de nos contemporains et de nos proches, aujourd'hui.

 

Et voici la conclusion de son livre, que je laisse chacun méditer librement :

 

"Ce livre, je le rappelle,  est né d'une rencontre avec des jeunes gens démobilisés et suicidaires au Québec. J'ai raconté l'importance pour moi de cet évènement pendant mes graves ennuis de santé de l'année 1997. En guise de gratitude, je leur propose l'exercice suivant: les yeux clos, revoyez intérieurement la multitude des évènements cosmiques, galactiques, stellaires, planétaires, cométaires, directement impliqués dans notre présence ici en ce moment. Cette rétrospective vous dira combien votre existence est précieuse. Elle vous permettra, du moins je l'espère, de reprendre contact avec ce levain cosmique, présent en chacun de nous comme dans chaque brin d'herbe."

10/03/2006

Conclusion de la relation d'aide

Billet précédent de la série

 

 

Attention, encore un billet long.

 

 

Ce billet, le dernier de ma série sur l’aide, s’appuie à nouveau sur les travaux de Jean-Pierre Cléro (re-hop pdf) et Daniel Calin (hop aussi) déjà évoqués précédemment.

 

 

Quand j’ai commencé mon travail sur ce thème de l’aide, j’ai d’abord voulu partir d’une définition claire de ce mot qui paraît si simple au premier abord, mais qui, on l’a vu, recouvre une réalité complexe. Et en fouinant à la bibliothèque dans diverses encyclopédies et autres dictionnaires, je me suis aperçu que les sens donnés au mot aide variaient parfois de façon assez sensible d'un dictionnaire à l'autre.

 

 

Une des définitions qui m’a intéressé était celle du Larousse (bien qu’en général je préfère le Robert). La voici : "aide : action d’aider quelqu’un, de lui donner une aide momentanée ou accidentelle." Bon définir l’aide en disant que c’est l’action de donner son aide est un peu léger, mais passons. Ce qui m’intéresse ici c’est que cette définition considère donc que l’aide est une action momentanée, délimitée dans le temps, accidentelle même !

 

 

C’est ce point sur le caractère limité dans le temps de l’aide qui m’intéresse ici. On a déjà indiqué que très probablement l’aide ne peut pas tout aider, qu’elle a une limite dans les éléments de la vie de l’aidé sur lesquels elle peut se porter. Mais sauf cas rare elle est également limitée dans le temps. Alors même, comme le souligne Cléro, que la nature de l’aide est d’être illimitée dans son offre, afin de pourvoir à la demande de l’aidé, l’aide doit se terminer, elle doit prendre fin. Si elle ne se termine pas elle signe l’aveu de son échec, elle démontre qu’elle n’a pas su être efficace est qu’elle s’est déroutée vers une situation de dépendance irrévocable de l’aidé envers l’aidant.

 

 

Cependant, terminer l’aide, lui donner sa conclusion, n’est pas tâche facile.

 

 

D’abord il faut remarquer que dans bien des cas, l’aidant va devoir se préparer à ne pas recevoir de remerciement de la part de l’aidé. Jean-Pierre Cléro indique de façon assez détaillée dans son étude en quoi l’ingratitude est fondamentalement la réponse que l’aidant doit attendre à sa démarche. Non pas que les personnes aidées se révèlent en majorité ingrates envers ceux qui les ont aidé. Je serais surpris que ce soit le cas. Mais l’aidant quoi qu’il en soit doit, lorsqu’il s’engage dans la relation d’aide, ne pas le faire dans l’espoir d’en recevoir une quelconque marque de gratitude.

 

 

C’est le retour de médaille inévitable de la gratuité de l’aide. Si elle est gratuite, elle est payée d’ingratitude, du moins elle doit s’y attendre. L’ingratitude d’ailleurs, ainsi que le souligne Jean-Pierre Cléro, présente un avantage. Elle permet à l’aidé de s’affranchir de la relation d’aide "sans frais". Elle évite à chacune des parties de se retirer sans que la gêne ne s’installe de par le déséquilibre que la relation d’aide a pu créer.

 

 

Mais le principal défi de la conclusion de l’aide est de parvenir que celle-ci ait lieu sans détruire tout le travail qui l’a précédée. Plus que ça même, la détermination juste du moment où elle doit intervenir, ainsi que de la façon dont elle doit se faire, conditionne souvent en très grande partie l’efficacité finale de l’aide. C’est ce qu’indique Daniel Calin dans son texte. L’une des difficultés les plus complexes auxquelles se heurtent les professionnels qui accompagnent les élèves en difficultés est d’organiser la séparation avec ceux-ci de sorte que leur prise d’autonomie soit réelle et que la rupture de la relation d’aide ne se transforme pas en rechute. Quoique doit certainement être confronté à ce dilemme dans son travail.

 

 

Ce qu’indique Daniel Calin en particulier, c’est que pour que l’aide parvienne à devenir autonomisante, elle doit pouvoir être "intériorisable". C’est-à-dire qu’il faut que l’aidé puisse en quelque sorte rejouer seul ce qui se fait avec l’aidant. Et pour cela nous dit Calin, il faut que l’enfant ait avec lui un "partenaire ludique structurant". Celui-ci peut l’être par l’intensité de sa présence, de son attention, de sa sensibilité. Grâce à cette présence structurante l’enfant va être capable d’élaborer lui-même par la suite les expériences et les procédés qui vont le rendre plus autonome.

 

 

Si cette intériorisation ne se fait pas, le risque existe que la personne aidée perde très vite tout le gain de ce que la relation d’aide a pu lui apporter et qu’elle se retrouve à la case départ. Toutefois il me semble que ce risque intervient surtout dans les aides qui ont un fort contenu psychologique, lorsqu’il s’agit de construire ou reconstruire les éléments psychiques d’une personne manquant de repères. C’est le cas des enfants, même de ceux qui ne sont pas en difficultés d’ailleurs, et aussi par exemple des personnes suicidaires. Mais il me semble que dans le cas de personnes dont la demande se porte principalement sur des éléments matériels, comme trouver un travail, un logement, etc. ce risque est moins fort.

 

 

Il faut bien reconnaître ici qu’il serait un peu fallacieux de prétendre dégager une solution généralisable pour déterminer quand et comment l’aidant doit mettre fin à la relation d’aide. C’est essentiellement par une démarche sensible, personnalisée, mouvante au gré des personnes qui nous font face, que l’on peut espérer entrevoir avec justesse comment il faut s’y prendre. Toutefois, Daniel Calin indique une piste intéressante, qui est dans la continuité de son analyse sur l’intériorisation du processus d’aide. Il s’agit nous dit-il, de faire un travail de prise de conscience de l’évolution de la dépendance dans la relation d’aide. Ceci notamment peut se faire en balisant certains acquis, en les relevant clairement avec des remarques du type "tu as vu, tu avais besoin de moi pour cela, et maintenant tu sais le faire seul, tu n’as plus besoin de moi".

 

 

Mais le dilemme le plus grand peut-être qui se pose au moment de rompre la relation d’aide est de savoir si même cette rupture est réellement souhaitable. Cléro dans son analyse se pose très clairement en philosophe solipsiste, convaincu du caractère profondément solitaire du chemin de vie de chacun. Il évoque ainsi Pascal qui disait dans les Pensées "On meurt toujours seul." Il cite Freud également, qui indiquait dans Au-delà du principe de plaisir que nous devions tous conduire notre vie de la façon la plus privée possible. Cléro fait clairement ici écho à son introduction qui analysait la signification du mot aide dans les langues anglaises et allemandes, analyse déjà rapportée dans mon étude. Helplessness, Hilflosigkeit, ces deux mots, aussi paradoxal que cela puisse paraître, portent en eux le caractère insecourable de chacun de nous, ils témoignent de la solitude fondamentale qui entoure nos vies.

 

 

Ainsi Cléro nous dit que l’aide n’est guère qu’une rencontre momentanée, relativement courte au regard de l’ensemble de nos vies, parfois même accidentelle. Et aidant et aidé non seulement risquent une séparation définitive, mais encore cette séparation est normale voire même souhaitable en ce qu’elle ne fait que respecter la solitude de chacun et lui permettre de conduire son chemin de façon privée jusqu’à sa mort.

 

 

Le point de vue de Jean-Pierre Cléro est bien sûr très intéressant, mais en fait pour tout dire il me semble trop manichéen. Il désincarne trop la relation d’aide pour ne l’analyser que sur un plan purement théorique. Il oublie qu’on parle d’hommes ici et que les relations qu’ils sont susceptibles de nouer entre eux sont parfois d’une complexité qui les rendent impossible à saisir en partant d’un seul angle de vue. C’est pourtant bien ce que fait Cléro en regardant la relation uniquement sous l’angle de l’aide.

 

 

Car bien que la relation qui s’établit entre aidant et aidé est bien évidemment essentiellement une relation d’aide, elle n’est pas que cela. En effet, si elle s’est aventurée dans une personnalisation importante, qu’elle a créé, par le jeu de l’interdépendance entre aidant et aidé, un lien qui va au-delà de la seule aide que l’un pouvait apporter à l’autre, alors le lien initial qui les faisait se rencontrer s’est transformé en quelque chose de plus intense, de plus fort. Leur relation s’est transcendée pour faire naître une forme d’amour.

 

 

Cléro s’oppose dans son analyse à la transformation de la relation d’aide en amour. Je pense qu’il a tort. Je le rejoindrais volontiers s’il s’agissait de dire que dans le cadre strict de la relation d’aide, dans les éléments qui doivent permettre de la rendre efficace, on doit se méfier de l’amour qui peut naître entre aidant et aidé, qui est plus propre à voiler la réalité qu’il convient d’affronter que de la mettre au jour, mais une fois que l’aide est arrivée à terme, qu’elle a produit ses fruits et s’est révélée efficace, je ne vois aucune bonne raison pour refuser ce nouveau lien qui peut unir ceux qui étaient avant aidant et aidé.

 

 

C’est tout à fait la critique que formule Daniel Calin. Il indique effectivement qu’on se trompe en voulant absolument séparer l’aidant et l’aidé, et qu’il peut au contraire se révéler très bénéfique pour l’un et pour l’autre de savoir organiser des retrouvailles après la terminaison de la relation d’aide. L’enfant qui quitte le foyer familial ne le quitte pas pour toujours, et tant lui que ses parents trouvent du bonheur à se retrouver et à remettre en commun par intermittence une partie de leur parcours. Pourquoi en serait-il autrement dans le cadre des relations d’aide. Pourquoi se priver de la chance de construire un lien social durable, structurant donc, et qui nous apporte du bonheur ?

 

 

En fait Jean-Pierre Cléro et Daniel Calin ne parlent pas exactement de la même chose ici. Cléro en est resté exclusivement à la relation d’aide, tandis que Calin l’a étendu au lien personnel qui a pu se former entre l’aidant et l’aidé. Et comme lui je me méfie des absolutismes de l’autonomie et de la responsabilité isolée, et des théories de la solitude. Il ne faut pas refuser la construction du lien social, même si celui-ci se fait avec des personnes avec lesquelles nous avons pu connaître une relation déséquilibrée. C’est un des outils les plus sûrs pour construire notre bonheur. Et il n’y a pas de raison valable pour refuser qu’il nous apporte ses bienfaits.

 

 

Il existe je crois une vraie sagesse du bonheur, du bien-être. S’en servir pour déterminer quels chemins choisir, vers quoi s’orienter, quelles décisions prendre, me semble en fait plutôt sage et juste. Bien sûr il faut savoir identifier quand ces chemins ne sont en fait que des solutions à court terme ou qu’ils présentent le risque de se faire au détriment des autres, mais se les interdire par principe sous prétexte du respect de théories philosophiques, même si celles-ci peuvent paraître pertinentes, me semble un non-sens.

 

 

Nous voilà donc à la fin de cette étude, qui je l’espère n’est pas resté trop théorique et déconnectée de la réalité, afin d’apporter des éléments vraiment utiles pour mieux comprendre cette notion. Pour conclure cette série, puisque je l’avais ouverte en citant La Fontaine, c’est à nouveau à lui que je fais appel, bouclant ainsi la boucle de ce long travail :

 

« En ce monde il se faut l’un l’autre secourir », La Fontaine, Fables, VI, 16, Le cheval et l’âne

09/03/2006

Le gouvernement a trouvé son clown !

Autant je trouve que les pitreries de de Villiers sont souvent agaçantes voire révoltantes de malhonnêteté, autant celles de Renaud Donnedieu de Vabre m'amusent de plus en plus.

 

Il y a quelque temps déjà j'avais relevé ici une citation rigolote de l'artiste, lâchée au soir du premier coup de théâtre de la controversée loi DADVSI, qui témoignait d'une vision aussi personnelle qu'originale de l'ouverture d'esprit. Mais cette fulgurance n'était qu'un prologue. Je ne sais pas bien ce qui se passe dans la tête de RDDV, mais je me demande un peu si le gouvernement ne se sert pas du prétexte de cette loi, à laquelle encore peu de gens doivent comprendre grand chose et qui ne doit donc pas leur paraître un sujet majeur, pour dérider un peu les foules et nous redonner le sourire.

 

Car vraiment depuis le début de cette affaire, RDDV ne rate pas une occasion de nous faire rire. D'abord il y a eu récemment l'amusante anecdote des jumeaux de son site lestelechargements.com en .info, .org, .fr, mais qui ne semblaient étrangement pas manifester l'enthousiasme du premier pour le projet du ministre. Puis dans la nuit d'hier à aujourd'hui, un nouvel épisode dans lequel Renaud nous montre comment il enlève et remet un article à sa loi façon Lucky Luke. 

 

Ce qui est rigolo dans l'article du Figaro (lien ci-dessus) c'est les raisons invoquées par RDDV pour la réintroduction de l'article 1 de cette loi, celui qui déchaîne visiblement le plus de polémiques.

 

"Sur tous les bancs j'ai entendu des questions, des interrogations, je veux qu'il n'y ait aucune ambiguïté. [...] [Je souhaite] une délibération totale, intégrale [dans le] respect des prérogatives des députés."

 

En lisant ça on se dit qu'il a dû se réveiller dans la nuit en se disant "mince, mon retrait abrupt de l'article 1 de ma jolie loi c'était pas sympa pour les députés quand même. Bon je vais le remettre comme ça on pourra rester copains."

 

Sauf qu'on a un vague doute sur l'honnêteté de ces propos quand on lit plus loin qu'en fait Renaud aurait craint que sa première décision de faire usage de l'article 84 du règlement de l'assemblée nationale pour retirer un seul article de son projet de loi pourrait ne pas être très constitutionnel. Ce qui en passant valide les doutes émis récemment par Grom.

 

Mais malgré cela je trouve que RDDV devient plutôt attachant à travers ces péripéties. Dans le fond il s'affirme un peu comme le Pierre Richard du gouvernement, le gars qui se prend les pieds dans le tapis au milieu de gens sérieux et qui se relève en faisant mine de rien. Alors je me prends à rêver. Que les débats sur cette loi durent encore, qu'ils se prolongent au-delà de ce qui est prévu, et qu'on assiste encore à quelques tours de Renaud.

 

Certains disent que la loi sur l'égalité des chances et notamment la création du CPE serait en passe de faire perdre la droite aux prochaines présidentielles. Et si RDDV parvenait avec sa loi DADVSI ou d'autres futurs projets aussi rigolos à la faire gagner? France qui rit est à moitié conquise?

 

Add: évidemment Eolas a écrit aujourd'hui un billet 10 fois meilleur sur le sujet. C'est agaçant d'être associé à des gens comme ça.

08/03/2006

Hommage aux femmes

La journée de la femme me donne l'occasion d'écrire un petit billet pour leur rendre hommage. Car outre leur plus grande qualité qui est d'être moins belliqueuses que nous (combien de guerres aurait-on évité si les femmes étaient au pouvoir depuis le début ?), les femmes réussissent tous les jours une performance qui devrait nous faire réfléchir sur nos propres comportements: en dépit des sources bien plus grandes de stress qu'elles doivent affronter ce sont elles qui savent le mieux le gérer.

 

Je sais que ça fait monomaniaque mon histoire de gestion du stress et vous vous dites peut-être en lisant ça: "mais quel sujet dérisoire ce truc". Mais encore une fois la discipline porte mal son nom. Ce n'est pas juste de la gestion du stress, ça va bien plus loin, c'est de la gestion de vie. Et dans ce domaine je crois en effet que pour beaucoup de choses les femmes sont plus douées que nous les hommes, et que nous serions bien inspirés... de nous en inspirer.

 

D'abord, qu'elles affrontent des sources de stress plus grande que nous ne fait aucun doute. C'est vrai dans nos sociétés occidentales où leurs salaires, et donc la reconnaissance qu'on offre à leur travail, restent moindres que ceux des hommes à mêmes niveaux de qualification, où les accès aux postes de direction et/ou de décision, en entreprise ou en politique, leur sont bien moins ouverts (lien via Kozlika) qu'aux hommes. C'est vrai aussi parce qu'elles supportent encore de nos jours une pression sociale forte, que ce soit pour leur rôle dans la famille, ou pour leur place dans le couple. On le voit notamment au fait que les femmes célibataires sont plus perçues comme des cas anormaux que lorsqu'il s'agit d'hommes.

 

Et surtout, elles sont encore l'objet de maltraitances inadmissibles, et ce dans presque tous les pays du globe. En France plusieurs rapports (via Kozlika également) assez récents témoignent d'une situation alarmante, et ailleurs dans le monde ce n'est guère plus réjouissant. Malgré tout cela, les femmes d'une façon générale gèrent mieux leur stress que nous. Des experts s'étant penchés sur la question de façon précise nous rapporteraient peut-être tout un tas de raisons sociologiques à cela, mais je crois en fait que la raison principale est toute bête, et qu'elle est suffisante pour expliquer l'essentiel: les femmes savent mieux gérer leurs émotions que nous.

 

C'est un poncif? une caricature? Non, ou si peu. Les femmes, en tout cas la plupart d'entre elles, sont bien plus à l'aise que nous pour vivre et exprimer leurs émotions. Bien mieux que nous elles savent se montrer proches, attentives, spontanées. Alors que dans ce domaine les hommes sont un peu resté à l'âge des cavernes. Un des grands défauts des sociétés modernes est qu'elles font grandir les hommes en leur apprenant des valeurs faussées: l'honneur, la force de caractère, la virilité. L'homme c'est le gars qui reste digne et qui ne pleure pas dans l'adversité. Quelle ânerie oui. On confond solidité comportementale (celle qui permet d'affronter les évènements et de s'en relever) et insensibilité. Et on croit qu'un homme qui reste le dos droit en toute circonstance est à admirer. Cette croyance est un piège.

 

Un petit exemple simple pour étayer ceci. Quand j'ai suivi ma formation accélérée en gestion du stress, le formateur nous a proposé un exercice, que j'ai d'ailleurs déjà indiqué sur ce blog dans un ancien billet: il s'agissait de dire à trois personnes que nous les aimions, et de rapporter le lendemain au groupe comment les choses s'étaient passées avec les personnes auxquelles on l'avait dit. Et bien le lendemain en cours, on a constaté que toutes les filles avaient fait l'exercice, mais que les garçons qui l'avaient fait étaient bien rares. Je crois me souvenir que nous étions juste deux sur une quinzaine de gars. On s'est aperçu de quoi au travers de cet exercice? Et bien tout bonnement que les hommes ne l'avaient pas fait simplement parce qu'ils manquaient de courage, et de sensibilité. C'est loin de valoir une palme.

 

Alors aux femmes aujourd'hui je dis bravo et merci, pour ce qu'elles savent montrer dans leur comportement de tous les jours, et pour ce qu'elles nous apportent de spontané. Je vous poutoune.

06/03/2006

Quoique et l'accompagnement d'apprentis handicapés

Billet précédent de la série

 

Quand j'ai commencé il y a maintenant un mois et demi ma série de billets sur la notion d'aide, j'ai contacté Quoique  (qui semble aujourd'hui être victime d'un grand vide sur son blog, que se passe-t-il ?) pour lui demander de me rédiger quelque chose à propos de son travail. Quoique a poliment décliné mon invitation, sans doute déjà bien occupé par ses propres occupations.

 

Mais suite à un commentaire de François Brutsch chez Un swissroll j'ai tout de même envie d'écrire un petit quelque chose à sa place. Sans vouloir toutefois biaisé la réalité de son travail, ce qui va donc me forcer à faire plutôt court.

 

Quoique est éducateur travaille en Bretagne (déjà rien que ça c'est bon signe) auprès d'un organisme spécialisé (et ceux-ci semblent encore rares en France) dans le domaine social. Il accompagne des jeunes en situations d'échec scolaire, et souvent de handicap physique et/ou mental, afin de les aider à s'insérer convenablement dans la société, et notamment de trouver un emploi.

 

Ce qui m'intéresse dans cette démarche, au-delà du travail social admirable qu'elle représente, c'est la notion d'accompagnement. Celle-ci se base en effet sur une relation qui reste plutôt équilibrée par rapport à d'autres relations d'aide que l'on peut imaginer. Accompagner quelqu'un ce n'est pas faire le chemin à sa place mais bien aller avec lui. Il me semble ici que le rôle de l'accompagnateur se limite à ouvrir certaines portes dont l'apprenti n'a pas les clés, à offrir un appui, mais qu'il garde avec l'apprenti la distance qui permet à celui-ci de se rendre maître de ce qui lui arrive, et au final de devenir vraiment autonome.

 

Ca me fait penser à un adulte qui apprend à son enfant à faire du vélo. Au début il reste à côté, il tient un peu le guidon, il pousse la selle en courant à côté. Puis petit à petit il lâche les manettes, jusqu'à laisser l'enfant se débrouiller tout seul sans oublier toutefois de lui crier "attention" lorsqu'il aperçoit une simple feuille tomber devant la roue du vélo.

 

Accompagner un jeune en difficulté et l'aider à se sortir de sa situation d'exclusion ça doit être un peu ça: devenir pour un temps un compagnon de route, attentif et proposant les solutions pratiques nécessaires à mettre en oeuvre. Puis laisser le jeune filer sur sa route, en espérant qu'il ne tombe pas plus tard sans savoir se relever seul.

 

Evidemment Quoique, si vous lisez ce billet vous êtes plus que bienvenu pour le commenter et corriger les erreurs ou approximations que j'aurais pu commettre. J'ai aussi une question directe à vous adresser, qui me servira un peu je l'avoue à faire le lien avec mon prochain billet sur cette série: après qu'un apprenti ait trouvé un poste dans une entreprise conservez-vous des relations avec eux, ne serait-ce que pour prendre des nouvelles ou même juste pour vous retrouver, parlez du temps où vous travailliez ensemble, etc?

 

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04/03/2006

Spiegelman répond au journal Hamshahri

Découverte dans le dernier Courrier International, une série de trois dessins de Art Spiegelman qu'il a réalisés en réponse au concours de dessins sur l'Holocauste lancé par le journal iranien Hamshahri qu'il avait lui-même lancé en représailles de la publication des caricatures de Mahomet dans le désormais célèbre Jyllands-Posten. Je trouve notamment un des trois dessins de Spiegelman excellent et ne résiste pas à l'envie de vous le présenter.

 

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Je n'en ris pas aux larmes, mais tout de même je le trouve très bon. Parce qu'il a plusieurs niveaux de lectures qui le rendent au final très subversif. Spiegelman utilise remarquablement son talent et son humour pour faire passer un message qui me semble dans le fond assez simple: en fait cette histoire est un peu ridicule.

 

Je signale enfin le blog Israeli anti-semitic cartoons contest qui regroupe les dessins du concours lancé par deux israëliens, Eyal Zusman et Amitaï Sandarovich, également en réponse au journal Hamshahri. A part les dessins on trouve d'autres choses rigolotes. J'ai notamment bien aimé cette histoire, racontée par un commentateur:

 

" A Jewish business in a Jewish neighborhood in NYC has a sign in the window:

“We would rather do business with 10,000 terrorists, than a single Jew!”

In small print at the bottom

Goldblum Funeral Home  "

 

J'inclus volontairement ce billet dans la catégorie "c'est pour de rire", parce que finalement l'humour est peut-être bien la meilleure façon de communiquer sur cette affaire désormais.

02/03/2006

Parce que la nuit

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Parce que la nuit, parce que les pleurs,

Les gestes lents qui ne savent plus.

Parce que les rires tremblant de peur,

Et les silences qu'ils ne cachent plus.

 

Parce que les ombres sur le visage,

A chaque regard qui disparaît.

Parce que les voeux souvent volages,

Les sourires minces qui sont défaits.

 

Parce que les mots qui vont hagards,

Et les soupirs mal déguisés.

Parce que demain n'est plus qu'un soir,

Une solitude trop assurée.

 

Aidez-moi

 

 

P.S : un très grand merci à Stanislas Gros qui m’a fourni le dessin pour illustrer ce poème (que je considère comme faisant partie de ma série sur l'aide).

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